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21 octobre 2013 1 21 /10 /octobre /2013 16:22

 

 

lemonde.fr

Comment la NSA espionne la France

Le Monde.fr | 21.10.2013 à 06h01 • Mis à jour le 21.10.2013 à 15h53 | Par Jacques Follorou et Glenn Greenwald (Journaliste)

 
 

 

Manifestation en soutien à Edward Snwoden, Place du Trocadero à Paris, le 7 juillet.

 

L'avenir dira peut-être, un jour, pourquoi Paris est resté si discret, par rapport à Berlin ou Rio après les révélations sur les programmes d'espionnage électronique américain dans le monde. Car la France a été tout autant ciblée et dispose aujourd'hui de preuves tangibles que ses intérêts sont quotidiennement visés.

Selon les documents de l'Agence nationale de sécurité (NSA) obtenus par Le Monde, les communications téléphoniques des citoyens français sont, en effet, interceptées de façon massive. Ces pièces, dévoilées en juin par l'ex-consultant de l'agence, Edward Snowden, décrivent les techniques utilisées pour capter illégalement les secrets ou la simple vie privée des Français. Certains éléments ont été évoqués par l'hebdomadaire allemand Der Spiegel et le quotidien britannique The Guardian. D'autres sont inédits.

Pour en savoir plus sur le contexte des révélations du Monde, lire l'éditorial : "Combattre Big Brother"

Parmi les milliers de documents soustraits à la NSA par son ex-employé figure un graphique qui décrit l'ampleur des surveillances téléphoniques réalisées en France. On constate que sur une période de trente jours, du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013, 70,3 millions d'enregistrements de données téléphoniques des Français ont été effectués par la NSA. 

 

 LES TROIS PARTIES

L'agence dispose de plusieurs modes de collecte. Quand certains numéros de téléphone sont utilisés dans l'Hexagone, ils activent un signal qui déclenche automatiquement l'enregistrement de certaines conversations. Cette surveillance récupère également les SMS et leur contenu en fonction de mots-clés. Enfin, de manière systématique, la NSA conserve l'historique des connexions de chaque cible.

Cet espionnage apparaît au titre du programme "US-985D". L'explicitation exacte de ce sigle n'a pas été fournie, à ce jour, par les documents Snowden ni par d'anciens membres de la NSA. A titre de comparaison, les sigles utilisés par la NSA pour le même type d'interception visant l'Allemagne sont "US-987LA" et "US-987LB". Cette série de numéros correspondrait au cercle qualifié par les Etats-Unis de "troisième partie" auquel appartiennent la France, l'Allemagne mais aussi l'Autriche, la Pologne ou encore la Belgique. La "deuxième partie" concerne les pays anglo-saxons historiquement proches de Washington, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, connus sous le nom des "Five Eyes". La "première partie" concerne, elle, les seize services secrets américains.

Lire : L'ampleur de l'espionnage mondial par la NSA

Les techniques utilisées pour ces interceptions apparaissent sous les codes "DRTBOX" et "WHITEBOX". Leurs caractéristiques ne sont pas connues. Mais on sait que grâce au premier code, 62,5 millions de données téléphoniques sont collectés en France du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013 et que le second permet d'enregistrer sur la même période 7,8 millions d'éléments. Les documents donnent suffisamment d'explications pour penser que les cibles de la NSA concernent aussi bien des personnes suspectées de liens avec des activités terroristes que des individus visés pour leur simple appartenance au monde des affaires, de la politique ou à l'administration française.

Le graphique de la NSA montre une moyenne d'interceptions de 3 millions de données par jour avec des pointes à presque 7 millions les 24 décembre 2012 et 7 janvier 2013. Mais du 28 au 31 décembre, aucune interception ne semble avoir été opérée. Cet apparent arrêt d'activité pourrait s'expliquer, notamment, par le délai nécessaire à la reconduction, fin décembre 2012, par le Congrès américain de la section 702 de la loi encadrant l'espionnage électronique à l'étranger. De même, rien n'apparaît les 3, 5 et 6 janvier 2013 sans que l'on puisse, cette fois-ci, avancer de raison plausible. De nombreuses questions se posent encore, à commencer par l'identité précise des cibles et les justifications d'une collecte si massive de données sur un territoire étranger, souverain et allié.

Voir le visuel interactif : "Plongée dans la 'pieuvre' de la cybersurveillance de la NSA"

Sollicitées, les autorités américaines n'ont pas souhaité commenter ces documents qu'elles considèrent comme "classifiés". Néanmoins, elles renvoient à la déclaration faite, le 8 juin, par le directeur national du renseignement américain : "Pour les personnes ciblées à l'extérieur de nos frontières, nous ne pouvons les viser sans de motifs légalement fondés, tels que la menace terroriste, informatique ou de prolifération nucléaire."


"INFORMATEUR UNIVERSEL"

La France n'est pas le pays où la NSA intercepte le plus de connexions numériques ou téléphoniques. Le système "Boundless Informant" (informateur universel), révélé, en juin, par Edward Snowden au Guardian, a permis d'avoir une vision d'ensemble et en temps réel des renseignements récupérés à travers le monde grâce aux différents systèmes d'écoutes de la NSA. "Boundless Informant" collecte non seulement les données téléphoniques (DNR) mais aussi celles liées à l'univers numérique (DNI).

L'un de ces documents, que Le Monde a pu consulter, relève qu'entre le 8 février et le 8 mars, la NSA a collecté 124,8 milliards de DNR et 97,1 milliards de DNI dans le monde dont, bien évidemment, des zones de guerre comme l'Afghanistan, ainsi que la Russie ou la Chine. En Europe, seuls l'Allemagne et le Royaume-Uni dépassent la France en termes de nombre d'interceptions. Mais pour les Britanniques, cela s'est fait avec l'assentiment de leur gouvernement...

Lire aussi : "Les services secrets américains très intéressés par Wanadoo et Alcatel-Lucent"

 

 

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15 octobre 2013 2 15 /10 /octobre /2013 15:13

 

 

mediapart.fr

La NSA, un aspirateur à renseignements depuis sa création

|  Par Iris Deroeux

 

 

L'agence américaine de surveillance des communications née dans les années 1950, en pleine guerre froide, semble aujourd’hui capable de tout enregistrer et tout stocker, sans trier et sans se soucier de la légalité. Normal, elle a été créée pour ça.

 

« La NSA a parfois été critiquée pour son approche du renseignement digne d’un aspirateur, tout particulièrement quand les informations récoltées incluent les conversations et les échanges de citoyens américains. C’est précisément son caractère omnivore – et les attaques par “force brute” auxquelles elle a recours (en essayant toutes les combinaisons possibles pour déchiffrer clés et mots de passe, ndlr) – qui fait de la NSA une machine coûtant des milliards de dollars par an aux planificateurs de la défense américaine. » Cette analyse de la NSA, faite par l’auteur et expert en renseignement Thomas Powers dans les pages de la revue littéraire New York revue of Books (ici), ne date pas d’hier ni même de juin, quand les premiers documents rendus publics par Edward Snowden étaient publiés et révélaient au monde l’ampleur des activités de l’agence de surveillance américaine. Elle date de 1983 ! 

Trente ans plus tard, le constat est simple : « Rien n’a changé, elle est juste plus grande, plus coûteuse et collecte plus d’informations », résume James Bamford, expert de la NSA à laquelle il a dédié cinq ouvrages depuis les années 1980 et qui ne cache pas son excitation face aux révélations en série d’Edward Snowden. Elles permettent en effet de mieux percer le mystère de cette agence dont l'objectif est la surveillance, le stockage et le décodage des communications depuis 1952. Car espionnage oblige, tout y est officiellement classé « secret ».

Les dernières informations publiées par le Washington Post à partir des documents livrés par l'ancien prestataire Edward Snowden ne vont pas démentir cet état de fait. Selon le WashPo, la NSA collecte des centaines de millions de listes de contacts numériques d'Américains via leurs courriels ou leurs messageries instantanées. En une seule journée en 2012, la NSA a intercepté 444 743 listes de contacts courriels de comptes Yahoo!, 82 857 de comptes Facebook, 33 697 de comptes Gmail, et 22 881 d'autres fournisseurs internet, précise la NSA dans une présentation publiée par le journal américain. Extrapolés sur une année, ces chiffres correspondraient à la collecte de 250 millions de listes de contacts courriels par an. Ce qui voudrait dire que des millions, voire des dizaines de millions d'Américains sont concernés par cette collecte, ont indiqué au journal deux hauts responsables du renseignement américain.

Ces listes contiennent davantage d'informations que les métadonnées téléphoniques, car, dans ces contacts courriels, il y a aussi des numéros de téléphone, des adresses physiques, des informations économiques ou familiales, et parfois les premières lignes d'un message. La NSA intercepte ces listes “au vol”, quand elles se retrouvent dans des échanges internet, plutôt qu'“au repos”, dans les serveurs des ordinateurs. Et de ce fait, la NSA n'a pas besoin de le notifier aux groupes internet qui abritent ces informations, comme Yahoo!, Google ou Facebook.

L'agence les intercepte à partir de points d'accès situés « partout dans le monde » mais pas aux États-Unis, ont précisé les responsables du renseignement. Ce qui permet à la NSA de contourner l'interdiction qui lui est faite d'intercepter des informations sur des Américains à partir du territoire américain, expliquent-ils.

Fin août, on apprenait par ailleurs que l’agence américaine surveillait la diplomatie française, des représentations diplomatiques à l’ONU, la présidente brésilienne Dilma Rousseff ou encore la chaîne Al-Jazeera (lire ici l’article de Jérôme Hourdeaux). Début septembre, le New York Times, le Guardian et le site Pro Publica nous apprenaient encore qu’elle pouvait décoder l’essentiel des messages internet chiffrés (c’est-à-dire de passer outre les garanties que promettent la plupart des sociétés pour sécuriser par exemple des données médicales ou bancaires). « C’est une révélation très importante car le fait de buter sur des codes était l’une des rares limites que l’on pouvait entrevoir au travail de la NSA. Vraisemblablement, ce n’en est plus une », estime James Bamford.

La démesure de la NSA ne peut qu’interpeller. D’ici la fin de l’année, doit encore être inauguré dans l’Utah un centre de stockage de données de 93 000 mètres carrés, pouvant accueillir quelque chose comme 2 000 fois le total du trafic annuel de l’internet mondial… Le plus grand centre d’archives secrètes du monde.

Comment s'est construit un tel système de surveillance ? Une structure qui nous place « à ça d’un système totalitaire clés en main », selon l’ancien agent de la NSA et lanceur d’alerte William E. Binney, montrant un petit espace entre son index et son pouce, lors d’un entretien au magazine Wired, en 2012, dans le cadre d'une grande enquête sur le nouveau centre d’Utah.

Pour comprendre la NSA sous sa forme actuelle, il est essentiel de revenir sur ses fondements. Elle a d’abord été créée pour répondre à une préoccupation constante, surtout en temps de guerre : intercepter et comprendre les messages échangés dans le camp de l’ennemi, et se permettre beaucoup de choses pour y parvenir. On peut ainsi retracer ses origines à 1919, lorsque le président Woodrow Wilson met en place, au sein du service de l’armée dédié au renseignement militaire, un bureau dédié au décryptage de codes et câbles en tous genres utilisés par les différents services diplomatiques à travers le monde. L’officier Herbert O. Yardley est nommé à la tête de ce premier bureau dit “Cipher bureau” (bureau des codes secrets), qu’il renomme « the black chamber », en référence au « cabinet noir » historique des services de renseignement français interceptant les correspondances.

Ce premier bureau devient le Signal Intelligence Service (SIS) dans les années 1930, un service de plus en plus important d'espionnage, de collecte et de décryptage des communications. Y sont progressivement intégrés différents services dédiés au renseignement à l’intérieur de l’armée de terre, de l’air et la marine… Et on arrive à la National Security Agency, officiellement créée en 1952 par le président Harry Truman, placée à la fois sous l’administration du département d’État (l’équivalent de notre Quai d’Orsay) et du département de la Défense. Son quartier général est installé à Fort Meade, à une quarantaine de kilomètres de Washington.

Le siège de la NSA à Fort Meade 
Le siège de la NSA à Fort Meade© Reuters

Des lanceurs d’alerte mettent en garde dès sa création

La NSA se dote alors d’une charte (ci-dessous), déclassifiée des années plus tard, dans laquelle on lit que sa mission « devra être d’apporter un contrôle et une organisation efficace des activités relatives à la surveillance des communications menées par les États-Unis contre des gouvernements étrangers ». Y est détaillé le processus de décision assez long, mais présenté comme obligatoire, devant mener à la mise sous surveillance d'un « sujet » et dont l'agence ne peut s'affranchir qu'en cas d'extrême urgence. Enfin, on y apprend que la NSA sera administrée par un directeur, nommé par le secrétaire à la Défense pour un mandat de quatre ans renouvelable et que sa marge de manœuvre pour mener à bien la mission de l'agence est très grande.

La charte de la NSA

Pendant toute la période de la guerre froide, la NSA joue donc son rôle, le plus secrètement possible. « C’est difficile d’évaluer son impact en isolant son implication dans tel ou tel événement. Elle rapporte une partie du renseignement collecté par différents services. À ce titre, les informations qu’elle rassemble sont utilisées dans n’importe quelle opération militaire, négociation de traité ou conférence de paix », explique l’historien Nick Cullather, spécialiste des agences de renseignement à l’Université d’Indiana.

Elle se retrouve seulement sous les projecteurs quand un officier “fuite”, ce qui arrive assez rapidement dans son histoire. « Il y eut le cas William Martin et Bernon Mitchell en septembre 1960 », rappelle l’historien, du nom de deux agents de la NSA qui demandèrent l’asile politique en URSS après avoir donné une conférence de presse d’une heure, à Moscou, au cours de laquelle ils accusèrent les États-Unis d’actes illégaux et d’hypocrisie. Selon Nick Cullather, ils révélèrent alors « plus d’informations sur les pratiques de la NSA qu’on en avait obtenues au cours de la décennie précédente ». Notamment que l’agence s’en prend (déjà) à des États alliés.

Voici le texte lu par les deux agents lors de la conférence de presse, publié à l’époque par le New York Times. « Nous sommes désenchantés par la manière dont le gouvernement des États-Unis intercepte et décode les communications secrètes de ses propres alliés », y lit-on. La NSA dément et resserre les boulons pour protéger ses secrets. À partir de cette période, il y a d’ailleurs de moins en moins de traces de l’agence, comme le montre ce diaporama du Washington Post réalisé à partir de photos déclassifiées, où l’on apprend qu’il y eut même une Miss NSA dans les décennies 1950 et 60. Les derniers clichés datent des années 1970.

Arrive ensuite la fin de la guerre froide, qui marque un tournant. « Dans les années 1990, l’activité des agences de renseignement se réduit, et, en haut lieu, on se demande si certaines ne vont pas disparaître pour devenir de plus petits services rattachés à un ministère en particulier », explique Nick Cullather. Sauf que cette traversée du désert ne dure pas longtemps. Les attentats du 11 septembre 2001 changent complètement la donne. 

« Après les attaques du 11-Septembre, la taille et les capacités de la NSA ont explosé », résume l’écrivain James Bamford. Cela découle d’abord de la volonté de l’administration de George W. Bush, qui veut disposer du plus grand stock de renseignement possible pour lutter contre le terrorisme. Au point qu’elle tente de mettre sur pied le « total information awareness program », un programme de surveillance des plus invasifs basé sur le stockage des données personnelles des  Américains, et suscitant de telles critiques qu’il fut finalement retoqué par le Congrès en 2003. Sauf que de l’avis de nombreux spécialistes, la NSA telle qu’on la découvre ces temps-ci n’est ni plus ni moins que l’aboutissement de ce projet.

Pour y parvenir, il aura fallu l’aval de différents Congrès, et plus précisément des comités de renseignement existant à la fois à la Chambre et au Sénat, qui furent créés dans les années 1970 afin de protéger le public des possibles abus des agences du renseignement. Ayant un droit de regard sur les activités de la NSA, ceux-ci ont considéré qu'il était normal que son budget soit démultiplié.

Fin août, le Washington Post publiait une note datant de 2012 à l’intention du Congrès "fuitée" par Edward Snowen. Celle-ci détaille les 52,6 milliards dollars de « black budget » (budget classé secret) demandés par le gouvernement pour l'année fiscale 2013, puis affectés aux 16 agences américaines qui constituent la “communauté du renseignement” et emploient, selon ce document, pas moins de 107 035 personnes. On y apprend que la NSA a reçu cette année-là 10,8 milliards de dollars, quand son budget était estimé à quelque 4 milliards de dollars en 1996. Elle est donc la seconde agence la mieux dotée derrière la CIA, qui recevait 14,7 milliards de dollars en 2013 (à noter que si la NSA est avant tout centrée sur le stockage et le décryptage de données, la CIA cumule des missions de surveillance et des actions de terrain au point d'être comparée à une force para-militaire, ici dans le Washington Post).

La NSA change d'échelle

Les élus l’ont ensuite laissée mener ses activités secrètes sans beaucoup de garde-fous ni de surveillance, quand bien même la NSA serait une agence fédérale devant respecter les lois fédérales. En témoignent des arrêts de la cour de justice FISA révélés par Edward Snowden. Cette cour de justice fédérale fut mise en place dès 1978 afin d'effectuer un contrôle juridique sur la NSA. Travaillant dans le secret, ses onze juges étudient les requêtes de l'agence et l'autorisent – ou non – à procéder à la perquisition de données. Sauf que les documents inédits d'Edward Snowden montrent qu'elle ne s'est pas montrée trop pointilleuse…

En 2012 seulement, la cour FISA a signé près de 1 800 arrêts relatifs à la surveillance. Des arrêts laissant la NSA mener des opérations massives, n'ayant rien à voir avec sa mission originelle de surveillance ciblée. Ici, l'arrêt d’avril 2013 ordonnant à la société de téléphonie mobile Verizon de livrer quotidiennement à l’agence les relevés d’appels de tous ses clients américains, qu’ils soient suspectés ou non de quelconque crime ou délit.

Pourquoi ce laisser-faire ? D’abord, parce que les administrations successives ont estimé que cette approche de la surveillance était bel et bien un moyen efficace de lutter contre le terrorisme. La nomination de Keith Alexander, à la tête de la NSA depuis 2005 et resté en poste plus longtemps qu’aucun autre directeur avant lui, l’indique. Cet homme à la carrière de militaire puis d’espion, ayant une connaissance approfondie de la programmation informatique, n’a jamais caché son appétit pour les données, toujours plus de données.

Sous ses ordres, la NSA s’est dotée des nombreux programmes de récolte de données appartenant à des citoyens américains et étrangers – PRISM en est une illustration –, mais aussi de logiciels complexes et coûteux pour les traiter. Elle a encore affirmé son rôle dans la lutte contre le cyber-espionnage, et a mis en place des systèmes d’échange d’informations avec les entreprises privées américaines pouvant potentiellement être prises pour cibles.

Dans un long portrait publié par la revue Foreign Policy, début septembre, des officiers ayant travaillé à ses côtés, à la NSA et ailleurs, témoignent. L’un le décrit comme, « un cow-boy, du genre à dire “ne nous inquiétons pas de la légalité, trouvons seulement le moyen d’accomplir notre mission” ». En l’occurrence, d’empêcher toute attaque terroriste contre des Américains. Et face aux révélations d'Edward Snowden, les rares fois où Keith Alexander s’est exprimé, c’était pour répéter que la NSA travaillait sans enfreindre les lois protégeant la vie privée des Américains, qu’elle était indispensable à la sécurité du pays, qu’elle avait servi à déjouer des attentats (un argument jamais étayé) et que Snowden avait causé « des dommages irréversibles » à ce bel édifice.

Jusqu’à la saga Snowden, le fait que l’agence flirte avec l’illégalité ne semblait pas déranger beaucoup de décideurs politiques, plutôt séduits par la promesse de la NSA. « Le solutionnisme a le vent en poupe dans les agences du renseignement. Elles prétendent disposer de solutions techniques qui vont permettre de tout prévoir, à partir du moment où on les laisse chercher. C’est-à-dire que les élus se mettent à attendre de la NSA autre chose qu’une simple couche supplémentaire d’informations, ils s’imaginent que via la collecte et le traitement d'un stock illimité de données, il sera possible de comprendre le schéma de pensée des personnes sous surveillance, d’anticiper leurs décisions, et donc de limiter les risques », explique l’historien Nick Cullather. « C'est une proposition irrésistible, même si elle est complètement irréaliste. »

« Si la NSA est très efficace pour intercepter des morceaux de communications (par exemple entre des hauts gradés de l’armée syrienne au tout début de la guerre civile – ndlr), elle l’est moins pour interpréter le contexte et le sens d’une conversation, et donc en tirer les bonnes conclusions », analyse James Bamford. Ça n’empêche, la NSA n’a de cesse de croître et pour y parvenir, d’externaliser des tâches. Cet outsourcing lui permet en outre de rester en pointe dans des domaines informatiques de plus en plus sophistiqués, comme l’explique le chercheur Tim Shorrock dans son ouvrage Spies for hire: the secret world of intelligence outsourcing. Selon lui, 70 % du budget des agences américaines du renseignement est désormais consacré à des sociétés privées.

L’histoire d’Edward Snowden illustre parfaitement cette tendance : il ne travaillait pas directement pour la NSA mais dans un bureau hawaïen de Booz Allen Hamilton, qui se présente sur son site comme une « société de consulting en stratégie et en technologie ». Ce qui ne l’empêchait pas, comme le jeune informaticien l’expliquait au Guardian en juin, d’avoir la possibilité « d’enregistrer n’importe qui, vous, votre comptable, un juge fédéral voire le président si j’avais eu un email personnel ».

La NSA serait-elle devenue si vaste et éparpillée qu’elle deviendrait difficilement contrôlable ? « Elle connaît en tout cas un changement d’identité », analyse Nick Cullater. « Les agents en place pendant la guerre froide avaient profondément intégré la culture du secret. Tandis que les jeunes générations rejoignent les sociétés privées auxquelles la NSA sous-traite, en étant plutôt motivées par le package financier que celles-ci leur proposent, sans commune mesure avec celui des fonctionnaires. Au nom du patriotisme, on leur demande de respecter ce vieux code du secret. Ce n’est pas vraiment leur culture, cela peut créer des tensions. »

Autrement dit, la NSA pourrait être en train de fabriquer des lanceurs d’alerte en série… Edward Snowden aura déjà eu le mérite de relancer le débat autour de ses activités. Depuis cet été, des élus américains expriment leur indignation, demandent à y voir plus clair et insistent pour que la NSA soit mieux encadrée. Mais de là à imaginer que la taille de l’édifice soit réduite, il est permis de douter. 

 

 

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14 octobre 2013 1 14 /10 /octobre /2013 14:48

 

rue89.com

Chasse au trésor

14/10/2013 à 12h48
Avec Change.org, la pétition est devenue un business
Camille Polloni | Journaliste Rue89

 

 

Si le site de Change.org ressemble à celui d’une ONG, cette plate-forme de pétitions en ligne, qui compte en France deux millions d’inscrits, est une petite multinationale.

Sujet suggéré par un internaute

Fut un temps pas si vieux, où il fallait racler le Bic sous la semelle pour lui redonner de la vigueur. D’un stylo empreint de gravité, on signait les pétitions dans les manifs, à la Fête de L’Huma, dans le superbe hall du cinéma Utopia à Bordeaux (il y a des présentoirs pour ça) ou pour faire plaisir à des amis militants d’Amnesty International. Internet a définitivement ringardisé cette habitude, même si elle perdure.

La chronologie ci-dessus montre le déroulement d’une campagne réussie de Change.org, plate-forme mondiale de pétitions en ligne avec une version française.

Si le sujet peut paraître anecdotique – une pétition pour qu’une famille puisse garder le sanglier qu’elle a recueilli malgré l’interdiction de posséder des animaux sauvages – elle illustre à merveille le fonctionnement du site. Il s’appuie autant sur le bouche à oreille et la diffusion virale que sur les médias pour engranger les signatures. Et en bout de chaîne, faire tourner la boîte.

Car le site ressemble à s’y méprendre à celui d’une ONG, mais Change.org est bien une entreprise. Dirigée depuis 2007 par un jeune patron moderne de la Silicon Valley, Ben Rattray, elle a connu une croissance extraordinaire, jusqu’à devenir une petite multinationale de l’économie sociale et solidaire, employant 150 salariés dans le monde.

 


Les locaux de Change.org à Paris, le 9 octobre 2013 (Camille Polloni/Rue89)

 

Le parcours de Change.org et de son fondateur, vraie success story à l’américaine, lui a valu d’entrer dans le petit monde des « 100 personnes les plus influentes » du magazine Time en 2012.

« La mission d’une ONG, l’esprit start-up »

A Paris, le siège français de Change.org est blotti dans une cour pavée donnant sur la rue du Faubourg Saint-Antoine.

Ici trois personnes (bientôt quatre) sont installées dans un open space où plusieurs petites entreprises cohabitent.

Des causes très diverses

Les pétitions postées sur Change.org et soutenues par l’équipe du site abordent des sujets très variés. Parmi les dernières en date :

Ces exemples se sont soldés par des victoires, sans qu’il soit possible de savoir quel rôle a joué la pétition dans le résultat final.

Benjamin Des Gachons a travaillé trois ans pour Avaaz, l’autre géant mondial des pétitions en ligne, « plus politique » et fonctionnant sous le régime des ONG, avant de devenir directeur des campagnes de Change.org France en mars 2012.

Sa collègue Sarah Durieux, ancienne de la fondation Nicolas Hulot et du WWF, est passée par une agence de communication spécialisée dans l’e-réputation.

Hyperconnectés, très diplômés – Benjamin a consacré sa maîtrise de philosophie politique à Spinoza – et policés, ils n’ont pas le profil de militants investis à corps perdu dans une action politique mais ce professionnalisme surprenant (et un peu froid) qu’on retrouve désormais dans le secteur porteur de l’économie sociale et solidaire. Ils revendiquent « l’esprit d’une start-up, très flexible » conjugué à « la mission d’une ONG ».

Leur boulot, conforme à leur « sensibilité », convient à l’idée qu’ils se font d’un métier honnête.

En tant que « porte-parole de toutes les voix », ils ne parlent pas de leurs engagements personnels en public, même si « énormément de salariés de Change sont actifs en dehors », avance Sarah.

Chaque jour, les « campaigners » de Change.org regardent quelles pétitions ont été mises en ligne, guettent celles qui marchent bien, prennent des initiatives pour les promouvoir, contactent les « lanceurs », créent des alertes Google pour suivre leurs péripéties dans la durée. Leur travail est rythmé par des objectifs chiffrés, des résultats à atteindre chaque trimestre.

« Que le message prenne le mieux possible »

Change.org, quelques chiffres mondiaux
Aux Etats-Unis, la notoriété du site a décollé quand la pétition pour Trayvor Martin a dépassé les deux millions de signatures en mars 2012. Plus de 25 000 pétitions en ligne sont créées chaque mois. Au total, Change.org enregistre 45 millions d’inscrits.

Au fil de la conversation, on entend parler du « work and life balance » (équilibre entre le travail et la vie privée), du « leadership distribué », et bien sûr de « l’empowerment » (souvent traduit par « responsabilisation » ou « développement du pouvoir d’agir »), au cœur de la philosophie du site.

« Je me vois comme un facilitateur », résume Benjamin. « Nous donnons des bonnes pratiques pour que les gens fassent eux-mêmes. »

« Il n’y a pas de modèle unique », complète Sarah.

 


Sarah Durieux, dans les locaux parisiens de Change.org (Camille Polloni/Rue89)

« On fait en sorte que le message prenne le mieux possible, en suggérant aux “lanceurs” des modifications ortho-typographiques, en leur proposant d’intégrer des informations supplémentaires. Mais on leur laisse le “lead” sur la pétition, il ne s’agit pas de faire à leur place. »

Pour échanger avec leurs collègues installés à l’étranger et avec le siège américain, les salariés de Change.org parlent obligatoirement anglais. Leur vocabulaire mélange des expressions tirées du management, partagées dans les entreprises du monde entier, avec le langage des institutions internationales et des ONG.

Un modèle économique : faire payer les ONG

De 60 000 utilisateurs français, le site est passé à 2 millions d’inscrits en un an. Une véritable explosion qui a permis le développement d’un service payant destiné aux ONG. C’est par ce biais que l’entreprise gagne de l’argent.

Voici comment ça fonctionne. Créer, signer et diffuser une pétition est gratuit. Il suffit de s’inscrire. La richesse de Change.org, c’est donc sa base de données. Le site propose à de grosses ONG (type Amnesty, Médecins du monde, Care, etc.) de payer pour adresser des pétitions sponsorisées à un public ciblé.

 


Une pétition sponsorisée, donnée en exemple par Change.org sur son site (Capture d’&eacute ; cran)

 

Si vous êtes inscrit sur Change.org et que vous avez signé la pétition contre la pollution de l’air à Marseille, vous êtes répertorié comme un signataire sensible aux questions environnementales. Un algorithme vous propose une campagne sponsorisée sur le même thème. En signant, vous pouvez accepter d’être sollicité à l’avenir par la même ONG.

Le modèle a plusieurs avantages :

  • il est peu intrusif pour l’utilisateur, sollicité sur des thèmes qui l’intéressent, toujours pour une « bonne cause » et uniquement quand il va sur le site de Change ; pas de messages intempestifs par e-mail avant d’avoir donné son accord ;
  • cette forme de publicité étant très ciblée, l’ONG multiplie ses chances de récolter des adresses e-mail, de faire croître sa propre base de données et à terme de recruter de nouveaux sympathisants, membres et donateurs ;
  • pour Benjamin Des Gachons, cette solution permet aux ONG d’être « moins dépendantes des subventions » et de trouver une alternative au « street marketing » (les étudiants en gilet fluo dans les centre-villes piétons), « qui coûte cher et n’est pas forcément efficace ». Il en conclut que « la mise en relation de citoyens et d’ONG bénéficie à tous ».

Motus sur les chiffres

Une dizaine d’ONG aurait souscrit à ce service en France. Combien déboursent-elles pour une pétition sponsorisée ? Combien ça rapporte ? Malgré leur culture d’entreprise très anglo-saxonne, les deux Français refusent de répondre à ces questions. « Chaque pays apporte au pot commun », selon Benjamin Des Gachons. « En France, ça marche très bien. »

 


Benjamin Des Gachons, directeur des campagnes de Change.org en France (Camille Polloni/Rue89)

 

Les comptes de la filiale française n’ayant encore jamais été déposés en France, il est impossible d’en savoir plus. L’entreprise dépend de la compagnie britannique, domiciliée à Bristol, elle-même filiale de Change.org Inc., immatriculée dans le Delaware (Etat américain connu pour son régime fiscal extrêmement favorable).

Au siège du groupe aussi, la discrétion est de mise. En 2012, Forbes évoquait « 300 clients payants » et 15 millions de dollars de recettes cette année-là. Mais, soulignait récemment le magazine américain Wired, « Change.org n’a pas dévoilé combien lui rapporte exactement l’achat de ses services », même si Ben Rattray « confirme que certains sponsors paient des centaines de milliers de dollars ».

Prochaine étape : la pétition sponsorisée par les signataires eux-mêmes, en phase de test. En payant, les lanceurs et leurs soutiens peuvent améliorer la visibilité de leur message sur le site.

En mai 2013, la fondation philanthropique du fondateur d’eBay, Pierre Omidyar, a investi 15 millions de dollars dans Change.org. L’homme d’affaires y décèle sans doute un projet d’avenir.

Comparé à Google

Fin septembre, Wired comparait Change.org à une autre start-up californienne :

« Beaucoup de gens ne réalisent pas que Change.org n’est pas une ONG. Bien que n’importe qui puisse lancer une pétition gratuitement, l’entreprise gagne des sommes d’argent terrifiantes grâce aux données collectées sur ses pétitions en ligne et leurs signataires.

Ce n’est pas juste un chemin vers Le Peuple. C’est un terrain de jeu pour la collecte de données, à la manière de Google. »

La comparaison avec Google, reconnaît Benjamin Des Gachons, « fait partie de l’histoire de cette organisation ». L’actuelle présidente de Change, Jennifer Dulski, est une ancienne de Google et Yahoo. Lui-même y fait référence, comme aux aventures de Facebook ou de projets plus modestes et plus proches de son business, tels que Microdon ou MailForGood.

La culture d’entreprise aussi rappelle celle du géant américain. L’organisation se veut « horizontale », « transversale », « du bas vers le haut » avec « une communication ouverte ». Il existe même un groupe de discussion spécifique pour les femmes.

Cet été, les équipes de Change.org venues du monde entier se sont retrouvées pour une séance de « team building » sur plusieurs jours. Au menu : des réunions, des jeux pour « apprendre à se connaître » et, clou du spectacle, une chasse au trésor. Dans le langage maison, on appelle ça une « amazing race ».

 

 

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9 octobre 2013 3 09 /10 /octobre /2013 15:18

 

 

marianne.net

Extrait N°5 : Sous les déchets… des hydrocarbures !
Mercredi 9 Octobre 2013 à 11:44

 

Propos recueillis par Bruno Rieth

 

Le réalisateur Martin Esposito nous livre, en exclusivité, un quatrième extrait de son film « Super Trash », récit de 14 mois passés dans une décharge du Sud-Est de la France. Dans ce lieu géré par une filiale locale de Véolia, sa caméra a « débusqué »…des litres d’hydrocarbures ! Il nous raconte.

Capture d'écran Super Trash
Capture d'écran Super Trash
Les images que l’on découvre sont un panel de ce que j’ai pu observer dans la décharge. Boues d’épurations, fosses sceptiques, liquides pollués mais surtout …des hydrocarbures. L’odeur de ce mélange putride est tout simplement immonde. Y repenser me donne encore envie de vomir. Ces camions que l’on voit déverser toutes sortes de fluides, je ne les voyais pas une fois de temps en temps mais jusqu’à cinq fois par jour. J’assistais à un ballet incessant de camions, vomissant des litres et des litres de liquides puants. 
 
Au début, les travailleurs m’empêchent de filmer. Ils savent très bien que ce qu’ils font est interdit aux yeux de la loi et ont peur des conséquences. Mais, pris entre le marteau et l’enclume, c’est à dire entre leur volonté de garder leur job et donc de nourrir leurs familles et leurs consciences, ma relation avec eux évolue. Ils me confient d’abord que même eux sont très étonnés de devoir déverser ces polluants dans la décharge. Il y a des installations prévues pour traiter ce genre de produits, alors pourquoi se retrouvent-ils là ? Puis certains ouvriers viennent me chercher pour m’alerter qu’il y a des hydrocarbures sur le site. C’est à partir de ce moment que j’ai pu filmer ces images. Jamais je n’aurais pensé qu’en France, on se livrait quotidiennement à ce genre de pratiques. 
 
La hantise dans la décharge, c’est le feu. Quand on y travaille, on sait qu’on évolue dans un univers hostile qui peut s’embraser à chaque instant. Une vraie bombe à retardement ! La décharge de la Glacière étant en bord de mer, de nombreuses fusées de détresse dont la date de péremption était dépassée se retrouvaient dans les poubelles, mélangé aux autres déchets. Elles avaient beau être périmées, elles étaient encore actives. Le risque que l’on redoutait tous, c’est qu’un camion, en écrasant l’une d’entre elle sous ses roues, en déclenche une et qu’avec tout les hydrocarbures et le méthane produit par les déchets, qu’un incendie prenne.  
 
Je suis lucide : Ce que j’ai pu voir et filmer n’est que la partie émergée de l’iceberg…  

 
Super Trash, de Martin Esposito. 
Sortie en salles le 9 octobre

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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 16:11

 

 

mediapart.fr

 

Un dialogue Piketty-Graeber: comment sortir de la dette

|  Par Joseph Confavreux et Jade Lindgaard

 

 

Il existe quatre méthodes principales pour réduire significativement une dette publique : la répudiation, l’impôt sur le capital, l’inflation et l’austérité. Mediapart a organisé une rencontre inédite entre l’économiste Thomas Piketty et l’anthropologue David Graeber.

 

 

Dette, 5000 ans d’histoire, de l’anthropologue David Graeber, publié par Les Liens qui libèrent, et Le Capital au XXIe siècle de l’économiste Thomas Piketty, édité au Seuil, constituent sans doute les essais les plus forts, décapants et politiques de cette rentrée. Chacun des deux auteurs recourt à l’histoire longue – trois siècles pour Thomas Piketty et 5000 ans pour David Graeber – pour dresser un saisissant paysage de la manière dont nous sommes arrivés à une situation où l’inégalité entre les hommes et le poids des dettes atteint des sommets insoutenables.

 

 

Tous deux s’appuient sur un corpus impressionnant pour proposer des solutions originales : un impôt exceptionnel, progressif et, si possible, mondial, sur le capital et les patrimoines pour Thomas Piketty ; une répudiation des dettes, comme plusieurs sociétés en ont connu au cours des siècles, pour David Graeber.

D’où l’envie d’organiser une rencontre entre les deux chercheurs, à l’occasion de la venue à Paris de l’Américain, rencontre centrée sur la question de savoir comment se libérer économiquement, politiquement, mais aussi mentalement, des processus d’endettement et de creusement des inégalités.

Vous semblez tous deux penser que le système économique et financier est en bout de course, et ne pourra pas tenir très longtemps en l’état. Pourriez-vous, chacun, expliquer quelles en sont les principales raisons ?

Thomas Piketty. Je ne suis pas sûr qu’on soit à la veille d’un effondrement du système, du moins d’un point de vue purement économique. Cela dépend beaucoup des réactions politiques et de la capacité des élites à persuader le reste de la population que la situation est acceptable ou non. S’il existe un appareil de conviction très efficace, il n’y a aucune raison que le système ne puisse pas continuer à exister en l’état. Je ne crois donc pas que des forces purement économiques causeront la chute du système.

Marx pensait que la baisse tendancielle du taux de profit ferait inéluctablement tomber le système capitaliste. D'une certaine manière, je suis plus pessimiste que lui, puisque même avec un taux de rendement du capital stable, autour de 5 % en moyenne, et une croissance mesurée, les richesses seront de plus en plus concentrées et le poids des héritages du passé toujours plus fort.

Mais cela, en soi, ne signifie pas qu’il se produira un effondrement économique. Ma thèse est donc différente de celle de Marx, et aussi de celle de David Graeber. Il se produit certes une explosion de la dette, notamment américaine, que nous observons tous : mais il y a, dans le même temps, une forte augmentation du capital, bien supérieure au montant de la dette.

La richesse nette créée est donc positive, puisque la croissance du capital est plus rapide encore que la montée de la dette. Je ne dis pas que c’est nécessairement une bonne chose. Mais il n’y a pas de raison purement économique qui ferait que ce phénomène serait synonyme d'effondrement du système.

 

Thomas Piketty et David Graeber 
Thomas Piketty et David Graeber



Mais vous dites bien que le niveau d’inégalités est devenu insupportable ?

T. P. Oui mais, là encore, l’appareil de persuasion, ou de répression, en fonction du pays dont vous parlez, ou la combinaison des deux, peut permettre à une telle situation de durer. Il y a un siècle, en dépit du suffrage universel, les élites des pays industrialisés avaient réussi à refuser toute mise en place d'impôts progressifs. Il a fallu la guerre pour créer un impôt sur le revenu progressif.

David Graeber. Mais l’endettement d’une personne correspond nécessairement à la richesse d’une autre, non ?

T. P. C’est un point intéressant. J’ai adoré votre livre, la seule critique que j’en ferais, c’est que le capital ne se résume pas à la dette. Il est exact que davantage de dettes, qu’elle soit publique ou privée, crée des ressources pour d'autres. Mais vous n'évoquez pas frontalement les différences possibles entre la dette et le capital. Vous faites comme si l’histoire du capital était la même que celle de la dette. Je pense que vous avez raison de dire que la dette joue un rôle beaucoup plus important qu’on ne l’a supposé jusqu’ici. Et, en particulier, dans les contes de fées que racontent les économistes sur l’accumulation du capital, le troc, la création de la monnaie ou l'échange monétaire.

La manière dont vous déplacez le regard, en insistant sur les relations de pouvoir et de domination à l’œuvre dans les relations d'endettement, est excellente. Mais le capital est utile en soi. Les inégalités de capital sont un problème, mais pas le capital en lui-même. Et il y a beaucoup plus de capital aujourd’hui qu’auparavant.

D. G.  Je ne veux pas dire que le capital se résume à la dette. Mais qu’on raconte l’inverse à tout le monde, et que c’est notre rôle de remplir les blancs que ce récit laisse sur l’histoire du salariat, du capitalisme industriel, des formes initiales de capital. J’essaie d’élargir le spectre. Pourquoi dites-vous que les ressources augmentent alors même que la dette augmente ?

T. P. La richesse nette a augmenté, c'est-à-dire les ressources telles qu'on peut les calculer, même compte tenu de la dette.

D. G. Il y a donc plus de richesses par tête qu’avant ?

T.P. C’est évident. Prenons les logements. Non seulement il y a plus de logements qu’il y a 50 ou 100 ans, mais, en proportion d’un an de production, il y a beaucoup plus de logements « nets de dette » qu’auparavant. Rapporté à un an de PIB, si vous mesurez le capital national, défini comme tous les revenus engendrés par l’activité économique, et que vous déduisez tout l’endettement des acteurs publics et privés du pays, le ratio a augmenté dans les pays riches depuis 40 ans. C’est un peu moins spectaculaire aux États-Unis qu’en Europe et au Japon, mais il augmente aussi. Les ressources augmentent donc beaucoup plus vite que la dette.

 

Thomas Piketty et David Graeber 
Thomas Piketty et David Graeber



D. G. Pour revenir à la question initiale, sur un possible effondrement du système, je pense que les prévisions historiques de ce type sont piégées. Ce qui est sûr, c’est que tous les systèmes ont une fin, et qu’il est très dur de savoir quand cela se produira. Mais nous voyons les signes d’un ralentissement du système capitaliste.

Au niveau technologique, on n’a pas le sentiment, comme dans les années 1960 et 1970, de se trouver à la veille de grandes inventions. En termes de visions politiques, on semble loin des grands projets de l'après-guerre, comme la création de l'ONU ou le lancement du programme spatial. Personne n'arrive même à agir sur le dérèglement climatique, qui menace pourtant la viabilité de notre écosystème et de la vie humaine.

Ce sentiment d’impuissance vient notamment du fait que, depuis trente ans, les appareils de persuasion ou de coercition, ont été davantage mobilisés pour gagner la guerre idéologique que pour n'importe quoi d'autre, y compris créer les conditions de la viabilité du système capitaliste. Le néolibéralisme a privilégié le politique et l'idéologique sur l’économique. Stratégiquement, cela veut dire qu‘il a préféré tout déployer pour faire croire que le capitalisme est viable à long terme, plutôt que s’atteler à le rendre viable à long terme. Le résultat, c’est une guerre de l’imaginaire, efficace au point que les gens qui se retrouvent avec des boulots de merde pensent que rien d’autre n’est possible.

On voit bien que cette hégémonie idéologique atteint ses limites aujourd'hui. Cela signifie-t-il que le système s’effondre ? C’est dur à dire. Mais s’il commençait à s’effondrer, cela ressemblerait à ce que nous voyons. Les systèmes économiques peuvent connaître des changements fondamentaux. Le capitalisme est récent, il est raisonnable d’imaginer qu’il peut devenir quelque chose d’autre.

« Retour à la Mésopotamie »

Le capitalisme est-il en lui-même la source du problème ou peut-il être réformé ?

T. P. Un des points que j'apprécie le plus dans le livre de David Graeber, c’est la continuité qu’il établit entre l’esclavage et la dette publique. La forme la plus extrême de la dette est l’esclavage : vous appartenez pour toujours à quelqu’un d’autre, et vos enfants potentiellement aussi. En principe, l’un des progrès de la civilisation a été de se débarrasser de l’esclavage.

 

Médaillon abolitionniste britannique (1795) 
Médaillon abolitionniste britannique (1795)

Or, nous explique David Graeber, la transmission inter-générationnelle de la dette, qui se faisait avec l'esclavage, a trouvé un mode d'existence moderne, qui est la dette publique et son augmentation, qui permet de transférer l'endettement d'une génération à l'autre. On peut imaginer un cas extrême, avec une quantité infinie de dette publique, qui représenterait non pas un, mais dix ou vingt ans de PIB, et qui reviendrait à faire exister une société complètement esclavagisée, où toute la production, où toute la création de richesses serait affectée à rembourser la dette. Tout le monde serait, par ce biais, esclave d’une minorité de la population, ce qui serait un retour au début de notre histoire.

Dans les faits, nous n’en sommes pas encore là. Il y a en effet encore beaucoup de capital à mettre en face de la dette. Mais cette façon de regarder les choses aide à comprendre cette étrange situation, où on culpabilise les endettés, où on nous rabâche que, chacun, nous « possédons » entre 30 000 et 40 000 euros de la dette publique nationale.

C’est particulièrement fou car, encore une fois, nous possédons collectivement plus de ressources que de dettes. Une grande partie de la population possède très peu de capital, puisqu’il est très concentré. Jusqu’au XIXe siècle, 90 % du stock de capital appartenaient à 10 % de la population. Aujourd’hui c’est un peu différent. Aux États-Unis, 73 % du stock de capital appartient aux 10 % les plus riches. C’est quand même un niveau de concentration qui implique que 50 % de la population ne possède que de la dette. Pour cette moitié de la population, la dette publique par tête est donc plus grosse que ce qu’ils possèdent. Mais 50 % de la population « possède » plus de capital que de dettes et il est donc absurde de culpabiliser ainsi les populations pour justifier les politiques d'austérité.

L’annulation de la dette est-elle pour autant la solution, ainsi que l'écrit David Graeber ? Je n’ai rien contre. Mais je suis plus favorable à un impôt progressif sur le patrimoine, avec de forts taux d’imposition en haut de l’échelle. Pourquoi ? La question est de savoir à quoi ressemble le jour d’après. Que faites-vous une fois que la dette est annulée ? C’est quoi le plan ?

Annuler la dette, c’est considérer que le dernier créancier, le détenteur en dernier ressort de la dette, est le coupable. Or, le système de transactions financières tel qu'il fonctionne permet aux plus gros acteurs de se débarrasser de leurs titres de dette bien avant l’annulation. Le dernier créancier, du fait du système d’intermédiation, n’est pas forcément très riche. Si vous annulez la dette, il n’est pas sûr que les plus riches y perdent de l’argent.

D. G. Personne ne prétend que l’annulation de la dette est la seule solution. Pour moi, c’est un élément inévitable dans une série de solutions. Je ne crois pas que l’annulation de la dette puisse résoudre tous nos problèmes. Il s'agit davantage d'une rupture conceptuelle. Pour être tout à fait honnête, je crois vraiment que l’effacement massif de la dette va, de toute façon, se produire, d’une façon ou d’une autre.

Pour moi, la discussion porte donc davantage sur les modalités de cette annulation : ouvertement, par décision verticale, en protégeant les intérêts des structures existantes ou sous l’impulsion des mouvements sociaux. La plupart des responsables politiques et économiques auxquels j’ai parlé reconnaissent qu’une forme de répudiation de la dette est nécessaire.

T. P. C'est bien mon problème : les banquiers sont d’accord avec vous !

Stèle dite de la démocratie (Musée d'Athènes) 
Stèle dite de la démocratie (Musée d'Athènes)

D. G. À partir du moment où cet effacement de la dette va se produire, la question est de savoir comment nous prenons possession de ce processus pour qu’il se termine bien. Car, dans l’histoire, il y a de multiples exemples d’effacement de l’endettement qui ont servi à préserver les structures sociales existantes et souvent iniques.

Mais cet effacement a aussi, parfois, servi à produire du changement social. Prenez les origines des constitutions athéniennes et romaines, dans les deux cas, il y avait une crise de la dette, et une manière de la régler a été de prendre des réformes politiques structurelles. La république romaine et la démocratie athéniennes sont nées de crise de la dette.

En réalité, tous les grands moments de transformation politique sont nés d’une manière ou d’une autre de crises de dette. Pendant la révolution américaine, la répudiation de la dette vis-à-vis de la Grande-Bretagne était l’une des demandes. Je pense que nous sommes devant un moment semblable, qui demande de l'invention politique.

Mais l'effacement n’est pas une solution en soi, puisqu'il en existe historiquement des versions terriblement régressives. Le Boston Consulting Group a ainsi pondu une note intitulée « Retour à la Mésopotamie » sur ce sujet, où ils font tourner des modèles pour voir ce qu’il se passerait en cas d’effacements massifs de dettes. Leur conclusion est que cela créerait de gros troubles économiques, mais que de ne pas le faire en créerait encore plus ! Si vous voulez protéger les structures actuelles de l’économie, il sera nécessaire d'en passer par là. Voilà un exemple typique de réponse réactionnaire à la proposition d’effacement de la dette.

Affiche d'Occupy Wall Street pour le 1er mai 2012 
Affiche d'Occupy Wall Street pour le 1er mai 2012

Concernant le capitalisme, il m’est difficile de l’imaginer survivant encore plus de cinquante ans, surtout au regard de la question écologique. Lorsqu'on reprochait au mouvement Occupy Wall Street de ne pas formuler de demande concrète, alors qu'on l'avait fait, j'ai lancé, un peu par provocation, l'idée d’annuler la dette et d’instaurer la journée de travail de 4 heures. Ce serait bénéfique écologiquement et répondrait à l’hypertrophie du temps de travail qui veut que nous travaillons beaucoup pour des boulots dont une grande partie ne sert à rien d’autre qu'à occuper les gens.

Le mode de production actuel est fondé sur des principes moraux plus qu’économiques. La croissance de la dette, des heures de travail et de la discipline de travail, tout cela semble aller de pair. Si la monnaie est une relation sociale faite de la promesse que chacun accordera la même valeur au billet de banque qu’il a entre les mains, pourquoi ne pas réfléchir au type de promesses que nous souhaitons nous faire, en matière de productivité future et d’engagement dans le travail ? C’est pourquoi je dis que l’abolition de la dette est une rupture conceptuelle. C’est pour nous aider à imaginer d’autres formes de contrat social, qui pourraient être renégociées démocratiquement.

« S'ils n'ont pas peur de l'Irak, il n'y a pas de raison d’avoir peur des Bahamas ou de Jersey »

À vous lire, Thomas Piketty, la répudiation de la dette n'est pas une solution « civilisée ». Qu'entendez-vous par là ?

T. P. Parce que les derniers créanciers des dettes ne sont pas nécessairement ceux qu'il faudrait faire payer. Que pensez-vous, David Graeber, de la proposition d’un impôt progressif sur les richesses, qui me paraît être une façon plus civilisée d'aboutir à ce résultat ?

J’insiste sur le fait que je suis vraiment très perplexe face au fait que les plus fervents soutiens de l’abolition de la dette, à part vous, sont ceux qui veulent des « haircuts », cette expression employée au FMI et à la Bundesbank, qui revient à dire : les détenteurs de dette publiques ont pris beaucoup de risques, donc maintenant, ils doivent payer. Réduisons de 50 % la valeur de la dette grecque, de 60 % celle de la dette chypriote. Ce n'est pas du tout une solution progressiste !

Je suis surpris, excusez-moi, que vous ne preniez pas plus au sérieux la question de quel outil nous doter, de quelles institutions collectives créer, afin de mieux cibler ceux que nous voulons cibler ? Une partie de notre rôle d’intellectuels est de dire quelles institutions collectives nous voulons bâtir. L’impôt en fait partie.

 

Thomas Piketty et David Graeber 
Thomas Piketty et David Graeber



D. G. L’impôt progressif me semble typique de l’« ère keynésienne » et de mécanismes redistributifs fondés sur des hypothèses de taux de croissance qui ne semblent plus vraiment soutenables. Ces formes de mécanismes de redistribution s’appuient sur des projections de hausse de productivité, liées aux hausses de salaires qui, historiquement, se sont produites en même temps que la mise en place de politiques fiscales redistributives. Est-ce que ces politiques sont viables dans un contexte de faible croissance ? Avec quels effets sociaux ?

T. P. Une faible croissance rend encore plus désirable ce type d’instruments fiscaux redistributifs. Je ne parle pas seulement du traditionnel impôt sur le revenu ; mais bien d’une taxation progressive de la richesse et du capital. Il y a une quantité de capital que des gens possèdent, net de dette. Si vous imposez un taux d’imposition progressif sur ce capital, pour ceux qui possèdent très peu, le taux d’imposition est négatif, et cela revient donc à effacer une partie de leurs dettes. Il s'agit donc de quelque chose de très différent des politiques keynésiennes d’imposition sur le revenu.

Par ailleurs, la faible croissance rend l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les richesses encore plus désirables car, avec une faible croissance, l’écart entre le taux de rendement du capital et le taux de croissance s’accroît. Durant la plus grande partie de l’histoire humaine, la croissance a été presque nulle, et le taux de rendement du capital était d'environ 5 %. Quand le taux de croissance est d’environ 5 %, comme en Europe après la guerre, l’écart entre les deux est donc faible.

Mais quand le taux de croissance est de 1 %, ou même négatif comme dans certains pays européens, l’écart entre les deux taux devient énorme. Ce n'est pas un problème d'un point de vue purement économique, mais c'est en un d'un point de vue social, parce que cela entraîne de grosses concentrations de la richesse. Face à cela, la taxation progressive de la richesse et du patrimoine est utile.

D. G. Mais cet impôt progressif sur le capital ne devrait-il pas être international ?

T. P. Oui bien sûr. Je suis internationaliste, comme vous, je ne pense donc pas que ce soit un point de discussion entre nous.

Tablette mésopotamienne 
Tablette mésopotamienne

D. G. C’est quand même intéressant car, historiquement, quand vous passez à une ère où le crédit est fort, vous avez en général une forme de mécanisme surplombant qui protège les débiteurs et empêche les créanciers de faire n'importe quoi, quitte à prendre des mesures favorables aux débiteurs. Ces mécanismes qui empêchent les créanciers d'avoir trop d'emprise sur les débiteurs ont pris des formes diverses : une monarchie de droit divin en Mésopotamie, le jubilé biblique, le droit canon au Moyen Âge, le bouddhisme, le confucianisme : en bref, il existait dans ces sociétés un appareil institutionnel et/ou moral qui maintenait une forme de contrôle sur le crédit.

Aujourd’hui, nous sommes dans une phase où le crédit est déterminant, mais nous faisons les choses à l’envers. Nous avons déjà des institutions surplombantes, de nature quasi religieuses dans la mesure où le néolibéralisme peut être vu comme une forme de foi, mais, au lieu de protéger les débiteurs contre les créanciers, elles font l’inverse.

Depuis trente ans, l'ensemble composé par le FMI, l'OMC, les institutions financières issues de Bretton Woods, les banques d’investissements, les multinationales ou les ONG internationales constitue un système bureaucratique international de taille mondiale qui, contrairement à l’ONU, a les moyens de faire appliquer ses décisions. Puisque toute cette structure a été explicitement mise en place pour défendre les intérêts des financiers et des créanciers, comment serait-il politiquement possible de transformer cet appareil pour qu’il fasse le contraire de ce pour quoi il a été mis en œuvre ?

T. P. Il va falloir convaincre plus de gens, que puis-je vous dire ? ! C’est important de savoir déjà où nous voulons aller. Ce qui m’inquiète, c’est que pour les grandes institutions dont vous parlez, il est beaucoup plus naturel que ce que vous pensez d’annuler la dette. Pourquoi aiment-ils cette expression d’« haircut » ? Parce que vous restez dans le système moral du marché. Le coupable est celui qui possède la dette. Le risque, pour moi, est que les institutions financières aillent dans la direction que vous décrivez.

Typiquement, lors de la crise chypriote, alors qu'avait été discuté un projet d’impôt progressif sur les capitaux, avec un peu de progressivité, le FMI et la BCE ont, in fine, décidé de procéder par « haircuts », en faisant le choix d’une taxe égale pour tous.

En France, en 1945/46, il y avait une dette publique énorme. Deux outils ont été utilisés. D'abord beaucoup d’inflation, qui est historiquement la principale manière de se débarrasser de la dette, mais qui a réduit le peu que possédaient par exemple les personnes âgées pauvres, qui ont tout perdu. Ce qui fait qu’en 1956, il y a eu un consensus national pour créer une allocation vieillesse, une forme de revenu minimum pour ces retraités qui avaient tout perdu. Les riches n’ont rien perdu du fait de cette inflation. L’inflation ne réduit pas leur richesse, parce qu'ils l’investissent dans le dur, et cela la protège.

Ce qui leur a fait perdre de l’argent, c'est un autre mécanisme alors mis en place : un impôt progressif et exceptionnel sur les richesses et le capital, créé en 1945. Or, 70 ans plus tard, le FMI essaie de nous faire croire qu'il est techniquement impossible d’établir un impôt progressif gradué sur le capital. J’ai vraiment peur que ces institutions dont vous parlez n’aient de fortes raisons idéologiques de préférer les « haircuts ».

N’y a-t-il pas un risque d’évasion fiscale ? N’est-il pas plus facile aux possesseurs de capital d’échapper à l’impôt qu’aux effets de l’annulation de la dette ?

T. P. Non, c’est très facile d’échapper aux effets de la répudiation de la dette, comme d’échapper à l’inflation. Les gros portefeuilles ne détiennent pas de titres de dettes et sont constitués de capitaux propres. Est-il possible de lutter contre l’évasion fiscale ? Oui, si on le veut, on le peut. Quand les gouvernements modernes veulent que leurs décisions soient respectées, ils y arrivent.

 

Puits de pétrole en feu au Koweït (1991) 
Puits de pétrole en feu au Koweït (1991)

Quand les gouvernements occidentaux veulent envoyer un million de soldats au Koweït pour que le pétrole koweïti ne soit pas annexé par l'Irak, ils le font. S'ils n'ont pas peur de l'Irak, il n'y a pas de raison d’avoir peur des Bahamas ou de Jersey, il faut être sérieux ! Créer un impôt très progressif sur la richesse et le capital ne pose pas de problèmes techniques. C’est une question de volonté politique.

 

 

 

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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 13:46

 

 

rue89.com

Témoignage 05/10/2013 à 10h39
Travailler six semaines gratos pour Leclerc : j’ai craqué
Grégory Roumier | Chercheur d'emploi

 

 

Un Leclerc Drive a ouvert ses portes le 20 août à Auxerre. Je devais y travailler six semaines, sans que cela ne coûte un centime à Leclerc. J’ai tenu six jours.

Tout a commencé lorsque j’ai répondu à une offre sur le site de Pôle emploi. La semaine suivante, je décroche un entretien dans leurs locaux, avec un de leurs conseillers et une personne de chez E. Leclerc.

C’est là qu’on m’explique qu’avant d’être embauché, je dois faire six semaines de formation. Je demande quelle sera la rémunération. Le conseiller me répond que je continuerai à percevoir mes indemnités, en Allocation de solidarité spécifique, soit 477 euros ce mois-ci. Mis à part cela, je ne pourrai prétendre qu’à des indemnités de frais de repas : 6 euros par jour ! Leclerc me promet un CDI à l’issue de ces six semaines de formation.

Formation bidon

Making of

Chez E. Leclerc, notre riverain Grégory Roumier (c’est un nom d’emprunt) n’a tenu qu’une semaine. A l’essai dans le tout nouveau « drive » d’Auxerre, il raconte comment Pôle emploi finance du travail gratuit. Rue89

Leclerc me donne rendez-vous le lundi suivant à 14 heures. Ce jour-là, nous sommes quatre nouveaux. Je commence, on me met en formation avec une fille, arrivée la semaine précédente – et donc elle-même théoriquement encore en formation.

En un quart d’heure tout est expliqué, je prépare quelques commandes avec elle. Une heure plus tard, muni de ma « scannette », je prépare déjà seul mes commandes.

Tout aussi rapidement, je suis aussi formé à la livraison clients, cette fois avec une employée qui a bien signé le fameux CDI.

Une formation de six semaines pour être préparateur de commande ? Elle ne prendra en réalité pas plus d’une heure. En une semaine, un nouveau fait aussi bien que les autres.

Taylorisme en règle

Nous n’avons qu’un jour de repos par semaine, le dimanche. Nous travaillons 6 heures par jour sauf le vendredi, 6h15, et le samedi, 6h30. Soit 36h45 par semaine.

Une collègue m’explique que nous ne seront payés que 35 heures. Ce temps de travail en plus correspond à notre temps de pause, 18 minutes par jour, non payé.

Dès le début, je trouve l’ambiance pesante. Peu de sourires, peu de bavardages. Une semaine après mon arrivée, je discutais un peu avec un collègue, tout en préparant une commande. Un autre collègue me dit qu’il ne vaut mieux pas trop discuter, notre « scannette » est un mouchard qui détaille nos statistiques à notre chef.

Très vite, je sais que je ne vais pas rester dans cette enseigne. C’est définitif pour moi quand les deux responsables du « drive » attendent samedi 20 heures pour faire un sermon à l’ensemble de l’équipe.

Un produit surgelé a été retrouvé en frigo. On nous explique que c’est très grave, que si on ne s’en rend pas compte, un client peut être intoxiqué. C’est vrai.

On nous dit aussi que nous sommes trop lents : les préparateurs d’autres « drives » tournent à 200 articles par heure, nous seulement à 120. On nous dit que cinq personnes récemment formées n’ont pas été gardées car elles n’étaient pas assez efficaces : à nous de faire nos preuves ! Et pas question de relâcher les efforts le jour où nous serons embauchés : si nous ne donnons plus satisfaction au « drive », on nous menace de finir au magasin. Où les conditions sont bien plus dures, précise le chef.

Il est 20h20 quand je quitte le « drive ». Vingt minutes de réunion, en dehors du temps de travail ! C’en est trop. J’y retournerai le lundi, une dernière fois, pour récupérer mes affaires dans mon casier.

Leclerc encaisse, Pôle emploi banque

J’ai travaillé sept jours, et n’ai prévenu personne que je ne reviendrai pas. Ni Pôle emploi ni Leclerc ne m’ont contacté. Je n’avais rien signé, aucun document, ni de Pôle emploi ni de Leclerc.

Cette prétendue formation est en réalité une période d’essai, financée par Pôle emploi.

Comment Pôle emploi peut-il participer à de telles pratiques ? Pôle emploi connaît le marché du travail et sait bien qu’un préparateur de commandes ne se forme pas en six semaines. Des employés sans salaire, un vrai atout pour être moins cher.


La réponse de Pôle Emploi

Contacté par Rue89, Pôle emploi n’a pas donné suite à notre appel. La direction générale s’est contentée de nous envoyer des documents par e-mail faisant référence à la fameuse Préparation opérationnelle à l’emploi (POE). Son but est de former le demandeur d’emploi aux compétences recherchées par l’employeur. La POE est une formation de maximum 400 heures, pendant laquelle le demandeur d’emploi n’est pas rémunéré par l’employeur, mais indemnisé par le Pôle emploi. Selon ce document :

« L’action de formation réalisée suppose que soient précisément identifiés les objectifs pédagogiques et les moyens mis en œuvre pour les atteindre. »

Sur le papier, l’opportunité semble satisfaisante. On vous forme gratuitement en vous promettant un contrat à la clé. Sauf que Grégory, lui, n’a pas été formé, mais a bel et bien travaillé comme n’importe quel autre employé. E.Leclerc a donc bénéficié d’un préparateur de commande gratuit pendant sept jours, et Grégory n’est pas une exception.

La réponse du Leclerc d’Auxerre

Jérôme Chauffournais, directeur de l’hypermarché Leclerc d’Auxerre, confirme que le « drive » ouvert récemment recourt à la POE pour embaucher des préparateurs de commandes. Pendant six semaines, ces demandeurs d’emploi ne sont effectivement par rémunérés par l’entreprise mais indemnisés par le Pôle emploi.

Six semaines de formation sont-elles véritablement nécessaires ?

« Oui, mais évidemment au fil de l’eau la personne prend de l’autonomie. »

Même pour être préparateur de commandes ?

« Oui, mais je crois que nous allons nous arrêter là. »

Jérôme Chauffournais ne souhaite rien ajouter tant que « tout le monde ne jouera pas la transparence ».

Paola Schneider

 


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5 octobre 2013 6 05 /10 /octobre /2013 12:02

 

 

altermonde-sans-frontiere.com

 

Interdiction future des potagers privés ?
samedi 5 octobre 2013
 
 

                                                                                                                                                                                                                        Une nouvelle loi proposée par la Commission européenne souhaite l’illégalité de la pousse, la reproduction ou la vente des semences de végétaux qui n’ont pas été testées et approuvées par une nouvelle autorité, l’Agence européenne des variétés végétales. En criminalisant la culture privée de légumes, la Commission européenne remettrait le contrôle de l’approvisionnement alimentaire à des sociétés comme Monsanto.

Les eurodéputés verts voient d’un mauvais œil la proposition de la Commission jugée « contreproductive et dangereuse » : « La biodiversité est en danger. Les multinationales ont focalisé leurs efforts sur la création de plantes à haut rendement, mais qui sont fragiles. Elles ne peuvent subsister que dans un environnement artificialisé dépendant des engrais chimiques et des pesticides, donc du pétrole », affirme José Bové. Plus de semences régionales, plus de variétés ancestrales ou endémiques. Bref des semences F1, transgéniques ou pire OGM. Fin de la bio-variété dans nos jardins. Finis les jardins ouvriers et les marchés d’échanges de plants et semences entre particuliers. Bref, finie la bonne bouffe.

Le texte pondu par notre chère Commision européenne, rien que le titre vaut le jus : « Des règles plus intelligentes pour des denrées alimentaires plus sûres : la Commission propose un paquet législatif primordial pour moderniser, simplifier et renforcer la filière agroalimentaire en Europe ». Vive l’Europe !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


lekiosqueauxcanards.fr

 

 

 

 

 

 

 

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3 octobre 2013 4 03 /10 /octobre /2013 17:32

 

rue89.com

Chapeau ! 03/10/2013 à 15h21
A la télé, tout n’est pas à jeter : il y a « Cash investigation »

Pascal Riché | Cofondateur Rue89

 

 

L’émission « Cash investigation », lancée il y a quelques mois, continue de tenir ses promesses, donnant un coup de vieux aux autres magazines journalistiques. Celle qui était diffusée mercredi soir, consacrée au grand détournement de l’argent de la formation, a tenu les promesses de départ de l’émission. Le travail réalisé par cette équipe de journalistes, autour d’Elise Lucet, est impressionnant.

L’argent de la formation, c’est un des gros scandales du moment. Deux chiffres pour s’en convaincre : 26 milliards sont dépensés chaque année, mais seulement 13% de cet argent va aux chômeurs.

L’enquête de « Cash », que vous pouvez visionner ici, est accablante (n’en déplaise aux grincheux). Même si elle n’est pas exhaustive, elle dévoile très concrètement, en six tableaux, le fond du problème. Le montage est efficace et humoristique, assorti d’une musique drolatique pour souligner l’absurdité des situations décrites. Les journalistes parviennent à coincer les responsables de ces situations grâce à des documents qu’ils leur produisent sous le nez : plusieurs transpirent alors à grosses gouttes sous l’œil de la caméra.

Premier tableau

La formation fantaisiste : transe au manoir

Les journalistes de « Cash investigation » se sont intéressés à l’organisme Irett, spécialisé en « psychothérapie transpersonnelle ». Il organise des séminaires où l’on évoque le chamanisme et la communication avec les morts, voire avec les extraterrestres. Un stagiaire se réjouit qu’on lui ait intégralement payé cette formation, plus les déplacements, plus l’hôtel... « Et j’ai même eu droit à mon salaire. Royal. »

Moment le plus surréaliste, les journalistes de « Cash » filment un week-end de formation dans un manoir au cours duquel les stagiaires se frottent le dos mutuellement puis entrent en transe autour de deux bougies (c’est de la « thérapie holotropique »). Le tout financé par l’argent public.

Deuxième tableau

La formation inventée : course en sac et « air guitar »

Les journalistes font agréer une formation « Grand reporter, réflexes et automatismes » à base de « course en sac à patates », de « jeux de mimes » et de « air guitar ».

Au ministère du Travail, le fonctionnaire tamponne avec nonchalance le document d’agrément et commente avec résignation : « Sur dix formations, cinq sont bidons. »

 

 

Elise Lucet se rend chez le ministre Michel Sapin qui commence à contester la possibilité de tirer de l’argent public avec une formation « sac à patates », mais Lucet lui met le premier chèque de 1 196 euros qu’elle a reçue. Il a du mal à cacher son embarras et promet des réformes.

Troisième tableau

La formation bidon chez Jardiland : « Je découvre »

« Cash » s’interroge sur les formations prodiguées par l’enseigne de jardinage à ses salariés, pour un montant de près de 5 millions d’euros : d’anciens employés, dont les noms figurent sur les feuilles d’émargement, n’ont jamais suivi ces formations.

 

 

Les journalistes ont découvert que l’Etat avait sanctionné le centre de formation de Jardiland (aujourd’hui appelé Formaxis) pour des centaines de fausses formations entre 2007 et 2011.

L’avocat du groupe commence par expliquer que Jardiland a été victime d’une escroquerie interne, en chargeant l’ancien responsable de la formation (qui dément : tout cela était assumé par l’entreprise, dit-il). Les journalistes de « Cash investigation » interviewent alors Michel Conte, le patron. Il commence à expliquer que personne dans le groupe n’est complice de ce « pillage » sophistiqué, mais Elise Lucet lui met un document de son DRH sous les yeux et Conte ne peut que balbutier (« Je découvre »).

Quatrième tableau

Feu le « Meetic de la formation professionnelle »

L’organisme patronal a ambitionné de créer un « Meetic de la formation professionnelle “ (le site s’appellera LaFormation-Pro.com) et a dépensé 678 000 euros pour cela, une somme manifestement très exagérée. Le site est financé via le Fonds de gestion paritaire de la formation professionnelle continue et trois ans plus tard, il a disparu du Web.

Le responsable de cette opération fuit maladroitement les caméras de” Cash investigation ».

Cinquième tableau

Le rapport censuré de Perruchot sur les syndicats

Un rapport dénonçant le système de financement des syndicats patronaux et salariés par l’argent de la formation a été rédigé par Nicolas Perruchot (UMP). Mais il a été enterré par les députés, sous la majorité précédente. Sur les trente membres de la commission d’enquête, neuf ont participé au vote : il y a eu deux voix pour (centristes), trois contre (socialistes) et quatre abstentions (UMP). Le rapport Perruchot est envoyé aux oubliettes.

Le Point l’a entretemps exhumé et publié. L’équipe de « Cash investigation » coince certains députés de la commission afin de comprendre pourquoi le rapport a ainsi été censuré. Un député socialiste renvoie la balle sur la droite (après tout, ce sont eux qui étaient aux affaires) et l’UMP Christian Jacob accuse de son côté la gauche (après tout, ce sont eux qui ont voté contre)... C’est assez comique mais aussi très agaçant.

Selon le rapport censuré, 66 millions d’euros ont été ponctionnés par les syndicats de patrons et de salariés pour leur propre fonctionnement.

Sixième tableau

La porosité entre EELV et son organisme de formation

Les partis forment leurs cadres, ce qui est normal. Ce qui l’est moins, c’est quand l’argent de ces formations sert à financer le fonctionnement des partis.

« Cash investigation » a pris l’exemple d’Europe écologie-Les Verts et de son organisme de formation, le Cedis. Et ont constaté que si les cadres verts émargent les feuilles de présence, ils ne suivent pas toujours forcément les formations.

 

En 2011, Cécile Duflot (alors élue d’Ile-de-France) a ainsi émargé pour trois jours et demi, alors qu’elle n’a suivi que quelques heures de stage. « Je ne suis pas très assidue », se justifie-t-elle maladroitement. Une autre façon de voir les choses serait de reconnaître que l’essentiel des 1 400 euros de sa formation de trois jour ont été détournés.

 

 

 

De même, le centre de formation a participé à l’achat du siège du parti et aux journées d’été. A l’époque, le sénateur Jean-Vincent Placé dirigeait le Cedis. Au téléphone, il refuse de répondre : « 75 000 euros, c’est peut-être une grosse somme pour vous... » laisse-t-il passer dans la conversation : sous-entendu, ce n’est pas si terrible...

C’est un peu la phrase qui résume le mieux le malaise général qui prend le téléspectateur après cette émission d’une heure et demie : même si toutes ces personnes interrogées ont conscience que le système souffre d’opacité et déplorent les ambiguïtés malheureuses, aucune ne semble avoir le sentiment que cet immense trafic de fausses factures est vraiment scandaleux.

 

 

 

 

 

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3 octobre 2013 4 03 /10 /octobre /2013 14:34

 

Info reçue par mail

 

Après la vaine tentative de JP Fournier en 2011 de mettre un frein aux recours contentieux des citoyens,  voilà que Cécile Duflot  (EELV) va exaucer le voeu de notre sénateur-maire ; elle utilise le même  vocabulaire en faisant allusion aux "recours abusifs, voire mafieux"….
Les promoteurs ont de beaux jours devant eux, merci Mme Duflot !

Bonne lecture.

 

Duflot-2.JPG

 

 

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2 octobre 2013 3 02 /10 /octobre /2013 15:06

 

reporterre.net

 

La consommation massive d’eau, face cachée de la production d’énergie

Andrea Barolini (Reporterre)

mercredi 2 octobre 2013

 

 

L’eau est indispensable à la production d’énergie. La consommation croissante d’énergie en mobiliserait donc de plus en plus. Centrales à charbon, agrocarburants et gaz de schiste constituent ainsi une charge lourde sur des ressources en eau de plus en plus disputées.

 


 

La quantité d’eau douce consommée pour produire l’énergie à travers le monde va doubler sur la période allant jusqu’en 2035. Selon les calculs de l’Agence internationale de l’énergie (voir page 9), plusieurs facteurs provoqueront cette augmentation vertigineuse des besoins en eau. Mais le rapport pointe surtout du doigt, d’une part, le boom prévu des agrocarburants et d’autre part, l’utilisation massive du charbon.

Sans modification des politiques énergétiques actuelles, l’AIE a calculé que la consommation d’eau du système de production global passera de 66 milliards de mètres cubes aujourd’hui à 135 milliards dans les prochaines décennies.

La planète pourra-t-elle supporter cet abus d’une ressource naturelle qui sera de plus en plus rare ?

Il faut bien tenir compte des prévisions des Nations Unies, selon lesquelles la population mondiale actuelle de 7,2 milliards devrait atteindre 8,1 milliards en 2025, 9,6 milliards en 2050 et 10,9 milliards en 2100.

L’AIE estime que « les besoins en eau pour la production d’énergie sont appelés à croître deux fois plus rapidement que la demande énergétique ». L’eau est de plus en plus utilisée dans la production d’énergie : pour la génération d’électricité, pour l’extraction, le transport et le traitement du pétrole, du gaz et du charbon, et aussi pour l’irrigation des cultures destinées à la production des agrocarburants.

L’Agence indique qu’en 2010, « les prélèvements d’eau à des fins de production énergétique se sont élevés à 583 milliards de mètres cubes, dont 66 milliards pour la consommation d’eau, c’est-à-dire le volume prélevé qui n’est pas retourné à sa source ».

Le volume de cette eau consommée passerait de 66 milliards de mètre cubes à 135, soit plus qu’un doublement , d’ici 2035. C’est pourquoi l’empreinte eau des projets énergétiques est un facteur de plus en plus important pour en évaluer la durabilité.

En 2035 les centrales thermiques à charbon devraient rester le principal moyen de production d’électricité, et les plus responsables de la consommation d’eau. Et si aujourd’hui elles représentent 56,7% de la consommation d’eau, elles ne baisseraient qu’à 51,9% dans les 20 prochaines années. Donc, plus de la moitié de l’eau consommée pour la production d’énergie sera encore liée à la plus vieille et polluante technologie actuellement exploitée.

 

En outre, les agrocarburants, qui aujourd’hui consomment 17,9% de l’eau, atteindront, en 2035, 30,4%.

 

Toutefois, il y a débat sur ces chiffres de l’AIE sur les « biofuels ». Les producteurs d’agrocarburants jugent que les résultats surévaluent le niveau de consommation d’un seul type de carburant : le bioéthanol. Ils affirment que l’agence n’a pas bien tenu compte des efforts fournis durant les dernières années pour réduire l’empreinte eau du secteur.

Les agrocarburants sont critiqués par une partie des mouvements écologistes car, bien qu’il s’agisse d’un énergie « propre », elle pourrait affecter la production de nourriture dans le monde, en soustrayant des portions croissantes de terrains aux cultures agricoles. Les avantages environnementaux au niveau des transports, toutefois, pourraient être importants.

« Il faut bien comprendre quel type de biocarburants nous voulons exploiter », explique à Reporterre Beppe Croce, expert d’agro-énergies de l’association écologiste italienne Legambiente. « Les statistiques ne prennent en compte qu’un seul genre d’agrocarburants. Mais ils varient beacoup : si le maïs requiert beaucoup d’eau, par exemple, d’autres sont beaucoup moins exigeants, par exempe le biogaz produit par méthanisation des déchets des élevages ».

C’est en raison de ces critiques que le Parlement européen a limité en septembre à 6% la part des agrocarburants dans le volume total de l’essence consommé en Europe. « Il s’agit d’une aspect important, poursuit Croce, parce que l’Europe pourra exploiter les biocarburants en limitant la consommation des ressources naturelles. En fait, les prévisions de l’AIE sont probablement influencées par d’autres régions du monde, où il y a des règles différentes ».

En Afrique, par exemple, les grands projets agro-industriels s’installent très fréquemment sur des terres cultivées par les populations locales pour leurs besoins alimentaires. Cela risque concrètement de poser unemenace pour la sécurité alimentaire mondiale et pour l’environnement, et aussi d’aggraver les tensions sur les marchés agricoles.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui les « biofuels » sont déjà responsables de plus de la moitié de l’eau consommée pour la « production primaire d’énergie », c’est-à-dire celle des carburants, plutôt que d’énergie électrique. Un pourcentage destiné a bondir jusqu’à 72 % en 2035. Et on peut se demander si le jeu en vaut la chandelle, vu que, d’ici vingt ans, ce type de carburants ne sera utilisée que pour 5% des moyens de transport.

Agrocarburants et charbon ne seront cependant pas seuls à alourdir l’empreinte eau de l’énergie. Le gaz de schiste donnera aussi sa contribution. L’exploitation de cette ressource présente dans les roches en sous-sol prévoit en effet la création de fractures artificielles, en utilisant la méthode de la fraction hydraulique.

Les estimations, donc, pourraient changer fortement dans les prochaines années selon le nombre de pays qui se lanceront dans l’exploitation du gaz de schiste.

Economiser l’énergie, c’est économiser l’eau

Comment consommer moins d’eau pour faire de l’énergie ? L’AIE souligne que, du point de vue de la consommation d’eau, une réponse pourrait être la technologie de refroidissement à sec pour les centrales à charbon, qui ne prévoit pas l’utilisation d’eau. Mais cela va coûter bien plus cher aux entreprises (jusqu’à trois ou quatre fois). Et surtout, le charbon ne peut pas être considéré comme une option pour le futur, vu son impact sur l’environnement et le changement climatique.

L’agence internationale conclut donc en indiquant comme possible solution le développement de l’éolienne et du solaire photovoltaïque, qui garantissent une consommation hydrique très réduite (moins de 1% du total aujourd’hui).

Mais une forte baisse de la demande d’énergie, fruit d’une stratégie globale sur l’efficacité qui minimise la consommation globale, sera aussi indispensable.

 



 

Source : Andrea Barolini pour Reporterre.

Photo : 123rf

Lire aussi : L’empreinte eau, le nouvel indicateur pour mesurer le gaspillage d’eau douce

 

 

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