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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 18:43

Après avoir été malmené sous Nicolas Sarkozy, le Smic, qui figure parmi les principaux acquis sociaux des salariés les plus modestes, pourrait bien connaître de nouvelles vicissitudes sous la gauche, sinon même être purement et simplement démantelé. C’est en tout cas ce que suggèrent les dernières recommandations du groupe d’experts chargé d’éclairer le gouvernement avant toute mesure de revalorisation. A l’approche du 1er janvier 2013, date légale de la prochaine revalorisation, ce groupe d’experts avance en effet des suggestions sulfureuses. Pour le court terme, il recommande de revoir fortement à la baisse les modalités d’indexation du Smic et pour le long terme de le démanteler purement et simplement en avançant vers un Smic jeune ou des Smic régionaux. Autant de pistes qui dans le passé ont conduit à des flambées de colère sociale dans le pays.

Au terme de la loi, un groupe d’experts, qui est actuellement présidé par Paul Champsaur (président de l’Autorité de la statistique publique) et qui comprend Martine Durand (directrice des statistiques de l’OCDE), Gilbert Cette (économiste à la Banque de France), Francis Kramarz (professeur à l’Ecole Polytechnique) et Etienne Wasmer (professeur à Sciences-Po), est effectivement chargé de faire des recommandations au gouvernement. En prévision de la prochaine revalorisation qui doit intervenir le 1er janvier 2013, ce groupe vient donc de mettre la dernière main à son rapport, qui est daté du 26 novembre.

Et c’est ce rapport qui contient ces recommandations explosives.

Le voici :

 

Pour comprendre les préconisations de ces experts, il faut avoir à l’esprit que depuis de longues années, le salaire minimum bénéficie de deux types de revalorisation. D’abord, il y a l’indexation légale : le Smic est chaque année (au 1er juillet autrefois, au 1er janvier depuis peu) revalorisé du montant de l’inflation majoré de la moitié des gains du pouvoir d’achat ouvrier. Mais la loi donne la faculté au gouvernement d’aller au-delà et de donner ce que l’on a coutume d’appeler un « coup de pouce » (voir ici la définition de l'Insee).

Or, le gouvernement veut modifier ces règles, comme l’explique le rapport de ces experts : « Le gouvernement a indiqué lors de la "Grande conférence sociale" de juillet 2012 son intention de faire évoluer les règles du SMIC, notamment s’agissant des critères de revalorisation automatique. L’hypothèse d’une indexation, le cas échéant partielle, sur le taux de croissance de l’économie a été évoquée ».

C’est donc la raison pour laquelle les experts, cette fois, ne se bornent à faire leur traditionnelle recommandation de modération salariale, mais font des propositions beaucoup plus radicales.

D’abord, ils écartent la piste un moment évoquée par François Hollande d’une indexation sur la croissance. Et l’argument qu’ils évoquent pour exclure cette solution retient l’attention. Ils ne font en effet pas valoir qu’une telle indexation serait très défavorable aux salariés, puisque cela équivaudrait à une stagnation du Smic en période de croissance zéro et donc à une baisse de son pouvoir d’achat au prorata de l’inflation. Non ! Si les experts écartent cette hypothèse, c’est seulement pour une raison technique : « Il n’est pas souhaitable de baser la revalorisation automatique du SMIC sur de nouveaux indicateurs qui seraient issus de la comptabilité nationale, notamment ceux faisant référence à la croissance du PIB. Les révisions à la hausse ou à la baisse de ces indicateurs soulèveraient en effet de grandes difficultés au moment de leur prise en compte dans la fixation du SMIC. Or ces révisions peuvent à la fois intervenir tardivement et être de grande ampleur. Les chiffres du PIB sont en effet susceptibles d’être révisés pendant trois années après la période de référence et ensuite périodiquement à l’occasion des changements de base des comptes nationaux. Des révisions de l’ordre de 1 point sur le taux de croissance annuelle du PIB ont été observées », font-ils valoir.

Vers un smic jeune ou un smic régionalisé

Car sur le fond, le groupe d’experts est bien d’accord avec cette même philosophie : il faut fortement revoir à la baisse les modalités d’indexation du Smic. Dans des formules jargonnantes particulièrement hermétiques, il évoque ainsi cette première piste : « Les risques d’une dynamique spontanée non contrôlée du SMIC en cas d’inflation particulièrement volatile pourraient inviter à prévoir une fongibilité au moins partielle des termes de la revalorisation que sont l’indice des prix à la consommation de l’Insee et le demi pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier mesuré par l’enquête du ministère du travail. Cela reviendrait, en cas de baisse des prix par exemple, à imputer une partie des gains de pouvoir d’achat du salaire horaire brut ouvrier liés à cette baisse des prix sur ceux qui résultent du principe de non indexation du SMIC sur les prix en baisse. » Traduction en version décodée : il serait judicieux que l’indexation automatique cesse d’être… automatique quand elle est avantageuse pour les salariés.

Une deuxième piste est évoquée, visant à prendre dans le système d’indexation non plus le salaire ouvrier pour référence, mais un agrégat salarial qui évolue de manière moins dynamique.

La troisième piste est du même acabit : le groupe recommande de prendre pour référence non plus l’indicateur d’inflation habituel mais un indicateur qui évolue là encore de manière moins dynamique. Et dans une formule alambiquée, les experts recommandent les « coups de pouce » les plus faibles possibles. Et sans rire, ils osent écrire que ce serait plus conforme « à l’intérêt conjoint des salariés et des entreprises qui les emploient ».

Mais nos rapporteurs n’en restent pas là. Il suggèrent aussi, « à plus long terme », que des réformes plus radicales soient envisagées. Et c’est là que le groupe fait des préconisations qui risquent de déclencher un tollé.

Les experts s’étonnent d’abord de « l’homogénéité géographique du Smic, alors que les niveaux de prix différent fortement entre régions ». Cette piste de la régionalisation du Smic est une bombe. Voilà en effet plus de trente ans que le patronat plaide en ce sens, mais aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’a jamais osé franchir le rubicon, qui constituerait un véritable chiffon rouge pour tous les syndicats.

Les mêmes s’étonnent ensuite de « l’homogénéité du Smic selon l’âge, alors que l’insertion sur le marché du travail des moins de 25 ans est difficile ». En clair, les experts recommandent donc une différenciation du Smic selon l’âge. Cette proposition est tout aussi sulfureuse que la précédente, car cela pourrait conduire à l’instauration d’un « Smic jeune ». C’est cette piste, en 1994, sous le gouvernement d’Edouard Balladur, qui avait fait descendre dans la rue des centaines de milliers de lycéens et d’étudiants, contraignant le premier ministre de l’époque à reculer après plusieurs semaines de tempête sociale.

Les experts invitent même le gouvernement à  se demander s’il ne faut pas démanteler totalement le Smic ou le supprimer purement et simplement. C’est suggéré de manière pas même discrète. Les experts pressent en effet le gouvernement à réfléchir au « principe même d’une revalorisation automatique ou au moins d’une revalorisation automatique dépassant le simple maintien du pouvoir d’achat du salaire minimum » ; et à réfléchir aussi au « fait que le Smic n’est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les bas revenus ». Fort de ce parti pris qui n’est évidemment pas établi, les rapporteurs suggèrent donc qu’on ferait aussi bien de se passer une bonne fois pour toute du Smic, et ne de garder qu’un seul instrument de lutte contre la pauvreté, celui du Revenu de solidarité active (RSA).

Cette position réjoint les thématiques des courants les plus libéraux selon lesquels l'Etat doit légiférer le moins possible en matière de droit du travail et seulement faire office de voiture-balai en corrigeant les pires excès de la pauvreté.

Lisant ces lignes, on pourrait certes penser que ces préconisations explosives n’engagent en rien le gouvernement. Or, si! Tout est là : d’abord parce que c’est le gouvernement qui a pris la décision de lancer une réforme des modalités d’indexation. Et puis, surtout, cette proposition de réforme est l’aboutissement d’une histoire longue qui a vu travailler main dans la main des économistes proches des socialistes et des experts de droite ou proches des milieux patronaux. C’est même l’ultime rebondissement d’une histoire longue dans laquelle François Hollande a joué un rôle de premier plan.

 

Denis Olivennes et Alain Minc en éclaireur

C’est dans le courant des années 1990 qu’une ribambelle d’experts commencent à partir à l’assaut du Smic. Pour le compte de l’ex-Fondation Saint-Simon, Denis Olivennes, qui est à l’époque haut fonctionnaire et qui depuis est devenu le patron du pôle médias du groupe Lagardère,  écrit ainsi en février 1994 une note qui fait grand bruit. Intitulée «La préférence française pour le chômage», et publiée peu après par la revue Le débat (1994, n°82), elle défend la thèse très libérale selon laquelle des salaires trop élevés en France ont contribué à pousser le chômage à la hausse. La démonstration est en vérité très contestable, car depuis le tournant de la «rigueur» des années 1982-1983, c'est à l'inverse la «désindexation compétitive» (en clair la rigueur salariale) qui est l'alpha et l'oméga des politiques économiques conduites par la droite et par la gauche.

 

 

Il n'empêche. Au sein de la deuxième gauche, la note fait sensation. Mais tout autant à droite, notamment dans les rangs des partisans d'Edouard Balladur. A l'époque, ce dernier prépare sa rupture avec Jacques Chirac, et veut commencer à dessiner ce que pourrait être son programme de candidat à l'élection présidentielle. Pour cela, il a donc l'idée d'utiliser un ami... Alain Minc : il le nomme à la présidence d'une commission qui, sous l'égide du Commissariat général du Plan, est chargée d'élaborer un rapport sur « La France de l'an 2000».

Pour Alain Minc, qui devient à quelques mois de l'élection présidentielle  de 1995 président du conseil de surveillance du Monde, l'offre ne peut mieux tomber. A la tête du plus prestigieux des quotidiens français qu'il va pouvoir instrumentaliser à sa guise; en position, au travers d'AM Conseil, de conseiller une bonne partie des patrons du CAC 40 ; et maintenant à la tête de la commission chargée d'élaborer le programme de celui des hommes politiques qui est donné favori à l'élection présidentielle : c'est pour lui la consécration. A la tête de cette commission du Plan, il se jette dans la campagne présidentielle.

 Et de qui s'inspire-t-il pour conduire les travaux de sa commission? On l'aura deviné : de Denis Olivennes! Faisant sienne la thèse de la note de la Fondation, le rapport de Minc recommande une politique de rigueur accentuée : « La société française a fait, consciemment ou non, le choix du chômage [...] La Commission pense que le coût salarial par tête [...]doit augmenter moins vite que la productivité [...] » Et d'ajouter, au sujet du Smic : « La Commission a fait le choix d'une solution "raisonnable" : au minimum, remettre en cause le principe des coups de pouce [...] ; et au maximum, revenir à la simple indexation sur les prix » [au lieu du dispositif légal qui prévoit une indexation chaque 1er juillet sur les prix, majorée de la moitié de la hausse du pouvoir d'achat du salaire ouvrier]. C'est donc bel et bien l'austérité salariale que recommande Alain Minc.

Dès cette époque, Alain Minc, très proche d'Edouard Balladur et de son bras droit Nicolas Sarkozy, travaille donc main dans la main avec Denis Olivennes. L’un et l’autre font partie des cibles de Jacques Chirac, quand il part en guerre contre la « pensée unique » (Lire Alain Minc et Denis Olivennes célèbrent la « pensée unique »).

Puis, dans le courant des années 2000, c’est un économiste moins connu, Gilbert Cette, dont le port d’attache est la Banque de France et qui fait partie de l’actuel groupe d’experts à l’origine de ce sulfureux rapport, qui prend le relais, multipliant les rapports en faveur d’un démantèlement du Smic. Longtemps proche de Martine Aubry et aujourd’hui président de l’Association française de science économique, il s’illustre en applaudissant bruyamment la politique d’austérité salariale conduite lors du précédent quinquennat. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est violente.

 

Gilbert Cette, l'économiste de droite et de gauche

Pour la première fois depuis la création du Smic, en janvier 1970 (Smic qui est le prolongement du Smig, créé lui en 1950) , Nicolas Sarkozy fait, en effet, le choix de ne procéder à aucun « coup de pouce » en faveur du salaire minimum. Multipliant les cadeaux fiscaux à ses richissimes amis du Fouquet’s, il se montre d’une rigueur extrême à l’encontre des salariés les plus modestes. Et durant toutes ces années, l’économiste Gilbert Cette appuie non seulement cette politique socialement inéquitable mais de surcroît, il plaide déjà pour que le salaire minimum soit remis en cause. Avec deux autres économistes, membres comme lui à l’époque du Conseil d’analyse économique, il  co-signe ainsi en mars 2008 un rapport, révélé peu après par Mediapart (Lire Un rapport officiel veut casser le Smic), proposant de remettre en cause le salaire minimum.

Et le plus stupéfiant de l’histoire, c’est que Gilbert Cette reste un économiste parfaitement fréquentable pour la direction socialiste. Dans un premier temps, on peut certes penser qu’il a perdu un peu de son autorité académique. Car, au printemps 2011, quand le projet socialiste est élaboré (on peut le consulter ici), c’est une orientation radicalement opposée qui prévaut. A la page 14 de ce document, l’engagement est en effet clairement consigné : « Le Smic constitue un levier à court terme pour améliorer les conditions de vie des plus modestes et stimuler la consommation. La revalorisation de son pouvoir d’achat sera engagée après des années d’abandon par la droite. »

Mais, durant l’été 2011, alors que se préparent les primaires socialistes, François Hollande et ses proches débattent du sujet et ne manifestent guère d’enthousiasme pour cette revalorisation du Smic. Et cela transparaît publiquement quand François Hollande organise le 24 août 2011, à la Maison de l’Amérique latine, une première réunion avec des économistes qui lui sont proches (Lire L’énigme François Hollande).

L’un des économistes présents, en effet, n’est autre que… Gilbert Cette, que l’on voit apparaître dans la vidéo ci-dessous, résumant les travaux de cette journée, aux côtés de Karine Berger ou encore de Jérôme Cahuzac.

 

 

Ce 24 août 2011, Gilbert Cette repart donc à la charge contre le Smic. Et le plus étonnant, c’est que ce qu’il dit est retenu comme parole d’évangile. On en trouve trace dans le compte-rendu officiel (il est ici) de la troisième table ronde qui a lieu ce jour-là, dénommée – ce n’est guère enthousiasmant ni mobilisateur – : « Concilier pouvoir d’achat, compétitivité, et consolidation des finances publiques ».

Cela commence par l’énoncé suivant: « Cette troisième table ronde a permis de définir des pistes de conciliation entre, d’une part, la sauvegarde du pouvoir d’achat et, d’autre part, deux forces contraires : un regain de compétitivité qui plaide pour une modération salariale et un contexte de sobriété budgétaire susceptible de toucher les dépenses dont bénéficient les foyers modestes. »

Autrement dit, la table ronde fait siens tous les poncifs réactionnaires de la politique libérale, qui a été le socle des politiques économiques suivies par la droite comme par la gauche depuis le virage de 1982/1983 : une politique salariale trop généreuse fait le lit du chômage et nuit à la compétitivité. Cela a été en particulier le credo de Pierre Bérégovoy comme celui d’Édouard Balladur. Il faut donc conduire une politique de l’offre plutôt qu’une politique de la demande. Tout est dit dans cette formule : il faut privilégier « un regain de compétitivité » et cela « plaide pour une modération salariale ».

Et le compte-rendu officiel poursuit : « S’agissant des classes populaires, les participants font le constat d’un tassement de l’échelle des salaires lié à une progression du Smic plus rapide que celle du salaire médian. Les intervenants se sont accordés pour dire qu’un Smic élevé n’est pas le meilleur outil de soutien aux plus modestes, les dispositifs de solidarité de type RSA ou PPE étant mieux adaptés car sans incidence directe sur le coût du travail. Ces outils pourront être évalués et ajustés, mais les moyens qui leur sont alloués devront être ménagés afin que la phase de désendettement ne génère pas de nouvelles inégalités. » Plus brutalement dit, si « un Smic élevé n’est pas le meilleur outil », on peut en déduire qu’il ne faudrait donc pas donner de « coup de pouce » au Smic.

 

Les ravages de la "pensée unique"

En quelque sorte, les économistes proches de François Hollande donnent donc raison, sans le dire ouvertement, à Nicolas Sarkozy de ne pas avoir donné de « coup de pouce » au Smic et prennent donc leur distance avec le projet du PS.

Quand François Hollande publie, en janvier 2012, son programme présidentiel, il n’est donc pas fait mention d’un « coup de pouce » au Smic : le candidat socialiste viole ouvertement le projet de son propre parti et fait quasiment l’impasse sur la question du pouvoir d’achat. Tout juste préconise-t-il quelques mesures : « « 1. Une nouvelle tarification progressive de l'eau, du gaz et de l'électricité ; 2. Baisse des frais bancaires et valorisation de l’épargne populaire ; 3. Lutte contre la spéculation sur les prix de l'essence ; 4. Fiscalité : protéger le pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires ; 5. Augmentation de 25 % de l'allocation de rentrée scolaire ; 6. Encadrement des loyers ; 7. Baisse du prix des médicaments ». Mais du Smic, il n’est pas question (Lire Pouvoir d’achat : le débat escamoté)

Dans les semaines qui suivent, François Hollande devine-t-il pourtant que l’élection présidentielle est très serrée et qu’il aurait tout de même intérêt à prendre en engagement, aussi modeste soit-il, sur le Smic, face notamment à Jean-Luc Mélenchon qui prône un « Smic à 1.700 euros brut par mois pour 35 heures, conformément aux revendications syndicales, et 1.700 euros net pendant la législature? C’est donc ce qu’il fait : du bout des lèvres, durant la campagne, il consent finalement à dire qu’il est favorable à un « coup de pouce », même si ce n’est pas consigné dans son programme.

Quelques jours après sa victoire à l’élection présidentielle, à l’occasion de son premier entretien télévisé, il n’a donc d’autres solutions que de dire, sur France 2, qu’il tiendra parole et que le Smic sera revalorisé au 1er juillet suivant. Mais déjà, on ressent percer dans le propos présidentiel une infinie précaution.


 link

 


 

Et dans les jours qui suivent, on comprend vite que François Hollande est totalement en arrière de la main : le gouvernement annonce en effet que le 1er juillet 2012, le salaire minimum ne sera revalorisé que de 2 %, soit, hors inflation, un « coup de pouce » de seulement 0,6 %. A la différence de tous les gouvernements qui se sont donc constitués au lendemain d’une alternance et qui se sont souvent montrés très généreux, y compris les gouvernements de droite (+4% en 1995, lors de la constitution du gouvernement Juppé, par exemple), celui de Jean-Marc Ayrault caresse le « peuple de gauche » totalement à rebrousse-poil et ne consent qu’à une minuscule aumône. Le « coup de pouce » accordé par François Hollande correspond en effet à une revalorisation du Smic de 6,45 euros par mois, ou si l’on préfère d’environ… 20 centimes par jour ! Une misère…

Et dans la foulée, le gouvernement fait clairement comprendre que le temps de ces maigres générosités est définitivement révolu et que le groupe des experts en charge des recommandations sur le Smic – nous y voilà- va se mettre au travail d’ici la fin de l’année afin de proposer une réforme de l’indexation du Smic.

Sans même attendre que le groupe d’experts dont il fait partie réponde à la sollicitation du gouvernement, le même Gilbert Cette décide donc de partir en éclaireur et de rédiger un premier rapport de son cru, avec l’aide d’un autre économiste, Etienne Wasmer, sous l’égide de Sciences-Po. Cet économiste Etienne Wasmer est comme Gilbert Cette membre du groupe des experts chargés de faire des recommandations sur le Smic.

Publié dans le courant du mois de novembre, ce rapport est un véritable brulot. Le voici :

 

Si on lit ce rapport, on comprend vite que c’est lui qui est à l’origine de toutes les recommandations qui proposent de démanteler le Smic. Le rapport du groupe des experts a d’ailleurs la franchise de l’admettre : il n’a fait quasiment que recopier les propositions de régionalisation du SMIC jeunes ou de régionalisations du Smic, proposées dans un premier temps par Gilbert Cette et Etienne Wasmer, dans leur rapport rédigé sous l’égide de Sciences-Po. Le gouvernement peut donc difficilement dire que ce rapport ne l’engage pas. Car c’est un économiste proche de François Hollande qui en est le principal inspirateur.

Cette piste de réforme n’est, certes, pas la seule qui soit aujourd’hui à l’étude. Dans le même temps, une sous-commission de la Commission Nationale de la négociation Collective (CNNC) planche aussi sur les modalités d'indexation. Et elle a visiblement une conception du débat démocratique et du pluralisme qui n’a rien à voir avec la « pensée unique » en vigueur au sein du groupe officiel d’experts. A preuve, des économistes opposés au démantèlement du Smic ont aussi pu y exposer leur point de vue, tel l’économiste de l’Institut de recherche économique et social (Ires), Michel Husson qui, s’exprimant au nom de la CGT, a vivement défendu le Smic et ses effets sociaux vertueux. On trouvera ci-dessous le point de vue qu’il a défendu lors de son audition.

L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a, de son côté, publié récemment une étude allant dans le même sens, contestant que des hausses du salaire minimum aient des effets pernicieux (Lire Smic: l'OFCE met en cause la doxa officielle).

Il n’empêche ! Après le cadeau de 20 milliards d’euros offert sans contrepartie aux entreprises sous formes de crédit d’impôt ; après l’oubli par le chef de l’Etat de sa promesse faite aux sidérurgistes de Florange, c’est un séisme social majeur que le gouvernement pourrait enclencher en dégoupillant la bombe que Gilbert Cette a préparé sur le Smic. Car il s’agit ni plus ni  moins que de mettre en œuvre une réforme dont rêve le patronat depuis plus de trois décennies et qu’aucun gouvernement de droite n’a osé mettre en œuvre. Ce qui risque de susciter l'indignation du mouvement syndical et des associations et syndicats de lycéens et d'étudiants.


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9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 19:37

De notre envoyé spécial à Bruxelles

La saga de l'automne, à Bruxelles, ferait passer l'implosion de l'UMP pour une inoffensive série pour enfants : les méandres du « Dalligate », depuis la mi-octobre, sont en train d'alimenter bon nombre de fantasmes sur la bulle bruxelloise. L'affaire relance en particulier le débat sur la véritable influence de l'industrie du tabac au sein des institutions européennes. Elle jette un éclairage cru sur l'opacité de certaines prises de décision dans la capitale belge.

Le premier acte remonte au 16 octobre : José Manuel Barroso, le patron de la commission européenne, pousse à la démission l'un de ses commissaires, John Dalli. En charge du portefeuille de la santé, originaire de Malte, quasiment inconnu du grand public, Dalli se trouve pris, à 64 ans, dans une affaire de corruption a priori banale.


John Dalli lors d'une conférence de presse à Bruxelles en 2011. ©Commission 
John Dalli lors d'une conférence de presse à Bruxelles en 2011. ©Commission


Un homme d'affaires maltais (un certain Silvio Zammit, ancien collaborateur de Dalli au sein de son parti, selon la presse locale) est entré en contact avec Swedish Match, un fabricant suédois de « snus », du tabac à mâcher. Il aurait alors fait valoir ses relations avec le commissaire, et proposé à ce groupe, moyennant 60 millions d'euros, d'approcher Dalli pour le convaincre de lever l'interdiction qui pèse, dans l'ensemble de l'Union, sur le « snus ».

En vigueur depuis 1992, l'interdiction de cette pâte à tabac, qui se coince entre la lèvre et la joue, concerne tous les États membres de l'UE, à l'exception d'un seul : la Suède. Ce pays, très accro au « snus » (comme la Norvège voisine), avait fait de cette dérogation l'une de ses conditions à l'entrée dans l'Union, en 1995. La levée de cette interdiction à l'échelle de l'UE est une vieille revendication de certains fabricants de tabac, en vain jusqu'à présent.

Barroso explique avoir pris sa décision à la lecture, le 15 octobre, d'un rapport de l'Olaf – l'Office européen de lutte anti-fraude –, rédigé après une plainte déposée au printemps dernier par Swedish Match. « Il n'existe aucune preuve d'une participation directe du commissaire John Dalli, comme instigateur ou cerveau de l'opération », a précisé Giovanni Kessler, le patron de l'Olaf lors d'une conférence de presse. Avant d'ajouter qu'il dispose de « preuves circonstancielles sans ambiguïté (...) qui établissent que (Dalli) était au courant » de la manœuvre de son ex-collaborateur.

Un manque de transparence « inacceptable »

De son côté, l'intéressé nie en bloc, et veut porter l'affaire en justice. « Je réfute fermement avoir été au courant d'éventuelles négociations ou communications entre l'homme d'affaires maltais et les producteurs de “snus », écrit John Dalli dans une lettre envoyée aux eurodéputés, le 22 octobre. Au parlement européen, le limogeage expéditif du commissaire maltais a provoqué un malaise, qui n'a cessé d'enfler depuis.

« Nous voulons, en tant que parlementaires, avoir accès au rapport de l'Olaf », avance Michael Theurer, un eurodéputé allemand (FDP, libéraux), qui suit le dossier de près. Il a assisté en particulier à la réunion, à huis clos, de Barroso avec Martin Schulz, le président du parlement, et les présidents des groupes, sur ce dossier, en novembre dernier. « Mais M. Barroso nous a répété ce qu'il avait déjà dit ailleurs : pour lui, M. Dalli a fait preuve d'imprudence. Il devait démissionner. Mais il refuse toujours de nous communiquer le rapport sur lequel il se base. C'est inacceptable. »

« Il faut que José Manuel Barroso vienne s'expliquer devant les parlementaires. Après tout, c'est nous qui avons validé la nomination de John Dalli (lors d'un vote du parlement en 2009, ndlr), renchérit Michèle Rivasi, une eurodéputée française, du groupe des Verts. La manière dont on l'a limogé me choque. Barroso n'a pour l'instant pas donné une seule justification qui me satisfasse. »
 

 

« Nous avons aujourd'hui plus de questions que de réponses. Et je l'ai dit à Barroso : si vous voulez mettre un terme aux théories du complot qui circulent, il faut rétablir la transparence, et publier ce rapport. Parce que toutes ces spéculations desservent l'Union européenne tout entière », met en garde M. Theurer.

De quelles spéculations parle cet élu ? Au moment où il se fait écarter, John Dalli est sur le point de présenter un texte très attendu, qui devait être le moment fort de son mandat : la révision de la directive sur les produits du tabac, qui date de 2001, et que des armées de lobbyistes, à Bruxelles, scrutent depuis des années. Ancien fumeur repenti, Dalli s'apprêtait en effet à défendre un texte particulièrement musclé. Plusieurs des mesures en préparation sont vivement combattues par l'industrie du tabac.

 

Cambriolages et vols d'ordinateurs

La nouvelle mouture de la directive devrait standardiser l'allure des paquets de cigarette, pour les rendre moins attractifs, généraliser l'emploi de photos spectaculaires de victimes (qui ne sont aujourd'hui qu'« optionnelles » pour les États membres), ou encore interdire les présentoirs trop visibles dans certains lieux de vente. Autant de coups durs pour les cigarettiers. Le départ de Dalli est un « événement malvenu », avait immédiatement réagi Florence Bertelli Kemp, directrice de Smoke Free Partnership (SFP), une ONG en guerre contre l'industrie du tabac.

 

Dans ce contexte, l'alliance commerciale qui lie Swedish Match, le fabricant de « snus » à l'origine de la plainte auprès de l'Olaf, à Philip Morris International, l'un des géants du tabac, est devenue encombrante. De là à imaginer que Swedish Match a tendu un piège à Dalli, pour le faire tomber, et retarder un peu plus l'élaboration de ce texte, qui malmène les intérêts de son associé Philip Morris...

Autre élément troublant : la semaine suivant le départ de Dalli, les bureaux bruxellois de plusieurs ONG anti-tabac, dont ceux de SFP, ont été cambriolés, et quatre ordinateurs volés. « Il existe de lourdes interrogations sur l'existence d'un complot », a réagi, fin octobre, Hannes Swoboda, le patron des socialistes et démocrates (S&D) au parlement, exhortant à davantage de transparence.

Du côté de la commission, on s'applique toutefois à relativiser l'impact de l'affaire. « En aucun cas le départ de John Dalli n'a freiné l'avancée des travaux, et les services ont continué à travailler sur la proposition de directive, que nous espérons présenter d'ici la fin de l'année », assure Frédéric Vincent, porte-parole du nouveau commissaire à la santé. Pour preuve, le texte, qui aurait été retouché « à la marge » depuis le départ de Dalli, vient d'entrer la semaine dernière en consultation « inter-services », la dernière étape avant sa présentation publique.

À y regarder de près, cette directive accumule toutefois les retards depuis le début de l'année, contre la volonté de Dalli. D'après une enquête de l'hebdo allemand Der Spiegel, fin novembre, c'est même la secrétaire générale de la commission, l'Irlandaise Catherine Day, souvent décrite comme la femme la plus puissante de Bruxelles, qui est intervenue à deux reprises en interne, en juillet puis en septembre, pour repousser la présentation de la directive. Et même si le texte est bel et bien publié d'ici janvier 2013, il semble désormais très peu probable qu'il soit adopté avant la fin du second mandat de Barroso, en 2014, vu les allers-retours nécessaires avec le parlement et le conseil.

154 questions adressées à Barroso

Mais pourquoi la commission s'est-elle refusée à publier ce fameux rapport, censé contenir les « preuves circonstancielles » de l'implication de Dalli, publication qui seule pourrait éteindre les incendies complotistes ? L'exécutif européen avance en fait deux arguments. D'abord, l'Olaf ne rend jamais public ce type de document, et il n'est pas question de déroger à cette règle de fonctionnement. Ensuite, une enquête est en cours à Malte, et il faut désormais attendre les conclusions de cette investigation.

« L'enquête policière peut certes limiter ce que la commission a le droit de dire, mais celle-ci ne peut pas ne rien dire du tout », rétorque Olivier Hoedeman, d'Alter-EU, une plateforme d'ONG qui milite pour davantage de transparence à Bruxelles. « À l'échelle d'un État, des députés nationaux n'accepteraient jamais que le gouvernement, en cas de départ de l'un de ses ministres sur des accusations de corruption, ne réponde au moins à quelques questions élémentaires. » Alter-EU vient de lancer une pétition en ligne, pour exhorter Barroso à « faire toute la lumière sur le Dalligate ».

Face à l'intransigeance de Barroso, les parlementaires eux aussi durcissent le ton. Ils ont envoyé, fin novembre, une batterie de... 154 questions à la commission et à l'Olaf, pour obtenir des éclaircissements (lire la liste ici). Un interrogatoire vertigineux, en forme d'inventaire à la Prévert. Certaines peuvent sembler assez logiques (« Question 8 : quelles sont les raisons exactes pour lesquelles Catherine Day a décidé de reporter la consultation inter-services de la directive tabac ?»), d'autres nettement plus subtiles (« Question 68 : pourquoi le comité de surveillance de l'Olaf n'a-t-il pas eu accès au dossier avant la finalisation du rapport, afin d'évaluer si les procédures de l'enquête ont été bien respectées ?»).

 

Giovanni Kessler le 17 octobre 2012 © Commission européenne 
Giovanni Kessler le 17 octobre 2012 © Commission européenne


Officiellement, les réponses sont en cours d'élaboration. En attendant, beaucoup d'observateurs, à Bruxelles, redoutent que le rapport de l'Olaf ne soit qu'une coquille vide. Ce qui tendrait à confirmer la version complotiste du « Dalligate ». Dans ce feuilleton, encore loin de son épilogue, un personnage, qui n'a pas encore été évoqué ici, occupe une place centrale. Giovanni Kessler, un Italien de 56 ans, est le tout-puissant patron de l'Olaf.

Il est l'homme qui a fait tomber Dalli, et rechigne, lui aussi, à faire la lumière sur le contenu du rapport. Cet avocat, qui a œuvré un temps dans la lutte anti-mafia, fait d'autant plus parler de lui, ces jours-ci, qu'il est habitué à travailler avec les industriels du tabac. Il est en effet chargé, depuis l'Olaf, de mettre en place la lutte contre la contrefaçon des cigarettes dans l'UE.

Au centre du jeu, Giovanni Kessler

C'est d'ailleurs une particularité de l'agence dans le paysage européen : une partie du budget de l'Olaf provient, indirectement, des groupes de tabac. À partir de 2004, une série d'accords entre les cigarettiers et la commission européenne ont été signés, pour financer des programmes de lutte contre la fraude. En tout, pas moins de 1,6 milliard d'euros promis sur trente ans. La majorité (90 %) est redistribuée aux États membres, le reste permet, entre autres, de financer des programmes européens, comme Hercule, gérés par l'Olaf, pour, par exemple, mieux former les douaniers de l'Union (voir à titre indicatif ici le détail de l'accord avec Philip Morris).

Cette proximité assumée de l'Olaf avec les industriels du tabac fragilise-t-elle encore un peu plus la portée du fameux rapport ? Certains en sont persuadés, et d'autres éléments les confortent dans leur impression. Le 6 juin 2012, devant les députés italiens à Rome, Giovanni Kessler se prononçait contre le « paquet neutre », l'une des pistes explorées par John Dalli pour rendre le paquet de cigarettes moins attractif, en particulier à l'égard des publics les plus jeunes. Argument de Kessler à l'époque : la standardisation du paquet va faciliter la contrefaçon.

Le raisonnement n'est pas nouveau, il est même régulièrement avancé par les cigarettiers eux-mêmes, lorsqu'il s'agit de critiquer les projets de la commission européenne en matière de réglementation. D'ailleurs, la déclaration de Kessler n'est pas passée inaperçue : elle a été reprise in extenso dans un rapport rédigé par... Philip Morris International, publié en août 2012, pour convaincre des méfaits du paquet « neutre » (lire la page 17 du rapport). Du petit lait pour ceux qui voient la main du cigarettier derrière le rapport de l'Olaf.

 

Tonio Borg le 13 novembre 2012 © Commission européenne 
Tonio Borg le 13 novembre 2012 © Commission européenne


Il faudra attendre la présentation de la nouvelle directive tabac, dans les semaines à venir, pour mesurer l'ampleur des (éventuels) dégâts. En attendant, le successeur de John Dalli au poste, un autre Maltais, Tonio Borg, a lui choisi de prendre les devants : il s'est séparé, avant son entrée en fonction, de 2 300 actions qu'il détenait dans un fonds, La Valette Income Fund, lui-même propriétaire de parts chez... Imperial Tobacco, quatrième groupe de tabac mondial.

 

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6 décembre 2012 4 06 /12 /décembre /2012 19:52

 

Marianne - Jeudi 6 Décembre 2012 à 12:00 |

 

 


DURAND FLORENCE/SIPA
DURAND FLORENCE/SIPA

Les Français croyaient sans doute en avoir fini avec l’inique bouclier fiscal à 50%, inventé par Nicolas Sarkozy et finalement supprimé en 2011. Erreur ! D’ici à la fin de l’année, l’État va reverser sous forme de chèques aux plus riches contribuables français la bagatelle de 450 millions d’euros au titre du trop-perçu de l’impôt sur les revenus de 2011.

En pleine crise, au moment où le cap des trois millions de chômeurs vient d’être allègrement franchi, alors que les impôts vont augmenter pour tout le monde, au moment où, légitimement, les pouvoirs publics demandent à chacun de faire des efforts au nom du comblement de la dette et du redressement du pays, les plus grosses fortunes de France vont de nouveau hériter d’un joli cadeau de Noël de 450 millions d’euros. Cette découverte confine à la nausée.

D’autant que le précédent gouvernement, dans ses prévisions budgétaires, n’avait prévu que 162 millions d’euros au titre de ce bouclier. Trois fois moins. Pire : l’an prochain, l’État devra encore payer un reliquat de 400 millions d’euros au titre du même bouclier. L’avantage, avec l’assistanat des riches, c’est qu’il continue à produire des effets même quand on le croit supprimé. Et voilà comment, depuis 2007, Liliane Bettencourt dont les revenus annuels culminent déjà à près de 280 millions d’euros – c’est-à-dire 20 fois plus que la vedette du PSG, Zlatan Ibrahimovic ! – se voit restituer par le fisc quelque 30 millions d’euros par an…

Et ce n’est pas tout ! Au moment où Nicolas Sarkozy a fini par supprimer ce bouclier fiscal à 50% - qui s’appliquait, rappelons-le, non pas à l’ensemble des revenus, mais au seul revenu fiscal, c’est-à-dire après application de toutes les niches fiscales possibles —, il en avait profité pour revoir à la baisse le barème de l’ISF. Or, là encore, la commission des finances de l’Assemblée nationale vient d’indiquer que cet ISF, en 2012, rapporterait à l’État 462 millions d’euros de moins que les prévisions budgétaires de l’ancien gouvernement de François Fillon. En clair, le budget voté par l’ancienne majorité était non seulement injuste socialement, mais budgétairement mensonger.

À quand le vrai bilan du quinquennat Sarkozy ?

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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 23:48
arretsurimages.net
enquête le 04/12/2012 par Laure Daussy
Caroline Sinz : "Si on m'avait tiré dessus, cela aurait paru plus glorieux"

Un an après le viol qu'elle a subi alors qu'elle était en reportage sur la place Tahrir au Caire, la journaliste Caroline Sinz témoigne de l'attitude de sa rédaction qui lui a demandé de ne pas employer le mot "viol" dans son témoignage.

Le 24 novembre 2011, Caroline Sinz doit faire un reportage au Caire, sur les jeunes dans la révolution égyptienne. Mais à la fin de son tournage sur la place Tahrir elle est prise à partie par des manifestants, et subit un viol. Nous vous le racontions ici. La journaliste témoignait : "Ils étaient une cinquantaine, ils ont déchiré mes vêtements, ont arraché mon jean, mes sous-vêtements. M'ont violée avec leurs doigts. Pendant 45 minutes. La foule applaudissait autour. "

"Trop abrupte pour les téléspectateurs"

Ce qu'on ne connaissait pas, c'était l'attitude de sa rédaction. Caroline Sinz l'a racontée la semaine dernière à Midi Libre lors d'un colloque, et le raconte aujourd'hui à @si.

La journaliste pensait intervenir en direct - comme c'était le cas tous les jours - et y faire mention du viol. Mais ce jour-là, sa rédaction a décidé de ne pas faire de direct. "Alors j'ai voulu parler de l'agression en fin de sujet en l'expliquant brièvement sur les dernières images que nous avions tournées", explique-t-elle. Lorsque le reportage est diffusé, Caroline Sinz se rend compte que cette partie a été coupée. "C'était trop abrupt pour les téléspectateurs", lui a-t-on expliqué. "On ne voulait pas que tu aies l'étiquette « violée » sur le front", a-t-on même précisé.

Voilà donc ce que l'on peut voir dans le reportage du 19/20.

link

Aucune mention du violpicto

À la fin de ce reportage, la présentatrice Carole Gaesler annonce que Caroline Sinz et son cameraman Salah Agrabi ont été "très violemment agressés par des jeunes manifestants qu'ils venaient de filmer", mais n'évoque pas le viol. "Ils disent que l'on est en sécurité dans l'hôtel comme si tout était terminé alors que j'étais détruite", souligne Caroline Sinz.

"terme choisis et pudiques"

Constatant le caviardage de son reportage, la journaliste insiste, en larmes, pour en parler dans le Soir 3 qui va suivre. Sa rédaction en chef accepte, mais avec de nombreuses précautions : "J'ai ainsi eu droit à un plateau enregistré de 15 secondes que j'ai dû écrire « avec du recul et en termes choisis et pudiques » en le faisant relire à Paris avant de l'enregistrer", explique-t-elle à @si. Et on lui aurait demandé de ne pas employer le mot "viol", mais "agression sexuelle". Rappelons que la "pénétration digitale" qu'elle explique avoir subi correspond à la définition du viol en droit français.

 

 

 

pictoLe plateau de la journaliste, après relecture de sa rédaction en chef.

 

"Qui parlait? la victime ou la journaliste ?"

De son côté, Pascal Golomer, directeur de la rédaction de France 3, confirme avoir décidé de couper la fin du reportage pour le 19/20, mais assure avoir prévenu la journaliste avant de le faire. Selon lui, Caroline Sinz terminait son commentaire en disant : "J'ai été victime d'une agression sexuelle." "Il était de ma responsabilité vis-à-vis des téléspectateurs de ne pas le diffuser en l'état sans explication", explique Golomer. À ses yeux, la journaliste n'avait pas "le recul nécessaire pour témoigner de ce qu'elle avait subi", ajoute-t-il. "Je pensais à ses proches, aussi, qui apprendraient par la télévision ce qui lui était arrivé." Golomer assure "être choqué" que Sinz ait interprété la modification de son reportage comme une censure. Quant au plateau diffusé au Soir 3, il a effectivement demandé à la journaliste "d'en parler avec elle avant, pour ne pas livrer son témoignage en pâture." "Tout le problème réside dans le fait qu'elle était à la fois victime et journaliste. Qui parlait ? La victime ou la journaliste ?" Et Golomer de rappeler que France télévisions s'est engagé dans une campagne contre le viol.

De retour dans sa rédaction parisienne, Caroline Sinz se voit confrontée à des difficultés qu'elle n'avait pas imaginées : "J'étais entourée de gens qui se moquaient de moi, qui remettaient ma parole en cause." Elle demandera à être transférée à France 2 où elle travaille désormais, au service société. "Le viol, c’est honteux, tabou. Si on m’avait tiré dessus, cela aurait paru plus glorieux", déplore la journaliste. Caroline Sinz a porté plainte. Elle a fourni à la Justice des preuves telles que des sous-vêtements déchirés sur lesquels ont été relevées de "nombreuses traces d'ADN masculin trop nombreuses pour être isolées". Une information judiciaire pour viol en réunion a été ouverte par le parquet de Paris.

Mise à jour, mardi, 19 heures : ajout de la réponse de Pascal Golomer, directeur de la rédaction nationale de France 3.

 

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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 15:52

« Mittal n’a tenu aucun de ses engagements », accusait Arnaud Montebourg dans un entretien aux Échos, le 25 novembre, sans se faire plus précis. Mais quels engagements avait donc pris Lakshmi Mittal auprès du gouvernement français au moment de l’OPA hostile sur Arcelor en 2006 ? Le gouvernement garde le silence. Au nom du secret des affaires, il n’entend pas revenir sur le passé, pas plus qu’il ne souhaitait divulguer l’accord passé la semaine dernière avec le groupe Mittal. « Il s'agit d'un accord industriel entre l'État français et un opérateur privé qui n'a pas à être rendu public », expliqua Matignon pour justifier son silence, avant que le contenu ne soit révélé par Le Monde dans toute l’étendue de son inconsistance. Quelle étrange mansuétude pour le groupe sidérurgique !

Mediapart a retrouvé les questions qui avaient été adressées par le gouvernement de l’époque, par l’intermédiaire du ministère des finances, au groupe Mittal, le 12 avril 2006, en pleine bataille boursière pour prendre le contrôle d’Arcelor. Vingt-neuf questions qui vont de l’emploi naturellement, à la préservation des sites en France, sa vision de la sidérurgie, ou la façon dont il envisage la conduite du nouvel ensemble et la fameuse « gouvernance ». Vingt-neuf questions auxquelles le groupe Mittal répond, ou qu'il esquive, selon les cas (ici, les engagements industriels, en page 2, les engagements financiers). (*visible sur le site de Médiapart )

À la lecture de ce document, on ne peut s’empêcher de penser que « les promesses n’engagent que ceux… qui les reçoivent ». Six ans après, les manquements commis par Lakshmi Mittal sont patents. Les entorses apparaissent dès les premiers mois, et elles ne cessent de s’aggraver au fil du temps, comme le prouve le document en anglais que nous publions dans sa totalité.

Impossible de commenter toutes les réponses. Sans faire une lecture exhaustive de ce document, nous revenons donc sur certains points – de façon chronologique par rapport  aux manquements – qui mettent en lumière combien Lakshmi Mittal ne se sent pas tenu par la parole donnée, et ce dès les premiers jours. Ce qui est de sombre augure pour la suite.

La gouvernance

Pendant toute la bataille boursière contre Arcelor, le groupe Mittal, largement soutenu par la presse anglo-saxonne, attaque violemment la conduite de la direction, lui reprochant son absence de transparence, son non-respect des règles de gouvernance si chères au capitalisme. Arcelor réplique en soulignant que le groupe Mittal n’est en fait qu’une affaire familiale, qui a seule en mains tous les pouvoirs, et conduit la société à sa guise et pour son seul bénéfice. Ce qui se passe chez Mittal a toutes les chances de se poursuivre, si le groupe met la main sur Arcelor, préviennent-ils.

Très attentif à ces questions de gouvernance, qui alors dominent le code des affaires en Europe, le gouvernement français interroge Lakshmi Mittal à ce sujet. « En cas de succès de l’opération, quelle définition sera donnée de l’indépendance pour les membres du conseil d’administration ? » demande-t-il.

 

Mittal seul à bord

« Mittal Steel conçoit l’indépendance de ces administrateurs en ligne avec les règlements en application aux États-Unis et donne à ses actionnaires toutes les informations à ce sujet », répond Mittal. Poursuivant ses explications dans les questions suivantes, il écrit « Le 6 mais 2006, Mittal Steel a annoncé qu’il prévoyait de réaliser des changements substantiels dans sa gouvernance, en vue de son opération sur Arcelor (…) Dans ce contexte, Mittal Steel envisagerait un conseil d’administration élargi à 14 membres, comprenant 6 administrateurs de Mittal Steel, 6 d’Arcelor et 2 membres indépendants. (…) Mittal Steel a déjà annoncé qu’il désignerait François Pinault comme administrateur. »


 
© ArcelorMittal

Au lendemain de l’OPA sur Arcelor, le concept d’indépendance s’étiole vite. Les anciens d’Arcelor – et en particulier ceux issus d’Usinor – sont pratiquement tous écartés. Lakshmi Mittal prend la présidence et son fils, la direction financière, tandis que ses proches sont nommés à plusieurs postes opérationnels. Le conseil, composé de 18 membres, retient bien l’équilibre entre Mittal et Arcelor. Mais la fiction durera à peine une année. Dès décembre 2007, Lakshmi Mittal annonce qu’il va cumuler les postes de président et de directeur général, à la faveur de la démission de plusieurs membres du groupe. Il a désormais tous les pouvoirs en main : silence absolu des actionnaires et des gouvernements concernés...

Le conseil est alors remanié. Sa fille y fait son entrée. Tous les actionnaires représentant l’ancien Arcelor sortent un par un, à l’exception des représentants du Luxembourg. Ils sont remplacés par des connaissances proches. Parmi les administrateurs, considérés par le groupe comme indépendants,  figurent notamment Lewis Kaden, vice-président de Citigroup, une des banques du groupe, Suzanne Nimocks, ancienne responsable de la firme McKinsey, avec laquelle le groupe ne cesse de travailler, ou Guillaume de Luxembourg, héritier du grand-duché et sans doute totalement désintéressé par l’avenir du groupe dans le pays.

 

L’avenir des sites européens

Au cours de la bataille boursière, la direction d’Arcelor met en garde contre les risques de casser le modèle de la sidérurgie européenne, en détournant tous les investissements de l’Europe pour des pays à bas coûts, en cas de prise de contrôle de Mittal Steel. Lakshmi Mittal rétorque qu’au contraire, il va porter le nouvel ensemble au sommet, en créant un groupe très intégré verticalement (de la mine aux produits finis) et en réveillant un Arcelor qui s’est endormi sur ses succès.

« Le groupe Mittal peut-il fournir une estimation chiffrée des investissements projetés par zone ? Quels seront les sites de production privilégiés ? Plus particulièrement, les sites français – portuaires et continentaux – connaîtront-ils des flux d’investissement réguliers et durables ? » interroge le gouvernement.

« Si Mittal Steel n’est pas en mesure de donner dans le détail ses plans d’investissements par région, nous pouvons confirmer que les sites français bénéficieront d’investissements et de développements continus à horizon de temps prévisible pour soutenir leur compétitivité. En général, les sites français seront bénéficiaires de la logique stratégique globale issue de la fusion, c’est-à-dire servir des clients mondiaux dans des secteurs clés comme l’automobile, grâce aux options additionnelles et aux économies logistiques rendues possibles par l’intégration verticale de Mittal Steel, de la mine jusqu’aux centres européens – y compris français, de recherche, devenus centres globaux d’un groupe élargi », répond le groupe.

Derrière ce parfait catéchisme industriel, la réalité a été tout autre. À peine aux commandes, Lakshmi Mittal a puisé dans les réserves accumulées par Arcelor pour se lancer dans une grande vague d’acquisitions de mines de charbon et de minerai de fer, en construisant parfois des hauts-fourneaux à côté. Les savoir-faire des sites européens ont été transmis au reste du groupe. « En quelques mois, Mittal a totalement rayé la stratégie d’Arcelor qui était de produire des aciers de très grande qualité et de haute valeur ajoutée, que les clients acceptaient de payer plus cher. Ce qui permettait de garder la sidérurgie en Europe de l’Ouest, malgré ses coûts de production. Il a transféré les savoir-faire et les brevets en Indonésie notamment, ce qui a éloigné le groupe de ses clients. Les difficultés de Florange ont commencé quand Volkswagen, mécontent des prestations d’ArcelorMittal et de l’éloignement des productions, a décidé de le quitter », explique un connaisseur du dossier.

Dans le nouvel esprit du groupe, l’Europe n’est plus que sa variable d’ajustement en fonction des cours de l’acier. Il tire au maximum sur l’outil industriel et ne fait aucun investissement lourd pour l’avenir. Ce que confirme le dernier accord sur Florange : sur les 180 millions d’euros d’investissements, seuls 53 millions sont destinés au futur, tout le reste est pour la maintenance. Partout, les investissements ont été réduits au minimum. Les hauts-fourneaux de Dunkerque et de Fos sont éteints ou rallumés selon les cas. Un des hauts-fourneaux de Dunkerque, arrêté pour maintenance à l’été, ne devrait pas être rallumé.

 

 

Le sort de Gandrange et de Liège

Pour convaincre les salariés de le soutenir dans la bataille boursière, Lakshmi Mittal promet de revenir sur le plan « Apollo » lancé en 2003 par Arcelor, qui prévoit la fermeture progressive des hauts-fourneaux continentaux (Liège, Charleroi, Florange et Brême). La direction d’Arcelor réplique en affirmant que le groupe Mittal sera obligé de reprendre ce plan. Elle souligne alors que Mittal Steel ne fait pas plus de miracle que les autres sidérurgistes européens, que son site de Gandrange (ex-Unimétal racheté à Usinor) est en faillite et qu’il est condamné à terme. Lakshmi Mittal conteste vigoureusement ses propos, en assurant qu'il sait gérer différemment ses sites sidérurgiques.

Le gouvernement français l’interroge sur ces deux sites. « Le groupe Mittal peut-il donner une vue rétrospective de l’évolution des performances de Mittal Steel Gandrange, tant en termes d’évolution de la production et de la productivité que de l’amélioration des résultats de la société ? » Mittal Steel fournit tous les comptes de Gandrange. Il assure que le site, après avoir perdu de l’argent, est redevenu bénéficiaire. « Comme vous pouvez le voir, Mittal Steel a amélioré les performances de Gandrange, SMR et de Trélifeurope, qui auparavant perdaient de l’argent. Sur Gandrage, nous nous sommes concentrés à améliorer le mix-produit, de telle sorte que le site est profitable même avec les volumes réduits de 2005 », assure alors le groupe. 

Les salariés de Gandrange connaissent malheureusement la suite. Le 16 janvier 2008, c’est-à-dire au moment où le marché de l’acier est encore en pleine bulle haussière, la direction d’ArcelorMittal annonce un projet de réorganisation, prévoyant la suppression de 595 emplois sur les 1 029 salariés du site, l’arrêt de l’aciérie et du train à billettes et le maintien en activité du seul laminoir. Le groupe explique que ces mesures sont indispensables au vu des pertes enregistrées – 36 millions d’euros – par le site. Certains observateurs pensent que Mittal, après avoir masqué les pertes réelles du groupe pendant plusieurs années, s’est décidé à mener une opération vérité, maintenant qu’il n’a plus besoin de ce site pour entrer sur le marché européen.

Les syndicats contestent l’analyse de la direction et assurent que le site pourrait être rentable si les investissements nécessaires

y étaient réalisés. Nicolas Sarkozy fait exprès le voyage pour assurer que Gandrange ne sera pas fermé. Il n’obtiendra rien, sauf la promesse que le groupe investira 300 millions d’euros sur le site voisin de Florange pour le renforcer. Florange n’a jamais vu le début de ces investissements promis. Mais cela n’empêche pas Lakshmi Mittal de promettre à nouveau d’investir pour soutenir et moderniser le site de Florange. « De façon inconditionnelle », assure le gouvernement.

Ce qui s’est passé à Gandrange, se réalisera de même à Liège. Le gouvernement français, pourtant, l’a aussi interrogé sur la manière dont il entend maintenir le site belge. « Le groupe Mittal peut-il donner des informations complémentaires sur la politique envisagée vis-à-vis du site européen de Liège », demande-t-il par écrit. « Mittal Steel a compris qu’Arcelor avait décidé de fermer la filière à chaud du site de Liège conduisant à une perte d’environ 2 700 emplois. Un des hauts-fourneaux a été fermé en 2005, le second doit l’être en 2009. Mittal Steel a prévu de lancer une nouvelle étude pour réexaminer la fermeture du deuxième haut-fourneau. Mittal Steel pense qu’un groupe élargi a plus d’options stratégiques qui permettent une plus grande spécialisation des sites européens vers les produits à haute valeur ajoutée, ce qui autorise la poursuite d’exploitation du deuxième haut-fourneau. »

Il n’y aura ni spécialisation ni investissement à Liège. Dès le début de l’effondrement des cours de l’acier en 2009, le haut-fourneau de Liège a été un des premiers arrêtés. Sa fermeture définitive a été actée en novembre 2011.

 

L’emploi

L’emploi est naturellement la première question soulevée par le gouvernement. La direction d’Arcelor assure qu’en cas de fusion, les salariés européens risquent de payer un lourd tribut dans cette opération financière, compte tenu de l’état de Mittal Steel. Asphyxié financièrement par ses rachats successifs payés à crédit, le groupe sidérurgique a dû supprimer 46 000 emplois, essentiellement aux États-Unis. Mittal conteste bien évidemment cette analyse.

 

 
© Reuters

« Lors de l’entretien avec les services du ministère (des finances), le groupe Mittal a indiqué qu’en raison du faible recouvrement en Europe entre les marchés de Mittal et ceux d’Arcelor, il n’y aurait pas, en cas de succès de l’opération, de suppressions d’emplois en France au-delà de celles prévues par les plans sociaux programmés par Arcelor. Le groupe est-il en mesure de confirmer ce point ? Le groupe peut-il préciser l’évolution prévisible de l’emploi pour les autres pays concernés par l’éventuelle fusion ? »

La réponse de Mittal est nette : « Mittal Steel peut confirmer qu’il n’a aucun plan à horizon prévisible de réductions d’emplois, au-delà de ce qui a été prévu par Arcelor. L’évolution de l’emploi est prévue dans les mêmes termes que ce qui était programmé par Arcelor. Il pourrait y avoir certaines révisions à la hausse, du fait que Mittal Steel va revoir certains plans de restructurations prévus par Arcelor, avec comme objectif de garder plus d’emploi en Europe de l’Ouest. (…) En conséquence, la fusion entre Arcelor et Mittal ne changera pas les plans de restructuration, et n’affectera pas la situation de l’emploi en France », insiste-t-il.

Seize mois plus tard, il y eut Gandrange, puis la restructuration de l’activité inox, puis les suppressions discrètes d’emplois site par site, le non-remplacement des personnes partant en retraite. En quelques années, le groupe a supprimé plus de 3 000 postes en France. Sans grande réaction.

 

Situation financière

La crise a tout changé, plaide le groupe. Les sidérurgistes connaissent en effet un environnement très difficile, l’acier est au plus bas, et pourrait encore s’effondrer tant la conjoncture mondiale est déprimée. Rien qu’en Europe, le marché automobile, un des principaux débouchés, est en chute de 12 % depuis le début de l’année. ArcelorMittal prend de plein fouet ce retournement de cycle. Sa taille qui était censée le protéger ne lui sert à rien, tant sa situation financière est dégradée, tant le groupe est endetté.

En 2006, le ministère des finances s’était inquiété des risques que faisait peser cette opération financière pour le groupe. « Quel sera, en cas de succès de l’opération, le niveau d’endettement du groupe ? Ce niveau ne constituera-t-il pas une rupture par rapport à la politique financière d’Arcelor ? Ce niveau d’endettement sera-t-il soutenable et ne sera-t-il pas excessif en cas de retournement du cycle ? » interrogeait-il.

Sans sourciller, le groupe Mittal ose affirmer qu’il est en meilleure santé financière qu’Arcelor. Manifestement, il est très furieux de l’argent utilisé par Arcelor pour se défendre et qu’il ne verra pas. Mais il assure que l’avenir sera radieux. « Mittal Steel et Arcelor ont une notation équivalente (BBB+). Sur une base pro forma, le niveau d’endettement du groupe fusionné sera similaire à celui de Mittal aujourd’hui et significativement meilleur que celui d’Arcelor, compte tenu de sa décision d’augmenter son dividende (environ 1,1 milliard d’euros) et de verser un dividende exceptionnel (5 milliards d’euros). Nous estimons que la dette nette après ces décisions et en prenant en compte les rachats de Dofasco (Canada) et des minoritaires d’Acesita (Espagne) sera d’environ 12 milliards d’euros, soit 2 fois l’Ebitda, ce qui en fera un des groupes sidérurgiques les plus endettés. La combinaison de Mittal Steel-Arcelor conduira à un endettement sensiblement inférieur, autour de 1,3 fois l’Ebitda. Comme il a été souligné publiquement, Mittal Steel est très attentif à maintenir une notation élevée pour le groupe fusionné. »

En 2007, l’endettement long terme du groupe s’élevait déjà à plus de 22 milliards d’euros, en 2008, il augmentait, à 25 milliards. Fin 2011, il dépasse les 26 milliards d’euros pour 9,7 milliards de capitaux propres. ArcelorMittal est désormais classé en junk bonds.

 

La grande mansuétude du gouvernement

« Dès 2008, il était évident que Lakshmi Mittal ne respectait plus ses engagements », note un connaisseur du dossier. Pourquoi le gouvernement, en dehors des gesticulations du président à Florange, n’a-t-il rien fait, rien dit ? Certes, le gouvernement français n’est pas actionnaire d’ArcelorMittal et ne peut donc faire entendre sa voix au conseil ou en assemblée générale. De plus, les engagements pris en 2006 n’ont aucun caractère contraignant et ne peuvent être invoqués en justice.

Mais le gouvernement n’est pas sans moyen. Curieusement, il a déposé à terre toutes les armes dont il disposait face à Lakshmi Mittal. Ainsi, le 16 décembre 2008, l’autorité de la concurrence condamnait ArcelorMittal à une amende record de 301 millions d’euros pour cartel sur le marché de l’acier. Le groupe fit appel. Son amende fut ramenée à 42 millions d’euros. Christine Lagarde, alors ministre des finances, ne fit pas appel de la décision.

De même, depuis que le groupe sidérurgique est passé sous le contrôle de Mittal, il ne paie pratiquement plus d’impôts en France. Grâce au miracle des prix de transferts, l’essentiel semble rapatrié au Luxembourg, ce qui sans doute a été une des bases du soutien du grand-duché à Mittal lors de l’OPA hostile. L’optimisation fiscale, comme le dit le ministère des finances pour ne pas employer le gros mot d’évasion, est estimée à environ 1,3 milliard d’euros. Là encore, aucune action n’a été entamée contre le groupe pour tenter de recouvrer au moins en partie ces sommes évanouies.

 

Le yacht de Lakshmi Mittal 
Le yacht de Lakshmi Mittal© dr

 

La mansuétude dont a fait – et fait encore – preuve le gouvernement à l’égard de Lakshmi Mittal est incompréhensible. Il est vrai que le milliardaire a bénéficié pendant longtemps d’entrées privilégiées à Bercy. Depuis plusieurs années, Christine Lagarde ne manque jamais pendant ses vacances corses d’aller rendre visite à Lakshmi Mittal, lorsque ce dernier longe les côtes de l’île sur son yacht – qui peut être loué pour 1 million de dollars la semaine. Cet été encore, on a vu la directrice du FMI séjourner sur le bateau du milliardaire pour y faire de la plongée au large de Bonifacio.

 

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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 15:48

 

 

Marianne - Mercredi 5 Décembre 2012 à 11:43

 

Jean-Claude Jaillette et Emmanuel Lévy - Marianne

 

 

A partir du 1er février, les tarifs des autoroutes vont (encore) augmenter. Entre 1,18 % et 2,24 %, selon une information du «Parisien» de ce mercredi 5 décembre 2012. L’occasion pour «Marianne» de revenir sur le prix de vente de ces bijoux de famille, privatisés en 2005, et de remettre en ligne une enquête éclairante parue dans le numéro 758 du 29 octobre 2011. En effet, rien n'a changé !

MEIGNEUX/SIPA
MEIGNEUX/SIPA
« Vous ne pouvez pas publier cela, comme cela. ». Pierre Coppey s’énerve tout rouge. Il faut dire qu’entre deux cafés, le patron de Vinci Autoroutes venu nous faire la leçon a lâché une petite bombe. A la question, « Si l’état devait vous racheter les autoroutes combien devrait il mettre sur la table », il répond : « 15 milliards ». Le sujet est ultra sensible depuis que certains membres de la Cour des comptes, relayés par Marianne, se sont émus du prix de ces cessions. Question que les heureux acheteurs font tout pour éviter. Sauf là. Pierre Coppey qui a une formation de journaliste, chose plutôt rare dans ce monde dominé par les ingénieurs des Ponts et chaussées, a vite compris son erreur : il vient de vendre la mèche : la vente s’est faite à vil prix. 

Explication. Les sociétés d’autoroutes disposent d’un seul actif : la concession des presque 9 000 kilomètres de bitumes à péages que compte la France. Et comme toute concession, celle-ci à une fin : en moyenne 2033 pour l’ensemble du réseau. Bref, les heureux propriétaires ont encore donc une vingtaine d’année pour rembourser leur achat 15 milliards d’euros. Traduit en terme financier, la veille du jour de fin de concession à 23h59, la valeur de la concession vaut 0 euros. Bref plus on se rapproche de cette date, moins la valeur de la concession est importante, jusqu’à atteindre 0, comme on l’a vu.

Entre temps, les sociétés d’autoroutes ont largement rémunéré leurs actionnaires. Via deux canaux. Les dividendes évidemment, il y en a pour près de 5 milliards depuis la privatisation. Mais aussi, ce qui se voit moins, l’intégration fiscale qui permet à l’entreprise mère de diminuer son résultat fiscal du coût de l’endettement de sa filiale. Exceptée APRR, les autres le pratiquent volontiers. A raison de 30 milliards d’euros d’endettement (le coût de construction des autoroutes, mais aussi celui du rachat proprement dit des sociétés réalisé sur 100% par la dette), cela permet d’économiser un gros paquet d’argent. A titre d’exemple, Vinci Autoroutes, a payé 629 millions d’euros pour ses 14,5 milliards d’euros d’endettement. La maison mère Vinci a ainsi pu réduire son chèque au Trésor français du tiers de cette somme, soit l’équivalent de 200 millions d’euros chaque année. Cela a l’air de rien mais sur 5 ans, les sociétés ont donc économisé près de 1,5 milliard d’euros….

Donc on récapitule. 5 milliards de dividendes ont été versés, 1,5 milliard a été économisé, et selon Pierre Coppey, les sociétés valent toujours 15 milliards d’euros, le prix payé il y a 5 ans….On comprend que le patron de Vinci Autoroutes propose à l’Etat d’assumer à sa place les 10 milliards d’euros d’investissements routiers que le budget, en mode rigueur, peine à financer. Il suffirait simplement que le gouvernement prolonge la concession de la concession, une véritable poule aux œufs d’or….

Pour mémoire, nous avons réédité l'enquête publiée par Marianne le 29/10/2011 sur ce dossier explosif, qui est à mettre au passif de Dominique de Villepin, alors premier ministre.  

Autoroutes : la rente de Vinci sera-t-elle prolongée ?

Comment ils volent des milliards à la France

Depuis la privatisation du réseau en 2005, des milliards filent dans les poches de concessionnaires privés. Une manne qui enfle à rythme constant, mais dont ni l’Etat, qui en aurait bien besoin, ni les usagers ne profitent.
 
C’est une exception française. L’une de ces exceptions dont on n’a malheureusement pas envie de se vanter .

Notre réseau autoroutier, le deuxième en Europe avec ses 9 000 km – derrière l’Allemagne qui en possède près de 13 000 –, rapporte des fortunes. Mais, alors que l’Allemagne n’en retire que 4,5 milliards d’euros hors taxes (chiffres 2010), les autoroutes françaises génèrent 8,11 milliards d’euros par an. Le hic ? Depuis la privatisation du réseau en 2005, ce grassouillet pactole financé en partie par les impôts des citoyens, cette cagnotte qui enfle au rythme de 3 % chaque année, file dans la poche des concessionnaires.

« Vous allez encore nous accuser de faire trop de bénéfices. Ce n’est pas nous qui avons décidé de la privatisation des autoroutes. Des enchères ont eu lieu. Et un prix a émergé ! » A l’Association des sociétés françaises d’autoroutes et d’ouvrages à péage (Asfa), le discours est rodé. Dans cet antre du lobby des sociétés d’autoroutes concédées aux géants du BTP, Vinci (ASF, Cofiroute, Escota, Vinci), Eiffage (APRR) et l’espagnol Albertis (Sanef), on se sait mal-aimé. Et l’on voudrait bien pouvoir se défausser sur les politiques qui ont pris la décision de vendre les bijoux de famille. Sur Dominique de Villepin en particulier qui, en 2005, parachevait la privatisation timidement engagée par la gauche sous Lionel Jospin en 2002. Marianne, à l’époque, avait dénoncé la double erreur de l’opération qui consistait à céder pour vingt-sept ans ces machines à cash pour un prix ridicule de 14,8 milliards d’euros.

Il n’aura pas fallu longtemps aux citoyens automobilistes pour prendre la mesure de l’arnaque. Passées au privé, les autoroutes se sont en effet révélées des poules aux œufs d’or. Et la crise n’y change rien, l’or gris du bitume continue de couler à flots. Même quand le trafic baisse de 0,9 %, comme ce fut le cas au deuxième trimestre 2011 sur les routes de Vinci, le chiffre d’affaires progresse imperturbablement : + 2,7 %, alors même que le gouvernement avait accordé des augmentations de tarifs moyennes de 0,5 %.

De 2005 (dernière année avant la privatisation) à 2010, le prix moyen du kilomètre s’est envolé de 16,4 %, soit deux fois plus vite que l’inflation ! (voir schéma à la fin de l'article). Ce chiffre stupéfiant, que l’Asfa se garde bien de calculer, Marianne l’a reconstitué à partir de données pourtant fournies par l’association.

L’opération est simple : elle consiste à diviser le chiffre d’affaires issu de la perception de l’ensemble des péages de tous les réseaux par le nombre total de kilomètres parcourus par les usagers. On découvre ainsi qu’en 2005, les autoroutes rapportent 8,28 centimes par kilomètre parcouru… et 9,64 centimes du kilomètre hors taxe cinq ans plus tard .
 
Multipliez par des dizaines de millions d’usagers chaque année, qui sillonnent des centaines de kilomètres : entendez-vous le joli bruit du tiroir-caisse ? Comment les concessionnaires ont-ils pu faire ainsi tourner la roue de la fortune ? Comment ont-ils pu s’affranchir du contrat de plan signé avec le gouvernement au lendemain de la privatisation qui leur accordait des augmentations de tarifs dans des proportions « très légèrement supérieures à l’inflation », de manière à couvrir leurs investissements ?

En aucun cas ce « légèrement » ne signifiait « doubler » le taux d’inflation ! En réalité, les sociétés d’autoroutes trichent depuis de nombreuses années, depuis bien avant la privatisation, et le plus légalement du monde, puisque l’Etat propriétaire siégeait à leurs conseils d’administration et qu’il n’a pas pipé mot. Comment ? En pratiquant le « foisonnement ».
 
La manip est élémentaire : elle consiste à négocier avec le gouvernement une augmentation globale moyenne valable sur l’ensemble d’un réseau, puis à ajuster les variations de tarifs en fonction de la fréquentation des tronçons. Les plus fréquentés (donc potentiellement les plus juteux) voyant leurs péages grimper plus vite que les moins fréquentés. Les concessionnaires ont profité d’une faille, ouverte par l’impossibilité de discuter les hausses de prix kilomètre par kilomètre avec les services de l’Etat. Dénoncée quelques mois avant la privatisation par Marianne, qui avait découvert la supercherie en effectuant des relevés de tarifs précis et condamnée par la Cour des comptes l’année suivante, la pratique a été progressivement abandonnée. Mais on n’est pas revenu sur les acquis et les tronçons les plus chers sont restés hors de prix, offrant un formidable effet de levier pour les recettes des années suivantes .

Des profits à fond la caisse

Tandis que les tickets de péages grossissaient, les effectifs fondaient. Depuis la privatisation, les sociétés d’autoroutes ont massivement dégraissé leur personnel, de – 14 %, pour se situer en deçà des 15 000 salariés. Diminution du nombre de salariés, donc diminution des coûts, pour des investissements qui stagnent à 2 milliards d’euros annuels : les bénéfices ont explosé. Depuis leur privatisation, les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) ont versé plus de 1,5 milliard d’euros à leur nouveau propriétaire, le consortium associant le français Eiffage et Macquarie, un fonds d’investissement australien. En moins de cinq ans, les deux compères ont déjà récupéré un tiers de la somme payée à l’Etat pour leur acquisition, 4,84 milliards d’euros .
Et la concession de ses 2 240 km court encore pour vingt et un ans… Même topo dans la crémerie d’en face, Vinci, qui règne en seigneur sur 3 350 km de bitume .
 
Les Etats manquent d’argent ? Les entreprises autoroutières, elles, en regorgent ! Cinq milliards de cash dormaient dans les caisses de Vinci à la fin 2010. De quoi lui donner envie de lorgner vers la Grèce qui, exsangue, poussée à toujours plus de sacrifices, songe à son tour à solder ses autoroutes pour une poignée d’euros. Les géants du BTP seraient également disposés à prendre en charge les autoroutes urbaines hexagonales gratuites dont l’état de délabrement traduit la disette budgétaire qui s’est abattue sur les services publics. A preuve ce tronçon de l’A6 dont le revêtement est en mauvais état sur les quelques dizaines de kilomètres qui le séparent de la partie payante. Idem en région, où les collectivités peinent à assumer la charge du transfert des routes nationales…

Entre 2005 et 2010, le bénéfice réalisé sur chaque kilomètre facturé à un automobiliste s’est amélioré de 30 %, pour atteindre 1,8 centime, ainsi que nous avons pu le calculer. Et, comme le trafic a continué d’augmenter durant cette période, le bénéfice total des sociétés d’autoroutes a fait un bond de… 65 % ! Prolixes sur ce type d’informations lors leur road show pour séduire les investisseurs, les géants du bitume les taisent au grand public. Depuis trois ans, l’Asfa ne publie plus qu’un seul tableau permettant de comprendre la façon dont un ticket de péage est constitué .

Et pour cause. Comme le montrent les calculs de Marianne, qui a reconstitué ce ticket type (voir schéma à la fin de l'article), les profits se sont envolés. Sur 100 €, 12 € net allaient dans les poches des actionnaires en 2005. Cinq ans plus tard, ce sont 16,30 € qui filent directement dans leur escarcelle . Des chiffres qui risquent de faire crisser les pneus des automobilistes.

L’arnaque de la cession

Ils sont déjà nombreux à ne plus accepter de faire patiemment la queue aux péages. Selon l’étude d’impact du projet de loi Grenelle 2, « la fraude est estimée aujourd’hui à 0,5 % du chiffre d’affaires. Ce taux de fraude est susceptible de représenter, d’après les estimations des concessionnaires, 5 % du chiffre d’affaires en cas de généralisation du péage sans arrêt. » L’Asfa le confirme en d’autres mots : « Il existe un risque de rejet social. » Quand l’aigreur du consommateur s’ajoute à celle du contribuable… Aigri, on le serait à moins, au vu du scandale.
Revenons à l’origine de l’affaire : le prix de cession du réseau autoroutier .

Convaincu à l’époque par les crânes d’oeuf de Bercy qui essaient depuis des années de vendre le projet, Dominique de Villepin envisage la privatisation dès son discours de politique générale. Alors que Marianne fait plusieurs fois la une sur ce scandale en devenir, les socialistes, qui les premiers ont initié le processus en 2002, restent muets .

Seul François Bayrou, en embuscade pour la présidentielle, se saisit du sujet et affiche clairement son opposition à la tribune de l’Assemblée. En vain. Dans la majorité, Gilles Carrez, le député-maire UMP du Perreux (94), s’agite avec retard. Le rapporteur général du budget voit d’un mauvais oeil cette braderie pour 11 milliards d’euros .

La somme est pourtant confirmée dès 2005 par un rapport parlementaire signé du député UMP Hervé Mariton. L’intitulé choisi, « Les autoroutes pour l’emploi », sonne étrangement au regard de la fonte des effectifs, mais l’estimation qu’il fournit se fonde sur une étude très sérieuse de la banque Ixis. Deuxième scandale ! Que diriez-vous, en effet, si l’agence immobilière à qui vous demandez une estimation de votre bien était de mèche avec votre futur acheteur ? Eh bien, c’était le cas d’Ixis ! Cette ancienne filiale de la Caisse des dépôts, associée à Lazard, était en effet le conseil d’un des acquéreurs, en l’occurrence Eiffage, le groupe de BTP qui, avec son partenaire australien Macquarie, s’est offert les 2 240 km de la société APRR. Vous avez dit conflit d’intérêts ? Résultat des maigres oppositions, à quelques jours de la fin des enchères, la somme fait un minibond à 14,8 milliards d’euros .

Une paille, comme nous le confiait cyniquement à l’époque un des patrons d’Ixis : « Mon client était alors prêt à payer 40 % de plus. » Soit 22 milliards d’euros au moins pour la totalité des lots. Autre signe de l’incroyable braderie à l’oeuvre : l’énorme bonus de 8 millions d’euros demandé à ses actionnaires par Antoine Zacharias, le patron de Vinci à l’époque, pour avoir permis à son groupe de mettre la main sur ASF et ses fabuleux bénéfices .

La truanderie écolo

La République abusée continue pourtant d’être bonne mère avec les concessionnaires.
Fin 2009, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Ecologie et des Transports, fait discrètement un joli cadeau aux sociétés d’autoroutes : la prolongation d’un an de leur concession. Sous le double parrainage de l’écologie et de la lutte contre la crise, le programme « verdissement des autoroutes » engage en contrepartie les sociétés à investir 1 milliard d’euros dans des opérations et travaux à caractère écologique.

Un an de plus, c’est la garantie d’encaisser 2 milliards d’euros supplémentaires. Emballé, c’est pesé, le deal léonin passe comme une lettre à la poste devant les parlementaires.
« On n’a rien vu », explique un député socialiste de la commission des Finances.
Pourtant l’examen des dépenses de ce « paquet vert » a de quoi faire pâlir les moins extrémistes des écolos. Moins de 3 % des sommes engagées sont en réalité destinées à la biodiversité.

Exemple de la supercherie ? Au prétexte de la réduction des bouchons aux péages, désignés comme source d’émission de gaz à effet de serre, 800 millions sont investis dans… des portiques automatiques ! De qui se moque-t-on ? L’effet d’aubaine joue à plein, comme le confirma à demi-mot un autoroutier : « Il est vrai que le paquet vert a accéléré un déploiement qui était déjà programmé. » Vinci Autoroutes prévoit de créer 172 caisses de péage automatiques.

Cette automatisation, rendue possible grâce au télépéage, permet surtout de réduire les emplois et d’augmenter le rendement des autoroutes. « On a demandé à l’Etat de subventionner des pertes d’emplois. Pis, le personnel remplacé par les portiques est parti en préretraite, à moitié pris en charge par l’Etat ! » s’emporte Bernard Jean, coordinateur CGT de la branche. Essayons à présent de « positiver » la situation : après tout, à l’instar du fumeur, les malheurs de l’automobiliste pourraient faire le bonheur du contribuable. Et une partie de la manne pourrait retourner dans les caisses de l’Etat. Ces formidables bénéfices produisent en effet 34,3 % d’impôt sur les sociétés, soit un impôt théorique de 800 millions d’euros auquel il faut ajouter un gros paquet de TVA, 1,6 milliard, mais aussi différentes taxes, dont la fameuse redevance domaniale qui est prélevée pour l’occupation du domaine public.
Or, là aussi, il convient de s’interroger, car les rentrées fiscales sont loin d’être au rendez-vous.

Pour se refaire, l’Etat a un temps envisagé de tripler la redevance domaniale, pour la porter de 125 millions d’euros annuels à 250 millions puis à 375 millions. Peine perdue. Inscrite dans le budget 2009, elle a disparu des documents budgétaires : « Vous n’avez pas idée du lobbying qu’ont fait les concessionnaires », explique Hervé Mariton, qui comptait sur cette taxe pour « corriger » les effets de la vente à vil prix des autoroutes.

Réponse approximative de Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat chargé des Transports, à une question de ce député : « S’agissant de la redevance domaniale, monsieur Mariton, l’augmentation prévue en 2009 n’a pas été appliquée en raison de la crise, mais également de la baisse du trafic sur les autoroutes.
Néanmoins, elle demeure d’actualité et nous envisageons son éventuelle application en 2010. » Même topo pour le projet de loi de 2011.

La hausse de 100 millions par an pour les deux ans à venir est bien présente… puis disparaît au milieu du gué. Côté impôt sur les sociétés, ce n’est pas non plus le Pérou.

Cerise fiscale

Le rachat des concessions par les entreprises du BTP a généré un immense manque à gagner fiscal.

L’ensemble de ces emplettes s’étant fait par endettement, les acquéreurs ont eu le droit de déduire de leurs bénéfices le coût de leur emprunt… à condition de disposer de plus de 95 % de la société. Suivant l’exemple de Vinci qui s’est empressé de retirer ASF de la Bourse pour profiter de cette superniche fiscale (une économie de 150 millions d’impôt en 2009), Eiffage tente depuis de faire de même avec APRR .

S’il réussit, les intérêts payés sur la dette d’acquisition – 3,8 milliards d’euros – pourront être déduits de l’assiette fiscale d’APRR. Mieux, les intérêts payés sur cette dette entre 2006 et 2010 grèveront les impôts d’APRR. Jean-François Roverato, le patron d’Eiffage, estime ainsi l’économie à plus de 300 millions d’euros. Dans ces conditions, il est fort probable qu’APRR ne paierait pas un fifrelin d’impôt ! Reste un petit caillou dans le pied du BTpiste : Arnaud Montebourg. Comme président du conseil général de Saône-et- Loire, le député PS est un mini-actionnaire d’APPR et s’oppose ainsi au retrait d’APRR de la Bourse. En réalité, l’ex-candidat à la primaire socialiste profite de cette position pour lutter contre un projet de grande envergure dans son département : la transformation de 160 km de route nationale en concession autoroutière à APRR .

Multiplication des tronçons, prolongation des durées de concession, optimisation fiscale, réduction du personnel… les émirs du bitume ont joué sur tous les tableaux pour rentabiliser leurs achats. Et l’Etat leur a fait un dernier cadeau. A partir de 2013, la taxe sur les poids lourds utilisant les routes nationales va transférer une partie importante de ce trafic vers les autoroutes .

Confort, vitesse et péage d’un côté, inconfort, lenteur et taxe poids lourds de l’autre : le choix est vite fait pour les patrons routiers. Selon leur syndicat, 10 % du trafic se reportera à terme des routes nationales vers les autoroutes. L’avenir s’annonce sans bouchons pour les gagnants des privatisations.

Et si on renationalisait le réseau ?

«Il est des décisions irréversibles », constate, amer, François Bayrou, président du MoDem. A l’été 2005, il s’est trouvé bien seul parmi les responsables politiques à se battre contre la privatisation. « Je ne m’explique toujours pas le silence des socialistes à l’époque », souligne-t-il, un brin perfide. Il se souvient être allé plaider sa cause devant le Conseil d’Etat auprès duquel il avait déposé un recours, expliquant en quoi cette mesure était « juridiquement illégale, financièrement ruineuse et socialement irresponsable ». Peine perdue.

Aujourd’hui encore, au vu de l’exploit financier réalisé par les concessionnaires – qui ont récupéré en cinq ans près du tiers de leur investissement de départ, tant la machine autoroutière crache du cash –, le leader centriste persiste et signe : « Nous sommes en face d’un cas typique de spoliation du bien public suivi de bénéfices sans cause. » Porteur d’une telle analyse, on pourrait imaginer que François Bayrou inscrive à son programme le retour à la situation antérieure, une renationalisation des autoroutes concédées en 2005, en quelque sorte.
« Malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière », estime-t-il.
Principalement parce que cela impliquerait une indemnisation dont l’Etat aujourd’hui n’a plus les moyens, compte tenu de la valeur désormais acquise par ces sociétés.
 
Arnaud Montebourg, député de Saône-et- Loire, pense au contraire que la renationalisation est possible.
« Mais pas à n’importe quel prix ! » s’empresse-t-il d’ajouter, conscient de la charge de l’indemnisation. Le « Monsieur 17 % » de la primaire socialiste a une idée, juridiquement délicate à manier, mais politiquement efficace : mettre tout en oeuvre pour réduire la valeur des concessions.
« Il faut utiliser la voie réglementaire pour contraindre à des embauches importantes, imposer une taxe spécifique sur les profits au titre du financement des routes, et augmenter la redevance que les concessionnaires paient à l’Etat propriétaire des terrains, la taxe domaniale. » Reste une troisième voie, que ni le leader centriste ni le socialiste n’envisagent : organiser une redistribution équitable des profits des sociétés d’autoroutes, non seulement entre l’Etat et les salariés, mais aussi vers les usagers.
 
Car ces derniers – surtout chez les usagers quotidiens – sont de plus en plus nombreux à se détourner de ces voies rapides, pourtant sept fois plus sûres que les routes traditionnelles, en raison de leur prix. Que devient alors la mission d’intérêt général des concessionnaires ? A l’Etat, garant des tarifs, de jouer son rôle. Arnaud Montebourg, qui dispose d’un siège au conseil d’administration d’APRR en tant que président du conseil général de son département, n’est guère optimiste sur la volonté publique : « Dans les réunions, je n’ai jamais vu le commissaire du gouvernement s’opposer à une hausse des tarifs. C’est le muet du sérail. » Il le restera, sauf s’il devient porteur de consignes strictes, que, jusqu’à présent, le gouvernement ne lui a pas données.

 

 

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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 16:47

 

Le Monde.fr | 04.12.2012 à 17h00 • Mis à jour le 04.12.2012 à 17h27 Par Cédric Pietralunga

 

 

Le site ArcellorMittal de Florange, dans l'Est de la France, le 3 décembre 2012.

Dans ce document, il est indiqué que seuls 53 millions d'euros, sur les 180 millions d'investissements sur cinq ans promis par l'industriel à Florange, seront consacrés aux "investissements stratégiques".

 


 
ArcelorMittal s'est engagé à investir 180 millions à Florange.

La réunion entre les syndicalistes de Florange (Moselle) et le premier ministre Jean-Marc Ayrault, prévue mercredi 5 décembre à 18 heures, risque de virer à l'explication de texte. L'accord signé entre ArcelorMittal et le gouvernement, que Matignon refuse de publier mais dont Le Monde s'est procuré une copie, est en effet loin de lever toutes les interrogations sur le site lorrain du numéro un mondial de la sidérurgie.

Dans ce document de – seulement – deux pages, il est ainsi indiqué que les 180 millions d'euros d'investissements sur cinq ans promis par ArcelorMittal seront certes "réalisés de manière inconditionnelle", à la différence de ceux promis par Lakshmi Mittal à Nicolas Sarkozy en 2008. Mais "les investissements stratégiques" ne représenteront que 53 millions d'euros de l'ensemble.

Tout le reste, ce sera "le flux d'investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès continu, et la maintenance exceptionnelle", c'est-à-dire un vaste fourre-tout où à peu près tout et n'importe quoi peut être comptabilisé, et notamment les frais de maintenance. Exactement ce que craignaient les syndicats, qui accusent Lakshmi Mittal de vouloir faire passer pour une concession de sa part des dépenses qu'il était de toutes façons obligé d'effectuer.

Néanmoins, il est indiqué que le train à chaud, un équipement stratégique du site, "fait partie des outils majeurs du dispositif de laminage" de l'entreprise et verra donc son niveau de production "maintenu autour de 2 millions de tonnes par an pour alimenter en bobines l'aval de la Lorraine ". Cette pérennisation du train à chaud était réclamée depuis longtemps par l'intersyndicale de Florange.

 

 SÉCURISER L'EMPLOI

Concernant les activités de packaging (fabrication du métal pour boîtes de conserve et canettes), dont une ligne sur deux seulement fonctionne actuellement sur le site, il est écrit noir sur blanc que "ArcelorMittal concentrera les activités de l'amont du packaging de l'entité Atlantique et Lorraine sur Florange ", ce qui devrait assurer la survie des lignes d'étamage "pendant cinq ans" et sécuriser du même coup l'emploi sur la même période. En échange, "l'activité amont de Basse-Indre [un autre site d'ArcelorMittal situé en Loire-Atlantique] sera mise en arrêt temporaire" et l'activité de recuit d'Ebange, une usine du groupe située près de Florange, pourra être mise en "arrêt temporaire" elle aussi, "en fonction de l'optimisation des carnets".

Mais, peut-on lire dans cet accord, "ce transfert d'activité n'impactera pas les effectifs inscrits à Basse-Indre", un engagement sur lequel Jean-Marc Ayrault s'est battu puisque ce site est situé dans son fief électoral, près de Nantes.

Concernant Ulcos, le programme de recherche sur la captation du dioxyde de carbone (CO2), présenté par Matignon comme la bouée de sauvetage des hauts-fourneaux de Florange, les engagements d'ArcelorMittal sont là aussi très succincts. S'il est indiqué qu'Ulcos "reste un projet important pour développer de nouvelles solutions mieux adaptées aux enjeux du changement climatique", il est aussi clairement écrit que "l'état actuel des résultats de la recherche ne permet pas de passer directement sur le démonstrateur industriel de Florange". Autrement dit : le projet n'est pas près de voir le jour.

Seul engagement concédé par Lakshmi Mittal : son groupe "va proposer (...) de continuer à travailler sur le projet de recherche et de validation technologique, en s'appuyant notamment sur l'expertise du centre R&D de Maizières-lès-Metz".

Conséquence, les "installations de la phase liquide seront mises sous cocon dans l'état actuel et compatible avec la perspective de réalisation d'un démonstrateur industriel Ulcos sur un haut-fourneau". Une phrase qui confirme que le P3, arrêté depuis juin 2011, est bien définitivement abandonné, et que le P6 ne sera pas relancé tout de suite puisque "le fonctionnement de toutes ces installations sera arrêté en toute sécurité à l'issue de la procédure légale", c'est-à-dire fin mars 2013. Le groupe s'engage simplement "à ne pas démonter ces installations dans les six ans".

 

 LES SALARIÉS DE LA FILIALE GEPOR PRIS EN CHARGE

Sur le plan social, il est stipulé que les salariés des hauts-fourneaux, au nombre de 629, seront reclassés "sur des bases exclusivement volontaires", avec "un dispositif de gestion des fins de carrière et sur la mobilité interne au site". "ArcelorMittal continuera à proposer à des personnes volontaires les postes disponibles sur ses autres sites", est-il également indiqué.

Par ailleurs, le document stipule que les salariés de Gepor, une filiale d'ArcelorMittal qui emploie 130 personnes à Florange et pour lesquelles les syndicats se montraient très inquiets ces derniers jours, bénéficieront "des mesures de gestion de fin de carrière et de mobilité avec des conditions similaires à Florange".

Enfin, et cela devrait déclencher l'ire des salariés concernés, il est indiqué que seulement trois hauts-fourneaux seront conservés à Dunkerque (Nord) "à l'échéance minimale des cinq prochaines années". Autrement dit, le HF2 arrêté pour maintenance cet été, et dont la mise en sommeil a été prolongée cet automne, ne devrait plus produire avant longtemps le million de tonnes de fonte qu'il sortait chaque année auparavant... 

 

Cédric Pietralunga

 

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 20:03

 

 

CATDM - Belgique

  3 décembre par Renaud Vivien

 

En novembre, la Belgique a décidé d’injecter 2,9 milliards d’euros dans Dexia. Pour l’Europe, cet argent injecté va peser sur le déficit. La carte de blanche de Renaud Vivien, juriste et un militant Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde.

 

Les actionnaires du groupe Dexia se réuniront en assemblée générale extraordinaire le 21 décembre pour se prononcer sur la recapitalisation de la banque par les États belge et français à hauteur de 5,5 milliards d’euros, dont 2,9 milliards pour la Belgique. Depuis le premier sauvetage de Dexia en 2008, le chantage est de mise. Pour la direction de Dexia et les gouvernements, la recapitalisation de la banque par les États n’est pas un choix mais une obligation. Il n’y aurait donc pas d’alternative : les populations belge et française seraient condamnées à remplir le tonneau percé de Dexia autant de fois que cela sera nécessaire. Rappelons que Dexia est une banque en voie d’extinction qui a déjà été sauvée trois fois depuis 2008 grâce à l’argent public, n’a plus de dépôts d’épargnants et ne fait qu’enregistrer des pertes. Son dirigeant, Karel de Boeck, vient d’annoncer une nouvelle perte estimée à 1 milliard d’euros pour l’année 2013 et prévient qu’il y en aura d’autres jusqu’en 2018 !

Nous voilà prévenus : les États belge et français seront appelés à renflouer régulièrement Dexia jusqu’à ce qu’elle fasse des bénéfices. Combien de milliards d’euros ces sauvetages à répétition coûteront-ils aux contribuables ? On ne le sait pas encore. Ce qui est certain, en revanche, c’est que pour financer le sauvetage de Dexia, l’Etat belge devra emprunter. La dette publique augmentera encore et le gouvernement imposera à la population de nouvelles mesures d’austérité afin de la rembourser sauf si les citoyens se mobilisent pour arrêter de banquer.

Pourquoi les pouvoirs publics s’obstinent-ils à sauver indéfiniment Dexia ? L’explication officielle tient en un seul mot : garantie. Alors que les gouvernements belge, français et luxembourgeois ne savent même pas ce qu’il y a dans le hors-bilan de Dexia, ils se sont engagés à garantir les emprunts de cette dernière jusqu’à 2031 ! Concrètement, si Dexia ne rembourse pas ses dettes, les pouvoirs publics devront payer la facture à sa place. Cette facture est énorme : 43,7 milliards d’euros rien que pour la Belgique, suite à l’accord conclu avec la France au début du mois de novembre. A titre de comparaison, 43,7 milliards, c’est environ le montant consacré annuellement par la Belgique pour rembourser l’ensemble de ses créanciers en intérêt et en amortissement du capital.

Du fait de ces garanties, le destin de la Belgique est donc lié à celui de Dexia. Cette situation n’est pas inéluctable. La solution passe nécessairement par l’annulation de cette garantie. C’est tout à fait possible car en plus d’être dangereuse économiquement et socialement, elle est illégale. En effet, la garantie d’octobre 2011 a été prise par simple arrêté royal émanant d’un gouvernement en affaires courantes sans que ce dernier n’ait pris la peine de consulter le Parlement fédéral. Or les matières budgétaires relèvent de la compétence du pouvoir législatif selon la Constitution. De plus, la section législative du Conseil d’État n’a pas été consultée alors que c’est une condition indispensable sous peine de nullité de l’acte.

L’illégalité de cet arrêté royal est développée dans la requête en annulation introduite devant le Conseil d’État par trois associations (CADTM Belgique, ATTAC Liège et ATTAC Bruxelles 2) rejointes par deux députées Zoé Genot et Meyrem Almaci. L’affaire n’est pas encore tranchée. En toute logique, l’auditeur du Conseil d’Etat pourrait donner raison aux plaignants vu que dans l’affaire « Arco », il a estimé qu’un gouvernement en affaires courantes ne peut pas prendre une garantie importante et qu’il doit au préalable consulter le Conseil d’État avant de prendre une telle décision.

Si l’arrêté royal d’octobre 2011 est jugé illégal par le Conseil d’État, alors la garantie sera automatiquement annulée. Une fois annulée, l’État récupère toute sa marge de manœuvre et peut, s’il en a la volonté politique, mettre Dexia en faillite.

Comme dans toute faillite, il y aura des perdants et des gagnants. Qui perd ? Pour une fois, les créanciers qui ont prêté à Dexia de manière totalement imprudente compte tenu de sa situation catastrophique et de la possible annulation de la garantie du fait l’action en justice intentée par le CADTM et ATTAC. Soulignons ici que la situation de Dexia est encore aggravée par le fait qu’elle totalise contre elle rien qu’en France pas moins de 57 plaintes intentées par des communes lésées par les prêts toxiques de la banque. Les créanciers Dexia sont parfaitement au courant de l’existence de tous ces procès. En prêtant à Dexia, ils ont fait un pari risqué. Il est donc normal qu’ils assument ce risque en cas de liquidation du groupe.

Il est par ailleurs faux de dire que la faillite de Dexia aurait un impact catastrophique sur le système financier. D’une part, Dexia n’est plus considérée comme une banque systémique par le G20 et d’autre part, une mise en faillite s’effectue de façon ordonnée par un juge. Certains créanciers de Dexia pourraient ainsi être remboursés grâce au produit de la vente des actifs liquidés.

En réalité, les premiers à craindre la faillite sont celles et ceux qui ont une responsabilité dans la débâcle de Dexia car une mise en liquidation du groupe pourrait entraîner des poursuites judiciaires contre les fautifs.

A qui profiterait l’annulation des garanties suivie de la mise en faillite du groupe ? D’abord à l’ensemble de la population qui ne devra plus payer les factures des sauvetages de Dexia. Ensuite, les parlementaires verraient leurs droits rétablis.

Il est clair que les règles élémentaires d’un État de droit sont bafouées en Belgique et il n’est pas exagéré de dire que les banques font la loi. Il n’y a qu’à lire les récentes déclarations de K. De Boeck devant les parlementaires suite à la modification du montant de la garantie : « la Belgique travaille pour officialiser la nouvelle clé de garanties. Mais ne vous fatiguez pas avec cela, ce sont des choses éphémères et anecdotiques |1| ».

Dexia est bien notre problème à tous. Mettons la pression sur les dirigeants politiques pour qu’ils ne soient plus complices de cette spoliation de la population doublée d’une atteinte à la démocratie. La dette contractée par l’État pour sauver les banques est illégitime. Il faut lancer un audit citoyen de la dette publique afin d’identifier la partie illégitime et l’annuler.

Carte blanche publiée le 3 décembre sur le site du quotidien belge Le Soir.

 

Notes

|1| Le Soir, mercredi 28 novembre 2012 (page 21)

 

 

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 19:59

 

 

CATDM - Série : Banques contre Peuples : les dessous d’un match truqué ! (2ème partie)

  29 novembre par Eric Toussaint

 

 

La première partie de la série est intitulée « 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques » a été publiée le 19 novembre 2012, voir 2007-2012 : 6 années qui ébranlèrent les banques

 

L’action de la Banque centrale européenne et de la Fed |1|

A partir de juin 2011, les banques européennes sont entrées dans une phase tout à fait critique. Leur situation était presque aussi grave qu’après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Beaucoup d’entre elles ont été menacées d’asphyxie parce que leurs besoins massifs de financement à court terme (quelques centaines de milliards de dollars) n’ont plus été satisfaits par les money market funds américains qui ont considéré que la situation des banques européennes était décidément de plus en plus risquée |2|. Les banques ont été confrontées à la menace de ne pas pouvoir faire face à leurs dettes. C’est alors que la BCE, suite à un sommet européen réuni d’urgence le 21 juillet 2011 pour faire face à une possible série de faillites bancaires, a recommencé à leur acheter massivement des titres de la dette publique grecque, portugaise, irlandaise, italienne et espagnole afin de leur apporter des liquidités et de les délester d’une partie des titres qu’elles avaient goulûment achetés dans la période précédente. Cela n’a pas suffi, les cours en bourse des actions des banques ont poursuivi leur dégringolade. Les patrons de banque ont passé un mois d’août de tous les dangers. Ce qui a été décisif pour maintenir à flot les banques européennes, c’est l’ouverture à partir de septembre 2011 d’une ligne de crédit illimité par la BCE en concertation avec la Fed, la banque d’Angleterre et la Banque de Suisse : les banques en manque de dollars et d’euros ont été mises sous perfusion. Elles ont commencé à respirer de nouveau mais c’était insuffisant. Le cours de leur action continuait la descente aux enfers. Entre le 1er janvier et le 21 octobre 2011, l’action de la Société générale a chuté de 52,8 %, celle de BNP Paribas de 33,3 %, celle de la Deutsche Bank de 28,8 %, celle de Barclays de 30,5 %, celle du Crédit suisse de 36,7 %. Il a alors fallu que la BCE sorte son bazooka, appelé LTRO (Long Term Refinancing Operation) : entre décembre 2011 et février 2012, elle a prêté plus de 1000 milliards d’euros pour une durée de 3 ans au taux d’intérêt de 1% à un peu plus de 800 banques.

La Fed faisait grosso modo de même depuis 2008 à un taux officiel encore plus bas : 0,25%. En réalité, comme l’a révélé en juillet 2011 un rapport du GAO, équivalent de la Cour des Comptes aux États-Unis, la Fed a prêté 16 000 milliards de dollars à un taux d’intérêt inférieur à 0,25% |3|. Le rapport démontre qu’en pratiquant de la sorte, la Fed n’a pas respecté ses propres règles prudentielles et qu’elle n’en n’a pas averti le Congrès. Selon les travaux d’une commission d’enquête du Congrès des États-Unis, la collusion entre la Fed et les grandes banques privées a été évidente : « Le PDG de JP Morgan Chase était membre de la Réserve fédérale de New York au moment où « sa » banque recevait une aide financière de la Fed s’élevant à 390 milliards de dollars. De plus, JP Morgan Chase a également servi d’intermédiaire pour les crédits d’urgence octroyés par la Fed. » |4| Selon Michel Rocard, ex-premier ministre français, et Pierre Larrouturou, économiste, qui se basent sur une recherche réalisée par l’agence financière new-yorkaise Bloomberg, la Fed aurait prêté une partie de la somme mentionnée plus haut à un taux infiniment plus bas : 0,01%. Michel Rocard et Pierre Larrouturou affirment dans les colonnes du quotidien Le Monde : « Après avoir épluché 20 000 pages de documents divers, Bloomberg montre que la Réserve fédérale a secrètement prêté aux banques en difficulté la somme de 1 200 milliards au taux incroyablement bas de 0,01 %. »
 |5|

. Ils posent la question : « Est-il normal que, en cas de crise, les banques privées, qui se financent habituellement à 1 % auprès des banques centrales, puissent bénéficier de taux à 0,01 %, mais que, en cas de crise, certains Etats soient obligés au contraire de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés ? ».

Les grandes banques européennes ont d’ailleurs également eu accès à ces prêts de la Fed jusqu’au début 2011 (Dexia a ainsi reçu en prêt 159 milliards de dollars |6|, Barclays a reçu 868 milliards $, Royal Bank of Scotland a reçu 541 milliards $, Deutsche Bank 354 milliards $, UBS 287 milliards $, Credit Suisse 260 milliards $, BNP-Paribas 175 milliards $, Dresdner Bank 135 milliards $, Société Générale 124 milliards $). Le fait que ce financement des banques européennes via la Fed se soit tari (notamment sous la pression du Congrès américain) a constitué une des raisons pour lesquelles les money market funds états-uniens ont commencé eux-mêmes à fermer le robinet de leurs prêts aux banques européennes à partir de mai-juin 2011.

Quels ont été les effets de l’octroi aux banques de 1 000 milliards d’euros à 1% par la BCE ?

En 2012, les banques abreuvées de liquidités ont acheté massivement des titres de la dette publique de leur pays. Prenons l’exemple de l’Espagne. Les banques espagnoles ont emprunté à la BCE pour 300 milliards d’euros à 3 ans au taux de 1% dans le cadre du LTRO |7|. Avec une partie de cette somme, elles ont augmenté fortement leurs achats de titres de la dette émis par les autorités espagnoles. L’évolution est tout à fait frappante : fin 2006, les banques espagnoles détiennent des titres publics de leur pays pour seulement 16 milliards d’euros. En 2010, elles augmentent leurs achats de titres publics espagnols, elles en détiennent pour 63 milliards. En 2011, elles accroissent encore leurs achats, les titres espagnols en leur possession représentent 94 milliards. Et grâce au LTRO, leurs acquisitions explosent littéralement, le volume qu’elles détiennent double en quelques mois pour atteindre 184,5 milliards d’euros en juillet 2012. |8| Il faut dire qu’il s’agit d’une opération très rentable pour elles. Alors qu’elles ont emprunté à 1%, elles peuvent acheter des titres espagnols à 10 ans avec un intérêt qui varie entre 5,5 et 7,6 % au second semestre 2012.

Prenons ensuite l’exemple de l’Italie. Entre fin décembre 2011 et mars 2012, les banques italiennes empruntent à la BCE pour 255 milliards d’euros dans le cadre du LTRO |9|. Alors que fin 2010, les banques italiennes détenaient des titres publics de leur pays pour 208,3 milliards d’euros, ce montant passe à 224,1 milliards fin 2011, quelques jours après le début du LTRO. Ensuite, elles utilisent massivement les crédits qu’elles reçoivent de la BCE pour acheter des titres italiens. En septembre 2012, elles en détiennent pour la somme de 341,4 milliards d’euros |10|. Comme dans le cas espagnol, il s’agit d’une opération très rentable pour elles : elles ont emprunté à 1% et en achetant des titres italiens à 10 ans, elles obtiennent un intérêt qui varie entre 5 et 6,6% au second semestre 2012.

Le même phénomène s’est produit dans la plupart des pays de la zone euro. Il y a eu relocalisation d’une partie des actifs des banques européennes vers leur pays d’origine. Concrètement, on constate qu’a augmenté très sensiblement au cours de l’année 2012 la part des dettes publiques d’un pays donné qui est en possession des institutions financières du même pays. Cette évolution a donc rassuré les gouvernements de la zone euro, en particulier ceux d’Espagne et d’Italie, car ils ont constaté qu’ils éprouvaient moins de difficultés à vendre aux banques les titres publics qu’ils émettaient. La BCE semblait avoir trouvé la solution. En prêtant massivement aux banques privées, elle les a sauvées d’une situation critique et elle a épargné à certains États de se lancer dans de nouveaux plans de sauvetage bancaire. L’argent prêté aux banques était en partie utilisé par celles-ci pour acheter des titres de la dette publique des États de la zone euro, ce qui a enrayé la hausse des taux d’intérêt des pays les plus fragiles et même produit une baisse des taux pour un certain nombre de pays.

On comprend très bien que, du point de vue des intérêts de la population des pays concernés, il aurait fallu adopter une approche tout à fait différente : la BCE aurait dû prêter directement aux États à moins de 1% (comme elle le fait à l’égard des banques privées depuis mai 2012) ou encore sans intérêt. Il aurait également fallu socialiser les banques sous contrôle citoyen.

Au lieu de cela, la BCE a mis sous perfusion les banques privées en leur ouvrant une ligne de crédit illimité à très bas taux d’intérêt (entre 0,75 et 1%). Celles-ci ont fait différents usages de la manne de financement public. Comme on vient de le voir, d’une part, elles ont acheté des titres souverains de pays qui, sous leur pression comme l’Espagne et l’Italie, ont dû leur concéder une rémunération élevée (entre 5 et 7,6% à 10 ans). D’autre part, elles ont placé une partie du crédit qui leur était octroyé par la BCE à la… BCE ! Entre 300 et 400 milliards sont déposés par les banques au jour le jour auprès de la BCE à un taux de 0,25 % au début 2012 et à 0 % depuis mai 2012. Pourquoi font-elles cela ? Parce qu’elles doivent montrer aux autres banquiers et aux autres fournisseurs privés de crédit (money market funds, fonds de pension, compagnies d’assurance) qu’elles disposent de cash en permanence afin de faire face à l’explosion des bombes à retardement qui se trouvent dans leurs comptes. Si elles n’avaient pas ce cash disponible, les prêteurs potentiels se détourneraient d’elles ou leur imposeraient des taux très élevés. Poursuivant le même objectif de rassurer les prêteurs privés, elles achètent également des titres souverains d’États qui ne présentent aucun risque à court ou moyen terme : l’Allemagne, les Pays-Bas, la France… Elles en sont tellement friandes que ces États peuvent se permettre de leur vendre des titres à 2 ans à un taux de 0% ou même avec un rendement légèrement négatif (sans prendre en compte l’inflation). Les taux payés par l’Allemagne et les autres pays considérés comme solides financièrement ont baissé considérablement grâce à la politique de la BCE et à l’aggravation de la crise qui touche les pays de la Périphérie. On a assisté à une fuite de capitaux de la Périphérie européenne vers le Centre. Les titres allemands sont tellement fiables qu’en cas de nécessité de cash, ils peuvent être revendus du jour au lendemain sans perte. Les banques les acquièrent non pas dans la perspective de gagner de l’argent, mais pour avoir, à la BCE ou sous forme de titres tout à fait liquides, une quantité d’argent disponible en permanence de manière à offrir une impression (souvent fausse) de solvabilité et à faire face à d’éventuels imprévus. Elles font des profits en prêtant à l’Espagne et à l’Italie, cela contrebalance certaines pertes qu’elles peuvent enregistrer avec des titres allemands. Il est très important de souligner que les banques n’ont pas augmenté leurs prêts aux ménages et aux entreprises alors qu’un des objectifs officiels des prêts de la BCE consiste à accroître de tels crédits afin de relancer l’économie.

Quel est le bilan de la BCE du point de vue des élites ?

Mettons-nous un instant à la place du 1% le plus riche afin d’apprécier l’action de la BCE. Le discours officiel martèle que la BCE a réussi la transition entre son ancien président le français Jean-Claude Trichet et le nouveau, Mario Draghi |11|, ancien gouverneur de la Banque d’Italie et ancien vice-président de Goldman Sachs Europe. La BCE et les dirigeants des principaux pays européens sont parvenus à négocier une opération de réduction de la dette grecque en convainquant les banques privées d’accepter une décote de leurs créances d’environ 50% et en obtenant du gouvernement grec qu’il s’engage dans un nouveau plan d’austérité radicale comprenant des privatisations massives et qu’il accepte de renoncer à une partie très importante de la souveraineté du pays. A partir de mars 2012, des envoyés de la Troïka se sont installés de manière permanente dans les ministères à Athènes afin de contrôler de près les comptes de l’État. Les nouveaux prêts à la Grèce passent dorénavant par un compte directement contrôlé par les autorités européennes, qui peuvent donc le bloquer. Cerise sur le gâteau, les nouveaux titres de la dette grecque ne sont plus de la compétence des tribunaux grecs, les nouvelles obligations émises dans le cadre de ce programme sont de droit anglais et les litiges entre l’État Grec et les créanciers privés seront arbitrés au Luxembourg |12|.

Ce n’est pas tout : sous la pression de la BCE et des dirigeants européens, le gouvernement Pasok de Georges Papandréou, très soumis mais de plus en plus impopulaire, a été remplacé sans élection par un gouvernement d’unité nationale Nouvelle Démocratie – Pasok, avec une place clé attribuée à des ministres provenant directement des milieux bancaires.

On peut compléter le tableau de la situation par trois autres bonnes nouvelles pour la BCE et les dirigeants européens : 1. Silvio Bersluconi a été contraint à la démission et a été remplacé par un gouvernement de techniciens, à la tête duquel figure Mario Monti, ancien commissaire européen très proche des milieux bancaires et capable d’imposer aux Italiens un approfondissement des politiques néolibérales |13|. 2. En Espagne, le chef du gouvernement en place depuis quelques mois, Mariano Rajoy, du Parti populaire, est prêt à radicaliser lui aussi la politique néolibérale de son prédécesseur, le socialiste José Luis Zapatero. 3. Les dirigeants européens |14| sont arrivés à se mettre d’accord sur un pacte de stabilité qui va couler dans le marbre l’austérité budgétaire, l’abandon par les États membres d’un peu plus de leur souveraineté nationale et une dose supplémentaire de soumission à la logique du capital privé. Enfin, le Mécanisme européen de stabilité (MES) va bientôt entrer en action et permettra de mieux venir en aide aux Etats et aux banques |15| dans les prochaines crises bancaires qui ne manqueront pas de se produire ainsi qu’aux États membres peinant à se financer.

Ces différents exemples montrent que les dirigeants européens au service du grand capital réussissent à marginaliser un peu plus le pouvoir législatif en passant outre les choix des électrices et des électeurs. Par ailleurs, où est la démocratie si les électrices et les électeurs qui souhaitent refuser massivement l’austérité n’ont plus la possibilité de l’exprimer par leur vote, ou lorsque le sens politique du vote exprimé est annulé au motif que le choix n’est pas celui des gouvernants, comme en 2005 en France et aux Pays-Bas après le non au Traité pour une constitution européenne, comme en Irlande et aux Portugal après les élections de 2011, comme en France et aux Pays-Bas, de nouveau, après les élections de 2012. Tout est mis en place pour que la marge de manœuvre des gouvernements nationaux et des pouvoirs publics soit limitée par un cadre contractuel européen de plus en plus contraignant. Il s’agit là d’une évolution très dangereuse, à moins bien sûr que des gouvernements appuyés par leur population décident de désobéir.

Si on se met ainsi un instant à la place de Mario Draghi, des principaux dirigeants européens et des banques, on peut dire qu’en mars-avril 2012, ils ont de quoi être heureux. Tout semble réussir.

Les limites des succès de la BCE et des gouvernants européens

Les nuages noirs arrivent ensuite. Cela se complique à partir de mai 2012 quand Bankia, la 4e banque espagnole dirigée par l’ancien directeur général du FMI Rodrigo de Rato, se retrouve en faillite virtuelle. Selon les sources, les besoins des banques espagnoles en termes de recapitalisation varient entre 40 et 100 milliards d’euros, et Mariano Rajoy qui ne veut pas faire appel à l’aide de la Troïka est dans une posture très difficile. S’ajoute à cela le fait que sur le plan international se succèdent plusieurs scandales bancaires. Celui concernant la manipulation du Libor, le taux interbancaire à Londres, est le plus retentissant et implique une douzaine de grandes banques. Il vient s’ajouter aux agissements coupables de HSBC en matière de blanchiment d’argent de la drogue et d’autres négoces criminels.

En France, une majorité des électeurs ne veut plus de Nicolas Sarkozy. François Hollande est élu le 6 mai 2012, mais ce n’est pas vraiment inquiétant pour la finance internationale car on peut compter sur le pragmatisme des socialistes français comme des autres partis socialistes d’Europe pour poursuivre l’austérité. Même s’il faut toujours se méfier du peuple français, très enclin à divers débordements et susceptible de croire qu’il faut un véritable changement.

En Grèce, la situation est plus contrariante pour la BCE car Syriza, la coalition de gauche radicale qui promet d’abroger les mesures d’austérité, de suspendre le remboursement de la dette et de braver les autorités européennes, risque de remporter une victoire électorale. Pour les tenants de l’austérité européenne, il faut empêcher cela à tout prix. Le soir du 17 juin 2012, c’est le soulagement à la BCE, au siège des gouvernements européens et dans les conseils d’administration des grandes entreprises : le parti de droite Nouvelle Démocratie devance Syriza. Même le nouveau président socialiste français se réjouit du résultat du scrutin. Et le lendemain, les marchés respirent. On peut continuer la route de l’austérité, de la stabilisation de la zone euro et de l’assainissement des comptes des banques privées.

( à suivre )
La partie 3 de cette série portera sur les deux objectifs principaux poursuivis par les dirigeants européens : Mener à bien la plus grande offensive contre les droits sociaux depuis la seconde guerre mondiale et éviter un nouveau krach financier / bancaire qui pourrait se révéler pire que celui de septembre 2008

 

Notes

|1| La Banque d’Angleterre et d’autres banques centrales suivent grosso modo la même politique.

|2| Dès août 2011, j’ai décrit cette situation à un moment où très peu de commentateurs financiers en parlaient. Voir la série intitulée « Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne » : « Elles (= les banques européennes) ont financé et elles financent encore leurs prêts aux Etats et aux entreprises en Europe via des emprunts qu’elles effectuent auprès des money market funds des Etats-Unis. Or ceux-ci ont pris peur de ce qui se passait en Europe (…). A partir de juin 2011, cette source de financement à bas taux d’intérêt s’est presque tarie, en particulier aux dépens des grandes banques françaises, ce qui a précipité leur dégringolade en Bourse et augmenté la pression qu’elles exerçaient sur la BCE pour qu’elle leur rachète des titres et donc leur fournisse de l’argent frais. En résumé, nous avons là aussi la démonstration de l’ampleur des vases communiquant entre l’économie des Etats-Unis et celle des pays de l’UE. D’où les contacts incessants entre Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, la BCE, le FMI… et les grands banquiers de Goldman Sachs à BNP Paribas en passant par la Deutsche Bank… Une rupture des crédits en dollars dont bénéficient les banques européennes peut provoquer une très grave crise sur le vieux continent, de même qu’une difficulté des banques européennes à rembourser les prêteurs états-uniens peut précipiter une nouvelle crise à Wall Street. » (Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne, 26 août 2011). Une étude récente de la banque Natixis confirme la détresse qu’ont connue les banques françaises pendant l’été 2011 : Flash Economie, « Les banques françaises dans la tourmente des marchés monétaires », 29 octobre 2012. On y lit : « De juin à novembre 2011, les fonds monétaires américains ont subitement retiré la plus grande part de leurs financements aux banques françaises. (…) C’est jusqu’à 140 Mds USD de financements à court terme qui ont fait défaut aux banques françaises à fin novembre 2011, sans qu’aucune ne soit épargnée. » (http://cib.natixis.com/flushdoc.asp...). Cette fermeture de robinet a touché également la plupart des autres banques européennes, comme le montre également cette étude publiée par Natixis.

|3| GAO, “Federal Reserve System, Opportunities Exist to Strengthen Policies and Processes for Managing Emergency Assistance”, juillet 2011, http://www.gao.gov/assets/330/321506.pdf. Ce rapport de la Cour des Comptes (GAO = United States Government Accountability Office) a été réalisé grâce à un amendement à la loi Dodd-Frank (voir plus loin) introduit par les sénateurs Ron Paul, Alan Grayson et Bernie Sanders en 2010. Bernie Sanders, sénateur indépendant, l’a rendu public (http://www.sanders.senate.gov/imo/m... ). Par ailleurs, selon une étude indépendante de l’Institut Levy auquel collaborent des économistes comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman et James K Galbraith, les crédits de la Fed auraient atteint un montant plus élevé que celui révélé par le GAO. Ce ne serait pas 16 000 milliards de dollars, mais 29 000 milliards de dollars. Voir James Felkerson, “$29,000,000,000,000 : A Detailed Look at the Fed’s Bailout by Funding Facility and Recipient », www.levyinstitute.org/pubs/w...

|4| “The CEO of JP Morgan Chase served on the New York Fed’s board of directors at the same time that his bank received more than $390 billion in financial assistance from the Fed. Moreover, JP Morgan Chase served as one of the clearing banks for the Fed’s emergency lending programs.”, http://www.sanders.senate.gov/newsr...

|5| Michel Rocard et Pierre Larrouturou, : « Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus que les banques ? », Le Monde, 3 janvier 2012 http://www.larrouturou.net/2012/01/...

|6| Voir notamment le rapport du GAO mentionné plus haut à la page 196 qui atteste de prêts à Dexia pour un montant de 53 milliards de dollars, ce qui représente seulement une partie des prêts dont a bénéficié Dexia de la part de la Fed. http://www.gao.gov/assets/330/321506.pdf

|7| Financial Times, “Banks plot early repayment of ECB crisis loans », 15 novembre 2012, p. 25.

|8| D’après le quotidien financier espagnol El Economista, http://www.eleconomista.es/espana/n...

|9| Financial Times, ibid.

|10| Voir http://www.bancaditalia.it/statisti..., tableau 2.1a.

|11| Mario Draghi est devenu président de la BCE le 1er novembre 2011.

|12| Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_.... Voir aussi Alain Salles et Benoït Vitkine, « Fatalisme face à un sauvetage échangé contre une perte de souveraineté », Le Monde, 22 février 2012, http://www.forumfr.com/sujet448690-....

|13| Mario Monti, premier ministre depuis le 13 novembre 2011, a été nommé sénateur à vie par le Président de la République Giorgio Napolitano. À l’occasion de sa nomination, il a quitté différents postes de responsabilité : la présidence de la plus prestigieuse université privée italienne, la Bocconi, et celle du département Europe de la Trilatérale, un des plus importants cénacles de l’élite oligarchique internationale, sa participation au comité de direction du puissant club Bilderberg et la présidence du think tank néolibéral Bruegel. Monti était conseiller international de Goldman Sachs de 2005 au 2011 (en qualité de membre du Research Advisory Council du Goldman Sachs Global Market Institute), il a été nommé commissaire européen au Marché intérieur (1995-1999) puis commissaire européen à la Concurrence à Bruxelles (1999-2004). Il a été membre du Senior European Advisory Council de Moody’s, conseiller de Coca Cola, il est encore un des présidents du Bussiness and Economics Advisory Group de l’Atlantic Council (un think tank américain qui promeut le leadership US) et fait partie du præsidium de Friends of Europe, think tank influent basé à Bruxelles.

|14| A l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque.

|15| Lors d’un sommet européen réuni le 21 juin 2012, il a été décidé que le MES serait également utilisé pour sauver des banques. A l’époque, cela a été présenté par Mariano Rajoy comme une victoire permettant à l’Espagne d’échapper à de nouvelles conditionnalités imposées par la Commission européenne ou par la Troïka. Rajoy a expliqué que l’aide qui serait octroyée par le MES aux banques espagnoles ne serait pas comptabilisée dans la dette publique espagnole, ce que les dirigeants de plusieurs pays de la zone euro (Allemagne, Pays-Bas, Finlande…) ont contesté, tout comme le FMI. A la fin novembre 2012, il n’y avait toujours pas de consensus sur cette question.

Eric Toussaint, maître de conférence à l’université de Liège, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde) et membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il a écrit, avec Damien Millet, AAA. Audit Annulation Autre politique, Seuil, Paris, 2012.

 

 

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 17:42

 

 

 
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Envol Vert forêt alimentation

Agence Gaïa pour Envol Vert

 

Eau, air, café, papier... saviez-vous que ces denrées sont en partie fournies par la forêt ?

Pour nous le rappeler et nous inciter à toucher du bois pour éviter de foncer dans le mur à trop vive allure (et éventuellement exploser en vol le 21 décembre 2012, jour prévu de la fin du monde...) une ONG spécialisée dans la protection de la forêt, Envol Vert, a élaboré une facture d’un nouveau genre. Corsée.

 

Un vrai coup de bambou

On ne s’y attend pas, et c’est pour cela qu’elle marque autant. Elle est arrivée sans crier gare dans mes courriels, entre l’accusé de réception de paiement des impôts, relevés de compte en ligne et autres factures de téléphone ou d'électricité. Un relevé comptable qui m’explique ce que je dois à la forêt et le montant de la remise qui m’a été faite en 2011, voyez plutôt :

 

 

Au total, la forêt m'a fait cadeau d'un peu plus de 600 euros, équivalent monétaire des ressources auxquelles je peux accéder grâce aux arbres, autrement dit elle m'a offert ses services sans que je m'en rende compte... ni ne lui en rende compte !

Des services, quels services ?

Je me suis alors demandée si passer une journée sans toucher de bois était possible. Manque de bol, il y a du parquet partout dans mon appart et je n’aurais fait que me lever du mauvais pied ce jour là. Un coup d’œil à mon bureau et à la tonne de livres, papiers et caisses de vin qui me servent de bibliothèque suffisent à me rappeler furieusement que mon défi est impossible.

 

foret-air Envol Vert 

Sans oublier les effets indirects indiqués ci-dessus : accès à l’air que je respire (les forêts actuelles sont en mesure d’éliminer chaque année environ 15% des émissions de dioxyde de carbone générées par l’homme), accès à l’eau (en 2007, le service de régulation du débit de l’eau rendu par les forêts a été évalué entre 1360 et 5235 dollars par hectare et par an, uniquement pour les forêts tropicales), et de quoi me nourrir (la valeur de nourriture  provenant de la forêt a été évaluée entre 75 et 552 dollars par hectare et par an).

Quand on sait, d'après une étude réalisée par le climatologue Benjamin Cook et publiée en mai 2011, que la disparition de la civilisation Maya serait liée à la destruction des forêts et que cette explication est également avancée dans le déclin environnemental de l'Île de Pâques... cela pose une question: ne devrions nous pas être plus soigneux avec les poumons de la planète ?

En tout cas, voilà une campagne qui en jette et "envoie du bois", non ?

Pour aller plus loin

Anne-Sophie Novel / @SoAnn

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