Quatre logos détaillant le score nutritionnel des aliments vendus dans les supermarchés vont être testés dans quarante grandes surfaces françaises tirées au sort en France. Annoncée en mai dernier, l’objectif de cette expérimentation est de «lutter contre le fléau majeur de l’obésité» en fournissant une information claire aux consommateurs sur ce qu’ils mangent, selon la ministre de la Santé Marisol Touraine. Après plusieurs mois d’étude, des millions d’achats devront par la suite être analysés pour désigner le logo le plus efficace auprès des consommateurs.
Durant dix semaines, plus de 2 millions d’étiquettes seront collées sur 1 300 produits aux rayons traiteur, conserves ainsi que pains et viennoiseries industrielles. Elles seront testées dans des magasins Casino, Carrefour Market et Simply Market d’Ile-de-France, de Normandie, des Hauts-de-France et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. «Il s’agit de voir lequel de ces systèmes est le plus susceptible de modifier les actes d’achat», en orientant les consommateurs vers des produits plus équilibrés, déclarait Benoît Vallet, directeur général de la santé et coprésident du comité de pilotage de l’expérimentation. «Ce doit être gagnant-gagnant, pour le consommateur qui pourra améliorer sa manière de manger et pour l’industriel, qui pourra connaître les réflexes et les souhaits de ses consommateurs», soulignait de son côté Marisol Touraine.
Or, l’étiquetage des produits alimentaires figurait déjà dans la loi de modernisation du système de santé promulguée en janvier 2016. A l’origine, elle prévoyait la mise en place rapide d’un logo à cinq couleurs proposé dès 2014 par l’épidémiologiste Serge Hercberg, président du Plan national nutrition santé (PNNS). Cet étiquetage, appelé Nutri-score, allait du vert au rouge, vert signifiant une bonne qualité nutritionnelle ; rouge une mauvaise. Mais cela n’a pas plu aux industriels de l’agroalimentaire qui s’étaient élevés contre ce système, prétextant que leurs produits non étiquetés «verts» allaient être rejetés par les clients. Ces derniers réclamaient alors un autre système, «plus analytique». En d’autres termes, moins clair à déchiffrer pour le client. Et même si ce logo préconisé par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait été jugé comme étant le plus efficace selon une étude comparative publiée en 2015, Marisol Touraine a finalement cédé en annonçant l’organisation de ce test pour départager quatre dispositifs : Nutri-score (avec cinq couleurs) défendu par le HSCP, Nutri Repère conçu par l’industrie agroalimentaire, Nutri Couleurs en vigueur au Royaume-Uni et Sens mis en avant par la grande distribution.
Quatre logos nutritionnels testés à partir du 26 septembre, sur fond de polémique http://u.afp.com/Etiquetage #AFP
Or, selon une enquête du Monde, cette opération serait minée par une accumulation de conflits d’intérêts jetant le doute sur l’impartialité de l’évaluation demandée par le ministère de la santé. En effet, Benoît Vallet, qui préside le comité de pilotage, partage le fauteuil avec Christian Babusiaux, qui, lui, se trouve être depuis avril 2015 président du Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS), une organisation financée… par l’industrie agroalimentaire. Au total, selon le quotidien, on retrouverait pas moins de quatre représentants de l’industrie agroalimentaire parmi les quinze membres de ce comité.
«Cette expérimentation est un moyen de reculer la prise de décision politique sous la pression des industriels», a condamné Serge Hercberg, qui déplore la perte de temps occasionnée dans l’application de la mesure. Ce dernier craint également que le télescopage de l’étude avec le calendrier électoral ne repousse l’entrée en vigueur de l’étiquetage nutritionnel. Par ailleurs, courant septembre, Mediapart a affirmé que les représentants de l’industrie agroalimentaire et de la distribution avaient envoyé en juin une lettre au ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll pour «mettre fin» à une étude dirigée par Serge Hercberg, qui visait à mesurer l’efficacité du code aux cinq couleurs élaboré par son laboratoire. «Cette tentative d’interférence sur la recherche publique est incroyable et choquante», avait déclaré ce dernier à l’AFP, qui a par la suite été écarté du comité scientifique du test des quatre logos au motif qu’il présenterait un «conflit d’intérêts moral, intellectuel et affectif».
Autre point de contestation, aucun des quatre logos testés ne prend en compte les substances chimiques et toxiques présentes dans les aliments. «Pour juger de la bonne qualité nutritionnelle d’un aliment, il faudrait que la présence d’additifs chimiques soit prise en compte», rappelle à 20 minutes la nutritionniste Angélique Houlbert. A titre d’exemple, le nitrite additif alimentaire, l’un des produits chimiques les plus répandus dans nos aliments, est suspecté de jouer un rôle dans le développement du cancer colorectal. Déjà en 2006, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) avait classé les nitrites comme agents cancérogènes.
De leur côté, les industriels prétendent que le nitrite est utilisé pour éradiquer la toxine botulique de la viande, une bactérie à l’origine du botulisme, une affection neurologique grave responsable de paralysies musculaires. Un argument faussé d’après les scientifiques et qu’une enquête de Cash investigation a récemment mis en lumière : le sel nitrité permettrait en fait aux industriels de donner à leurs jambons, pour reprendre l’exemple de l’émission diffusée la semaine dernière sur France 2, une couleur plus rose et donc plus attrayante pour les clients de supermarchés. Dans son enquête, le magazine reproche également aux grandes marques de rendre leurs étiquettes très difficilement lisibles pour les consommateurs afin de conserver un maximum d’opacité. Invitée sur le plateau de l’émission, la députée européenne EE-LV Michèle Rivasi a d’ailleurs lancé une pétition pour la simplification des étiquettes.
Signez la pétition "Etiquetage alimentaire: les consommateurs veulent le codage en 5 couleurs"! http://www.change.org/OuiAux5C #cashinvestigation
Début 2017, les résultats de ce test seront présentés au Parlement européen, qui devra statuer dans le courant de l’année sur le choix d’un système graphique unique pour le marché européen. Pour autant, l’accumulation de conflits d’intérêts laisse perplexe sur l’objectif de l’étude, dont l’étiquetage retenu comme étant le plus efficace ne sera par ailleurs considéré que comme «facultatif», la réglementation européenne ne permettant pas aujourd’hui de le rendre obligatoire.
Source : http://www.liberation.fr