LEMONDE.FR | 02.03.12 | 11h05 • Mis à jour le 02.03.12 | 11h54
La campagne pour les élections législatives en Iran, où les bureaux de vote ont ouvert vendredi 2 mars, s'est déroulée presque en famille : entre conservateurs, ultraconservateurs et "indépendants" affiliés, avec pour principale inconnue le taux de participation, que le régime souhaite important, afin de se légitimer à l'intérieur du pays comme à l'étranger.
La plupart des réformateurs boycottent le scrutin, le premier depuis la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidentielle en 2009 et la vague de répression qui l'a suivie, écrasant toute opposition de rue, comme aujourd'hui dans les urnes.
Restent en lice 3 444 candidats, affiliés à 230 groupes aux programmes bien vagues, qui débattent mal et peu sur le fond, mais se déchirent pour le pouvoir, et qui proclament tous leur obéissance au Guide suprême de la révolution, Ali Khamenei. "Une part de cette cacophonie, c'est de la mise en scène. Conservateurs et 'ultras' font semblant qu'il y a une concurrence entre eux [sur le fond], mais la rivalité pour le pouvoir est bien réelle", analyse Azadeh Kian, sociologue de l'université Paris-VII.
UNE "GIFLE CONTRE LE DESPOTISME"
Schématiquement, on peut opposer d'un côté des conservateurs légitimistes, dominés par le Front uni des conservateurs (hezb-e Motahed), un groupe proche de l'actuel président du Parlement, Ali Larijani, et du maire de Téhéran, Mohammad Baqer Qalibaf. Cette tendance reste divisée en de nombreux groupes, qui souvent se partagent les mêmes candidats. De l'autre côté, deux groupes ultraconservateurs se rallient plus ou moins ouvertement au président Mahmoud Ahmadinejad, qui entretient une rivalité avec le Guide, et qui concentre toutes les haines d'appareil.
Ce suspense-là peut-il amener aux urnes plus de 60 % des quelque 48 millions d'électeurs iraniens, comme de nombreux responsables politiques le pronostiquent ? Mercredi, le Guide suprême a souhaité une participation massive, en forme de "gifle contre le despotisme" des Etats-Unis. "Une élection éclatante [qui] sera pour l'ennemi un puissant coup de poing à la mâchoire", disait-il, selon l'agence Mehr, lors d'un déplacement dans le nord-ouest du pays.
Une gifle, le blogueur Arman Amiri, très suivi en Iran, en imaginait une autre mardi : "Nos parents se sont battus pour obtenir le droit de vote comme un symbole de souveraineté du peuple. Aujourd'hui, il semble que nous devions nous battre pour obtenir 'le droit de ne pas voter', puisque le système judiciaire a déclaré officiellement qu'appeler au boycott présentait un délit, et que les instances religieuses ont de leur côté précisé que 'ne pas voter est un péché'. Je ne voterai pas, pour montrer que je garde le droit de choisir."
DISSIDENCE SUR CANAPÉ
En écho à Amiri, de nombreux Iraniens expriment, sur Internet, une forme de "dissidence sur canapé". Un utilisateur de Facebook écrivait ainsi mercredi sur son profil : "Je demande à tous mes amis d'aller acheter le DVD du film d'Asghar Farhadi [qui a obtenu l'Oscar 2012 du meilleur film étranger] le jeudi 1er mars et de rester chez eux à discuter du contenu de ce film le vendredi [jour de l'élection]."
Un groupe lié au mouvement "vert" pro-démocratie, réprimé depuis 2009, le Conseil coordinateur du chemin vert, a appelé les activistes à descendre dans les rues vendredi, pour convaincre les gens de ne pas aller voter. Mais toute possibilité de manifestation semble pour l'heure exclue. Le chef de la police iranienne, le général Esmaïl Ahmadi Moghadam, vantait jeudi la "sécurité totale" dans laquelle ce scrutin "sain et enthousiaste" doit se dérouler.
Les deux leaders du mouvement "vert", Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, sont en résidence surveillée depuis la mi-février 2011. La plupart des leaders du mouvement et des centaines de leurs principaux partisans sont dans la même situation ou en prison. "Après le coup d'Etat de 2009 [allusion à la réélection controversée de Mahmoud Ahmadinejad], il est impossible d'avoir de l'espoir dans les élections et dans leurs résultats", affirmait récemment le groupe parlementaire du Front de la participation, majoritaire sous Khatami, pour justifier son abstention.
Reste en lice une poignée de candidats étiquetés "réformateurs", dont 28 membres du Parlement actuel. Mansour Hosseini, président de cette faction parlementaire, estimait récemment qu'il pouvait espérer au mieux 30 à 40 sièges, sur un total de 290, si tous les candidats réformateurs étaient élus : une paille.
LES MÉDIAS MIS AU PAS
L'analyste Ahmad Salamatian voit dans cette campagne, qui a duré une semaine seulement et qui a peiné à exister, une forme de "marche militaire". Les murs de Téhéran semblent lui donner raison : la tonalité criarde des affiches politiques, auxquelles les Iraniens s'étaient habitués depuis les années 1990, a fait place à des messages sobres et martiaux, qui rappellent les années de guerre. "Les pays occidentaux n'attaquent pas l'Iran, parce qu'ils savent que le peuple iranien a confiance dans le régime et qu'il votera aux élections", proclame ainsi l'un d'eux.
Mercredi, le site Khodnevis relevait que des SMS, diffusés en chaîne à travers l'Iran, relayaient ce discours : ils jouent sur la peur d'une guerre avec les Etats-Unis pour appeler aux urnes et relever le suspens. "Si la participation est inférieure à 50 %, les Etats-Unis attaqueront l'Iran", peut-on lire sur l'un des écrans ci-dessous.
La télévision d'Etat est au diapason : elle diffuse en boucle des messages d'encouragement au vote du Guide et des principaux leaders fondamentalistes. A plusieurs reprises ces dernières semaines, des médias d'Etat et réformateurs ont annoncé que les débats télévisés entre candidats avaient été interdits. Avant la présidentielle de 2009, ces confrontations avaient déclenché de vifs débats dans le pays.
La BBC en persan, rare source d'information alternative (lien abonnés) dans ce morne paysage médiatique, a fait l'objet d'attaques violentes, une semaine avant l'élection. Samedi 25 février, dans une opération nommée "L'Œil du renard", l'armée idéologique du régime, les gardiens de la révolution, a accusé la chaîne d'entretenir un réseau d'espionnage dans le pays. Cinq journalistes et blogueurs, arrêtés ces dernières semaines, ont été mentionnés. La BBC fait régulièrement l'objet de tentatives de brouillage de son signal satellitaire. Son audience est pourtant en constante augmentation : elle a doublé entre 2009 et 2011.
Pour faire bonne mesure, même des médias conservateurs se sont plaints de censure : samedi 25 février, trois sites pro-Ahmadinejad, 598, Serat News et Bibak News, ont fait l'objet d'un filtrage, selon le site Etedaal.
>> Lire le chat avec Abdolreza Tajik, journaliste iranien, ancien prisonnier politique, exilé à Paris depuis janvier : "Une course à la soumission au Guide suprême"
Louis Imbert, avec le blog "Nouvelles d'Iran"