C’est passé presque inaperçu : mardi 17 mai, en fin d’après-midi, les sénateurs ont voté pour la relance du projet de stockage géologique des déchets nucléaires Cigéo. Une adoption massive et transpartisane, qui a mis d’accord gouvernement, élus socialistes et des Républicains. « Vous jouez à la roulette », a dénoncé un des rares opposants au texte...
Sénat (Paris), reportage
Un consensus massif en faveur de l’enfouissement en profondeur des déchets nucléaires les plus radioactifs. Tel est le résultat du vote de la proposition de loi du sénateur (LR) de la Meuse Gérard Longuet, mardi 17 mai à partir de 17 h 45 au Sénat.
333 élus de la Chambre haute - sur 343 suffrages exprimés – se sont prononcé en faveur du texte, pour 10 votes contre. Par ce résultat, les élus ont décidé une relance de Cigéo, le projet de stockage à 500 mètres sous terre des déchets les plus radioactifs de la filière nucléaire française.
Pourquoi un tel vote, pourquoi maintenant ? La loi du 28 juin 2006 a décidé que ces déchets seront stockés « en couche géologique profonde » sur le site de Bure, à la frontière entre la Meuse et la Haute-Marne, où l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) possède un laboratoire de recherche. Mais le texte précise que l’enfouissement devra être « réversible », sans préciser en quoi consiste exactement cette réversibilité. La définition de la notion était repoussée à une loi ultérieure.
Cette définition légale est chose faite avec le texte de M. Longuet, qui décrit la réversibilité comme « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion ». Elle précise en outre que la mise en route de Cigéo démarrera par « une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation ».
Sénteurs socialistes et de Les Républicains sur la même longueur d’onde
Le vote, comme le débat, s’est déroulé avec une facilité déconcertante. Entre trente et quarante sénateurs étaient présents dans l’hémicycle. La discussion, en présence de la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Economie, de l’industrie et du numérique Martine Pinville, a duré à peine plus de deux heures, pour un texte comportant un article seulement. Sénateursocialistes et du groupe Les Républicains ont affirmé en chœur l’impérative nécessité de ce projet et leur foi dans l’industrie nucléaire française.
« Notre débat n’est pas entre pro et antinucléaires, la question est celle de la gestion des déchets radioactifs existants, a souligné Michel Raison, sénateur (LR) de la Haute-Saône et rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Le texte de la commission (...) a été adopté à la quasi-unanimité. En l’adoptant, nous prenons nos responsabilités pour assurer nos choix énergétiques passés et présents. C’est affaire d’éthique et de continuité de l’État. »
A sa suite, Mme Pinville n’a pas manqué de saluer « l’initiative de M. Longuet et des auteurs de cette proposition de loi, étape importante d’un processus transpartisan de long terme qui nous engage envers les générations futures ». « La France a fait le choix stratégique du nucléaire et s’est dotée d’un parc de 58 réacteurs qui fournit une électricité décarbonée et compétitive, a-t-elle dit. Comme les parlementaires, le gouvernement a le souci de sa responsabilité vis-à-vis des générations futures. Ce texte apporte des précisions nécessaires. Je vous invite à l’adopter. »
Cette intervention a été vivement applaudie du côté des groupes Les Républicains, UDI-UC, socialistes, même si le sénateur (UDI-UC) de la Meuse, Christian Namy, a déploré « l’absence de la ministre de l’énergie [Ségolène Royal, retenue à l’Assemblée nationale pour le projet de ratification de l’Accord de Paris], qui démontre une fois de plus son désintérêt pour le sujet ».
Un texte « consensuel et transpartisan »... sauf pour les écologistes
Du côté des sénateurs du groupe socialiste, même enthousiasme : « Cette proposition de loi reprend un texte déposé par les députés socialistes en novembre 2015, preuve de son caractère consensuel et transpartisan », a souligné la sénatrice (socialiste et républicain) de la Seine-Maritime Nelly Tocqueville. La question n’est pas de nous prononcer pour ou contre le nucléaire, mais d’assumer notre responsabilité dans la gestion des déchets à l’égard des générations futures.(...) Nous voterons ce texte, en restant attentifs à la transparence et à l’association du public à toutes les étapes du projet ».
Ronan Dantec, sénateur (écologiste) de Loire-Atlantique s’est retrouvé bien seul à dénoncer un « déni collectif ». Son principal motif d’inquiétude est le coût du projet, évalué à 35 milliards par l’Andra pour l’ensemble de Cigéo (25 milliards par la ministre de l’Environnement Ségolène Royal), dont 6 milliards uniquement dédiés à la phase pilote. Une somme dont EDF, surendettée, ne dispose pas, a martelé l’élu. « Changeons de logiciel », a-t-il plaidé après avoir rappelé que la consommation d’électricité a été presque entièrement couverte par les énergies renouvelables en Allemagne le 8 mai dernier et que les investissements dans les énergies renouvelables dans le monde ont représenté 286 milliards de dollars en 2015, deux fois plus que pour le charbon ou le gaz et bien plus que pour le nucléaire.
« La France est le seul pays à miser sur le stockage profond, a-t-il poursuivi. La moins mauvaise solution serait le stockage à sec en subsurface utilisée aux États-Unis et en Allemagne, bien moins coûteuse et qui garantit une bien meilleure réversibilité. » Avant d’étayer ses propos par l’exemple du Waste Isolation Pilot Plant (Wipp), un centre de stockage de déchets radioactifs au Nouveau-Mexique (États-Unis) dont l’activité a été suspendue en 2014 à la suite d’un incendie. « Idem à Asse en Allemagne où la mine de fer est rongée par les infiltrations », a-t-il rappelé.
« Ne soyons pas hypocrites ! »...
*Suite de l'article sur reporterre
Source : http://reporterre.net
*************************
Source : http://reporterre.net
Vingt heures de garde à vue pour des anti-nucléaires munis de sacs poubelles
18 mai 2016 / Michel
Dimanche 15 mai, une trentaine de militants opposés au projet de centre d’enfouissement des déchets nucléaires dit Cigéo ont fait le tour de permanences d’élus socialistes équipés de sacs-poubelle et de tracts. Huit d’entre eux ont connu une garde à vue au cours de laquelle les policiers ont multiplié les provocations et les humiliations. L’un des militants raconte cette vingtaine d’heures d’absurdité.
Dimanche 15 mai, à 18 h, nous nous sommes retrouvés à une trentaine sur la place de la République vibrionnante pour agir contre le projet de centre d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo discuté au Sénat à partir du 17 mai dans le cadre d’une proposition de loi. Combinaisons blanches, masques, logos du collectif BureStop et sacs-poubelle remplis de vieux journaux forment la panoplie des militants « liquidateurs » du projet de poubelle atomique.
L’enjeu de notre rassemblement ? Comme dans plusieurs villes de France, interpeller par une action symbolique les parlementaires pour les amener à prendre position par rapport au texte dans les semaines à venir. Les liquidateurs d’un jour se groupent, le poing serré sur les sacs-poubelle, derrière la banderole qui proclame : « De Bure au 49-3 : non à l’enfouissement des déchets nucléaires et de la volonté populaire ! » Michel (son prénom a été changé), un habitant intermittent de la Maison de résistance à la poubelle nucléaire à Bure, explique : « En 2015, les parlementaires pro-Cigéo avaient tenté d’introduire à 15 reprises un amendement autorisant le projet dans la loi Macron... elle même votée par 49-3 ! Bure et la loi travail sont tous deux des projets imposés ! »
- La permanence de la députée PS Fanélie Carrey-Conte.
Nous décollons direction Gambetta pour le premier arrêt. La permanence de la députée PS Fanélie Carrey-Conte y est décorée d’une trentaine de sacs-poubelle, d’affiches, d’une lettre d’interpellation et de quelques phrases griffonnées au marqueur sur la porte. Des tracts sont distribués aux passants, qui n’ont pas ou peu entendu parler du projet (à seulement 3 h de Paris), et les invitations sont lancées pour converger vers Bure le 5 juin pour la manifestation des 200.000 pas. L’ambiance est bon enfant. La déambulation se poursuit ensuite du côté du 17e arrondissement, où un groupe rhabille les locaux d’Annick Lepetit (PS). Puis, au soleil couchant, la petite dizaine de faux liquidateurs restants converge vers le 18e arrondissement et la permanence du député Christophe Caresche (PS).
- Devant la permanence du député Christophe Caresche, où l’interpellation a eu lieu.
« Profitez bien des manifestations car en 2017, tout ça, c’est fini »
À 21 h 30, alors que nous finissons de la décorer, nous nous faisons interpeller par deux patrouilles de policiers. Leur ton est d’abord courtois puis, inexplicablement, la situation se tend, quatre patrouilles arrivent et nous conduisent, sirènes hurlantes et pneus crissants, au commissariat de la Goutte d’Or, dans le 18e, pour poursuivre la vérification. L’officier de police judiciaire, qui veut nous impressionner, nous reproche des « dégradations en réunion » qui peuvent aller jusqu’à « 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende ». L’objet du délit ? Une trentaine de sacs-poubelle remplis de vieux journaux, quelques affiches scotchées, et une petite phrase griffonnée à la va-vite au marqueur sur le rideau : « On fera pas disparaître le nucléaire avec des Caresche... » Au bout d’une heure, on nous annonce d’un coup que nous sommes tous placés en garde à vue. Il est 23 h 30.
Les huit sont répartis dans quatre cellules et rejoignent principalement des jeunes du quartier de la Goutte d’Or suspectés de vol ou de détention de stupéfiants. Certains se serrent à cinq dans une cellule de 8 m2, sans paillasse — « il n’y en a plus » — ni couverture — « des gens ont déféqué sur celles qu’on avait, mais si vous insistez, on peut vous les donner ! ». Une personne asthmatique doit négocier pendant des heures avant d’obtenir le droit d’utiliser sa Ventoline. Pas de papier toilette dans les WC. Dans ce « commissariat de combat » qui traite 11.000 gardes à vue par an, les droits du gardé à vue, « on s’en branle, pour être clair », dixit le policier qui nous referme la porte de la cellule au nez. C’est le début de 20 h d’absurdité et, pour certains militants, d’humiliation.
À partir d’1 h du matin, les huit interpellés sont appelés chacun leur tour par les officiers de police judiciaire pour une première audition. En l’absence des avocats, choix est fait de garder le silence et de faire valoir nos droits (à un médecin, à l’appel à la famille, et à un avocat). Vient mon tour. « Rien à déclarer ? Ça c’est la meilleure ! T’es au courant que c’est un film de Dany Boon ? » Le ton est lancé : ce qui devait être la formalité du relevé de la grande identité (état civil plus quelques autres informations) va se transformer en un âpre interrogatoire de près de 4 h où les policiers, tour à tour moqueurs, menaçants, injurieux, faussement amicaux ou agressifs, tenteront par tous les moyens de me faire plier. Tout ça pour obtenir le code de déverrouillage de mon portable et en extraire des photos qu’ils espèrent compromettantes.
En présence de deux à six officiers de police hilares, j’ai droit aux invectives plus ou moins lourdes sur mon appartenance politique supposée : « Alors, l’anarchiste, je suis sûr que tu détales quand on charge les cortèges ! Profitez bien des manifestations, car en 2017, tout ça c’est fini ! » ; « Alors, ça baise dans le milieu anarchiste ? » Sur mon apparence : « Tu sais que t’es moche ? Ça ne doit pas trop bien marcher avec les filles. » ; « Tu sais que tu pues ? » À un feu d’artifice insoutenable de remarques sexistes et machistes toutes plus salaces les unes que les autres. Ou homophobes : « En fait, t’es une tantouze, non ? » Bref : un concentré d’ambiance de vestiaire, uniformes et holsters en plus.
« Vous n’avez pas griffonné le garage du coin »
N’oublions pas les allégations frauduleuses : « Mais, tu viens de me faire un doigt d’honneur en te grattant l’oreille ? Je vais te mettre un outrage ! » Ou encore, l’officier agitant un sachet de cocaïne sous mon nez : « Dis donc, ça vient de tomber de ta poche quand tu t’es levé, mais c’est beaucoup plus grave que prévu cette affaire ! » En passant par l’humiliation physique : « Lève-toi, retourne à ta cellule ! Non, c’est pas vrai, rassieds-toi ! » ; imposition de la station debout pendant 30 minutes — « T’as mal aux jambes ? Tu sais, moi, j’ai tout mon temps… ». Tout est fait pour briser et humilier. Les officiers visiblement repus, le calvaire prend fin à environ 5 h 20. J’essaie de me souvenir ce qui nous a amenés initialement dans cet endroit sordide mais, tombant de fatigue, je n’arrive plus à faire le rapprochement. C’est un visage totalement caricatural, et pourtant tristement réel, de l’intérieur d’un commissariat qui se montre à moi...
*Suite de l'article sur reporterre
Source : http://reporterre.net