Dans quelle mesure les spéculations sur les matières premières conduisent-elles à des crises alimentaires ?
La spéculation n’est pas directement responsable de la faim. Ce serait trop simple. Le sujet est complexe. Même si cela a déjà été ponctuellement le cas : en 2008 par exemple, le prix des denrées alimentaires a augmenté drastiquement en raison des spéculations, ce qui a causé sans aucun doute de la faim dans le Tiers-monde.
Comment évaluez-vous le commerce de matières premières, est-ce problématique ou plutôt positif ? Des économistes agricoles renommés ont pu prétendre que cela avait une action stabilisatrice sur les prix.
Non, la spéculation sur les matières premières est très dangereuse. Par exemple sur le pétrole : le prix du pétrole n’a aujourd’hui plus rien à voir avec l’offre et la demande. C’est complétement sorti du contexte économique et n’est plus qu’influencé par la finance.
À quoi cela mène-t-il ?
Le prix du pétrole n’est pas simplement un chiffre. Cela a, par exemple, des conséquences directes sur le changement climatique. Ce sujet global ne doit en aucun cas rester entre les seules mains des marchés financiers, pour qui seul le profit compte et non les conséquences à moyen et long terme.
Est-ce que cela vaut aussi pour des denrées alimentaires comme le blé, le riz ou le maïs ?
Absolument. Ces denrées sont également évaluées par les marchés financiers. Ces évolutions sont inquiétantes. Quand ce n’est plus l’offre et la demande qui déterminent les prix, les producteurs reçoivent des informations erronées, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques comme la surproduction ou la sous-production. Et cela a pour conséquence la faim. Les marchés financiers doivent absolument être tenus à l’écart de ces domaines essentiels.
Comment cela peut-il être mis en œuvre ?
C’est ici que le politique doit agir. Il doit s’opposer courageusement aux lobbies, c-à-d concrètement contre les banques, et limiter leurs pouvoirs. Aux États-Unis, Obama a au moins essayé de réagir à la crise financière. Avec le « Dodd-Frank Act », il a tenté de rendre les marchés financiers plus transparents et plus responsables. Mais même cette tentative n’est pas encore assez courageuse, ni complète.
Comment évaluez-vous les politiques mises en place en Europe ?
Même si une nouvelle bulle financière est en train de se reconstituer sur les marchés, presque rien ne se passe. Les hommes politiques n’osent pas affronter efficacement les lobbies. Un bon exemple : Angela Merkel continue de se faire conseiller par la Deutsche Bank. Alors que serait son rôle serait de réduire son influence.
Un dernier aspect : on dit qu’une sorte de monopole est en train de se créer sur le marché des matières premières. Comment peut-on lutter contre cela ?
Ici aussi, c’est au politique d’agir. Mais le combat contre des acteurs mondiaux comme Glencore, qui ont une influence considérable, est difficile. Les gouvernements nationaux ne peuvent pas grand-chose à leur échelle. Contre ce genre de monopoles, il faut agir à l’échelle mondiale. Le G20 est le bon cadre pour cela. Mais des pays comme l’Australie, les États-Unis ou le Canada bloquent régulièrement des projets correspondant à cela. Ils n’ont pas intérêt à détruire des monopoles, dont leurs propres pays profitent énormément pour l’une ou l’autre raison.