Les bords du lac Léman accueillent les sièges des plus gros négociants de matières premières. La "petite Suisse de la Méditerranée" accueille, elle, leurs boîtes aux lettres. Certaines entreprises y recherchent une fiscalité avantageuse (5 % à la "belle" époque, 12,5 % aujourd'hui). Mais "le détour chypriote permet fondamentalement de masquer les bénéficiaires économiques des sociétés", explique Olivier Longchamp, responsable fiscalité et finances internationales de l'association Déclaration de Berne.
En clair : offrir aux ramifications des maisons de négoce une ombre propice à l'épanouissement de leurs activités lucratives et internationalisées. L'idéal pour des sociétés "monstre", divisées en succursales, holdings et participations diverses, réparties sur l'ensemble du globe de par leur activité d'intermédiaire entre producteurs de pétrole, cuivre ou maïs et les consommateurs (industriels) à l'autre bout de la chaîne.
Selon le militant suisse, de nombreuses maisons, parmi les plus importantes, auraient une adresse à Chypre. Une adresse essentiellement administrative et sans rapport avec une quelconque activité sur place, même si des velléités de faire de l'île un "hub" de stockage, d'échange et de transport sont apparues ces dernières années.
"Je ne pense pas que les sociétés de négoce aient une quelconque activité significative sur place", affirme ainsi Olivier Longchamp. Le trader suisse indépendant Olivier Jakob confirme : "Si la fiscalité devait changer à Chypre, cela n'aurait pas de conséquence sur le prix du pétrole dans la mesure où, à part les boîtes aux lettres, il n'y a pas grand chose là-bas."
RACINES RUSSES
Point commun de ces sociétés, des racines russes. "Les sociétés de négoce domiciliées en Suisse, mais dans lesquelles les intérêts russes sont présents, sont coutumières d'une société mère à Chypre. Nous savons que Gunvor, Mercuria et Norilsk disposent d'une holding mère à Chypre. Renova, la structure de Vekselberg, qui contrôle une part importante de Rusal, passe aussi par Chypre", détaille Olivier Longchamp.
Par exemple, la maison mère de Mercuria, l'un des dix premiers négociants de pétrole au monde, ainsi que deux de ses holdings sont domiciliées fiscalement à Larnaca, la capitale économique de Chypre, alors que les bureaux principaux du groupe sont à Genève.
Gunvor, quatrième plus gros trader d'or noir, a lui établi son quartier général à Nicosie depuis 2010 (il était auparavant dans les îles Vierges britanniques). Pourtant tous les contacts disponibles sur le site Internet du groupe renvoient en Suisse ou en Russie.
D'UNE ÎLE À L'AUTRE
Le Neue Zürcher Zeitung explique que le contrôle des capitaux pourrait nuire aux intérêts des négociants, même si le dirigeant de Gunvor, Gennadi Timchenko, affirmait dimanche 24 mars que son entreprise ne sera pas concernée, dans la mesure où elle ne dispose pas d'actifs significatifs sur ses comptes chypriotes.
Reste que les risques pris par ces négociants ne se limitent pas à une entaille à leur réputation. Ils touchent à la structure même du groupe quand celui-ci choisit de s'installer dans une contrée aux autorités peu regardantes et à l'ossature financière fragile. Par contraste, une autre île, Singapour, dégage de plus en plus une image "business friendly" et solide. Y sont déjà établies Olam, Noble Group et Trafigura.
Une réputation d'autant plus entachée pour Chypre, au chapitre matières premières, que le scandale de la viande de cheval (contenue dans les plats cuisinés à la place du bœuf) passait par une entreprise de négoce enregistrée à Limassol, dans un circuit complexe destiné à muscler les marges des intervenants de l'industrie.
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