Médiapart - 14 février 2013 |
C’est par un silence assourdissant que les responsables européens ont accueilli ce jeudi 14 février les dernières statistiques de la zone euro. Alors qu’ils affirmaient depuis plusieurs semaines que le plus dur de la crise était passé, les chiffres viennent leur rappeler que l’économie ne se résume pas aux réactions de marchés. L’économie réelle est là et elle n’a jamais été aussi mal en point.
Au quatrième trimestre, l’activité dans la zone euro affiche une chute bien plus importante que ce qui avait été anticipé : le PIB européen a diminué de 0,6 %, selon Eurostat. La chute est aussi importante qu’au troisième trimestre de 2008, au moment où Lehman Brothers s’est effondré.
Pour le troisième trimestre consécutif, l’économie européenne est en baisse. L’Europe affronte ainsi sa deuxième récession depuis 2009. Entre les deux, l’activité a à peine eu le temps de repartir.
Les effets de la politique d’austérité imposée à toute l’Europe se révèlent sans surprise. Contraction économique, chute de l’activité, explosion du chômage, creusement des déficits sont bien au rendez-vous. L’Italie a enregistré une baisse de 0,9 % de son activité au quatrième trimestre par rapport au précédent, soit 3,7 % en rythme annualisé. Pourtant, l’économie italienne appliquant les remèdes de Mario Monti était censée se redresser. Au troisième trimestre, les thuriféraires européens pariaient sur un rebond éminent : l’économie italienne n’avait alors baissé que de 0,2 %.
C’est la sixième chute trimestrielle consécutive de l’Italie. Depuis 2009, le PIB italien a baissé de plus de 10 %. Le chômage, lui, continue de grimper pour atteindre 11,2 % de la population active, soit 2,9 millions de personnes.
En Espagne, le nombre de chômeurs frise désormais les 6 millions, soit 22 % de la population active. Pour les jeunes de moins de 25 ans, le taux dépasse les 52 %. L’activité qui sombre depuis plus de deux ans continue sa chute libre. Le PIB a encore reculé de 0,7 % au quatrième trimestre, soit 1,37 % sur l’ensemble de l’année. Le gouvernement espagnol y a vu un motif de grande satisfaction : il redoutait que la récession dépasse 1,5 % en 2012.
Forts de cette perspective, certains évoquent là aussi un futur rebond de l’économie espagnole. Des économistes de banque se laissent aller à parler d’une future deuxième Allemagne. En 2005, les mêmes comparaient l’Espagne à la Californie.
Y a-t-il un fond à la chute ? Les Portugais se le demandent. Présenté comme le bon élève de l’Europe, le pays a suivi à la lettre les prescriptions du FMI et de la Commission européenne. Réforme du droit du travail, des retraites, diminution des salaires, réduction des dépenses publiques, de la santé, de l’éducation, suppression des emplois publics… tout a été respecté. Mais les dépenses publiques se révèlent ne pas être si improductives qu’elles étaient censées l’être. Sans elles, l’économie portugaise est en train de s’écrouler. Au quatrième trimestre, le PIB a diminué de 1,8 %, pour l’ensemble de l’année de 3,2 %. Le chômage dépasse désormais les 16 %.
Sans prendre de grands risques, des observateurs prédisent que tous les objectifs de redressement des comptes publics et de déficit, imposés par la Troïka (FMI, Europe, BCE), ne vont pas être respectés. L’ennui est que les responsables européens comptaient beaucoup sur le Portugal pour faire la démonstration de la pertinence de leur politique, la Grèce, selon l’expression européenne consacrée, étant « un cas à part ».
La situation grecque devient tellement à part, qu’il est impossible de prédire comment elle peut évoluer dans les mois à venir. Pour la quatrième année consécutive, l’économie grecque a chuté de 6 % par rapport au dernier trimestre de 2011. Depuis 2009, l’activité a reculé de près de 30 %. Le chômage continue d’augmenter. Il atteint le taux stratosphérique de 27 %. Là encore, les jeunes paient le plus lourd tribut avec plus de 54 % de sans emploi.
Cet effondrement des pays de l’Europe du Sud, des PIGS comme les ont appelés des analystes financiers, se répercute sur l’ensemble de la zone euro. Cet effet de contagion était là aussi prévisible : 60 % des exportations de pays européens sont réalisées dans l’espace communautaire.
La France a été durement touchée. À l’exception de l’agro-alimentaire, toutes ses exportations s’effondrent au quatrième trimestre, en raison de la faible demande de l’Europe du Sud et de la cherté de l’euro. La production industrielle est en recul de 3,3 % sur la fin de l’année. 66 800 emplois ont été détruits en 2012, portant le chômage officiel à plus de 9,8 %.
L’économie française est désormais officiellement en récession, avec trois trimestres de croissance zéro, et un quatrième marqué par une chute de 0,3 %. Ne s’étant jamais relevé depuis le début de la crise financière, le PIB français, selon l’Insee, se retrouve au niveau de 2006. C’est dans ce contexte que vont s’ouvrir les discussions avec la commission européenne sur le déficit public français. Le gouvernement, ayant acté qu’il ne pourra respecter le mythique 3 %, espère obtenir quelques aménagements contre la promesse de « réformes structurelles », comme le dit le jargon européen. Car il ne saurait être question de revenir sur la brillante politique européenne, imposée par Angela Merkel.
L’Allemagne, qui se pensait à l’abri, est obligée aussi de réaliser que son sort reste lié au reste de l’Europe. Elle est plus touchée que prévu. Au quatrième trimestre, son activité recule de 0,6 %. Ses exportations en Europe ralentissent nettement. Les « mirifiques » marchés asiatiques n’ont pu compenser ce manque à gagner. Sa production industrielle a baissé de 1,1 % en 2012.
Des prévisionnistes de banque veulent croire que la récession, désormais officielle en Allemagne, n’est que passagère. Le rebond devrait, selon eux, se manifester dès le premier trimestre 2013. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, parie sur la reprise de l’économie dans l’ensemble de la zone euro « au cours de l’année », sans oser s’avancer plus.
En attendant, les responsables européens ont convenu de ne rien changer. Le dogme, comme il se doit, doit être suivi sans discussion. Oser parler de la question de la surévaluation de la monnaie européenne, qui annihile tous les efforts des pays européens pour redresser leur économie, relève du tabou, comme cela devrait se vérifier à nouveau lors du sommet du G-20, prévu cette fin de semaine à Moscou. Pour la commission européenne, alignée sur la position de Berlin, il convient juste d’avoir de la patience afin de percevoir les effets bénéfiques de l’austérité.
Le temps pourrait cependant à nouveau manquer aux responsables européens pour conduire l’expérience jusqu’à son terme. Les Européens risquent de ne pas supporter encore très longtemps de voir leur économie s’enfoncer et de n’avoir comme seule perspective que la pauvreté et le chômage.
Les financiers eux-mêmes s’interrogent sur la capacité de l’Europe à supporter encore longtemps cette situation. À peine avait-il pris connaissance des dernières statistiques européennes que le responsable Europe de Standard & Poor’s a déclaré que l’Italie, l’Espagne et la France couraient le risque de voir leur notation être abaissée cette année. Cela faisait bien six mois qu’il n’avait plus été question de dettes souveraines en Europe. Mais la magie de Mario Draghi risque de finir par s’épuiser. Et les vraies questions sur la conduite de la zone euro ne vont pas manquer de se reposer.