Vingt-sept ans après la catastrophe de Tchernobyl du 26 avril 1986, la plus grave de l'histoire du nucléaire, le réacteur numéro 4 de la centrale ukrainienne, située à 140 km de Kiev, fait naître de nouvelles inquiétudes.
Mardi 12 février, en début d'après-midi, une partie du toit et des murs en béton d'un bâtiment jouxtant le réacteur s'est effondrée. Laissant craindre une extension des dégâts au sarcophage construit dans l'urgence, en 1986, pour recouvrir les installations sinistrées. Et entraînant l'évacuation, par mesure de précaution, d'environ 80 salariés du consortium Novarka formé par Bouygues et Vinci, qui travaillent sur place à la construction d'une nouvelle enceinte de confinement.
Selon les informations et les photos fournies par l'autorité de régulation du nucléaire du pays (SNRIU), les structures sont éventrées sur environ 600 m2. D'après les autorités ukrainiennes, qui qualifient cet incident de "mineur", elles ont cédé sous le poids de la neige.
Le bâtiment endommagé est une salle de machines abritant les turbines du réacteur, dont il est distant de 50 mètres, indique la porte-parole de la centrale nucléaire, Maïa Roudenko. "Nous savions qu'il y avait un risque d'effondrement des constructions anciennes", ajoute-t-elle. La direction de la centrale assure que "les constructions en question ne constituent pas une partie substantielle de l'enceinte de confinement". Des mesures de radioactivité sur le site ne révéleraient "aucun changement de la situation radiologique". Le député Valeri Kaltchenko, vice-président de la commission parlementaire chargée de la liquidation des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, affirme lui aussi que "le niveau de radioactivité est normal".
Le bâtiment des turbines ne contient pas de matières radioactives, mais, comme l'ensemble des installations du site nucléaire, il est contaminé et des particules radioactives peuvent s'en échapper. Dans son rapport de 2011 sur "Tchernobyl, vingt-cinq ans après", l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français (IRSN) soulignait : "Un écroulement du sarcophage aboutirait à la mise en suspension de poussières radioactives qui pourraient, de nouveau, contaminer le voisinage du site."
Directeur général adjoint de l'IRSN chargé de la sûreté nucléaire, Thierry Charles estime qu'à ce stade le danger est "une pollution radioactive locale". Mais, poursuit-il, le sarcophage s'appuie en partie sur le bâtiment endommagé, si bien que "l'autorité de contrôle ukrainienne devra surveiller l'impact des dégâts sur le reste du sarcophage". Le risque étant un "effet domino" qui provoquerait l'affaissement général de cette couverture de béton coiffant le réacteur où subsiste une très grande partie des 190 tonnes de combustible présentes lors de l'explosion de 1986.
"IMPOSSIBLE DE SAVOIR PRÉCISÉMENT CE QUI S'Y PASSE"
C'est aussi la crainte de Vladimir Tchouprov, de Greenpeace-Russie. "Quand bien même la radioactivité n'a pas bougé, cet incident est préoccupant, estime-t-il. Si des pans de murs s'écroulent dans la salle des turbines, rien ne garantit que le sarcophage construit en 1986 ne s'écroulera pas prochainement. Le délai d'exploitation du vieux sarcophage est dépassé et c'est justement pour cette raison qu'un nouveau sarcophage est en train d'être construit." Selon l'écologiste, la poussière radioactive accumulée dans les murs représente un danger de contamination à des dizaines de kilomètres à la ronde.
Un scénario qu'écarte la direction de la centrale. "Nous avons réalisé de 2004 à 2008 un gros projet de stabilisation du sarcophage existant, indique sa porte-parole. Tous les éléments instables ont été renforcés et, selon les conclusions d'experts, il tiendra au moins jusqu'en 2023."
Le sarcophage actuel a été édifié à la va-vite, dans les six mois qui ont suivi l'accident de Tchernobyl. Erigé sur des murs ayant résisté à l'explosion et sur les débris du réacteur, il s'est depuis fortement dégradé. Ouvert à la pluie et aux quatre vents, avec des brèches de plusieurs centaines de mètres carrés, il n'assure aucune étanchéité.
La construction d'une nouvelle chape de confinement, une arche de métal et de béton, de 257 mètres de longueur et de 108 mètres de hauteur, a commencé au printemps 2012. Elle devrait théoriquement être achevée fin 2015. C'est sur ce chantier, distant de 150 mètres du bâtiment des turbines effondré et sur lequel se relaient 2 000 employés, que les personnels de Bouygues et de Vinci ont été évacués.
Les travaux, indique-t-on chez Bouygues, resteront suspendus "en attendant que les autorités ukrainiennes nous garantissent que le reste de la toiture ne risque pas de s'effondrer à son tour".
Présidente de l'ONG Ligue écologique d'Ukraine, Tatiana Timochko estime que le dernier incident "prouve que la recherche de solutions aux problèmes de Tchernobyl ne fait pas partie des priorités". "Le gouvernement a décidé de créer un nouveau sarcophage, mais ça n'est pas encore fait, déplore-t-elle. L'effondrement du toit et des pans de murs secondaires montre que tout l'édifice est devenu fragile. Il faut renforcer la surveillance de la centrale et respecter strictement les règles techniques."
La ligue écologique d'Ukraine s'est adressée au président Viktor Ianoukovitch à ce propos. "Nous ne nous attendons pas à une réponse rapide, explique Tatiana Timochko. Malheureusement, la communication entre les officiels et les ONG laisse à désirer. L'opinion publique n'a pas assez d'informations sur Tchernobyl, si bien qu'il est impossible de savoir précisément ce qui s'y passe."