| 02.12.11 | 11h53 • Mis à jour le 02.12.11 | 12h36
Un poste-frontière entre le Liban et la Syrie dans la vallée de la Beeka en octobre 2011.AFP/JOSEPH EID
Région de la Bekaa-Est (Liban) Envoyée spéciale - "Bienvenue dans la Syrie des Assad", proclame l'écriteau surplombant le poste-frontière de Qaa, entre Syrie et Liban, dans le nord-est de la Bekaa. En ce jour de novembre, quelques rares véhicules s'avancent sur la route vers Homs. Tirant sur leur cigarette ou faisant les cent pas, chauffeurs de minibus et badauds sont nerveux. "Il n'y a rien ! Tout va bien en Syrie ! Tout va bien ici !"
Rien, et pourtant, l'armée libanaise a installé des barrages dans cette plaine aride, surveillant l'accès vers les zones proches de la frontière, souvent non tracée, parfois contestée. Une patrouille militaire s'élance vers les territoires montagneux limitrophes, à l'est.
La région, difficile à contrôler par sa géographie et les nombreux chemins de traverse, est devenue "aussi sensible que le sud" frontalier d'Israël, selon un responsable sécuritaire libanais. Ce dernier précise que l'armée syrienne a posé des mines sur son sol, début novembre, le long de la frontière bordant le nord de la Bekaa. Des soldats libanais, affirme-t-il, ont été dépêchés pour vérifier leur localisation.
Ces mines inquiètent "Mahmoud" (nom d'emprunt), un habitant d'Ersal, localité sunnite de 40 000 habitants située au sud de Qaa et fief du Moustaqbal (parti de l'ancien premier ministre Saad Hariri). En contact avec les activistes syriens, l'homme aide les blessés à gagner clandestinement le Liban. Son salon est plongé dans l'obscurité. La nuit est tombée, et les délestages sont incessants. Mahmoud raconte que ces blessés, venant de la région d'Homs, sont acheminés vers le Akkar (nord d'Ersal). Nous n'en verrons aucun dans le village, situé dans une cuvette, entre la Syrie et des localités pro-Hezbollah. Mais une source médicale dans l'Akkar confirme que des Syriens passés par la Bekaa sont soignés dans sa structure.
"A Ersal, il n'y a pas d'hôpital. Nous ne soignons pas les blessés dans la région, car le Hezbollah risquerait de les renvoyer en Syrie", soutient Mahmoud. Au Parti de Dieu, allié de Damas et membre de la majorité au pouvoir au Liban, sont imputés d'autres forfaits : envoyer des combattants de la Bekaa en Syrie auprès des chabiha, ces milices actives dans la répression. Ou bien patrouiller le long de la frontière, côté libanais.
Issam Bleybel, élu du parti à Hermel (50 000 habitants), dément. "Le Hezbollah sait que rien ne redeviendra jamais comme avant, en Syrie, avance un proche de la formation chiite. Il sait aussi que la situation dans notre région est explosive, alors que deux courants pro ou anti-Damas s'opposent. Alors le parti fait profil bas." Profil bas ? Les portraits de Bachar Al-Assad sont pourtant omniprésents, dans les localités pro-Hezbollah, nombreuses dans la Bekaa et l'Hermel, à dominante chiite et bastions du parti.
L'arrivée à Hermel, depuis la fin de l'été, des familles de travailleurs syriens d'ordinaire seuls, en dit long sur les violences en Syrie. "Youssef" (un pseudonyme), Syrien de 26 ans, s'est lui réfugié à Ersal avec ses proches, après avoir été menacé. Originaire d'Al-Qussair (sud d'Homs), cet employé de l'Etat participait à la contestation antirégime. Son nouveau logement est précaire, glacial. Il s'y sent relativement à l'abri.
Relativement, du fait des tensions. Ali Hjeiri, président de la municipalité d'Ersal, accuse une équipe conjointe des services de renseignement syriens et libanais d'avoir fait irruption dans le village, le 21 novembre au soir, pour "enlever un réfugié syrien". Relatant le même épisode, l'armée a pour sa part expliqué qu'une patrouille "poursuivant des hors-la-loi" a essuyé des tirs à Ersal.
Des incidents ont aussi opposé par le passé partisans du Hezbollah et supporteurs du Moustaqbal. Aujourd'hui, les premiers minimisent les incursions syriennes en territoire libanais. Les seconds affirment qu'elles sont quasi quotidiennes à Ersal. Début octobre, un Syrien résidant au Liban a été tué sur des terres reculées, hors du bourg. Ces opérations angoissent agriculteurs et chasseurs, qui parcourent les chemins isolés, dans la montagne. D'autant que, du côté syrien, Damas a renforcé sa présence militaire.
Pour les habitants d'Ersal, l'espoir est grand qu'un effondrement des Assad permette le retour aux affaires de l'opposition libanaise. Leur colère reste intacte envers l'armée syrienne, accusée ici d'exactions lors des années d'occupation (1976-2005) du Liban. Embrassant la cause des protestataires syriens, Mohammed Hjeiri, commerçant et élu, organise même une collecte dans sa boutique, "pour les révolutionnaires".
Dans les villages pro-Hezbollah, les résidents redoutent une déstabilisation de la région. Approuvent-ils tous les Assad ? Sans doute pas. Mais ils ont peur. D'une guerre civile. D'un affaiblissement du Parti de Dieu, qui à leurs yeux les protège. Souvent entendu parmi eux, le sentiment que derrière les condamnations de Damas se cache le désir de certains pays d'en finir avec l'axe Syrie-Iran-Hezbollah, et par là, de fragiliser les chiites.
Au point de passage de Qasr, village dominé par le Hezbollah, le pont reliant les deux pays a été détruit par l'armée syrienne. Ses soldats montent la garde, derrière les gravats. Nul ne s'accorde sur la date de la démolition. Entre Qasr et Qaa, un instituteur libanais a été arrêté en octobre avec une dizaine de kalachnikovs et des grenades dans son véhicule, selon un responsable sécuritaire, pour qui le trafic d'armes reste mineur dans la Bekaa.
A Qasr, battu par la pluie, la politique est taboue. Hussein, un commerçant, s'épanche sur les déboires économiques de la région, qui s'approvisionnait avant sur le marché syrien, moins cher. Souvent par la contrebande, aujourd'hui ténue. La hausse des prix des denrées alimentaires et du mazout utilisé pour se chauffer est vertigineuse. Du mazout, le gérant de la station-service de Qasr n'en vend d'ailleurs plus, "car les gens ont à peine de quoi manger ici. Comment payer 30 % de plus pour du mazout venant de Beyrouth !" Protestant contre ce marasme, le 23 novembre, des manifestants ont coupé les routes dans la zone.
Laure Stephan