Je traquais les maraîchers qui cachent un panier de cœurs-de- bœuf derrière leurs produits standards pour mieux les réserver aux connaisseurs ; ou qui, au milieu de leur étal, disposent quelques noires de Crimée. J'avais compris que, pour enchanter mes salades estivales, il fallait que je fouine chez des petits producteurs qui, en amoureux du goût et de la biodiversité, avaient sélectionné les meilleurs plants parmi la cinquantaine existant. Les tomates voient rouge a balayé tout cela.
Premier choc, il existe 7 459 variétés de tomates dans le monde, dont les semences sont conservées à Saint-Pétersbourg, en Russie, à l'institut Nicolai-Vavilov. Tant de richesses gastronomiques en sommeil quand les rayons des primeurs ne proposent qu'un nombre si limité de variétés ? Quel gâchis ! Mais ce n'est pas tout. Andréa Bergala a rendu visite à un semencier aux Pays-Bas, leader mondial du secteur, capable de fabriquer par hybridation des tomates dotées de n'importe quels aspect, saveur, parfum ou couleur. C'est ainsi qu'est sortie de ses laboratoires la tomate-grappe, dont la tige a l'odeur de la tomate, mais dont la chair n'a aucun goût, et que l'on s'arrache néanmoins tant elle paraît sortir tout droit du potager.
Ou la tomate de grand-mère, joliment striée sur le dessus. Et une tomate-pêche à la chair jaune, sucrée et qui s'épluche au couteau. Bref, quand le désir d'authenticité se fait sentir aux étals des commerçants, les semenciers ont la réponse au fond de leurs éprouvettes. J'avais en fait oublié que les tomates anciennes ont disparu pour une bonne raison : très fragiles, elles ne supportent pas le transport et se conservent mal. La science est donc entrée en scène pour les ressusciter. Mais, malgré leur robe rustique, elles n'ont pas de goût (bien que vendues au prix de l'authentique). Je croyais savoir ce que je mangeais, et j'avalais une sauce marketing.
Voilà donc où en est l'alimentation. Et qu'on ne dise pas que la tomate est une exception. La même évolution a touché le vin. François Morel est rédacteur en chef d'une revue d'amateurs particulièrement éclairés, le Rouge et le blanc. Bénévole, comme toute son équipe, il ne dépend que de ses abonnés, ce qui lui garantit la liberté de parole. «Aujourd'hui, on dispose de tous les moyens de faire du bon vin, dit-il. Mais, lorsqu'on en boit, on risque de mourir d'ennui avant même de risquer de succomber d'alcoolisme.» Au premier rang des causes de l'uniformisation figurent les changements climatiques.
«De 1950 à 1985, trois quarts des vendanges eurent lieu en octobre et un quart en septembre. Depuis 1985, c'est exactement le contraire», lâche un vigneron de Morgon, dans le Beaujolais. En vingt ans, la faute au climat plus clément, la puissance a remplacé peu à peu la finesse dans certains terroirs. Au point que les amateurs commencent à ne plus supporter ces vins lourds et capiteux dont le degré d'alcool atteint parfois les 14°. «Et il se trouve même des vignerons qui en rajoutent encore, en concentrant la matière et la robe, fulmine un sommelier lassé de vendre des bouteilles que ses clients renoncent à finir. On a parfois l'impression de boire de l'encre.»
Il suffit de se promener dans les allées du Salon international de l'agroalimentaire (Sial) qui se tient tous les deux ans à Villepinte, près de Paris, pour bien comprendre ce que François Morel veut dire quand il parle d'ennui. Les quatre grandes entreprises fabricant des arômes plastronnent. Vous voulez obtenir une touche de fruit rouge ? De mûre ou de cassis ? Un goût boisé ? Pas de problème, ils ont la solution, une sorte de «kit goût universel» où piochent les vignerons. «C'est évidemment interdit dans les vins d'appellation, poursuit l'amateur passionné, mais qui contrôle vraiment ?» Pour un vigneron qui se fait pincer pour avoir ajouté du copeau de bois dans ses cuves, combien ont versé discrètement une fiole d'arôme ? Seul le palais exercé d'un dégustateur pourrait le détecter. «Les Allemands sont les meilleurs clients de ces chimistes», lâche François Morel.
Quand tant d'éléments se liguent pour brouiller les pistes, il s'agit alors d'une confusion organisée. Les industriels ont commencé par appeler leur confiture industrielle Bonne Maman, puis ont poursuivi en utilisant l'image d'une belle grand-mère sur leurs pots de yaourts standardisés, pour enfin appeler la biologie et la chimie à la rescousse afin de flatter l'aspiration au terroir d'origine qu'exigent les consommateurs. La règle appliquée par tous les cuisiniers, du plus humble au plus étoilé, qui veut que le plaisir des papilles commence par celui des yeux, a été intégrée par l'agroalimentaire. A ce jeu-là, il n'y a pas d'un côté le méchant industriel et de l'autre le consommateur victime. Chacun joue son rôle, en toute complicité, dans l'opération d'enfumage.
Jérôme Banctel est un grand cuisinier, le bras droit d'Alain Senderens, chef à la renommée mondiale installé place de la Madeleine, à Paris. Il a créé l'événement il y a près de dix ans en rendant ses trois étoiles au Michelin pour se libérer des contraintes que la distinction apportait. Parlez-lui de l'évolution de la qualité de la viande, et il vous répond dans un soupir : «bœuf d'Angus», cette vache d'origine écossaise particulièrement prisée pour sa tendreté et désormais élevée partout sur la planète. «Tout le monde, et même nos clients, réclame de l'Angus parce que son "mâcher" est plus souple, constate-t-il, amer. Du coup, il y en a partout sur le marché, alors que c'est une viande assez rare et chère. Et on ne sait plus bien ce qu'on achète, de l'authentique angus ou de la viande attendrie comme au bon vieux temps, du bœuf américain nourri à l'herbe ou un animal élevé en stabulation de ce côté-ci de l'Atlantique. Le pire, c'est que cette viande n'a pas de goût.»
L'uniformisation a-t-elle tué le goût et les bons produits ? «Non, bien sûr, répond le chef. Pour mon restaurant, je sais comment les sélectionner. Je fais venir les producteurs jusqu'ici et je choisis, au cul du camion. Les cèpes, par exemple. Je sais où trouver de bonnes volailles, de bons canards, de bons foies gras. Mais un bon produit est cher, et nous avons de plus en plus de mal à en répercuter le prix au client. Et, surtout, ils sont devenus rares.» Fini le temps où on pouvait trouver un turbo de 8 kg, poids qui garantit son goût. La surpêche est passée par là. Pour les mêmes raisons, adieu, les grosses coquilles Saint-Jacques. Bye-bye les figues de Solliès venues de Provence, remplacées par des importation, plus grosses mais moins bonnes. Même sort pour les coings français, petits, tachetés mais mûrs, remplacés par ceux de Turquie, gros et fades. La mondialisation rend la nourriture plus disponible, tant pis pour le goût.
Pourtant, de l'avis des nutritionnistes comme des cuisiniers, on mange de mieux en mieux. Les injonctions nutritionnelles incitant à manger moins gras, moins sucré, moins salé, à réduire la quantité de viande et à lui préférer le poisson commencent à produire leurs effets. «En dix ans, j'ai diminué de façon spectaculaire la quantité de beurre et de crème utilisée dans mes plats, précise Jérôme Banctel. Je mets moins d'œufs dans ma sauce suprême, j'enlève la peau des volailles.» Les légumes ont désormais une place de choix : 10 fois par jour, les clients lui commandent un plat végétarien.
Mieux, la technique est venue au secours de la diététique. La cuisson à l'induction, par exemple, grâce à sa souplesse et à l'absence d'inertie de la chaleur produite, permet de diminuer drastiquement les quantités de matières grasses. A cette évolution élitiste de la cuisine, il faut néanmoins apporter une nuance : l'alimentation industrielle ne s'est pas encore mise au diapason. La dernière enquête de l'Observatoire de la qualité de l'alimentation (Oqali) en témoigne. Si le sucre et le gras ont significativement baissé dans les sodas et la charcuterie, le sel est en revanche toujours consommé en excès - la recherche d'un goût soutenu et d'une meilleure conservation en étant la cause.
A y regarder de plus près, l'alimentation est le lieu de tous les paradoxes. Les bons produits, au caractère affirmé, sont devenus rares, alors que la nourriture n'a jamais été aussi abondante. Mieux, de toute l'histoire de l'humanité, elle n'a jamais été aussi sûre, alors que des professionnels du marketing de la peur persistent à clamer que «l'assiette tue» (Télérama) ou que nous engloutissons «notre poison quotidien» (Marie-Monique Robin, aux éditions La Découverte). «Tout cela est faux, et surfe sur l'angoisse naturelle de l'humain quant à ce qu'il mange, explique le directeur de l'évaluation des risques de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Dominique Gombert. D'ailleurs, je ne lis plus ce genre de livre ni ne regarde les émissions faites sur le même modèle, tout cela me fait trop peur !»
Il a dirigé une étude (Etude de l'alimentation totale) durant cinq ans portant sur 20 000 produits tels qu'ils sont consommés dans les foyers, réalisée selon un protocole qui fait l'unanimité. Résultat : sur 283 substances recherchées, de la plus anodine à la plus toxique utilisée par l'agriculture, 212 n'ont pas été trouvées. On est donc bien loin de l'assiette empoisonnée. Mais il arrive que la machine agroalimentaire, tournant habituellement comme une montre suisse, dérape. L'impact des accidents sanitaires n'en est que plus fort. Le dernier épisode d'Escherichia coli, en juin dernier, à Bordeaux, a montré comment, à force de faire tourner des abattoirs tout juste aux normes de sécurité, un accident majeur pouvait se produire.
Le même paradoxe se retrouve dans les légumes et les fruits, souvent présentés comme des bombes bourrées de pesticides. Une information publiée en juin dernier aurait mérité qu'on s'y attarde. Selon l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), en 2011, les ventes d'herbicides ont augmenté de 17 %, celles des insecticides de 11 %, alors que celles des fongicides ont diminué de 10 % - moyennant quoi la vente de l'ensemble de ces produits a augmenté de 8 %. «Scandale !» s'est immédiatement indigné François Veillerette, le président de Générations futures, qui fait des pesticides sa bête noire et la cause principale de l'augmentation des cancers (ce que ne confirme pas l'Institut national du cancer)... «La France s'est pourtant engagée à réduire l'utilisation de pesticides de 50 % d'ici à 2018», poursuit le président écolo. «La météo a été exécrable», répond l'UIPP, qui insiste sur l'engagement des paysans à maîtriser le recours aux produits phytosanitaires. De fait, la courbe d'évolution des ventes de ces produits parle d'elle-même : 108 700 t en 1998, 62 700 en 2011, une baisse de 42 %.
La question des résidus se cache derrière la polémique, évidemment. D'un côté, des professionnels convaincus que, sans traitements, l'agriculture ne produirait pas de quoi nourrir l'humanité. De l'autre, des militants du zéro résidu s'appuyant sur l'opinion des Français : deux tiers redoutent la présence de pesticides dans leur alimentation (1). Et pourtant, aucune relation n'a jamais été établie entre la consommation de fruits et légumes et l'apparition de cancers. «Rechercher l'exposition minimale en réduisant les résidus le plus possible est une évidence, remarque le toxicologue Jean-François Narbonne. Mais vouloir tout interdire n'est que pure gesticulation !» C'est la raison pour laquelle ont été créées les valeurs toxiques de référence (VTR) qui font consensus internationalement. «Elles sont réévaluées en permanence, précise Dominique Gombert. Une VTR peut être divisée par 10 si des études scientifiques récurrentes l'imposent : ce fut le cas du plomb, par exemple.»
A cet égard, les études nationales comme européennes qui se succèdent sont encourageantes. «D'énormes progrès ont été faits depuis vingt ans, analyse le directeur du risque de l'Anses. Ceux qui refusent de l'admettre aujourd'hui communiquent sur les molécules, et non sur les doses.» Il rappelle que, au cours des 146 000 analyses réalisées pour mener à bien la vaste Etude de l'alimentation totale, 73 des substances trouvées sur les 283 cherchées l'ont été dans moins de 1 % des produits consommés. Quelques mois auparavant, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) publiait une enquête réalisée à travers l'Europe sur 70 000 échantillons : 96,5 % se sont révélés conformes aux limites maximales autorisées. En 2006, 62,1 % des aliments étaient conformes. Sur 2 062 échantillons d'aliments pour bébés analysés, 76 contenaient des traces de pesticides et la limite autorisée était dépassée dans seulement 4 échantillons (0,2 %).
On peut donc se gaver de fruits et de légumes, respecter - voire dépasser - les recommandations d'en consommer cinq portions par jour sans risquer un cancer du tube digestif ou du côlon. Bonne nouvelle ! Mais à condition de suivre quelques règles, notamment celle qui consiste à se méfier des produits importés de l'extérieur de l'Union européenne. Dans la même étude, l'Efsa indique en effet que ce sont les échantillons d'aliments hors Union européenne qui font déraper les statistiques (7,6 % non conformes hors UE, contre 2,4 % de l'UE).
Le lait contaminé au cadmium par la faute de compléments alimentaires importés de Chine, et le lait enrichi illégalement à la mélamine, en provenance de Chine également, sont des affaires qui datent de 2006 et de 2008. Marianne avait à l'époque mis en garde contre la perméabilité des frontières européennes. La situation ne s'est pas améliorée depuis, à en croire les statistiques hebdomadaires du Rapid Alert System For Food And Feed (Rasff), le système d'alerte rapide européen pour les produits destinés à l'alimentation humaine et animale.
D'année en année, ils rejettent de plus en plus de cargaisons : 90 rejets en 2006 pour cause de traces de pesticides interdits en Europe, 180 l'année suivante, 219 en 2011, la plupart des rejets provenant d'Asie, de Chine en particulier. Le plus inquiétant est que le Rasff procède par prélèvements aléatoires, et non systématiques. Certes, les volumes d'importations globales s'accroissent. Mais il n'en reste pas moins que les antibiotiques dans les crustacés, le cadmium dans les produits carnés, les moisissures pathogènes (mycotoxines) dans les fruits secs, les pesticides dans les fruits et légumes comme les mangues en provenance de République dominicaine, les oranges d'Egypte, les courgettes de Turquie inquiètent les autorités européennes.
Compte tenu de la faiblesse des effectifs douaniers, on peut s'interroger sur le nombre de cargaisons qui passent à travers les mailles du filet. L'Etude de l'alimentation totale apporte une réponse : entre 2004 et 2010, les céréales, le pain et les biscottes contenant des traces de cadmium ont augmenté de 400 % - la faute aux engrais importés -, tandis que le plomb, le nickel, l'aluminium et le mercure rôdent de plus en plus dans les tasses à café.
«Produisons français» a été un des slogans de la campagne présidentielle. «Consommez au plus près de chez vous» s'avère encore plus pertinent. Pro-xi-mi-té. Ce pourrait être en quatre syllabes la règle de base. Car ce principe réunit à lui seul toutes les exigences : préservation de l'environnement, critères sanitaires, goût et recherche d'une origine garantie.
Faut-il rappeler qu'en moyenne un produit parcourt 2 000 km avant d'arriver dans une assiette ? Certains, les locavores, ont fait de la proximité la règle absolue en s'astreignant à ne consommer que des aliments produits dans un rayon inférieur à 200 km. Les Parisiens peuvent dire adieu aux langoustines du Guilvinec, et l'ensemble des Français tirer un trait sur le sucre, à remplacer par du miel. Contraignant, avouons-le.
La proximité est aussi la règle des grands chefs. «Elle permet de bien connaître ses producteurs, assure Jérôme Banctel. Je préfère même un producteur dont je suis sûr à un autre qui s'affiche bio. Le bio a beau être un label porteur, je ne sais pas forcément d'où il vient. La demande est si forte qu'en France on ne peut pas suivre. Le bio roumain ou espagnol est-il vraiment bio ? Je n'en sais rien.» Un rapport de la Cour des comptes européenne (2) conforte le point de vue du cuisinier, et dénonce l'inefficacité du système de contrôle des produits bio. Les critiques visent en premier lieu la Commission européenne, jugée coupable de ne pas surveiller ce secteur en plein boom. Or, quand la demande est soutenue, il y a fort à parier que des idées de profits rapides germent dans l'esprit de quelques margoulins sans scrupule. Le dernier audit de la filière date de 2001. «Inacceptable», juge la Cour des comptes. Le consommateur qui accepte de payer jusqu'à 30 % plus cher un produit bio est donc en droit de s'interroger sur ce qui se cache derrière l'étiquette.
Manger bio est néanmoins l'une des façons de «manger éthique». Le label a beau ne pas être une garantie de qualité, il certifie que le produit qui l'affiche a été cultivé selon des règles agricoles précises. Se développerait-il autant si dans le même temps le refus des OGM et des pesticides ne montait aussi fortement dans l'opinion ? Certainement pas.
De l'assiette à la bouteille, même son de cloche. «Ce qui compte pour moi, c'est d'aller voir ce qui se passe dans les vignes, assure François Morel, notre expert ès vins. La mention "bio" sur une bouteille va dans le sens de la recherche de l'authentique, comme pour la tomate. Mais ce qui compte, c'est le goût, d'où l'importance de nos dégustations systématiques. A quoi sert de se prétendre bio si la terre est labourée trop en profondeur, détruisant la biologie du sol ? Reste qu'on assiste à un retour des pratiques culturales plus respectueuses de l'environnement. Avec tous leurs traitements, les vignerons se sont rendu compte qu'ils tuaient la terre et pour longtemps.»
Si la proximité doit être une règle de base au moment du choix, elle a néanmoins un coût. «Vous avez remarqué, vous pouvez maintenant payer votre maraîcher avec une carte bancaire, s'étonne Jérôme Banctel. C'est dire si les prix sont élevés.» Serge Michels, vice-président de l'agence Protéines, spécialisée dans le conseil aux entreprises de l'agroalimentaire, ne dit pas autre chose. Il a réalisé de nombreuses études ayant recours à des panels de consommateurs de toutes origines sociales. «Ce qui me frappe, dit-il, c'est à quel point les consommateurs pas très riches réagissent quand on leur présente des images de beaux melons ou de belles tomates. Ils nous disent : "Ces trucs-là, c'est pas pour nous, c'est trop cher."» La qualité est devenue un marqueur social. Marqueur qui n'est pourtant pas exempt de contradictions. Car les mêmes qui trouvent les belles carottes bio trop coûteuses n'hésitent pas à les acheter râpées en barquette. Pour trois fois moins cher, ils se seraient régalés d'un produit frais agrémenté de citron et d'huile d'olive. Quand on vous disait que l'alimentation était paradoxale !
(1) Sondage pour l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), réalisé en 2010.
(2) Rapport spécial n° 9, juin 2012.
Pourquoi les sénateurs écolo ont-ils proposé sans crier gare un amendement visant à taxer l'huile de palme à 300 % ? Pour rééquilibrer la fiscalité de cette matière grasse saturée favorisant le mauvais cholestérol alors que l'huile d'olive, bénéfique à la santé, est aujourd'hui deux fois plus taxée ? Sans doute. Pour réactiver un combat ancien des écolos qui estiment qu'en utilisant larga manu l'huile de palme, l'industrie contribue à la déforestation des pays producteurs ? Peut-être. Mais l'initiative aura été si maladroite, prenant même le gouvernement par surprise, qu'au bout du compte plus personne n'y comprend rien. D'autant que l'amendement a été retoqué par les députés. Alors ?
Baptisée «amendement Nutella» du nom de la célèbre pâte à tartiner qui tire son onctuosité de l'huile de palme, la proposition a déclenché une contre-offensive de l'industriel. Et c'est ainsi que des pleines pages de pub ont été achetées pour rappeler qu'il n'y a pas plus de graisses saturées dans une cuillerée de Nutella que dans le beurre d'une tartine. Sauf que l'industriel s'appuie sur une étude du Fonds français pour l'alimentation et la santé, financée... par les industriels de l'agroalimentaire. Et, cerise sur la tartine de Nutella, le vote de l'amendement a coïncidé pile poil avec le lancement d'une pâte à tartiner sans huile de palme fabriquée par Casino. Comme si les arguments nutritionnels n'étaient mis en avant que pour nourrir des argumentaires marketing !
Manger cinq fruits et légumes par jour, comme le recommande le Plan national de nutrition et de santé (PNNS), est-ce bien utile ? «Le problème, c'est que les scientifiques ont toutes les peines du monde à le prouver, constate Jean Dallongeville, épidémiologiste et directeur de recherche à l'Institut Pasteur de Lille. Les tests sont en effet impossibles, tant la consommation de fruits et de légumes est un marqueur social de ceux qui ont par ailleurs une vie saine, font du sport, ne fument pas, etc., et sont donc moins exposés aux pathologies lourdes.» Et comme rien, à l'inverse, ne montre qu'une consommation de 400 g de fruits et de légumes par jour (poids de cinq portions) ne fait de mal...
En réalité, cette recommandation nutritionnelle est un vieux slogan de l'Organisation mondiale de la santé du temps où un consensus avait été établi sur les effets bénéfiques des vitamines. «Depuis que l'intérêt pour les vitamines est retombé, explique Luc Dauchet, épidémiologiste à Lille, il a été recyclé dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires, le cancer et le diabète.» Sans plus de preuves de son efficacité. «Aujourd'hui, cette recommandation nutritionnelle est la mieux acceptée parce qu'elle est associée aux basses calories, donc au désir de minceur.» Tant mieux pour les paysans.