Un verdict exceptionnellement sévère pour des syndicalistes. Le tribunal correctionnel d’Amiens a condamné, mardi,  huit anciens salariés de l’usine Goodyear à 24 mois de prison, dont 9 ferme, pour «séquestration». Parmi eux, sept étaient encartés à la CGT, dont le très énergique Mickaël Wamen, ancien délégué syndical de l'entreprise. Deux des huit salariés ont également été condamnés pour «violences en réunion», mais sans peine supplémentaire. Les faits poursuivis: la «retenue» durant trente heures, entre le 6 et le 7 janvier 2014, du DRH et du directeur de la production, pour protester contre la fermeture de l’usine, intervenue quelques jours plus tard. 

«Détresse sociale»

Cette décision n'est pas très éloignée des demandes du parquet, qui lors de l’audience du 24 novembre, avait réclamé 24 mois de prison, dont un an ferme «aménageable», pour «séquestration et violence en réunion».  Et ce, alors même que la direction de Goodyear Dunlop Tires France, ainsi que les deux cadres de l’usine concernés par les faits, avaient retiré leur plainte. A la barre, les prévenus avaient alors évoqué «un coup de colère» face à une direction qui «n’apportait aucune réponse» à la «détresse sociale» dans laquelle se trouvaient les 1 142 salariés du site. 

«C’est un jugement hallucinant», a réagi mardi Fiodor Rilov, l’avocat des salariés, qui met également en cause l’exécutif: «Ça participe d’une répression grandissante à l’égard des syndicalistes qui se battent contre la fermeture de leur usine. Et je ne peux pas croire que le parquet, qui avait réclamé de la prison ferme, ait élaboré son réquisitoire en dehors de tout cadre fixé par le gouvernement». Un verdict qui, selon lui, «va désormais peser comme une épée de Damoclès sur tous les salariés qui aujourd’hui se battent pour sauver leur entreprise». Et de prédire une grande mobilisation pour le procès en appel, «à laquelle François Hollande aura à assister en tant Président»

 

Dans un communiqué publié dans la matinée, la CGT Goodyear d’Amiens-Nord ne manque pas, elle aussi, de politiser l'affaire, qualifiant ce jugement d'«arme avec laquelle Hollande, Valls, Taubira et l’ensemble du gouvernement ont décidé d’intimider tous les salariés qui se battent pour leurs droits et leurs emplois. Le but est de faire peur aux syndicalistes pour qu’ils cessent de se battre pendant que le gouvernement prépare la suppression de la moitié du Code du travail». Réaction outragée, également, de l'ex-syndicaliste CGT des Conti, Xavier Mathieu: «C’est écœurant, on a voulu faire un exemple. Mais en matière d’exemplarité, c’est toujours les petits qui trinquent, jamais les patrons qui ferment les entreprises illégalement, comme cela a été fait pour Continental en 2009. Au final, les Goodyear payent pour ce qui s’est passé à Air France. Le but, c’est d’intimider». Et de rappeler son propre passage devant les juges: «En 2010, j’ai été condamné à une amende de 4000 euros, alors que le parquet avait requis cinq mois avec sursis. Et c’était sous Sarko...»

Ce verdict clôt - provisoirement - huit ans d’un conflit sans fin entre la direction du groupe de pneumatiques et une partie des syndicats de l’usine, dont la CGT. A l’origine de ce bras de fer: la volonté des dirigeants, en 2007, de réorganiser le travail sous la forme des 4x8 dans leurs deux usines d’Amiens (Goodyear et Dunlop). Un système complexe et controversé, rejeté à l’époque par les syndicalistes et les salariés de Goodyear lors d’un référendum, mais pas par leurs collègues de l’usine Dunlop, située de l’autre côté de la rue. La direction annonce alors un plan de 478 suppressions d’emploi pour les Goodyear. Une «punition pour avoir mal voté», estiment à l’époque les syndicalistes. S’en suivront des années de batailles judiciaires, le plus souvent remportées par la CGT, avant le baisser de rideau définitif. Puis l’échec de la reprise d’une partie du site par le PDG américain de Titan, Maurice Taylor, à l’automne 2014. Une sorte de Donald Trump du pneumatique, qui déclarait en 2014, après avoir insulté la CGT: «La France est devenue un pays communiste et quand vous tomberez aussi bas que la Russie, peut-être que vous aurez une chance de repartir». Dernier acte de cette saga, enfin, avant ce jugement au pénal: l’enterrement par la direction, à l'automne 2015, du projet de Scop (Société coopérative et participative) porté par les salariés pour reprendre une partie de la production. Quelques semaines plus tard, Goodyear et Titan signaient pourtant un accord pour produire des pneus... en Russie

Luc Peillon

 

 

Source : http://www.liberation.fr