Rue89 - Sauvetages 04/12/2012 à 12h52
La France a volé au secours de ses banques, mais peut-elle éviter la disparition d’un site industriel ? Retour sur les décisions qui ont réussi et celles qui ont échoué.
Les hauts fourneaux de Florange, le 29 septembre 2012 (POL EMILE/SIPA)
La nationalisation du site sidérurgique de Florange, en Moselle, est-elle toujours envisagée ? Partielle ? Temporaire ? Possible ? Surtout, serait-ce vraiment une première ?
L’Etat peut effectivement sauver des banques – il l’a prouvé aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, et en France. Mais a-t-il déjà réussi à maintenir des usines en vie ? Oui, souvent même, mais à certaines conditions. Nous avons passé en revue les techniques qui marchent, et celles qui mènent dans le mur.
1 Mettre un coup de pression sur les dirigeants : trop aléatoire
La technique du coup de pression peut marcher. Mais cela reste rare, et impossible à généraliser. Les deux derniers gouvernements ont, par exemple, réussi à :
- exiger, entre les deux tours de la présidentielle, que la SNCF abandonne d’importantes créances à l’égard de SeaFrance, pour permettre à Eurotunnel d’acheter les navires de la société et à la Scop d’anciens salariés de les exploiter ;
- intervenir auprès des principaux clients publics de Neo Security pour qu’ils maintiennent leur confiance à leur prestataire en dépôt de bilan et permettre au repreneur, Fiducial, de conserver plus de salariés que prévu ;
- négocier avec Sanofi pour que le laboratoire réduise la voilure de son plan social. 900 postes sont malgré tout supprimés en France ;
La victoire risque d’être de courte durée, voire en trompe-l’œil. Chez Lejaby, par exemple, seules les 93 salariées d’Yssingeaux ont été repêchées. Lésées de leurs différentes indemnités et primes de licenciement, celles de Bellegarde sont toujours une trentaine à se mobiliser pour obtenir gain de cause et faire respecter des engagements de l’Etat.
2 Conseiller, accompagner, écouter : ça ne suffit pas
L’échec est assuré quand l’Etat se contente de conseiller, accompagner, écouter, sans débourser un euro. Les deux derniers gouvernements ont par exemple voulu :
- « faciliter les offres de reprise et lever les obstacles administratifs » pour Pétroplus, se félicitait Arnaud Montebourg dans un communiqué de presse ;
- « examiner les modalités d’une entrée au capital » pour Technicolor, expliquait Eric Besson, alors ministre de l’Industrie ;
- missionner un conseiller chez Freescale à Toulouse.
Les trois entreprises ont fermé. Et Pétrolus voit défiler les repreneurs plus ou moins crédibles.
Pour Jean-Louis Levet, économiste, c’est l’une des conditions nécessaires à la réussite d’une intervention de l’Etat : il faut y mettre le prix.
3 Apporter une aide financière massive : ça marche
Le spécialiste des questions industrielles cite trois cas de figure en France, trois dossiers symboliques d’une intervention de l’Etat réussie.
Renault, tout d’abord, qui se trouvait au bord du dépôt de bilan au début des années 80 :
« Deux possibilités s’offraient à l’Etat : laisser couler en cédant la place à l’industrie automobile japonaise, ou relancer l’industrie automobile française. L’Etat a choisi la seconde option.
Une mission a été montée pour comprendre ce qui n’allait pas. Et, là, on a découvert que l’entreprise mettait huit ans à faire une voiture que les Japonais fabriquaient en quatre ans, qu’il y avait beaucoup de problèmes de qualité, à cause – entre autres – d’une multitude d’échelons hiérarchiques.
L’Etat a réinjecté de l’argent en demandant au nouveau patron, Georges Besse, de remédier à ces problèmes. Tandis que le Fonds national pour l’emploi (FNE) a permis à des salariés de partir en préretraite. »
Même schéma chez Air France, au bord du dépôt de bilan dans les années 90. L’intervention se joue cette fois aussi au niveau européen. Jacques Delors parvient à convaincre la Commission européenne qu’il faut laisser l’Etat sauver la compagnie aérienne française.
En 2004, enfin, l’Etat français prend 21,36% du capital d’Alstom, dans le cadre d’une aide de 2,8 milliards d’euros (à peine plus que pour Renault et Air France). Bruxelles dicte ses conditions : Alstom doit céder des actifs. Le groupe vend ses chantiers navals, son activité turbines industrielles et sa division transmission et distribution d’énergie, rappelle L’Usine Nouvelle. Dès 2006, l’Etat cède ses parts à Bouygues, pour une plus-value de 1,26 milliard d’euros.
4 Soutenir un secteur entier : oui
La France n’est pas la seule à soutenir aussi massivement ses industries, prévient Jean-Louis Levet :
« Aux Etats-Unis, on fait ça en permanence pour des secteurs entiers, à coup de subventions et de protectionnisme. Ça a été l’acier dans les années 80, l’automobile durant cette même période, et plus récemment depuis la crise, ou encore les ports et les produits agricoles. »
Quand des Länder n’hésitent pas à entrer dans le capital de grosses entreprises de taille intermédiaire en Allemagne.
5 Prévoir un plan de développement de long terme : efficace
En France, Renault, Air France et Alstom sont devenus, à la suite de leur sauvetage par l’Etat, des géants de leur secteur. Pour l’expert, ces trois situations démontrent la nécessité de réunir trois conditions pour que l’intervention porte ses fruits. Il faut :
- prévoir un plan de développement de l’entreprise sur cinq ou dix ans, et ne pas se contenter de mesures ponctuelles ;
- changer le patron à la tête de l’entreprise, ou s’appuyer sur un nouvel arrivant ;
- exiger le remboursement de la somme investie.
6 Licencier ? Pas forcément
Faut-il que l’entreprise licencie massivement, comme l’a fait Georges Besse chez Renault par exemple ? Ce n’est pas automatique pour l’économiste :
« Le sureffectif est la conséquence, pas la cause, du manque d’innovation, d’adaptation, d’évolution de l’entreprise : elle innove peu, elle a de moins en moins de clients, de moins en moins de chiffre d’affaires, et elle se retrouve à compter trop de salariés. »
Les licenciements peuvent cependant être nécessités par le plan de développement, reconnaît Jean-Louis Levet :
« Ce ne sont pas des licenciements secs, il y a des cellules de reconversion. Le problème, c’est que ces entreprises, qui ont peu innové, ont aussi, du coup, peu formé leurs salariés, et qu’il est souvent difficile pour eux de trouver du travail. En moyenne, un sur deux en retrouve. »
7 Anticiper les transitions technologiques : encore mieux
Mieux vaut que l’Etat anticipe, donc, pour soutenir les entreprises en difficulté. Des entreprises à ne pas confondre avec les « canards boiteux », qui existent finalement peu, constate Jean-Louis Levet :
« Un canard boiteux, c’est une entreprise qui n’a ni compétences, ni marché, ce n’est pas une entreprise en difficulté. Et on parle souvent de vieilles industries à laisser mourir, et de nouvelles industries à soutenir.
Mais on peut être vieux dans les nanotechnologies s’il n’y a pas de marché... Et il n’y a pas de vieilles industries, au sens d’industries dépassées. Il y a des ruptures technologiques, et il faut accompagner les entreprises pour qu’elles les dépassent.
C’est le cas de Florange. Le marché existe toujours, même si, conjoncturellement, il va mal : on aura besoin d’acier après la crise comme avant. Simplement, Florange vit une rupture technologique. Elle peut se convertir, par exemple, avec le projet Ulcos, qui prévoit de réduire d’au moins 50% les émissions de gaz carbonique lors de la fabrication d’acier, de devenir le pilote industriel de la sidérurgie de demain. L’entreprise fait un pari, et il est normal que l’Etat s’intéresse à elle. »
Pour l’économiste, finalement, il relève du rôle de l’Etat :
- de stimuler l’innovation dans les industries dites matures : « Dans l’industrie automobile, par exemple, on réfléchit maintenant en termes de mobilité, de ville de demain, d’architecture. Les comportements évoluent aussi : notre souci ne sera bientôt plus d’acheter une voiture mais de savoir quelle voiture utiliser à quel moment. On n’achètera plus un bien, mais un usage. » Les entreprises vont devoir prendre des risques pour envisager cette rupture technologique et sociale, et l’Etat doit les y aider ;
- d’accompagner les entreprises quand elles rencontrent des ruptures dans leur trésorerie : « car toute entreprise, dans sa vie, a des difficultés ».