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1 juin 2016 3 01 /06 /juin /2016 15:44

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

Licenciement politique à «L’Obs»: le SMS qui confirme
1 juin 2016 | Par Laurent Mauduit
 
 
 

Alors que le directeur de la rédaction de L'Obs prétend que le licenciement d'Aude Lancelin a des raisons « managériales », l'un des actionnaires, Claude Perdriel, ne s'embarrasse pas de ce prétexte. Dans un SMS à la journaliste, il lui fait grief de ses « opinions », estimant qu'elles ont « influencé [son] travail ». Il lui reproche de trop donner la parole à Nuit debout.

Le licenciement d’Aude Lancelin, directrice adjointe de la rédaction de L’Obs, suscite depuis plusieurs jours une vive émotion dans les milieux de la presse comme dans de nombreux cercles intellectuels. Beaucoup subodorent que le véritable motif n’est pas de nature « managériale », comme le prétend la direction du magazine, mais politique. Mais de cela, il n’y avait pas, jusque-là, de preuve irréfutable.

Cette preuve, pourtant, existe. Mediapart est en mesure de la révéler : il s’agit d’un SMS que Claude Perdriel, coactionnaire de l’hebdomadaire, a adressé à la journaliste plusieurs jours avant sa mise à la porte, lui faisant grief de ses « opinions » et prétendant que celles-ci avaient « influencé [son] travail ». Ce SMS confirme ainsi que dans le groupe Le Monde-L’Obs, deux journaux qui ont longtemps revendiqué leur indépendance éditoriale, une chasse aux sorcières politiques est désormais possible.

 

Aude Lancelin, ex-directrice adjointe de la rédaction de "L'Obs". © Compte Twitter Aude Lancelin, ex-directrice adjointe de la rédaction de "L'Obs". © Compte Twitter
 

Officiellement, le directeur de la rédaction de L’Obs, Matthieu Croissandeau, installé à ce poste par les nouveaux actionnaires, Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse, quand ils ont racheté à Claude Perdiel 65 % des parts du groupe, a effectivement toujours prétendu que le motif du licenciement était de nature « managériale ».

 

Comme Mediapart l’a déjà raconté (lire : Purge à “L’Obs”, reprise en main à “Marianne), tout commence le lundi 9 mai. Ce jour-là, Matthieu Croissandeau convoque l’un après l’autre ses deux adjoints, Aude Lancelin et Pascal Riché. Le statut de la réunion est ambigu : il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un entretien préalable à un licenciement et aucune sanction n’est encore évoquée, mais la directrice générale de L’Obs, Jacqueline Volle, y assiste. Aux directeurs adjoints, le patron de L’Obs fait des reproches imprécis mais sur un ton pesant et lourd, leur disant qu’il y a entre eux et lui des dysfonctionnements et qu’il va devoir réorganiser la direction.

À Aude Lancelin, il émet en particulier des reproches de nature « managériale », lui faisant grief de ne pas l’avoir assez soutenu face à la rédaction, notamment lorsqu’il a décidé de suspendre la parution en kiosque du supplément TéléObs, pour ne plus le diffuser qu’aux abonnés. Ces reproches sont passablement obscurs, car à l’époque de la décision sur le supplément, Aude Lancelin ne s’était pas opposée à la décision.

La rumeur commence donc à circuler dans la rédaction qu’il se trame quelque chose de mystérieux dans les sommets de la rédaction ou que Matthieu Croissandeau ne fait qu’obtempérer à des instructions données par les actionnaires. Mais pour quelles raisons ?

Le lendemain, mardi 10 mai, les choses s’accélèrent. Factotum de Louis Dreyfus, le directeur général du groupe, Jacqueline Volle fait savoir à Aude Lancelin qu’elle veut la voir en fin d’après-midi pour lui remettre une lettre de convocation à un entretien préalable. Pascal Riché apprend, lui, qu’il est suspendu de ses fonctions de directeur adjoint en charge du numérique, dans l’attente d’une nouvelle affectation. Toute la rédaction comprend alors que la journaliste ciblée par Matthieu Croissandeau est Aude Lancelin, et que dans la confrontation qui se prépare, « Pascal Riché a pris une balle perdue ». En clair, la mise en cause des deux journalistes permet d’arguer de problèmes managériaux alors que le vrai motif est autre, mais ne peut pas être affiché publiquement : si Aude Lancelin doit être licenciée, c’est pour une raison politique…

Le mercredi 11 mai, c’est ce qui commence d'ailleurs à transparaître. À l’occasion d’un conseil de surveillance de L’Obs, Claude Perdriel, qui y siège encore puisqu’il détient toujours près de 30 % du capital, dit publiquement sa colère contre la journaliste. Violant tous les principes de la presse indépendante qui fait obligation aux actionnaires de ne jamais se mêler des questions éditoriales, il admet que Aude Lancelin « a beaucoup de talent », mais il affirme qu’elle est « en faute » car elle ne respecte pas la charte du journal ni sa ligne éditoriale « sociale-démocrate », puisqu’elle publie dans les pages “Débats” des points de vue qui sont en fait des « articles antidémocratiques ». Des propos que dénonce peu après la journaliste Elsa Vigoureux, qui siège au conseil en sa qualité de présidente de la Société des rédacteurs.

Xavier Niel se garde, lui, de marcher sur ces brisées. Il se borne à dire que le journal va mal et que si c’est le cas, c’est pour des raisons éditoriales. Il renouvelle donc sa confiance à Matthieu Croissandeau et affirme que les actionnaires lui ont donné les pleins pouvoirs pour organiser le rebond.

Dans les heures qui suivent le conseil de surveillance, toute la rédaction comprend que c’est Claude Perdriel qui, détestant à gauche toute voix qui n’est pas néolibérale, a lâché le fin mot de l’affaire : à son goût, dans les pages “Débats” de L’Obs, il y a trop de points de vue de la première gauche, ou de la gauche radicale ; trop de place donnée à des intellectuels comme Jacques Rancière ou Emmanuel Todd.

Le lendemain, jeudi 12 mai, la rédaction de L’Obs, qui n’est ordinairement pas frondeuse, manifeste son indignation. Une motion de défiance à l’encontre de Matthieu Croissandeau – la première dans l’histoire du journal – est soumise à la rédaction. Et le résultat est sans ambiguïté : 80 % des votants manifestent leur défiance à l’encontre du directeur de la rédaction ; pour l'hebdo, c'est un séisme.

Et pour finir, Aude Lancelin est convoqué le vendredi 20 mai à un entretien préalable en vue de son licenciement. Au terme de ces dix jours de tourmente, la rédaction de L’Obs a donc toutes les raisons de penser que l’éviction est de nature politique, mais la direction n’a pas baissé la garde, prétendant que de simples motifs professionnels étaient en cause.

Le SMS de Claude Perdriel ruine, pourtant, cette thèse. Le samedi 14 mai à 18 h 26, Claude Perdriel adresse en effet ce message à Aude Lancelin : « Chère Aude, vous avez toute ma sympathie mais la décision du dernier conseil est évidemment irrévocable. Votre talent est indiscutable vous êtes jeune vous n'aurez pas de problème pour trouver du travail nombreux sont ceux qui vous soutiennent. Moralement c'est important. Je respecte vos opinions mais je pense qu'elles ont influencé votre travail cela n'empêche pas le talent. Amicalement, Claude »

Passons sur l’aspect (in)humain des choses: le coactionnaire exprime avec condescendance sa « sympathie » envers celle qu’il congédie le cœur léger. Et allons à l’essentiel : coactionnaire de L’Obs, et très proche de Xavier Niel, Claude Perdriel confirme par ce message ce dont tout le monde se doutait : le licenciement d’Aude Lancelin est « une décision du dernier conseil » – en clair, le conseil de surveillance du mercredi 11 mai –, et cette décision est « irrévocable ». Et le SMS souligne bien la nature politique du licenciement, puisque son auteur affirme : « Je respecte vos opinions mais je pense qu'elles ont influencé votre travail. » Nul grief managérial, donc.

La colère de Perdriel contre Nuit debout

Ce SMS, les avocats d’Aude Lancelin, Mes Frank Berton et William Bourdon (voir ici leur communiqué) entendent en faire grand cas. Car il va leur permettre de mettre en valeur que la procédure qui frappe leur cliente est entachée de très nombreuses irrégularités.

D’abord, une procédure de licenciement est encadrée par des contraintes légales précises. Et elle ne peut en aucun cas être enclenchée avant un entretien préalable, au cours duquel le salarié concerné a la possibilité de se défendre, et donc de convaincre l’employeur de ne recourir à aucune sanction. Dans tous les cas de figure, ce ne sont pas les actionnaires qui ont la faculté de déclencher une telle procédure de licenciement ; c’est la direction exécutive de l’entreprise. Or, le SMS met bien en évidence que la décision de licenciement a été prise par les actionnaires, réunis le mercredi 11 mai, et non par la direction de l’entreprise, à l’issue de l’entretien préalable du 20 mai.

Il y a aussi une entorse évidente aux principes éthiques dont l’hebdomadaire s’est doté. Dans la charte signée en avril 2004 entre la Société des rédacteurs et Claude Perdriel, à l’époque PDG du Nouvel Observateur – elle peut être consultée ici –, il était en effet stipulé ceci : « Les débats sont ouverts et le pluralisme d’opinion des éditorialistes doit être respecté. » Dans une “charte de déontologie” qui a été mise au point lors de l’entrée des nouveaux actionnaires (elle peut être consultée ci-dessous), il est même apporté une précision complémentaire : c’est au comité éditorial du journal que revient la responsabilité « de veiller au respect de la ligne éditoriale telle qu’elle est définie dans la charte du Nouvel Observateur, le conseil d’administration conservant la responsabilité financière et budgétaire ».

 

La charte de L'Obs by Laurent MAUDUIT

 

Du temps où Le Monde était encore indépendant, une charte identique disait les choses encore plus nettement : les actionnaires n’ont aucunement le droit de se mêler des questions éditoriales, qui sont du seul ressort de la rédaction et de ses responsables. Le licenciement d’Aude Lancelin viole manifestement les obligations légales qui encadrent les procédures sociales, mais aussi les règles éthiques d’indépendance des rédactions, qui ont longtemps protégé la presse libre.

Le plus surprenant de l’histoire, c’est que Claude Perdriel ne fait mystère auprès de personne que l’argument « managérial » évoqué pour le licenciement est une fadaise et que la vraie raison est politique. Car après l’avoir écrit par SMS à Aude Lancelin, il l’a répété au Figaro, qui l’interrogeait sur l’affaire : « Quand on respecte son lecteur, on ne lui impose pas d’idées. Aude Lancelin donne la parole à Nuit debout ! Cela la regarde, mais ce n’est pas la ligne du journal », a-t-il déclaré au quotidien. Dans Le Figaro, l’économiste Frédéric Lordon, qui est l’une des figures de Nuit debout, dit aussi son indignation que son engagement puisse être à l’origine du licenciement de celle qui est sa compagne : « L'idée que mon lien avec Aude soit l'une des raisons de cette violence institutionnelle qui lui est faite est très perturbante personnellement et politiquement. » Il ajoute : « Nous sommes revenus à un principe de responsabilité par tiers interposé. Lui faire porter des faits et gestes dont je suis l'auteur est scandaleux. »

Le commentaire que Claude Perdriel confie au quotidien complète donc ce que dit le SMS, et soulève la question de fond : mais pourquoi donc les actionnaires de L’Obs – qui sont naturellement solidaires, sans quoi la décision n'aurait pas été prise – ont-ils pris le risque de déclencher une pareille crise dans leur journal ? Pour rassurer François Hollande, qui connaît une fin de quinquennat crépusculaire, et lui donner ainsi l’assurance que L’Obs l'accompagnera dans son naufrage ? C’est évidemment la question qui vient aussitôt à l’esprit, car les hiérarques du journal entretiennent des relations privilégiées avec le chef de l’État : Matthieu Croissandeau se vante auprès de ses actionnaires d’échanger des SMS avec le chef de l’État, parfois plusieurs fois par jour. Et Xavier Niel entretient lui-même des relations confiantes avec François Hollande.

Après l’irruption de Vincent Bolloré dans l’univers de Canal+, et les censures en cascade que celle-ci a générées, le licenciement pour raison politique d’Aude Lancelin apporte la preuve que, sous les coups de boutoir des puissances d’argent, de grands journaux autrefois indépendants sont en train de piétiner leurs traditions. En d’autres temps, Albert Camus, que vénéraient tant les fondateurs de France Observateur, l’ancêtre de L’Obs, l’avait magnifiquement écrit dans un éditorial de Combat, le 31 août 1944, en évoquant la presse d’avant-guerre – mais cela vaut pour notre presse d’aujourd’hui : « L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous. »

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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31 mai 2016 2 31 /05 /mai /2016 17:03

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Violences policières: ouvrez les yeux !
31 mai 2016 | Par François Bonnet et La rédaction de Mediapart
 
 

Des dizaines de manifestants ont été blessés lors des manifestations contre la loi sur le travail. Le gouvernement a mis en place une stratégie de la tension, suite logique d’années de dérive. Il est temps qu’une commission d’enquête se saisisse de cette gestion incendiaire.

Un jeune homme de 28 ans est depuis le 26 mai maintenu dans un coma artificiel, œdème cérébral et boîte crânienne enfoncée, victime du tir d’une grenade dite de « décencerclement » (notre article ici). Un mois plus tôt, le 28 avril, un étudiant de 20 ans à l’université de Rennes perdait un œil à la suite d’un tir de lanceur de balles (LBD40), une arme plus puissante que les Flash-Ball. Depuis deux mois et demi, début des manifestations contre la loi sur la réforme du code du travail, plusieurs dizaines de manifestants ont été gravement blessés.

Un bilan exact est impossible à établir. Mais la multiplicité des témoignages que nous avons reçus, des photos et des vidéos documentées circulant sur les réseaux sociaux permettent bien d’évaluer à plusieurs dizaines le nombre de personnes victimes de blessures sérieuses. Un seul exemple : 49 personnes ont été blessées dont 10 gravement, le 28 avril à Rennes, selon une équipe de soignants déployée sur le cortège ce jour-là. Hématomes, nez cassés, fractures, mâchoires décrochées, traumatismes crâniens, suffocations, plaies ouvertes, évanouissements… Les opposants à la loi sur le travail le savent désormais : il est devenu risqué de manifester, dangereux de rester dans les cortèges jusqu’à leur dissolution, imprudent de « partir en manif’ » sans un minimum d’équipement de protection.

 

L'éducateur et syndicaliste Guillaume Floris quand les CRS l'évacuent, le 26 mai, à Paris. © Jérôme Chobeaux L'éducateur et syndicaliste Guillaume Floris quand les CRS l'évacuent, le 26 mai, à Paris. © Jérôme Chobeaux

 

Avec ces jeunes gens qui resteront traumatisés à vie, ces dizaines voire centaines de personnes blessées ou simplement violentées, ces milliers de manifestants défilant la peur au ventre – peur de tomber soudainement sous une charge de CRS –, ce basculement organisé dans la violence et la criminalisation d’un mouvement social devrait provoquer un vaste débat public. Il devrait susciter les interpellations sans relâche des membres du gouvernement. Il devrait provoquer – au nom du respect de nos libertés fondamentales – une mobilisation des députés et sénateurs. Il devrait conduire à l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur les stratégies de maintien de l’ordre, les fonctionnements des chaînes de commandement, les détails des instructions données.

C’est tout l’inverse qui se produit. Les signaux d’alerte se multiplient. Rien ne se passe, sauf une légitimation aveugle faite par ce pouvoir de la violence policière. Des accidents graves se produisent. Rien n’est dit, sauf un soutien inconditionnel aux actions des forces de l’ordre. Rien n’est répondu aux alertes qui proviennent de l’institution policière elle-même, de la part de syndicalistes qui s’inquiètent de l’extrême dégradation de la situation.

Que disent-ils, ces syndicalistes ? Que le gouvernement n’a rien appris de la mort de Rémi Fraisse, ce jeune manifestant pacifique tué par une grenade offensive le 25 octobre 2014 à Sivens. Depuis, la doctrine de maintien de l’ordre n’a pas changé, estime Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police : « Ce qui a changé, c’est la gestion de la crise sociale par la répression. On favorise l’escalade de la violence. Tout est mis en place pour que cela se passe mal ! » Sur le terrain, ajoute-t-il, ses délégués chez les CRS lui font remonter qu’on les utilise « de manière très offensive. Il ne s’agit pas de contenir mais d’aller à l’affrontement ».

Philippe Capon, du syndicat Unsa-Police, lui-même ancien CRS, insiste sur « des groupuscules extrémistes très organisés, très mobiles, qui nous obligent à nous réorganiser, à aller au contact ». Mais il veut aussi mettre en avant l’argument du manque d'expérience des forces déployées : « La situation est terriblement tendue et avec l’état d’urgence, nous sommes débordés. On demande à des collègues de faire du maintien de l’ordre alors que ce n’est pas leur métier. Certains arrivent dans leur commissariat le matin et on leur dit : ‘’Tu mets un casque, tu prends une matraque et tu vas couvrir la manif !’’ Mais le maintien de l’ordre, ça s’apprend. C’est un métier à part. »

Niant ces préoccupations, le gouvernement s’en tient pour sa part à une version et une seule qui lui permet de justifier cette escalade de la violence : les « casseurs ». « Casseur », le mot est banalement utilisé par tous les pouvoirs depuis cinquante ans pour justifier ses propres turpitudes. Aussi Bernard Cazeneuve comme Manuel Valls assurent-ils avoir identifié une nouvelle génération de « casseurs ».

Ceux-là seraient « radicalisés », adeptes de l’« ultra-violence », « qui veulent tuer un policier », qui se battent « contre l'État et les valeurs de la République ». Une frange extrémiste d’un mouvement social qui, par ailleurs, « prend en otage » le pays par ses grèves et blocages… Dans une France vivant sous le régime d’exception de l’état d’urgence, déjà prolongé à deux reprises, ce vocabulaire ne peut être neutre : il ne manque que « terroriste » voire « djihadiste du social » pour compléter la panoplie sémantique d’un gouvernement jusqu’au-boutiste. Le pas vient d’ailleurs d’être franchi par le patron du Medef, Pierre Gattaz, qui appelle, dans Le Monde, à mater ces « minorités qui se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes ».

Médias à la mémoire courte

Le pouvoir peut d’autant plus aisément dérouler cet ahurissant mode de récit que les médias audiovisuels, télés d’info en continu en première ligne, n’aiment rien plus que les « casseurs » et ces images d’affrontements et de déprédations. L’« affaire » de la voiture de police incendiée a ainsi constitué un sommet dans la mise en spectacle de ces affrontements. Comme la chemise déchirée du cadre d’Air France, ces images ont provoqué un effet de souffle annihilant toute réflexion, ouvrant la voie aux déclarations martiales de Manuel Valls qui furent par la suite démenties par les faits. Trois des cinq personnes interpellées et placées en détention provisoire furent rapidement remises en liberté, les charges étant beaucoup moins lourdes qu'annoncé.

 

Valls et Cazeneuve sur le perron de l'Elysée, le 16 mars 2016. © Reuters Valls et Cazeneuve sur le perron de l'Elysée, le 16 mars 2016. © Reuters

 

Médias à la mémoire courte. Ils n’auront pas relevé que pour la première fois depuis des décennies, les pillages de magasins sont rarissimes, tout comme les violences collatérales (voitures brûlées, déprédations diverses) qui ont de tout temps accompagné les grandes manifestations. Ils ont oublié que c’est à l’occasion d’une manifestation de marins pêcheurs que le Parlement de Bretagne a brûlé à Rennes en 1994. Que les autonomes ont, tout au long des années 1980, dévasté les à-côtés des manifestations. Que ce sont des sidérurgistes qui, en 1979, avaient soumis le quartier de l’Opéra à un pillage en règle après avoir laminé les forces de l’ordre sous des pluies de boulons et de barres de fer et érigé des barricades sur les grands boulevards…

Il demeure cette réalité : quelques centaines, parfois milliers, de personnes sont toutes contentes de hurler « Tout le monde déteste la police » (mais en 1968, c’était « CRS-SS ! ») et prêtes à déclencher ou à assumer des affrontements avec les forces de l’ordre. Face à cela, tout pouvoir responsable n’a qu’un seul devoir : faire baisser la pression, organiser l’évitement, prendre bien en amont des mesures préventives, négocier avec les services d’ordre des organisations, maîtriser strictement l’usage des armes et des gaz par les forces de l’ordre, éviter les provocations.

C’est tout le contraire que Bernard Cazeneuve et Manuel Valls ont décidé de faire, assumant voire organisant une radicalisation dangereuse des manifestations. Ils l’ont assumé en écartant systématiquement toute interrogation pour mieux délivrer un feu vert inconditionnel aux forces de l’ordre. Manuel Valls a ainsi pu oser déclarer le 19 mai sur RTL : « Il n'y a aucune consigne de retenue, aucune consigne de ne pas interpeller, aucune consigne de ne pas aller jusqu'au bout pour ne pas appréhender les casseurs. »

« Aucune consigne de retenue » : le premier ministre (qui fut pourtant ministre de l’intérieur) a-t-il seulement conscience de l’irresponsabilité d’un tel propos quand sa fonction devrait justement l’obliger à dire l’inverse, c’est-à-dire à rappeler aux forces de l’ordre le devoir qu’elles ont de répondre de manière maîtrisée et proportionnée ? Au plus fort des affrontements de Mai 68, le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, écrivait une lettre à tous les policiers : « Je m’adresse aujourd’hui à toute la Maison (…) et je veux parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force. » « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés », écrivait-il (l’intégralité de la lettre est à lire ici). 

 

Rémi Fraisse, tué en octobre 2014 par une grenade offensive. © Reuters Rémi Fraisse, tué en octobre 2014 par une grenade offensive. © Reuters

 

« Aucune consigne de retenue » : voilà dans quels termes Manuel Valls fait écho au préfet Grimaud. Cette posture autoritaire, déjà présente dès le début du quinquennat quand Manuel Valls déclarait prioritaire la lutte contre « l'ennemi de l'intérieur » (lire ici), est la même que lors des événements de Sivens. Les semaines précédant la mort de Rémi Fraisse, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a laissé des milices locales et des gendarmes mobiles s’en prendre violemment aux militants écologistes et zadistes opposés au projet de barrage. Le 7 octobre 2014, trois semaines avant la mort de Rémi Fraisse, une jeune femme de 25 ans a été grièvement blessée à la main par une grenade de désencerclement tirée dans sa caravane par un gendarme. La scène a été filmée. L’enquête judiciaire est toujours enlisée.

Les alertes lancées par des élus locaux comme par Cécile Duflot et Noël Mamère, qui se sont rendus à la préfecture du Tarn pour demander une gestion plus fine du maintien de l’ordre, ont été écartées. Les deux députés se sont heurtés à un mur, le préfet du Tarn et son directeur de cabinet préférant insister sur la présence d’éléments violents sur place. C’était cinq jours seulement avant la mort de Rémi Fraisse, tué à 21 ans par la grenade offensive d’un gendarme mobile. Après cette mort scandaleuse, le lieutenant-colonel responsable des opérations dira sur procès-verbal avoir reçu « des consignes d’extrême fermeté » de la préfecture (lire notre article ici).

Quant au gendarme mobile qui a lancé la grenade offensive, ni lui ni ses supérieurs n’ont été mis en examen à ce jour. Rien ne dit que cette affaire, dans laquelle l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a estimé qu’aucune faute n’avait été commise, ne se terminera pas par un non-lieu. Seul changement intervenu depuis ce drame : Bernard Cazeneuve a interdit l’usage des grenades offensives.

Près de 1 600 interpellations !

Le drame de Sivens s’inscrit lui-même dans un temps plus long qui a vu se développer les violences policières dans une impunité quasi systématique. Généralement ignorées par les médias, elles n’ont d’abord concerné que certaines marges de la société. Après la mort d’un supporter du PSG tué par un policier en légitime défense en 2006, puis d'un autre à l'issue d'une bagarre interne en 2010, un fichage spécifique et contraire aux recommandations de la Cnil a été mis en œuvre (lire ici et ici), et des interdictions de se déplacer ont été signifiées aux ultras du foot, comme elles le sont aujourd’hui à des militants. Les ultras ont été aussi blessés ou éborgnés par des tirs de Flash-Ball, comme à Montpellier (lire ici) ou à Reims (lire ici).

Les quartiers populaires ont également eu leur lot de victimes. Ce sont déjà des techniques policières qui sont remises en cause, comme l’étouffement (dite “technique du pliage”) dans l’affaire Ali Ziri (lire ici) ou Wissam El-Yamni (lire ici). Et judiciairement, l’impunité policière est à chaque fois constatée, comme dans les procès Zyed Benna et Bouna Traoré (lire ici), ou Amine Bentounsi (lire ici). Faut-il rappeler que le candidat François Hollande posait, il y a quatre ans, avec les militants de Stop contrôle au faciès, laissant entrevoir l’espoir d’un embryon d’expérimentation du récépissé de contrôle d’identité, sage outil de contrôle citoyen des abus policiers ? Faut-il rappeler que cette stratégie du maintien de l’ordre avait été déjà mise en cause lors des manifestations de soutien à Gaza, durant l’été 2014 ? À l’époque, Bernard Cazeneuve entra dans l’histoire, en étant le seul ministre de l’intérieur au monde à interdire des manifestations de soutien au peuple palestinien.

 

François Hollande candidat en 2012, lorsqu'il rencontrait les responsables de l'association Stop contrôle au faciès. © Reuters François Hollande candidat en 2012, lorsqu'il rencontrait les responsables de l'association Stop contrôle au faciès. © Reuters
 

Assumer la violence voire l’organiser… Quatre éléments permettent de souligner que ce choix de l’escalade est délibéré. Le premier est l’usage massif d’armements nouveaux qui démultiplient les violences : grenades de désencerclement, lanceurs de balles, Flash-Ball, spray de lacrymogènes. Le deuxième est la mise en contact direct des forces de l’ordre et des manifestants sur une grande partie des cortèges. Le troisième est l’utilisation systématisée des grenades lacrymogènes, en particulier lors des dispersions de manifestations. Le quatrième est la course aux interpellations au sein même des cortèges : près de 1 600 personnes ont ainsi été interpellées, déclenchant chaque fois de mini-affrontements entre manifestants solidaires et policiers…

 

Cette politique du chiffre, génératrice de violences, est âprement revendiquée par le ministre de l'intérieur. « Il y a eu depuis le début de ces manifestations près de 1 600 interpellations qui ont donné lieu à 1 000 gardes à vue, il y a 72 personnes qui sont d’ores et déjà condamnées », dont « une grande partie » écrouées, indiquait Bernard Cazeneuve, le 20 mai sur TF1. Lors des audiences en comparution immédiate, défilent toutefois beaucoup de simples badauds restés sur les lieux pour voir de leurs propres yeux comment la violence s’exerçait. Parfois, ils reconnaissent avoir jeté un projectile en direction des policiers, leur avoir montré leurs fesses. Et dans ce cas, les condamnations sont lourdes, pouvant aller jusqu’à plusieurs mois ferme. Les dossiers vides n’empêchent par le parquet de requérir des sanctions. Et même de faire appel, quand les condamnations lui semblent trop légères en dépit d’un manque évident de preuves.

« Aucune consigne de retenue », dit Manuel Valls. « De toutes les manifestations du pouvoir, celle qui impressionne le plus les hommes, c’est la retenue. » C’est cette phrase de Thucydide – elle date d’environ 2500 ans… – qu’ont choisi de mettre en exergue de leur étude deux des meilleurs spécialistes du maintien de l’ordre, Olivier Fillieule et Fabien Jobard. Dans cet article titré « Un splendide isolement » (il est à lire intégralement ici), les deux chercheurs soulignent l’obsolescence et les impasses du maintien de l’ordre « à la française ».

Car pendant quelques années, ce maintien de l’ordre « à la française », d’abord préoccupé d’éviter le décès ou les blessures graves des protestataires, a pu faire figure de modèle avancé, et exportable. Un constat partagé au plus haut niveau politique et policier, au point que Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, avait pu proposer ses services à la Tunisie d’un Ben Ali contesté par les manifestants qui l’expulseront finalement du pouvoir, au motif que « le savoir-faire de nos forces de sécurité, reconnu dans le monde entier, permet de régler des situations sécuritaires de ce type ».

Pourtant, soulignent Fabien Jobard et Olivier Fillieule, « cela fut peut-être vrai par le passé, mais ce n’est plus le cas ». Au contraire, pour les deux auteurs, le maintien de l’ordre pratiqué en France est devenu « d’arrière-garde » et témoigne d’une « insularité » et d’un « retranchement doctrinal » inquiétants vis-à-vis de ce qui se pratique chez nos voisins européens. Les auteurs montrent notamment comment une « politique de désescalade » visant à éviter tout affrontement a été mise en place dans différents pays, à commencer par l’Allemagne, mais aussi dans plusieurs autres pays européens.

Comment expliquer ce qui est désormais un retard français. L’une des réponses tient à la faiblesse du politique : « Le retranchement doctrinal de la police française est redoublé de l’isolement dans lequel la laisse le politique : se laissant convaincre des arguments policiers sur la “violence extrême’’ des adversaires, les ministres de l’intérieur par cette seule posture s’empêchent tout examen au fond de l’action policière », écrivent les chercheurs.

« Quand on est responsable, on ne dit pas : allez-y, foncez »

 

Plaque à la mémoire de Malik Oussekine. © Reuters Plaque à la mémoire de Malik Oussekine. © Reuters
 

Plutôt que de camper dans le rôle de matamores de commissariat, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve seraient mieux inspirés de se reporter aux débats parlementaires qui avaient suivi la mort du jeune étudiant Malik Oussekine, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à la suite d’une des manifestations contre la loi Devaquet. Dès le 6 décembre, Pierre Joxe, au nom du groupe socialiste, demandait « la création d’une commission d’enquête sur les instructions données par le ministre de l’intérieur aux forces de l’ordre », tandis que le RPR Philippe Séguin évoquait l’action de « petits groupes incontrôlés ».

 

Deux jours plus tard, le 8 décembre, le député socialiste Michel Sapin interpellait son adversaire RPR Jacques Toubon en demandant le retrait du projet de loi Devaquet pour contribuer « à l’apaisement nécessaire ». Et le 10 décembre, c’était au tour de Lionel Jospin de délivrer un réquisitoire contre l’action du gouvernement, réquisitoire qui sonne comme étrangement actuel aujourd’hui. S’en prenant à « un gouvernement sûr de soi, catégorique, imbu de ses références idéologiques, sourd à l’opinion des autres », il poursuivait en ces termes : « Vous avez ouvert la crise par un mauvais projet, vous tentez de la solder par un mauvais plaidoyer, mais surtout vous l’avez abordée avec une détestable méthode : refus de la discussion, sous-estimation du mouvement, utilisation de la violence et en même temps passivité devant elle ! »

 

Ces mêmes jours, Bernard Deleplace, au nom de la FASP, syndicat majoritaire à l’époque dans toute la police en tenue, membre du PS et proche de François Mitterrand, rappelait également au pouvoir politique ses devoirs et ses responsabilités par cette déclaration : « À ceux qui nous gouvernent, je dis que la responsabilité est aussi la leur et qu'elle est politique (...) Quand on est responsable, on ne dit pas : allez-y, foncez, je vous couvre, pour s'étonner ensuite des dégâts, s'étonner que certains collègues aient pris ces encouragements intempestifs au mot. Notre métier est suffisamment difficile, dangereux, pour que les hommes politiques n'y rajoutent pas leurs petites phrases démagogiques. On ne gouverne pas la police comme une campagne électorale. »

Trente ans plus tard, les rôles sont comme inversés. Michel Sapin est ministre d’un gouvernement qui veut criminaliser un mouvement social. Jacques Toubon est Défenseur des droits et vient d’ouvrir une enquête sur les conditions dans lesquelles a été très gravement blessé le jeune homme présent cours de Vincennes le 26 mai. Lionel Jospin est membre du conseil constitutionnel. Plaidera-t-il pour une censure de la loi sur le travail ?

Le 10 décembre 1986, Lionel Jospin interpellait en ces termes Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur : « Quelles instructions avez-vous données ? Quelles sanctions avez-vous prises à la suite de certaines opérations dont on connaît le prix en blessés, chez les policiers comme chez les jeunes ? » Charles Pasqua se gardait de répondre directement à la question. Il préféra alors cibler des « individus violents » armés de billes de verre, de manches de pioche et d’un couteau à cran d’arrêt… « La violence des manifestants ne peut pas être mise en doute », assurait-il. Avec la mort de Malik Oussekine, la droite perdait son honneur et, quelques mois plus tard, le pouvoir. Sauf à ce qu’ils consentent à s’expliquer dans le cadre d’un large débat, l’actuel premier ministre et son ministre de l’intérieur sont promis au même sort.

 

 

Un commentaire parmi d'autres...

 

Plus de "loi travail" donc plus de manifestations et donc plus de violences policières !  C'est pourtant pas compliqué à comprendre !

Les violences policières puissent ses source dans la "loi travail :

"L’Europe façon Wall Sreet exige la "Loi Travail" : corrosif rappel d’une historienne."

Jacques-Marie BOURGET

L'historienne Annie Lacroix-Riz consacre toute sa carrière à mettre au jour les actions de ce que l'on n'appelle plus "le grand capital"... Dommage car il demeure tout puissant. Voulue telle qu'elle est aujourd'hui par les Etats-Unis ( un marché qui obéit et une puissance supplétive au plan militaire), l'Europe, dopée par Washington à partir de 1945, vit maintenant son apothéose ultra libérale. Son dernier avatar : écrire puis imposer la "Loi Travail".

C’est sûrement faire injure au lecteur que d’étaler sous ses yeux une vérité trop première. Si le terrible virus social qu’est la « Loi Travail » nous tombe dessus, ce n’est pas pour, comme le bégaie Valls, « réformer la France en la modernisant ». Bien sûr que non. Ou alors expliquez-nous par quel miracle un gouvernement de droite en Belgique et un supposé de gauche en France, promulguent en même temps des règles identiques qui étranglent au mieux les travailleurs ? C’est tout simple, la consigne unique et mortifère vient de la Commission européenne, un machin livré à tous les lobbies. A Bruxelles, 40 000 personnes sont employées par ces officines « d’influence » qui soumettent au Parlement européen la version des lois qui convient le mieux à Wall Sreet. Ainsi soulagés d’une assommante besogne, avant de foncer à la buvette, les députés européens n’ont plus qu’à dire oui à ces lobbies qui s’activent à notre bonheur. Pendant ce temps, alors qu’ils devraient faire du tapage, peu de ceux dont le métier est de penser et de dire viennent nous mettre sous le nez l’extrait de naissance d’une Europe naguère fécondée par les Etats-Unis.

Pourtant, alors que les bataillons intellectuels sont aux arrêts de rigueur, Annie Lacroix-Riz, inoxydable sentinelle du temps, s’en vient par un livre, Les élites françaises entre 1940 et 1944, jeter boules puantes et verre pilé dans le lit de l’Europe. Cette chercheuse pour laquelle les archives ne sont pas des continents oubliés, nous rappelle, en plein blocages et fumées de lacrymos, l’origine de notre mal, pourquoi nous toussons. Ce catarrhe vient de ce que les « élites » du capitalisme français (banquiers ou élus) et nombre de leurs compères d’états voisins, ont la nécessité d’appuyer leur politique sur un pays qui joue pour eux le rôle de modèle. A partir de 1934 ce fut l’Allemagne nazie, projection d’un mode d’exploitation idéal. Plus tard, Hitler ayant hélas échoué dans la construction de sa nouvelle Europe, les trusts et les banques ont tourné leur veste pour courir au plus vite derrière le nouvel ami étasunien. Ouf. Depuis, le fleuve continue de couler tranquille, Juncker et autres perroquets de Goldman Sachs peuvent lancer leur fatwa de l’ultra libéralisme sur les travailleurs : « il n’y a pas d’alternative ». Voilà pourquoi une Loi Travail nous est tombée dessus, réclamée par ces fonds de pension étatsuniens qui sont à la justice sociale ce que Dracula est à la transfusion sanguine.

Lacroix-Riz, qui laboure le champ de ses connaissances avec une totale obstination, nous a déjà régalés d’un petit livre, Aux origines du carcan européen chez Delga. Belle Europe que cette construction confiée à deux « pères », Robert Schuman (ministre de Pétain) et Jean Monnet (agent de Washington). Cette fois l’historienne nous décrit les douloureux balancements, pour les maîtres de l’économie, entre le prodigieux Adolf Hitler et les plis de la bannière étoilée à mesure que, Staline broyant SS et Wehrmacht dans l’hiver soviétique, les « boys » pouvaient avancer vers La Manche. On plaint presque ces pauvres industriels et banquiers et leurs poulains politique d’avoir à affronter tant d’incertitude, faisant pivoter, comme les spectateurs du tennis, leurs têtes entre Washington et Berlin.

Dans L’Etrange défaite Marc Bloch qui analyse à chaud la déroute française de 40, classe les responsables de cette tragédie en cinq catégories : armée, politiques, presse, affaires et hommes de main. Annie Lacroix-Riz, spécialiste de la Cagoule, ne revient pas sur ces « hommes de main » qu’elle connait trop et qui ne sont que des exécutants (c’est le cas de le dire). Mais elle ajoute le clergé catholique accusé d’avoir été un truchement, un liant entre Vichy ou l’occupant et de trop nombreux français. D’emblée elle piétine le postulat de ces historiens bien-pensants qui écrivent que la collaboration a été essentiellement une affaire de petites gens dévoyés. Pas du tout, au-dessus de la pyramide brune, Lacroix-Riz distingue sans contestation les « élites » et autres puissants, les donneurs d’ordres.

Egale à elle-même, à ce qu’est son livre « culte » Le Choix de la défaite, la chercheuse avec son nouvel ouvrage en béton, nous démontre que plus qu’une affaire de miliciens en manteaux de cuir ou de diatribes de journalistes crapules, la collaboration fut massivement le choix des industriels et banquiers qui préféraient Hitler au Front populaire. Le verdict de l’historienne est tranchant : toute collaboration est létale, ce qui emporte le mythe des « résistants » de Vichy dont Mitterrand est la tête de gondole. Collaborer, même de façon « éloignée », c’est plonger les mains dans le sang nous montre Lacroix-Riz.

« Les élites françaises de 1940 à 1944 » porte un sous-titre qui dit tout « De la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine » et, dans cette mutation qui porte d’un amour l’autre, certaines « élites » seront plus perspicaces que d’autres. Ce n’est pas par haine du nazisme ou par désespoir de vivre dans un pays occupé que certains dirigeants ont très vite pris le parti des Etats-Unis. Ni patriotes ni démocrates, ces pragmatiques se sont appuyés sur le rapport du général Doyen en date du 16 juillet 1941, un officier qui a participé à la Commission d’armistice, ou sur de semblables analyses. Pour Doyen, étant donné son degré de culture, sa puissance économique, sa population importante, son obligation de défendre la Grande Bretagne, les Etats-Unis étaient à long terme certains de gagner la guerre. Jouant cette carte, ces « élites » qui collaboraient avec l’Allemagne depuis le Plan Dawes en 1924, et encore mieux à partir de 1933, ont donc sauvé leur réputation à défaut de leur honneur. Et les américains peu regardants n’ont pas hésité à discuter et échanger avec Vichy : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et garder une matraque fasciste capable, le moment venu, de lutter contre le communisme. D’autres « élites » moins avisées, ont poursuivi un peu plus leur chemin commun avec les nazis. Pas très grave puisqu’après 1944 les tribunaux d’épuration ont eu pour mot d’ordre de ne pas casser l’outil industriel restant debout, ni le reste d’une économie asthénique. Quelques malchanceux, comme Renault qui ne l’avait pas volé, ont payé pour le compte de tous, histoire de faire symbole.

Il est passionnant de suivre, au travers de ses envoyés spéciaux, de ses « pions », l’action des amis de l’Amérique choisis par Washington dans l’entourage de Pétain. Alger va devenir un roman de Le Carré où les intrigues pour imposer les hommes de demain sont parfois mortelles.

Au-dessus de tout cela il y a un homme détesté des yankees et peu aimé par Churchill, il s’appelle De Gaulle. Il va surfer, jouer sa carte avec pugnacité et l’aide de quelques héros.

En fin de compte Wall Sreet et nos « élites » ne pouvant se mettre en travers, vont laisser le grand général gouverner la France. Mais l’idée de construire cette Europe américaine, un marché aux ordres, demeure. Petit à petit, lui-même entouré de quelques « Atlantistes », De Gaulle va lâcher sa position de « non aligné ». Il ne reste plus qu’à être patient, Bruxelles va être le relais qui commande aux anciennes nations. Par exemple de promulguer des lois « modernes » comme cette monstruosité française sur le droit du travail.

Jacques-Marie BOURGET

PS. Sur Internet un entretien donné par Annie Lacroix-Riz est un élément très convainquant, il permet de saisir parfaitement les recherches de l’historienne.

source : http://www.legrandsoir.info/l-europe-facon-wall-sreet-exige-la-loi-travail-corrosif-rappel-d-une-historienne.html

 

 

 

 

 

Boîte noire : Ont participé à cet article Michel Deléan, Jade Lindgaard, Michael Hajdenberg, Matthieu Suc, Stéphane Alliès, Sophie Dufau, Fabrice Arfi, Christophe Gueugneau, Karl Laske, Donatien Huet.

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

 

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31 mai 2016 2 31 /05 /mai /2016 16:18

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

Routiers, cheminots, intermittents... Le gouvernement caresse pour déminer la grogne

 
 
Derrière sa fermeté affichée sur le projet de loi de Myriam El Khomri, l'exécutif cherche à désamorcer les contestations secteur par secteur. Et mise sur l'essoufflement du mouvement anti-loi Travail.
 
François Hollande et Manuel Valls tentent d'éteindre un par un les foyers de contestation. - CHAMUSSY/SIPA

Officiellement, le gouvernement ne lâche rien. Pas question de revenir en arrière la loi Travail qui cristallise la grogne sociale depuis quatre mois. "Le projet de loi ne sera pas retiré. La philosophie et les principes de l'article 2 seront maintenus", martèle François Hollande dans un entretien à ce mardi 31 mai, en faisant référence à la disposition du texte qui fâche le plus, celle en matière de temps de travail. Manuel Valls, lui, a répété ce week-end qu'il irait "jusqu'au bout". Mais derrière cette fermeté affichée, le gouvernement se met en quatre pour satisfaire des revendications sectorielles qui risqueraient d'alimenter le climat de fronde et les blocages, alors que l'Euro de football commence dans dix jours. Une stratégie du salami, consistant à découper les unes après les autres les différentes contestations pour mieux les avaler.

Ce sont les chauffeurs routiers qui ont reçu la première caresse. Alors qu'ils protestaient contre la possibilité laissée par le projet de loi d'abaisser la majoration de leurs heures supplémentaires, le secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies leur a assuré le 21 mai qu'ils conserveraient leur régime dérogatoire : leurs heures sup' ne pourront pas être majorées de moins de 25%. C'est toujours ça de pris pour tenter d'enrayer les blocages sur les routes.

Lâcher du lest

Le gouvernement s'est aussi attaqué à d'autres revendications qui sont sans rapport avec la loi El Khomri, mais ajoutent de la grogne à la grogne. Il a ainsi pris en main les rudes négociations sur le temps de travail à la SNCF, dont l'Etat est l'actionnaire. Samedi dernier, Alain Vidalies a négocié lui-même avec les syndicats, court-circuitant le patron Guillaume Pépy. Et le secrétaire d'Etat a visiblement fait des concessions que refusait la direction de la SNCF, puisque la CFDT a levé son préavis de grève, comme le rapporte .

Le gouvernement a court-circuité le patron de la SNCF

 

Lâcher du lest, le mot d'ordre est à peu près le même pour les intermittents du spectacle. Les partenaires sociaux du secteur avaient conclu fin avril un accord sur leur régime spécifique d'indemnisation. Mais ils réclamaient à l'Etat une garantie financière pour assurer sa mise en œuvre, alors que les négociateurs de l'assurance-chômage ont échoué à se mettre d'accord lundi sur le montant des économies à réaliser. Qu'à cela ne tienne : alors que la CGT menaçait déjà de bloquer les festivals estivaux, Manuel Valls a assuré dans un communiqué que le gouvernement était "prêt à prendre en charge (…) certaines des mesures de l'accord". Autrement dit, à mettre la main au portefeuille pour sortir provisoirement de l'impasse.

Près de deux mois à tenir

L'exécutif ne se contente pas de signer des chèques pour éteindre les incendies en cours. Il surveille aussi les foyers qui pourraient s'étendre. Lundi, François Hollande a renoncé aux annulations de crédit de 134 millions d'euros qui menaçaient le budget de la recherche. Jeudi, il tentera de rassurer les maires réunis en congrès à Paris et inquiets de la baisse des dotations de l'Etat aux communes : le chef de l'Etat pourrait leur réserver une bonne nouvelle, selon … Pendant ce temps, la ministre de l'Education nationale chouchoute des enseignants toujours agacés : Najat Vallaud-Belkacem un milliard d'euros de hausses de salaires d'ici 2020.

Mais s'il compte appliquer son déminage catégoriel à toutes les contestations, le gouvernement a encore fort à faire. Entre la RATP, Air France, les aiguilleurs du ciel ou encore , un conflit chasse l'autre. Sans compter que la tactique de l'exécutif n'est pas forcément payante : son intervention directe dans les négociations à la SNCF n'a pas empêché la grève illimitée qui commence ce mardi soir. Et dire qu'il reste près de deux mois avant que le Parlement ne se prononce définitivement sur la loi Travail…

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

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30 mai 2016 1 30 /05 /mai /2016 18:08

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Blessé grave à Nation: la grenade de trop pour Bernard Cazeneuve
30 mai 2016 | Par Karl Laske
 
 

Mediapart s’est procuré plusieurs vidéos qui précisent dans quelles circonstances les policiers ont lancé une grenade de désencerclement dans la foule, cours de Vincennes, à Paris, blessant grièvement un jeune de 28 ans à la tête. Il n’y avait aucun danger imminent pour les fonctionnaires, qui ont lancé, dans les minutes qui ont suivi, une grenade lacrymogène en direction du blessé.

Comme à Sivens, en octobre 2014, une grenade lancée sans précaution a touché un jeune, jeudi 26 mai, près du cours de Vincennes, à Paris. Comme en octobre 2014, après Sivens, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a fait savoir qu’il fallait « établir les circonstances » de l’incident, tout en saluant « la mobilisation des forces de l’ordre », « engagées pour sécuriser » la manifestation.

Jeudi, Romain D., 28 ans, a été atteint à la tête par l’éclat d’une grenade de désencerclement lancée dans la foule à l’issue de la manifestation contre la loi sur le travail. Victime d’une « fracture temporale avec enfoncement de la boîte crânienne », il s’est écroulé, puis a repris connaissance peu avant d’être emporté par les pompiers. Il a été plongé dans le coma, samedi, après avoir été opéré à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Photographe indépendant, il portait une caméra Go-Pro et filmait les événements de l’après-midi.

 

Les policiers rejoignent leurs collègues, en avant le gradé tient déjà la grenade à la main droite. © Capture d'écran de la vidéo réalisée par LDC. Les policiers rejoignent leurs collègues, en avant le gradé tient déjà la grenade à la main droite. © Capture d'écran de la vidéo réalisée par LDC.

 

En dépit de l’existence de deux vidéos (que l'on peut retrouver ici et ) qui montrent sans ambiguïté un policier lancer une grenade de désencerclement dans la foule, Bernard Cazeneuve ne s’est pas exprimé sur les faits, dans l’attente des résultats de l’enquête. Il a souhaité, par communiqué, un prompt rétablissement au « jeune homme » blessé par la police. Le ministre de l’intérieur a aussi reçu sa famille samedi matin, en compagnie du préfet de police Michel Cadot.

Deux enquêtes sont ouvertes, toutes deux entre les mains de l’IGPN, la police des polices : l’une à la demande du ministre, qui vise examiner les conditions déontologiques de l’usage de cette arme et le respect des consignes de sécurité, l’autre a été ouverte, dès jeudi soir, par le parquet de Paris pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique », pour déterminer les circonstances dans lesquelles la victime a été blessée, et l'origine de ses blessures.

Selon le ministère de l’intérieur, le policier a lancé cette grenade « de manière conventionnelle » – vers le sol et non pas en l’air –, mais « le contexte » dans lequel il l’a fait reste plus incertain, reconnaît-on. L’autre point d’interrogation, plus technique, mis en avant par le ministère – « sans vouloir minorer les faits » – vise à déterminer comment la grenade – ou un éclat de celle-ci – a pu atteindre la tête de la victime.

L’incident, qui pourrait laisser d’importantes séquelles à Romain D., pose la question plus générale de l’arsenal utilisé ces dernières semaines par les forces de l’ordre pour contenir les manifestations contre la loi sur le travail à Paris et en province. De nombreuses personnes ont été touchées par des tirs de Flash-Ball, ou de grenades de désencerclement, dans des conditions non réglementaires – tirs tendus de Flash-Ball ou de grenades par exemple. L’usage de cet armement – « moyens de force intermédiaire » – répond de fait aux directives du ministre de l’intérieur.

« Des consignes politiques, signées du ministre, ont été données par l'intermédiaire des préfets de faire preuve de la plus grande fermeté face aux troubles, explique Luc Larcher, secrétaire général adjoint de l’UNSA officiers. Ce sont des moyens de fermeté, dans le respect des règles républicaines. » Le ministre « ne valide pas les dispositifs » de maintien de l’ordre parisien, précise-t-on cependant au ministère. Place de la Nation, lieu d’arrivée de la manifestation, le préfet avait disposé plusieurs unités de CRS, Gendarmes mobiles, Compagnie d’intervention (CI) et Compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI, les anciennes « BAC secteurs ») afin de procéder à des « saute-dessus » au fur et à mesure de l’arrivée du cortège syndical sur la place. Cette course à l’interpellation s’est poursuivie jusqu’à la porte de Vincennes, où la grenade a été employée.

 

La ligne de policiers qui progresse cours de Vincennes en direction d'un groupe de manifestants © Video Claire Ernzen La ligne de policiers qui progresse cours de Vincennes en direction d'un groupe de manifestants © Video Claire Ernzen

 

De nouvelles vidéos obtenues par Mediapart montrent qu’en fait de « sécurisation », les policiers qui sont intervenus cours de Vincennes, membres d’une Compagnie d’intervention (CI) de la préfecture, ont utilisé cette grenade sans être confrontés à aucun danger imminent, au milieu d’une foule composée pour beaucoup de curieux et de journalistes. Ils rejoignaient trois collègues postés dans une cour d’immeuble avec un interpellé. Une habitante de l’immeuble au pied duquel s’étaient retranchés les policiers filmait la foule et le face-à-face, lorsque survient l’explosion. « Quand ils ont tiré cette bombe, je filmais, mais j’ai eu un mouvement de recul, j’ai eu peur, raconte-t-elle à Mediapart. Et puis, j’ai vu la personne au sol. Ça aurait pu être un enfant du quartier. Il y a plein d’enfants à cette heure-ci dehors ! »

 

© Mediapart

 

Dans les minutes qui suivent l’explosion de la grenade, plusieurs personnes portent Romain D. quelques mètres plus loin. À l’abri, pensent-ils. En réalité, les policiers lancent encore deux grenades lacrymogènes en direction de la foule, l’une d’elles atterrit à un mètre à peine du blessé.

 

© Mediapart

 

La puissance de l’explosion surprend l’immeuble. Introduite en 2004, la grenade à main de désencerclement (GMD) émet 160 décibels, et propulse des projectiles en caoutchouc – 18, au total – alentour, mais aussi les débris parfois coupants et plus moins gros de son emballage. Fabriquée notamment par la société SAPL, sous la dénomination commerciale DBD 95 (pour  « Dispositif balistique de dispersion », on l’appelle aussi « Dispositif manuel de protection », DPM), elle a été conservée dans l’arsenal des forces de l’ordre malgré des incidents mentionnés en novembre 2014 dans le rapport d’inspection sur « l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre ».

 

« Je suis extrêmement choquée »

À la suite de la mort de Rémi Fraisse, Bernard Cazeneuve avait choisi d’interdire la grenade offensive « OF F1», remettant en service la GLI-F4 (une autre grenade offensive à effet lacrymogène) dans les forces de gendarmerie, et conservant la grenade de désencerclement en dotation de toutes les forces de sécurité. Selon ce rapport, les gendarmes avaient utilisé 590 GMD entre 2010 et 2014, contre 571 pour les CRS entre 2009 et 2014. Des GMD ont été utilisées, boulevard Diderot à Paris, le 1er mai, à Paris, faisant plusieurs blessés parmi les photographes.

 

© DOC du réel

 

Les consignes d’utilisation de la grenade de désencerclement, du Taser et du lanceur de balles de défense, ont été rappelées par une circulaire des directeurs de la PJ et de la gendarmerie, le 2 septembre 2014 – avant Sivens. « La GMD est susceptible d’être utilisée lorsque les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement prises à partie par des groupes violents ou armés », avertit la circulaire, que l’on peut télécharger ici. Son usage « constitue un emploi de la force », « qui n’est autorisé que lorsque sont réunies les conditions de nécessité et de proportionnalité requises par la loi ». Le recours à la force « doit être proportionné, et il n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire ».

Pour invoquer la légitime défense, les moyens de défense doivent être proportionnés à la gravité de l’attaque. « On ne peut pas prévenir une violence en lançant une grenade, explicite Anthony Caillé, du SGAP-CGT Police. Si elle a été lancée, c’est que les fonctionnaires se sont sentis en danger, mais on ne peut pas utiliser une arme en prévention d’un acte qui n’a pas eu lieu. La légitime défense, c’est compliqué mais c’est simple de ce point de vue-là. »

Dans le cas présent, les vidéos en notre possession montrent que les policiers, membres d’une Compagnie d’intervention (CI) de la préfecture de police, sont arrivés à pied, mais sans courir, sur le cours de Vincennes, poursuivant des manifestants qui refluaient vers la porte de Vincennes. Un groupe d’une centaine de personnes environ, des « grappes de jeunes », selon un témoin. Ces policiers portent des casques noirs avec un liseré bleu, ce qui les distingue des CRS (liseré jaune) et des gendarmes (casque bleu).

Arrivés à hauteur du métro Porte de Vincennes, et de la station de tramway, ils interpellent un jeune, en tenue de sport claire et vont se mettre à l’écart avec lui dans la petite cour de l’immeuble qui fait l’angle du cours de Vincennes et de la rue du Général-Niessel. C’est alors qu’un attroupement se forme devant l’immeuble. De nombreux journalistes filment et Romain D. s’approche.

 

Romain D. s'approche de l'entrée de la cour, où les policiers se sont retranchés © Vidéo Claire Ernzen Romain D. s'approche de l'entrée de la cour, où les policiers se sont retranchés © Vidéo Claire Ernzen

 

Un groupe de cinq policiers de la CI s’engage dans la rue Général-Niessel, pour rejoindre leurs collègues. L’un d’eux, un gradé – reconnaissable à la bande blanche sur l’uniforme –, tient une grenade à la main droite. Comme le rappelle la circulaire de septembre 2014, les forces de l’ordre doivent procéder à des sommations avant de lancer une grenade de désencerclement en direction d’un attroupement, et si elles ne le font pas, ce ne peut être qu’« en cas de violences et de voies de fait exercées contre les forces de l’ordre qui ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent ».

 

Le policier lance la grenade, sous les yeux de Romain D., derrière la jeune femme qui filme la scène. © Capture d'écran de la vidéo réalisée par LDC. Le policier lance la grenade, sous les yeux de Romain D., derrière la jeune femme qui filme la scène. © Capture d'écran de la vidéo réalisée par LDC.*
 

« En cas d’usage de cette arme, l’utilisateur doit, dans la mesure du possible, prendre en compte dans son analyse les particularités environnementales afin de prévenir tous dommages collatéraux, tels que les risques pour les personnes se trouvant à proximité. » Il est recommandé au policier d’être protégé ou abrité, au moment du lancer. Les deux vidéos prises par les journalistes sur place permettent de voir ce mouvement de protection du tireur opéré par deux policiers avant d’entrer dans la cour d’immeuble. On aperçoit aussi Romain D. suivre la progression des policiers.

 

Romain D. s’est affaissé. La grenade a été lancée dans la foule, sans sommation, et alors que les policiers ne subissaient aucune violence, si ce n’est de l’hostilité verbale et des sifflets. Ils n’étaient pas « encerclés » contrairement à ce que plusieurs médias ont indiqué, notamment France 3. Comme on le voit sur notre vidéo, le jeune photographe n’a pas non plus heurté les plots qui bornent le passage piéton, autre thèse ayant circulé afin d’exonérer la grenade. « Après usage d’un GMD et en cas d’interpellation, il convient de s’assurer aussitôt de l’état de santé de la personne et de la garder sous surveillance permanente. Au besoin, un examen médical doit être effectué dans les meilleurs délais », stipule l’instruction officielle.

Confrontés aux cris et aux protestations de la foule, les hommes de la CI décident de lancer deux nouvelles grenades lacrymogènes pour éloigner les manifestants en colère. L’une d’elles atterrit près du blessé. « Ils ont continué à lancer des grenades à proximité du jeune homme, et des gens qui s'occupaient de lui, s'indigne une autre habitante de l'immeuble, la documentariste Claire Ernzen. Je suis terriblement choquée. »

 

Les policiers lancent deux nouvelles grenades pour éloigner la foule, l'une d'elles à proximité du blessé © Video Claire Ernzen Les policiers lancent deux nouvelles grenades pour éloigner la foule, l'une d'elles à proximité du blessé © Video Claire Ernzen

 

Des gendarmes mobiles et d’autres forces de police font par la suite leur apparition afin de sécuriser le périmètre où se trouve le blessé. L’interpellé est finalement extrait de la cour d’immeuble par un groupe de policiers qui se faufile entre les gendarmes. La compagnie d’intervention se met en rang par deux pour quitter les lieux. Elle traverse la foule, et subit encore quelques sifflets avant de rejoindre les camions blancs de son unité.

L’enquête devrait dire jusqu’à quel niveau la chaîne de commandement est impliquée dans ce lancer de grenade. « Dans les unités de CRS, une GMD ne peut être lancée que sur ordre du commandant de la compagnie, le chef d’escadron, explique Luc Larcher de l’UNSA. La GMD, c’est le dernier moyen. Est-ce qu’il était acculé ? Tous les cas sont particuliers mais il n’y a que la hiérarchie qui peut décider. La grenade se lance en dessous et en principe, ça pète dans les jambes. Elle se lance au roulé, parce qu’il y a une charge à l’intérieur. Et si ça vient à toucher le corps, ça blesse gravement. »

Lundi, Jacques Toubon, le Défenseur des droits, souvent saisi sur les questions de respect de la déontologie des forces de sécurité, a annoncé qu'il ouvrait une enquête sur l'usage d'une grenade de désencerclement ayant blessé Romain D. À la lecture des deux vidéos, un responsable d’Alternative Police CFDT a estimé sur France 3 qu’il n’y avait « pas d’erreur d’utilisation ». Et ce syndicat s'est prononcé formellement en défense des fonctionnaires, jugeant qu'il n'y a « aucun doute » : « Les conditions d'utilisation de la grenade ont bien été respectées. »

« Toute déclaration intempestive de pseudo-violences policières n'a pas lieu d'être », prévient même la CFDT. « Les images, je les ai vues, mais comme à chaque fois, on voit la fin de l'intervention des policiers, commente de son côté Philippe Capon, secrétaire général de l’UNSA. Je suis méfiant sur ce type d’images qui ne nous disent pas ce qui s’est passé avant. » Avant justement, il ne s’est pas passé grand-chose.

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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30 mai 2016 1 30 /05 /mai /2016 17:03

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

Loi Travail : le référendum syndical, faux ami des salariés
Pierre Gattaz et ses amis patrons de la Fnac ou des Galeries Lafayette n'en peuvent plus de voir les syndicats de salariés majoritaires bloquer les accords négociés avec les syndicats minoritaires, notamment ceux qui étendent le travail du dimanche. Alors Manuel Valls et Myriam El Khomri leur ont concocté une réforme sur mesure, intégrée dans la loi Travail, au nom qui fleure pourtant bon la démocratie : le référendum d'entreprise…
 
Le référendum d'entreprise est une mesure poussée par la droite et le patronat. - Sipa
 

Les syndicats, soit ils signent, soit on les évite. Dernier exemple en date de ce type de bras de fer direction-syndicats, le conflit au sein des Galeries Lafayette sur le travail du dimanche est en passe de finir devant la justice. La direction du groupe y conteste en effet la représentativité des syndicats majoritaires (CGT, FO et SCID) qui ont exercé leur droit d'opposition contre un accord proposé au sein de l'entreprise pour étendre le travail du dimanche. Mais si la loi Travail passait, elle offrirait à la direction une solution toute simple sur un plateau…

Résumé de la situation aux Galeries Lafayette : profitant des possibilités ouvertes par la loi Macron de 2015, la direction souhaite ouvrir tous les dimanches son magasin phare, boulevard Haussmann à Paris. A la suite de l'échec des négociations de branche, elle propose en mai un accord d'entreprise aux syndicats de salariés, rejeté à l'unanimité. Le 20 mai, elle parvient finalement à signer un compromis avec la CFE-CGC et la CFTC. Les deux syndicats sont habilités à le faire, puisqu'ils représentent à eux deux 37,94% des voix aux élections professionnelles, au-delà donc du seuil de 30% nécessaire à la validation de l'accord, prévu par la loi sur la représentativité syndicale de 2008. Mais cette même loi accorde aussi un droit d'opposition aux syndicats qui ne sont pas d'accord, à condition qu'eux représentent plus de 50% du personnel. C'est ce qu'il s'est passé vendredi : la CGT, FO et SCID, qui représentent 60,87% des salariés des Galeries, ont rejeté un "cadeau à la direction", dénonçant une signature "à la hâte" et "sous pression". Ce veto étant indépassable dans l'état actuel de la législation, l'accord est de facto rejeté.

 

"Le référendum d'entreprise, je n'y crois pas"

Pour tenter de faire valider son accord malgré tout, la direction des Galeries Lafayette conteste donc en justice la représentativité d'un des trois syndicats qui lui pose problème, le SCID (14,19%). La décision de la justice est attendue le 9 juin. Mais grâce à la loi El Khomri, adoptée en première lecture à l'Assemblée, les patrons pourront bientôt s'épargner ces imbroglios judiciaires. Et ce, grâce à une disposition intégrée au texte in extremis, annoncée à la surprise générale par Myriam El Khomri le 26 janvier dernier : le référendum d'entreprise à initiative syndicale. L'idée est lumineuse : quand un accord sera rejeté par les syndicats majoritaires, comme aux Galeries, ceux qui ont signé l'accord - à condition toujours qu'ils représentent au moins 30% du personnel - pourront lancer une consultation des salariés, laquelle aura le dernier mot.

Smart ou le chantage par référendum

A priori, quoi de plus démocratique que de faire voter les salariés ? Mais l'annonce de Myriam El Khomri a d'autant plus créé la surprise que le 20 octobre dernier, la ministre du Travail avait elle-même déclaré : "Le référendum d'entreprise, je n'y crois pas". A l'époque, elle réagissait au cas de l'usine Smart de Moselle, où les syndicats avaient rejeté un accord proposé par la direction pour relever de 37 à 39 heures le forfait d'heures payées 35. Menaçant de devoir recourir à des suppressions, la direction avait arraché l'accord de 56% des salariés lors d'un référendum. Le vote n'avait qu'une valeur consultative mais il a mis en valeur une chose : même quand leurs représentants syndicaux sont unanimes à rejeter un accord en leur défaveur, les salariés peuvent céder face au chantage à l'emploi. C'est pourquoi le gouvernement l'avait désavoué, Myriam El Khomri ajoutant : "Je n'y suis pas favorable, je crois aux syndicats dans notre pays. Pour moi les corps intermédiaires sont importants, ils représentent les salariés, ils ont été élus pour."

"On supprime le droit d'opposition"

Mais cela, c'était avant le cas Fnac, trois mois plus tard. Comme aux Galeries Lafayette, un accord sur le travail dominical est rejeté par les syndicats majoritaires alors qu'il avait été signé par trois syndicats représentant plus de 30% du personnel. Nous sommes le 20 janvier. Six jours plus tard, donc, coup de théâtre : le gouvernement intègre un référendum d'initiative syndicale dans son projet de loi Travail. Un nouvel "amendement Fnac", en somme, après le rejet de celui proposé dans la loi Macron l'an dernier, qui devait justement accorder de nouvelles possibilités d’ouverture aux distributeurs culturels. Et Myriam El Khomri a un argument tout trouvé pour expliquer que cela n'a rien à voir avec le chantage mené chez Smart, et que donc elle ne se contredit pas par rapport à ce qu'elle disait le 20 octobre :  il ne s'agit "pas d'un référendum à la main des entreprises mais d'un référendum à la main des organisations syndicales".

"Le referendum, c'est la mort du fait syndical !"
Sauf que comme l'a montré le cas Smart, les salariés ne sont pas toujours les mieux placés pour peser face à la direction… "Dans une période de chômage de masse, on est structurellement dans une forte situation de déséquilibre des rapports de force. Le chantage à l'emploi, individuel et collectif, d’un employeur envers ses salariés, ça existe, il y a eu des exemples", souligne pour Marianne Jérôme Pélisse, professeur de sociologie à Sciences Po et spécialiste des relations professionnelles. Lequel confirme un fait souligné par Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, au moment de l'annonce du référendum : "On supprime le droit d'opposition". "Cela revient à dire qu'aucun poids n'est donné aux élections professionnelles alors même que nous tirons notre légitimité de celles-ci", abondait Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC. Résonnant avec les propos de Myriam El Khomri en octobre dernier, mais aussi avec cette maxime : "Le referendum, c'est la mort du fait syndical !". Celle-ci est de Jean Auroux, ministre du Travail de François Mitterrand, père de la "citoyenneté dans l'entreprise".


Source : http://www.marianne.net

 

 

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30 mai 2016 1 30 /05 /mai /2016 16:13

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

El Khomri
Cisco va former 200 000 personnes. Bordel, à quoi sert la fac ?

 

L’allégresse avec laquelle la ministre du Travail annonce la délégation au privé d’une mission qui devrait revenir au service public, dont les moyens sont constamment essorés, est d’un cynisme inédit.

 

C’est un tweet de Myriam El Khomri vendredi 27 mai. Du genre de ceux qui ont le don de me plonger dans des abimes de perplexité auxquels succèdent des tréfonds de dépit qui à leur tour se muent immédiatement en furieuse envie d’éparpiller tout ça façon puzzle.

Donc Myriam El Khomri a tweeté :

« Notre objectif commun avec @CiscoFrance est de former en 3 ans 200 000 personnes aux métiers des réseaux numériques »

C’est chouette. Pour une fois y a un collègue qui a été plus prompt de moi au niveau de la réaction épidermique en tweetant à son tour :

« Ah ah ah, dans vos gueules les formations universitaires réseau/télécom. #pitoyable »

Voilà. On en est là. Franchement si vous n’aimez pas les grossièretés vous pouvez directement arrêter de lire ce billet.

Making of
Ce billet a d'abord été publié sur l'excellent blog Affordance.info, tenu par le maître de conférences en sciences de l'information et de la communication Olivier Ertzscheid. Il nous a aimablement autorisé à le reproduire sur Rue89 (les intertitres sont de la rédaction). Mathieu Deslandes

Vous êtes toujours là ? OK. Donc franchement ça me fout le cul en larmes. Bah oui. Parce que dans mon petit IUT je les croise tous les jours les collègues du département réseau et télécom. Pas plus tard que l’autre jour justement on discutait du fait qu’ils avaient trop d’offre d’emploi et de contrats pro par rapport aux candidatures qu’ils reçoivent.

Plus globalement ils sont comme tous les universitaires en charge de formations : on se démène pour créer des formations « à budget constant » (« budget constant » étant le petit nom administratif d’un volume horaire et de dotations en baisse mais passons ...), à « budget constant » donc, on se tape une paperasserie dans laquelle tous les patrons qui se lamentent sur la lourdeur administrative du code du travail seraient ravis de venir se vautrer tant elle leur paraîtrait légère, souple et quasiment éthérée, on est évalué en permanence par des organismes à l’utilité aussi discutable que l’acronyme les désignant est sexy, et nos institutions, nos autorités de tutelle, elles tweetent que grâce à Cisco France on va former 200 000 personnes en trois ans.

Avaler notre chapeau, encore et encore

Mais bordel. Bordel. What. The. Fuck. Mais bordel à quoi on sert ? Mais sans déconner nous à l’université on fait quoi ? On forme à quoi ?

Des formations « professionnalisantes » voire « professionnelles » on en a déjà plein. On a encore le gosier encombré et le transit bouché du nombre de fois où il a fallu avaler notre chapeau en sacrifiant la pédagogie à la rentabilité supposée ou au côté « bankable » de tel ou tel métier momentanément porteur ou déficitaire sur tel ou tel bassin d’emploi, mais faut croire que c’est pas assez. On est arrivé à des situations totalement aberrantes dans lesquelles on nous oblige à recruter de mauvais étudiants disposant d’un contrat quelconque (professionnel, apprentissage) plutôt que de bons étudiants qui ne rapporteront pas une thune à l’université qui les forme.

Tous ces chapeaux là, je les avais avalés, on les avait collectivement avalés. On se battait encore mais à la marge, en embuscade, en loucedé, davantage pour préserver notre capacité à encore se regarder dans la glace que pour combattre un système dont on savait qu’il avait déjà broyé la plupart des idéaux qui nous avaient, il y a longtemps, convaincus de pouvoir se rendre utile en y entrant pour transmettre un savoir et quelques compétences techniques et méthodologiques à des étudiants. Bref des trucs que Cisco semble être capable de faire mieux que nous.

A côté de ce qui est en train de se passer à l’heure actuelle, la LRU de Valérie Pécresse c’était Oui-Oui au pays des fées. Naturellement c’est la même chose. Je veux dire que la LRU, avec « l’autonomie » des universités (dont plus de la moitié d’entre elle est en faillite autonome ou sous-tutelle autonome ou a dû, en toute autonomie, fermer un nombre hallucinant de formations), la LRU était juste là pour préparer le terrain.

Cisco, Microsoft, Amazon et Elsevier

Parce que cet accord avec Cisco est loin, très loin d’être le premier.

Souvenez-vous de l’accord que la ministre de l’Education nationale a passé avec Microsoft, juste avant d’en passer un autre avec Amazon.

 

La ministre du Travail Myriam El Khomri à l'agence Pôle Emploi de Saint-Ouen (93), le 24 février 2016

La ministre du Travail Myriam El Khomri à l’agence Pôle Emploi de Saint-Ouen (93), le 24 février 2016 - MARS JEROME/SIPA
 

Souvenez-vous qu’en même temps que l’on sucre plus de 250 millions d’euros aux grands organismes de recherche français (voir le récent Appel des Nobels) on file chaque année la même somme d’argent public à Elsevier et quelques autres grands éditeurs pour racheter des travaux financés sur fonds publics par des chercheurs payés sur fonds publics.

Et là, toute guillerette le matin, Myriam El Khomri nous tweete le partenariat sur fonds publics avec Cisco pour former 200 000 personnes aux métiers des réseaux numériques (lequel partenariat date d’ailleurs d’il y a plus de six mois mais bon ...).

Moi je suis juste au-delà de l’au-delà du ras-le-bol. Des impôts j’en paie comme tout le monde. Et franchement je m’en félicite tous les jours. Mais bordel de merde je ne paie pas des impôts pour financer Microsoft, Amazon, Cisco, Elsevier ou je ne sais quel autre grand groupe privé, a fortiori dans un contexte où les universités n’ont plus une thune, et où ces acteurs privés se vautrent déjà allègrement dans le détournement organisé du crédit impôt recherche (on parle quand même de plus de 5,5 milliards d’euros...).

Et je n’aborde même pas les questions de remise en cause des modèles du logiciel libre que l’on essaie de défendre en balançant des cailloux sur des chars d’assaut.

Flinguer le droit à un service public de la formation

Au moins me direz-vous y’a un truc qui est désormais limpide et qui ne m’a bizarrement sauté aux yeux que ce matin à la lecture du tweet de la guillerette Myriam El Kohmri.

L’objectif de tout ça est de faire avec l’enseignement public, l’enseignement supérieur et la recherche et le droit à la formation la même chose qu’avec le droit du travail : inverser la hiérarchie des normes.

Quand Cisco fera le boulot des départements réseaux et télécom avec la thune, les moyens et l’accompagnement qui auraient dû leur revenir de droit, quand Elsevier fera le boulot des bibliothèques avec la thune, les moyens et l’accompagnement qui auraient dû leur revenir de droit, quand Microsoft fera le boulot des formateurs au numérique avec la thune, les moyens et l’accompagnement qui auraient dû leur revenir de droit, quand Amazon fera le boulot des éditeurs de manuels scolaires avec la thune, les moyens et l’accompagnement qui auraient dû leur revenir de droit, on se retournera, on regardera les dernières fumerolles s’échappant de ce qui fut un temps l’enseignement public de la maternelle à l’université et on organisera des colloques pour pleurer avec les familles des défunts ou aller pisser sur la tombe de Jean Zay.

Et Myriam, Najat, Valérie, Manuel, François, Nicolas et leurs copains ils rigoleront tranquillou en touchant les dividendes de leur impéritie pondérés à l’aune de leur soumission. On aura achevé de flinguer le droit à un service public de la formation mais on aura en contrepartie largement financé (sur fonds publics) Cisco, Amazon, Microsoft et Elsevier qui, c’est vrai, en avaient grandement besoin.

Le grand projet

Inverser la hiérarchie des normes dans le code du travail, dans le droit à la formation, dans l’enseignement supérieur et la recherche. Le voilà le grand projet. La voilà la seule doctrine. Tout aura été fait en ce sens. Plus j’y pense et plus c’est clair.

Ils nous ont fait le coup d’abord « à l’ancienne » : sabrer dans les crédits et les postes. Et puis ils nous l’ont refait mais en mode filou : rendre les universités « autonomes » (et en profiter pour sabrer dans les crédits et les postes). Et pour parachever le tout ils nous le refont encore une fois en mode « ça ose tout » : passer des contrats léonins avec des acteurs privés en expliquant qu’on n’a plus les moyens les crédits et les postes pour faire faire le boulot par les acteurs publics. Jusque là personne n’avait encore osé songé à s’en vanter sur Twitter avec le hashtag #guilleret. Myriam El Khomri et Najat Vallaud-Belkacem, si.

Vous savez quoi ? Ça me fout le cul en larmes. La destruction de l’université française bien sûr. Mais surtout l’abrutissement organisé comme projet social, l’autoritarisme comme principal mode de gouvernance, et le cynisme comme principal mode de négociation.

D’ailleurs Myriam El Kohmri le disait aussi sur Twitter, quelques heures après son autre tweet :

 

 permet aux étudiants bénéficiant des formations de rencontrer des entreprises qui recrutent

 

Pour les autres étudiants en revanche, ceux qui devront juste subir l’infâmie de bénéficier des formations universitaires réseau et télécom non estampillées #Cisco, ceux-là sont les bienvenus à la #Fuckingconnection qui leur permettra de rencontrer des agences pour l’emploi qui n’inversent pas la courbe du chômage.

L’abrutissement organisé comme projet social, l’autoritarisme comme principal mode de gouvernance, et le cynisme comme principal mode de négociation. Merde.

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 13:09

 

 

Source : http://www.lefigaro.fr

 

L'Union européenne assume : la loi El Khomri, c'est elle

 

 

 

 

 

Jean-Claude Juncker, président luxembourgeois de la Commission européenne

 

FIGAROVOX/DECRYPTAGE - Jean-Claude Juncker a déclaré que «la réforme du droit du travail voulue et imposée par le gouvernement Valls est le minimum de ce qu'il faut faire».Pour Coralie Delaume, l'économie de notre pays est depuis longtemps l'application des orientations de l'Union européenne.


Coralie Delaume est journaliste. Elle a notamment publié Europe. Les Etats désunis (Michalon, 2014). Découvrez ses chroniques sur son blog.


La loi El Khomri est un produit d'importation made in Union européenne (voir explications détaillées ici). Les «Grandes orientations de politique économique» (GOPÉ), dont l'existence est posée par les traités, et le «Programme national de réformes» (PNR), qui s'inscrit lui-même dans le cadre de la stratégie Europe 2020 «pour une croissance économique intelligente, durable et inclusive» (tsoin-tsoin), prescrivent à de nombreux pays et depuis longtemps le malthusianisme budgétaire et la modération salariale.

Dans même temps, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union (CJUE), n'a de cesse de promouvoir l'ordre concurrentiel et la dérégulation. Surtout, au travers d'arrêts à l'impact décisif mais mal connus du grand public, tels, par exemple, les arrêts Laval et Viking de 2007, elle œuvre à saper le droit du travail dans les pays membres, et à affaiblir la capacité de négociation des salariés dans les conflits sociaux.

Enfin, l'appartenance à l'euro interdit toute dépréciation de la monnaie. Dès lors, elle conduit les pays de l'eurozone non à renforcer leur coopération, non à développer entre eux la solidarité, mais à se mener les uns aux autres une véritable «guerre de la désinflation salariale», selon une expression de Steve Ohana. Pour livrer cette guerre, ajoute l'économiste, «la France ne semble plus avoir d'autre choix que de s'engager plus franchement dans des politiques de dévaluation interne, non plus seulement via la baisse de la fiscalité sur le travail, mais via la compression des salaires eux-mêmes ( …) c'est l'option qui sous-tend la loi El Khomri».

Face au caractère scandaleux de l'affaire, face à la blessure d'orgueil que ne peut manquer d'occasionner, chez n'importe quel peuple encore un peu conscient de lui-même, l'idée d'être «gouvernancé» depuis Bruxelles, Francfort ou Luxembourg au lieu d'être normalement gouverné par les dirigeants qu'il a élus, on pourrait s'attendre à ce que les «Européens de métier» fassent profil bas. Par décence. Par souci de ne pas attiser la colère. Parce que le fait de bénéficier de pouvoirs exorbitants dont ils ne doivent la titulature qu'à une série d'erreurs d'aiguillage de l'Histoire, devrait suffire à les contenter.

Mais non. Jouir en silence du confort sans risque qu'offre le séjour dans cet Olympe grisâtre depuis lequel ils nous surplombent n'est pas assez bien pour ces encravatés. Il faut encore qu'ils portent en bandoulière leur bonheur niais d'être là où ils sont, et qu'ils l'ouvrent à tout propos. Sans se rendre compte qu'à la fin, «les gens» commencent à comprendre. Et à s'agacer.

L'ouvrir très grand, c'est l'une des choses que Jean-Claude - «il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens» - Juncker fait le mieux. Aussi a-t-il trouvé judicieux, dans un récent entretien au journal Le Monde de formuler ces quelques regrets: «à voir les réactions que suscite la «loi travail», je n'ose pas m'imaginer quelle aurait été la réaction de la rue, à Paris ou à Marseille, si votre pays avait dû appliquer des réformes comme celles qui ont été imposées aux Grecs». Ah, ces Français rétifs! Comme il est dommage de ne pouvoir vitrifier leur économie avec cette même brutalité joyeuse dont on à usé contre l'économie grecque!

Ceci dit, rien n'est jamais perdu pour qui sait s'armer de patience. Durant l'été 2015, au cœur de la «crise grecque», le ministre hellène Yanis Varoufakis avait donné quelques clés pour comprendre la dureté des créanciers vis-à-vis de son pays. Selon lui, la véritable cible des «Européens» (et de l'Allemagne, plus encore que de l'Europe institutionnelle) était en fait l'Hexagone. «La Grèce est un laboratoire de l'austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d'être exporté. La crainte du Grexit vise à faire tomber les résistances françaises, ni plus ni moins», avait-il osé. Pour lui, les cibles terminales étaient l'État-providence et le droit du travail français.

Or pour Jean-Claude Juncker, il se trouve que «la réforme du droit du travail voulue et imposée par le gouvernement Valls est le minimum de ce qu'il faut faire». Le minimum seulement. Et, avec un peu de chance, de constance et d'audace, une simple étape vers ce rêve éveillé que constitue l'idéal grec!

Autre grand bavard: Pierre Moscovici. Lui assume mieux encore que Juncker, et ses insinuations n'en sont plus. Ce sont même des aveux: oui, l'Union européenne veut la loi El Khomri. Dans un entretien publié ici le 18 mai soit, précisément, le jour de la parution des recommandations adressées par la Commission à la France dans le cadre du «semestre européen», le commissaire aux Affaires économiques faisait connaître sa volonté. S'il minaudait tout d'abord en prétendant qu'il ne lui appartenait pas de «juger» la Loi travail, il rappelait toutefois qu'il lui appartenait bien de l'exiger: «Tout ce que je peux dire, c'est que la réforme est indispensable et qu'y renoncer serait une erreur lourde (…) les Français ont souvent le même réflexe quand une réforme se présente: celui de s'y opposer. Cela ne signifie pas que la réforme n'est pas nécessaire et qu'elle ne doit pas être menée (…) En outre, je pense que la volonté du peuple doit s'exprimer dans les élections, pas dans les sondages».

C'est vrai. En principe, sauf à vivre dans le chaos de la démocratie d'opinion, les scrutins font foi bien plus que les sondages. Mais en principe aussi, le pouvoir exécutif français se situe à l'Élysée et à Matignon (Paris, France), et non dans le bâtiment du Berlaymont (Bruxelles, Belgique). Sauf à vivre dans le chaos de la démocratie congédiée.

Évidemment, si les choses en sont là, et Moscovici le dit fort bien, c'est en raison «des traités que les gouvernements et les Parlements de l'Union européenne, à commencer par celui de la France, ont signés». C'est là l'argument dont les européistes se prévalent sans cesse, car il n'y a plus que ça en magasin. Au passage, ils se hâtent d'oublier que le dernier des traités, celui de Lisbonne, a tout de même nécessité pour être signé que l'on s'assoie en 2005 sur les résultats de deux référendums, le néerlandais et le français. Tout comme on s'est assis sur le résultat de la consultation grecque de juillet 2015. Autrement, c'était début du détricotage de la zone euro.

Au sujet du mouvement social actuellement en cours, Myriam El Khomri a eu ces mots très contestés: «il n'est pas question que l'économie de notre pays soit prise en otage». Ils sont pourtant incontestables: l'économie de notre pays est, depuis longtemps, en situation de captivité. Simplement, les rançonneurs ne sont pas forcément ceux que l'on croit.

 

 

Source : http://www.lefigaro.fr

 

 

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27 mai 2016 5 27 /05 /mai /2016 21:51

 

 

Capture_Richard Abauzit
Un décryptage de la loi El Khomri [ Vidéo ]

Décryptage de la loi El Khomri par Richard Abauzit, ancien inspecteur du travail

 

Décryptage de la loi El Khomri par Richard Abauzit, ancien inspecteur du travail, militant syndicaliste à Solidaires 34 et co-auteur avec Gérard Filoche de Comment résister aux lois Macron, El Khomri et Cie ? dans le cadre d’une conférence organisée le 11 mai 2016 par l’intersyndicale nîmoise ( CGT, CNT et Solidaires ) :

 

 

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25 mai 2016 3 25 /05 /mai /2016 14:01

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Du pétrole dans les crises économiques

24 mai par Robin Delobel , Mathieu Auzanneau

 
 

Photo by Val K. du collectif Bon Pied Bon Oeil

 

Le système économique dominant repose entièrement sur la croissance, elle-même largement dépendante du pétrole. En vue de comprendre plus amplement le rôle de cette énergie vitale pour nos économies, nous avons interrogé Matthieu Auzanneau, auteur de « Or noir, la grande histoire du pétrole » et rédacteur du blog « Oil man » sur le site du journal Le Monde.

Comment expliquer qu’en ce début d’année 2016, le prix du pétrole continue de baisser alors que ce prix très bas a provoqué de nombreuses faillites d’entreprises pétrolières aux États-Unis ? Ne doit-on pas s’attendre à une hausse ?

Mathieu Auzanneau : Avant de répondre à cette question précise, il faut remonter plus loin dans le temps. D’abord quand on a vu les cours du baril s’effondrer, lors de l’été 2014, les gens qui étaient focalisés sur les questions pétrolières se sont dit « c’est grave, c’est un phénomène qu’il faut attribuer essentiellement à ce qu’il se passe du côté de l’offre ». On a ce boom inattendu des pétroles de schiste aux États-Unis qui crée une surabondance. Mais avec le recul, on s’est aperçu qu’en réalité ce n’est pas le cours du baril qui s’effondrait mais les cours de toutes les matières premières, notamment tous les grands métaux et le charbon.

C’est clairement un phénomène qui se déroule du côté de la demande. Le facteur explicatif majeur est le ralentissement de la demande chinoise et par conséquent un ralentissement de la croissance mondiale. Car nous sommes aujourd’hui dans une situation dans laquelle la moitié de ce qui constitue la croissance mondiale vient de la Chine. Seconde raison, l’évolution de la progression de la production mondiale de pétrole : on est sur le même rythme de croissance depuis les années 80. La cause de l’effondrement du cours du baril n’est donc pas une surabondance totalement hors norme de la production, attribuée notamment aux pétroles de schistes. En réalité, la pente de la production est toujours croissante. On n’est pas encore au pic pétrolier. Je pense que l’on n’est pas très loin du sommet, mais le boom du pétrole de schiste n’a pas eu pour résultat une expansion hors norme de la production mondiale de pétrole. Il y a une raison très simple à cela, toujours si l’on regarde les choses avec une vue d’ensemble, pas seulement ces deux dernières années, on s’aperçoit que du point de vue du pétrole conventionnel, qui constitue entre 75 et 80 % de ce qu’on met dans nos réservoirs, (c’est-à-dire du pétrole liquide classique), la production a atteint son pic en 2005. Elle ne croît plus.

Depuis dix ans, cette production est sur un plateau. Elle ne s’est maintenue que grâce à l’envolée sans précédent du cours du baril qui a permis à l’industrie de faire un effort d’investissement énorme pour maintenir la production. Pour donner un exemple, les capitaux investis dans la production pétrolière (CAPEX) ne représentent pas forcément la recherche de nouveaux champs pétroliers. Cela consiste essentiellement à rajouter des pailles dans les verres qu’on a déjà commencé à boire : rajouter des puits, faire des puits plus puissants, pomper plus fort ... dans des zones qui sont généralement celles du pétrole conventionnel.

Le maintien de cette production de pétrole classique est déjà un exploit de la part de l’industrie mondiale, à peu près tout autour du globe. Cette industrie est dans une course sur un tapis roulant, le tapis roulant en sens inverse étant le déclin d’un très grand nombre de zones pétrolifères dites matures. La Mer du Nord est un cas d’école. C’est une zone pétrolifère qui a été exploitée tardivement, développée à la faveur des chocs pétroliers des années 70. C’est l’envolée des cours du baril qui a permis de rendre rentable le fait d’aller chercher du pétrole en mer du Nord, avec des installations qui à l’époque étaient aussi hors normes que celles du gaz de schiste aujourd’hui.
Cette production de la Mer du Nord est entrée en déclin irréversible en 2000, pour des raisons géologiques. Là il n’y a pas de problème de guerre, ni de problème d’accès aux capitaux.

Aujourd’hui, un grand nombre de pays pétroliers anciens, comme le Venezuela, l’Indonésie, le Mexique, le Congo Brazzaville, le Gabon, qui ont été très longtemps des producteurs majeurs, sont à présent sur le déclin. Il faut donc des investissements énormes pour compenser cette baisse. Si les investissements ralentissent, il est très clair que la production en Russie, en Iran, entrera aussi en déclin.


Et donc par rapport à la situation actuelle, les investissements sont en train de décliner...

MA : Oui, c’est la question du moment. Mais pour l’instant parlons encore de ce pétrole conventionnel. C’est très important d’analyser la substance du problème plutôt que ce symbole qu’est le pic. On a depuis 2005 un plafonnement de la production de pétrole conventionnel, qui n’a été possible qu’en triplant les investissements. L’industrie mondiale est passée de, grosso-modo, 200 milliards à quelque chose comme 600-700 milliards de dollars investis. Tout le monde n’a pas réussi à maintenir sa production. Total par exemple, qui a triplé ses investissements, a vu sa production décliner d’un quart.

Le boom du pétrole de schiste implique de forer cent fois plus de puits pour espérer maintenir une production élevée Maintenant parlons des pétroles non conventionnels. Tout ce qui a permis de continuer à augmenter la production mondiale, ce sont les pétroles non conventionnels, des pétroles de nature différente ou qui s’exploitent de manière différente et qui ont pour point commun d’être beaucoup plus coûteux à exploiter (pétroles de schistes, sables bitumineux, pétroles dits extrêmes par exemple au large du Brésil). C’est grâce à cette envolée des prix sans précédent depuis le milieu des années 2000 jusqu’à l’été 2014 que tous ces pétroles ont pu être mis en production très massivement.
On a une interrogation très importante : savoir ce qui va se passer maintenant que les cours du baril se sont effondrés alors que la croissance mondiale a beaucoup de mal à repartir depuis la crise de 2008. Si on était dans un monde aux ressources infinies, ce qui est postulé gentiment par la science économique depuis toujours, et avec une loi de l’offre et de la demande non bornée : une chute des cours du baril à cause de la surabondance de l’offre entraînerait une réduction de l’offre, qui permettrait de retrouver un nouvel équilibre entre l’offre et la demande et les cours du baril pourraient s’ajuster. Les industriels pourraient recommencer à investir et la production repartirait.

Ça, c’est la théorie classique qui postule sans le dire qu’on pioche dans des ressources infinies. Or, ce n’est pas le cas ! L’histoire du pétrole a à peu près 150 ans. On a foré quasiment partout sur Terre et du pétrole conventionnel, on n’en trouve plus. L’horizon ultime serait l’Arctique mais c’est trop cher et trop risqué. C’est le seul endroit où il n’y a pas eu d’exploration géologique complète. Le seul moyen de faire croître la production mondiale, voire ne serait-ce que la maintenir, serait d’aller vers des investissements toujours plus importants dans la production et donc un prix du baril toujours plus élevé. Dans le monde réel ce n’est pas possible. La question aujourd’hui est : l’humanité a-t-elle les moyens financiers de continuer la croissance de la production mondiale de pétrole ? Les éléments qu’on a sous les yeux ne vont pas du tout dans ce sens.

Le boom du pétrole de schiste aux États-Unis consiste à aller chercher le pétrole directement dans les roches mères. Cela suppose une nouveauté d’un point de vue industriel : forer cent fois plus de puits pour espérer maintenir une production élevée. Aujourd’hui, les experts pétroliers de l’administration Obama disent que, même avec toutes les conditions économiques favorables, d’un point de vue technique ce que l’on voit aux États-Unis actuellement ne pourra pas durer au-delà de la prochaine décennie. Cela signifie qu’au cours de la prochaine décennie on verra à nouveau la production pétrolière décliner, faute de réserves disponibles sur une planète aux ressources finies.

L’énorme question posée par la chute du cours du baril - alors qu’il y a beaucoup de gens qui pensent que c’est une nouvelle ère d’abondance pétrolière, bien qu’un certain nombre d’entre nous pense le contraire - est peut-être que cette chute est le signe que l’humanité n’a pas les richesses pour continuer cette course au baril ultime.

Un jour, un prospectiviste de BP m’a donné cette image à propos des pétroles de schistes : « on est exactement comme des rats de laboratoires qui auraient mangé toutes les céréales et qui se trouvent résolus à manger le paquet ».


Donc on se situe sur le plateau ondulent |1| annoncé par les experts de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil) il y a déjà plus de dix ans...

MA : En ce qui concerne les pétroles conventionnels, oui, depuis 2005, en dépit d’un triplement des investissements dans la production. La production mondiale est sur ce qu’on appelle un déclin naturel de la production existante, qui est estimé à 5 % par an. C’est monstrueux. Ça signifie que tous les ans l’industrie doit ajouter l’équivalent d’une Mer du Nord pour maintenir la production. Je ne parle même pas de la développer. Sur dix ans, il faut quatre Arabie Saoudite !

Si on arrête d’investir aujourd’hui, la production ne se maintient pas, mais chute de moitié. Quatre Arabie Saoudite, c’est environ la moitié de la production mondiale de conventionnel, soit environ 40 millions de barils par jour. Cela, sur une production de conventionnel qui est de l’ordre de 75 millions de barils de pétrole. Si on inclut toutes les autres formes de pétrole, le total est de 90 millions de barils par jour.

Jusque dans les années 90, même si on ne faisait rien la production se maintenait parce qu’il y avait des champs plus jeunes, pas encore à maturité. Ces zones à maturité fournissent aujourd’hui l’essentiel des réserves mondiales. Par exemple, l’Arabie Saoudite a augmenté considérablement son activité de forage, dans des champs déjà existants.

Les pays dont le pétrole est la première ressource économique sont de véritables bombes à retardement dont le mécanisme est d’ores et déjà enclenchéPar rapport à cette situation, quel est l’impact pour les pays du Sud fortement dépendants de leurs exportations pétrolières ?

MA : C’est terrible pour eux, il y a des chocs budgétaires radicalement violents pour des pays dont le pétrole est la première ressource économique et fiscale alors que sa valeur est divisée par trois. Au Venezuela, au Nigéria, en Algérie, en Russie, on a des monnaies qui se déprécient, des salaires de fonctionnaires qui ne sont pas payés, une inflation des denrées alimentaires et des prix des biens importés, qui sont en général des biens vitaux. Un certain nombre de bombes économiques et politiques à retardement sont amorcées. Je pense en particulier à l’Algérie où l’on sait très bien que la paix sociale est achetée à flux perdus par le régime, en particulier depuis l’envolée du cours du baril. Aujourd’hui, il y a une forte inquiétude sur la stabilité de ces sociétés.


Ce qui risque de créer une crise de la dette

MA : Oui, bien entendu. De toute façon, nous sommes « sortis » de la crise de 2008 en ajoutant plus de dettes. Un des facteurs qui permettait de se maintenir, pour un certain nombre de pays fragiles politiquement mais très dépendants du pétrole, était le niveau exceptionnellement élevé du cours du baril. Au Mexique, en Russie, en Algérie, au Venezuela, et dans un certain nombre d’autres pays, le danger est élevé. Je rappelle que la dernière fois que le baril s’est effondré autant c’est au milieu des années 80, avec le contre-choc pétrolier. Comme son nom l’indique, c’est le contrecoup des chocs pétroliers. Il y a eu une envolée sans précédent des cours du baril dans les années 70, qui a provoqué une crise économique et une crise de la dette. Le point d’origine de l’endettement massif, aussi bien des pays riches que des pays du tiers monde, ce sont les chocs de 73 et 79. La crise, sur laquelle ont débouché ces chocs pétroliers, a déprimé durablement les cours du baril. Il y a quand même beaucoup de parallèles avec la situation d’aujourd’hui, la croissance mondiale a été déprimée et les cours du baril se sont effondrés.

A ce moment-là, quelle a été la conséquence politique quasiment directe ? L’effondrement de l’URSS. Cela a même été une stratégie délibérée de l’administration Reagan : encourager l’Arabie Saoudite à ne pas fermer les vannes en 1985 pour mettre à genoux l’économie de l’URSS dont la seule et unique source de devises internationales était le pétrole. Gorbatchev l’a dit en personne, un des facteurs fondamentaux de la chute de l’URSS a été la chute des cours du baril pendant les années 80. Les Politiques dajustement structurel datent de la même période. Elles ont touché les pays qui s’étaient le plus largement endettés pendant les années 70, très souvent des pays pétroliers.

Le Mexique par exemple, qui est un grand pays pétrolier, s’était lancé dans des programmes sociaux ambitieux qui ont été complètement sapés par l’effondrement des cours du baril. D’un coup, ces programmes n’étaient plus finançables.

Il est très possible que le nouveau choc pétrolier que l’on est en train de vivre ait des conséquences beaucoup plus massives.

 


Question piège : combien de temps pensez-vous que le pétrole et la dette resteront les moteurs de l’économie capitaliste ?

MA : (Rires) Bonne question !
D’après mes recherches, j’ai tendance à croire que la capacité de notre économie à générer des revenus est directement tributaire de la quantité d’énergie peu chère que l’on peut mettre dans le carburateur de l’économie mondiale. Il y a un lien, sous-estimé jusqu’à présent, entre le niveau de croissance et la quantité d’énergie que vous mettez dans le moteur. On ne saurait trop s’attarder sur le fait que, à mon avis, le big bang de la dette a été provoqué par les chocs pétroliers. Les années 70 représentent le premier moment où l’énergie impose une contrainte au développement de la croissance.

La capacité de notre économie à générer des revenus est directement tributaire de la quantité d’énergie peu chère que l’on peut mettre dans le carburateur de l’économie mondiale


Pas uniquement... pas le seul élément explicatif

MA : Pour expliquer le fait qu’on ait eu plus recours à l’endettement, il y a deux éléments : la fin de l’étalon-or et la crise. D’où vient-elle si ce n’est de l’impact des chocs pétroliers ?


On avance aussi comme explication la hausse des taux d’intérêt de la FED...

MA : Effectivement, mais cette hausse des taux d’intérêt est liée au risque inflationniste. Le Plan Volcker consistait à tuer l’inflation car elle tue les revenus des banques. L’inflation est fondamentalement liée à l’envolée des cours du baril.


Ce rôle fondamental du pétrole dans l’éclatement des crises n’est pas forcément partagé par tous

MA : J’ai consacré beaucoup de temps et de place dans mon livre sur le sujet, en particulier par rapport aux chocs de 73 et 79. Mais le lien entre cours du baril et taux d’intérêts existe aussi au moment de la crise de 2008. Qu’est-ce qui fait éclater la bulle des subprimes ? C’est l’écrasement du spread |2|, l’écart entre le taux d’intérêt directeur de la FED et les taux d’intérêts hypothécaires.

Ce spread a été comprimé entre 2003 et 2006 pour une raison très simple : le comité de direction de la FED s’inquiétait de l’inflation. La raison première de cette inquiétude, était déjà l’augmentation des cours du baril, ce qui impacte des myriades de produits et d’activités. C’est la mère de toutes les matières premières. La FED a remonté ses taux d’intérêt entre 2003 et 2006. Au moment de la crise des subprimes, le spread est totalement écrasé entre les taux d’intérêts courts et les taux hypothécaires. Il y a un phénomène identique en 73, un éclatement de la bulle hypothécaire avec la même chaîne : envolée du cours du baril, hausse des taux d’intérêts, problèmes de solvabilité pour les gens endettés, éclatement de la bulle.


Justement, ne risque-t-on pas d’avoir une situation similaire, voire pire, avec les nombreuses faillites des compagnies pétrolières qui ont beaucoup emprunté auprès des banques ?

MA : C’est une possibilité très grave. Aux États-Unis, l’effondrement du cours du Dow Jones a tiré les cours vers le bas notamment à cause des hydrocarbures. Or on pense qu’avant la chute des cours, un tiers des CAPEX3 étaient des capitaux investis dans le pétrole et le gaz.


Enfin, vous travaillez au Shift Project, pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre travail ?

MA : Nous sommes un groupe de réflexion et de lobbying sur tout ce qui nous parait pertinent dans le domaine de la transition énergétique. Dans l’objectif de sortir le plus vite possible des énergies fossiles, nous faisons des propositions tant vers les politiques que vers les industriels.


Quels types de propositions ?

MA : Notre analyse prend en compte le rôle de l’énergie dans l’économie. La croissance verte par exemple est exclue de notre réflexion. On ne résonne pas avec ces solutions techniques et trop coûteuses. Nous sommes plutôt sceptiques sur la prétendue révolution énergétique en Allemagne. Nous ne proposons pas de solutions clés en main, mais on essaie d’éclairer sur des questions d’arbitrages avant tout.


Cet article est extrait du magazine du CADTM : Les Autres Voix de la Planète

 

Notes

|1| Succession de phases d’expansion et de régression de la production mondiale, avant le déclin terminal

|2| Différentiel des taux d’intérêt

 

 

Auteur

Robin Delobel

Permanent au CADTM Belgique

Auteur.e
 
 

Mathieu Auzanneau

Auteur de Or noir, la grande histoire du pétrole et rédacteur du blog « Oil man » sur le site du journal Le Monde.

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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25 mai 2016 3 25 /05 /mai /2016 13:49

 

Source : http://www.marianne.net

 

Exemptions d'impôt, millions du CICE… Total, la pompe à fisc

Alors que Total a été exempté durant plusieurs années de l'impôt sur les sociétés, le groupe pétrolier perçoit aussi des dizaines de millions d'euros grâce aux crédits d'impôts de Bercy. Et menace malgré tout de réviser ses investissements prévus dans le pays, n'acceptant pas que des grévistes anti-loi Travail bloquent ses sites…
 
Le PDG de Total Patrick Pouyanné a menacé ce mardi 24 mai de réviser les projets d'investissements du groupe en France. - Sipa
 

"C'est quelque part une forme de rupture du pacte qui lie à la fois nos employés et notre entreprise", a argué ce mardi 24 mai Patrick Pouyanné. Le PDG de Total justifiait ainsi qu'à la suite des barrages montés par les grévistes anti-loi Travail aux abords de ses raffineries, le groupe allait "réviser sérieusement" les projets d'investissements dans ces sites. Un chantage à l'investissement qui passe d'autant plus mal quand on se souvient que le groupe a été exempté en France d'impôt sur les sociétés de 2012 à 2015, alors qu'il enregistrait des bénéfices record dans le monde. Et qu'il perçoit en plus, depuis 2013, des dizaines de millions d'euros du fisc grâce au CICE.

 

 

L'exemption d'impôt sur les sociétés dont a bénéficié Total est due aux pertes subies ces années-là par le groupe sur le territoire français. Parfaitement légale, mais qui a pu choquer au regard des bénéfices pharamineux que le groupe réalisait en même temps dans le monde : 8,4 milliards d'euros en 2013, 4,2 milliards en 2014, 5,1 milliards en 2015…

La manne des crédits d'impôt

48 millions de CICE et 60 millions de CIRMais les largesses de la France avec l'un de ses groupes phares ne s'arrêtent pas là. Depuis 2013, l'entreprise perçoit aussi des dizaines de millions d'euros aux titres du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), mis en place par François Hollande, ainsi que du Crédit d'impôt recherche (CIR). Selon une enquête menée en 2015 par , Total a eu droit à 48 millions d'euros en 2013 et 2014 rien que pour le CICE. Auxquels il faut ajouter près de 60 millions d'euros pour le CIR, selon . Soit, un total de plus de 100 millions d'euros.

Ces dispositifs, Total en bénéficie sous la forme d'une créance de crédits d'impôt sur les sociétés. En clair, une partie des millions servent à payer cet impôt si l'entreprise redevient bénéficiaire dans les quatre ans. Au terme de cette période, Total se verra reverser le reste. Un beau jackpot en perspective, donc. Si Patrick Pouyanné conçoit "une forme de rupture du pacte qui lie à la fois (ses) employés et (son) entreprise", le pacte entre Total et le contribuable semble, lui, bien consommé.

 

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Source : http://www.marianne.net

 

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