(De Rio de Janeiro) La jeune femme est seule dans la pièce avec l’inspecteur. Il la juge, il doute, il pense qu’elle ment. Pour lui, elle n’a pas été violée par 30 personnes, c’est une ado paumée, une droguée qui traîne avec des bandits. Il appelle trois collègues et ils lui posent des questions sur ses goûts sexuels :
« Tu as l’habitude de faire des partouzes non ? Tu aimes ça ? »
L’attitude de l’inspecteur est courante dans les commissariats brésiliens. La parole des victimes est souvent mise en doute sans détour. C’est ce type d’histoire qui a poussé Maria Wotzik et ses collègues à mettre en place la mapa do acolhimento (carte de l’accueil) pour les victimes d’agressions sexuelles.
« L’horreur de ce viol collectif m’a choquée. L’attitude de la police aussi. C’est à partir de là que le projet est né. »
90% des victimes ne portent pas plainte
Maria travaille à l’ONG « Nossas Cidades » (Nos Villes) qui vise à créer des réseaux de mobilisation citoyens en mettant l’expérience et les connaissances des activistes au service des causes les plus variées. Avec les membres du collectif féministe #agora é que são elas, elle se penche donc sur ce projet, finalement lancé fin juin.
La carte veut recenser et noter l’ensemble des établissements publics du Brésil censés accueillir les victimes de violences sexuelles. Depuis 2013, un décret présidentiel oblige les professionnels des hôpitaux et les policiers à adopter une attitude « plus humaine, en respectant la dignité de la personne » et interdit « toute forme de discrimination ».
Mais les habitudes ont la vie dure et beaucoup de femmes craignent de se rendre dans un commissariat. Plus de 90 % des victimes d’agressions sexuelles ne portent pas plainte selon une étude publiée par l’INSEE local.
« Ils n’allaient pas me croire »
Olivia, jeune habitante de Rio de Janeiro violée par deux hommes il y a deux ans, a préféré se taire plutôt que d’affronter le regard inquisiteur des policiers :
« Ça aurait été une nouvelle épreuve. J’étais traumatisée et j’étais sûre qu’ils n’allaient pas me croire. »
Carol Sosô, psychologue qui a adhéré au projet assure que ce type de cas n’est pas du tout isolé :
« J’ai plusieurs patientes qui ont été reçues par des policiers, souvent des hommes, totalement insensibles. Ils parlent vulgairement, sans aucune empathie, demandent ce qu’elle portait pour “ provoquer ” le viol... »
« On veut les faire évoluer ! »
Même dans les commissariats réservés aux femmes, les victimes ne sont pas encouragées à dénoncer leur(s) agresseur(s). A Fortaleza, dans le nord-est du Brésil, une jeune femme a posté une critique dans l’application : « A l’accueil, une fonctionnaire demande aux personnes si elles sont sûres de vouloir porter plainte parce qu’après cela, elles devront élever leurs enfants toutes seules. » Dans la majorité des cas, les agresseurs sont des proches.
Maria détaille le fonctionnement du projet :
« Nous nous sommes basés sur le décret présidentiel pour mettre en place une grille de critères afin que nos volontaires, qui ne sont pas nécessairement des victimes d’abus sexuels, puissent se rendre sur place et évaluer la qualité de l’accueil. »
L’idée est de guider les femmes agressées afin qu’elles bénéficient du meilleur service possible. Mais Maria veut aller plus loin. « Dans un deuxième temps, nous allons mettre en place des outils pour que nos utilisateurs mettent la pression sur les lieux qui ont reçu de mauvaises critiques. On veut les faire évoluer ! »
« La victime est souvent culpabilisée »
Au Brésil, un viol a lieu toutes les onze minutes, soit 527 000 par an et autant de traumatisme. Évaluer simplement l’accueil des victimes semblait donc insuffisant pour Maria.
« Les hôpitaux publics ou les commissariats sont un premier pas, mais les conséquences psychologiques d’une agression sont incommensurables. D’autant que la société brésilienne est très machiste et la victime est souvent culpabilisée. »
58,5 % des Brésiliens sont d’accord avec la phrase « si les femmes savaient se comporter, il y aurait moins de viols » [PDF]. Pour elle, l’aide psychologique est indispensable pour pouvoir se reconstruire.
« Devant l’inefficacité de certains établissements publics, on a décidé d’intégrer le secteur privé. Or, on a vite constaté que beaucoup de psychologues étaient prêts à accueillir gratuitement des femmes qui ont subi des abus sexuels. »
Les psychologues intéressés s’inscrivent sur l’application qui incite les victimes à entrer en contact avec l’un d’eux. Quelques conseils pour choisir son thérapeute sont publiés sur l’application.
Thérapie
Carol Sosô assure que proposer un grand choix de psychologues aide les victimes à suivre une thérapie jusqu’au bout.
« Pour une bonne thérapie, il faut que la patiente se sente à l’aise avec son psy. Beaucoup abandonnent après une première tentative frustrante. Mais en proposant un large panel gratuit, on leur permet de pouvoir choisir plus sereinement. Elles peuvent essayer plus facilement différentes personnes. »
Pour le moment, 2 578 volontaires et 457 thérapeutes se sont inscrits dans plus de 18 Etats du Brésil, principalement dans le sud du pays où le réseau des activistes de « Nossas Cidades » est plus développé. Mais l’idée est de toucher l’ensemble du Brésil, et à terme, d’autres pays.
Source : http://rue89.nouvelobs.com