Mais qu’a donc à cacher le ministère de l’économie et des finances pour s’opposer à toutes les demandes de communication de l’accord signé entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes le 9 avril 2015 ? Une nouvelle fois, Raymond Avrillier, écologiste de longue date et ancien maire adjoint de Grenoble, s’est heurté à une fin de non-recevoir au ministère de l’économie, lorsqu’il a demandé l’accès à ce protocole. Il avait pourtant en poche le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 juillet, enjoignant à Bercy de lui transmettre les documents publics demandés (lire notre précédent article). Constestant cette décision, le ministère a décidé de se pourvoir en cassation auprès du conseil d’État et donc de refuser toute communication du texte de l’accord, comme il l’en a informé dans un courrier daté du 12 septembre. Juste avant que le gouvernement annonce ce dimanche 18 septembre, un nouveau plan autoroutier de 1 milliard d'euros.
La décision de faire appel du jugement du tribunal administratif a été prise, alors qu’Emmanuel Macron était encore ministre de l’économie. « Mais cette décision est une position du ministère, pas celle du ministre. L’analyse de Bercy est que ce protocole est un texte préparatoire, commun aux six sociétés concessionnaires. Il n’a pas à être communiqué. Les vrais accords société par société ont été publiés par la suite au Journal officiel », expliquent des conseillers dans l’entourage d’Emmanuel Macron et à Bercy (lire la boîte noire de cet article).
Le ministère de l'économie et des finances © Reuters
Cette explication diffère de celle qui avait été présentée par le ministère de l’économie devant les juges administratifs. Pour justifier son refus, Bercy avait alors plaidé que l’accord avec les sociétés autoroutières relevait du droit privé : il avait été signé dans le cadre d’un « protocole transactionnel », les sociétés concessionnaires renonçant à engager une action judiciaire contre l’État comme elles en avaient agité la menace. C’était l’application du secret des affaires avant la loi, en somme.
Mais le tribunal administratif de Paris, pourtant très soucieux de la protection des intérêts de l’État, avait balayé cet argument, dans son jugement : « Ces circonstances [le renoncement à toute action judiciaire – ndlr] ne sont pas de nature à ôter à ce contrat conclu entre l’État et des sociétés délégataires d’une mission de service public le caractère de document administratif au sens des dispositions précitées de la loi du 17 juillet 1978 ; dès lors, M. Avrillier est fondé à soutenir, qu’en refusant de communiquer le document demandé, le ministre a méconnu les dispositions précitées de la loi du 17 juillet 1978 ; par suite, la décision implicite portant rejet de la demande de communication dudit document doit être annulée », avait-il tranché.
D’où le changement de ligne de défense de Bercy. Le protocole annoncé en fanfare par le premier ministre Manuel Valls le 9 avril, censé ouvrir une nouvelle ère entre l’État et les sociétés d’autoroutes, en établissant des « relations plus équilibrées » et un grand plan de travaux, n’est plus désormais qu’un « document préparatoire » !
Ce n’est qu’un épisode brumeux de plus dans ce dossier très opaque, traité de près par Bercy. Alors que les députés socialistes – au terme d’une commission d’enquête parlementaire créée à la suite du fiasco de l’écotaxe et de l’obscur contrat Ecomouv – en étaient arrivés à la conclusion qu’il fallait remettre à plat tous les contrats de concessions autoroutières, quitte à « renationaliser » de façon temporaire s’il le fallait, le ministère de l’économie, soutenu par Matignon, avait rapidement repris les choses pour contrer ces tentatives « irréalistes » voire « irresponsables » des parlementaires.
La manœuvre avait été jugée si choquante que le président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, Jean-Paul Chanteguet – suppléant de Michel Sapin –, avait démissionné de la présidence du groupe de travail sur les autoroutes pour protester contre cette mascarade. « Je ne saurai cautionner une démarche qui n’aurait pour ligne directrice la défense de l’intérêt général, c’est-à-dire celle de l’État et de ses usagers », avait-il écrit dans une lettre de démission cinglante, adressée à Manuel Valls.
Un mois plus tard, Matignon annonçait le grand accord avec les sociétés concessionnaires. Contre un engagement de travaux de modernisation [normalement prévu dans le cahier des charges des concessions – ndlr] et d’extension du réseau autoroutier estimé à 4,2 milliards d’euros – soit moins d’une année de bénéfices cumulés des sociétés concessionnaires –, elles allaient bénéficier d’une extension de la durée de vie de concession, de 2 à 3 ans : certaines vont courir ainsi jusqu’en 2033 !
Surpris par cet accord, Raymond Avrillier, qui a déjà à son actif la révélation du scandale de la privatisation de la régie municipale d’eau de Grenoble par Alain Carignon en 1994 et celle de l’affaire des sondages de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a cherché à en savoir plus. Malgré les injonctions de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) puis celles du tribunal administratif, l’ancien conseiller municipal s’est toujours heurté à un refus de communication de la part du ministère de l’économie.
« Si Bercy se refuse, de façon si obstinée, à communiquer cet accord, c’est qu’il existe des dispositions, à mon avis, autres que celles annoncées sur l’extension de durée des concessions et des travaux en contrepartie et qui doivent rester secrètes. Je ne serais pas étonné qu’il existe aussi des dispositions fixant les augmentations de péages, par exemple », subodore Raymond Avrillier.
L’annonce faite par le gouvernement d’un nouveau plan de relance autoroutier, faite ce 18 septembre, nourrit encore plus le doute. Celle-ci illustre l’incohérence de la politique du transport du gouvernement, au point de laisser supposer quelque agenda caché. Comment expliquer sinon que le gouvernement décide un énième plan de relance autoroutier la semaine même où il promet de tout en œuvre pour défendre l’usine d’Alstom à Belfort et soutenir le ferroviaire ?
Surtout, pourquoi projeter ce nouveau programme d’un milliard d’euros, alors que celui annoncé en 2015 est à peine lancé ? Dans le cadre de celui-ci, il était prévu que les sociétés concessionnaires engagent 3, 2 milliards d’euros de travaux, dont 80% de ceux-ci devaient être réalisés sur les trois ans, sans augmentation de tarifs, en contrepartie de l’allongement de la durée des concessions. Qu’est-ce qui justifie alors une telle précipitation ? Le nouveau programme ne fait-il pas partie en fait du même programme mais présenté sous une autre forme, afin de contourner les engagements passés ? Car toutes les promesses passées ont disparu. Les collectivités locales seront mises à contribution et les péages augmenteront. Entre « 0,3 et 0, 4% par an entre 2018 et 2020 » a précisé le secrétaire d’Etat aux transports, Alain Vidalies, dans un entretien au Journal du Dimanche . Presque rien donc, à l’en croire...
*Suite de l'article sur mediapart
Source : https://www.mediapart.fr