Tant que l'enquête menée par les services spécialisés en Angleterre et en France n'aura pas abouti, seules des hypothèses peuvent être formulées. Mais les informations que Marianne a recueillies auprès de spécialistes des circuits de l'agroalimentaire, d'inspecteurs vétérinaires et de contrôleurs de la répression des fraudes, sous couvert d'anonymat, permettent de comprendre que la viande de cheval n'a pas remplacé le bœuf par hasard dans les lasagnes ou la moussaka ! Des organisations constituées pour tromper les consommateurs avec le but de réaliser d'importants profits sont en place depuis longtemps, et elles connaissent à la perfection les faiblesses des réglementations européennes pour mieux en profiter. Ce sont les mêmes qui mélangent de l'huile d'olive venue de Grèce ou d'Espagne à bas prix avec de l'huile d'olive labellisée d'Italie beaucoup plus chère ; les mêmes qui, en Chine, ont ajouté de la mélamine, gravement toxique pour les reins, dans de la poudre de lait pour en augmenter artificiellement la teneur en protéines ; les mêmes qui achètent 7 000 t de céréales conventionnelles en Roumanie et, par le miracle de l'écriture, les livrent à leur client français en céréales bio, 400 % plus chères ; les mêmes encore qui ont étendu ce genre de trafics à toute l'Europe...
Dans l'affaire du «lasagnes gate» qui concentre les feux de l'actualité, certains évoquent une simple tromperie sur la qualité du produit. Allons donc ! Poser quelques questions - et y répondre - permet d'éclairer différemment le discours officiel, pour l'heure rassurant.
Qui a changé les étiquettes ?
La viande a parcouru un incroyable circuit. Elle est partie de deux abattoirs roumains, commandée par un trader chypriote agissant aux ordres d'un trader néerlandais. C'est à ce dernier que l'entreprise Spanghero, basée à Castelnaudary (Aude), a commandé des pains de viande congelés pour satisfaire des commandes de l'entreprise Comigel, dont le siège social est à Metz et l'usine, au Luxembourg. Sacrée cuisine ! Comigel est un des plus gros fournisseurs français de plats surgelés à base de viande pour la grande distribution et ses marques de distributeurs (MDD), mais aussi Findus ou Picard. Pour la bonne compréhension des pratiques qui règnent dans les milieux de la viande, il est bon de rappeler que l'entreprise Spanghero, propriété jusqu'en 2009 de deux gloires passées du rugby, a été rachetée par le groupe coopératif basque Lur Berri dont fait partie Arcadie Sud-Ouest. Les responsables de cette entreprise ont été mis en examen en 2008 dans une affaire peu ragoûtante de viande très avariée. L'année précédente, Arcadie Sud-Ouest a fourni des blocs de viande à l'entreprise angevine Covi destinés à la fabrication de corned-beef. Lors d'un contrôle inopiné, les inspecteurs des services vétérinaires ont découvert des blocs impropres à la consommation humaine, et «même à la consommation animale», révélera le rapport. «Certaines viandes portaient des traces d'infection récente et révélaient la présence de pus.» Covi s'est justifié en expliquant qu'il n'y avait «aucun risque sanitaire puisque le corned-beef est stérilisé». Bon appétit quand même. L'instruction, confiée à la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, du pôle sanitaire de Paris, n'a toujours pas abouti.
Remontons à cheval. «Les Roumains n'y sont pour rien, on leur fait jouer un peu vite le rôle de suspect de service», a protesté le Premier ministre roumain, Victor Ponta. Comme preuve de sa bonne foi, il a communiqué les noms des deux abattoirs d'où provient la viande, l'un abattant exclusivement des chevaux destinés à l'export, vers l'Italie et la France, l'autre partageant son activité entre le bovin et le cheval. «L'importateur savait ce qu'il achetait», affirme le chef du gouvernement. Selon nos informations, il a payé la viande 2,60 e/kg au trader néerlandais, contre 4 e/kg pour le bœuf normalement destiné aux plats préparés. Les autres maillons de la longue chaîne, évidemment, se refilent les lasagnes chaudes pour plaider leur innocence. Findus explique qu'il ne peut se permettre d'exposer ainsi sa marque et interpelle son fournisseur, Comigel. Lequel montre du doigt son fournisseur de pains de viande congelés, expliquant qu'une fraude de ce type dont il serait reconnu responsable conduirait à une fermeture immédiate de l'usine, risque qu'il ne peut prendre. Quant au fournisseur de viande, Spanghero, il désigne les abattoirs roumains. Et la boucle est bouclée.
La fraude est-elle vraiment indétectable ?
A moins de pratiquer des tests ADN, la fraude ne pouvait que passer inaperçue, entend-on ici et là. «Foutaises !» nous répond cavalièrement un inspecteur vétérinaire chevronné, qui veut rester anonyme. «Même couverts de givre dû à la congélation, un pain de viande de bœuf et un autre de viande de cheval n'ont pas le même aspect, poursuit l'expert. Ils sont tous deux enrobés d'une couche de graisse irrégulière : la graisse de bœuf est grise, celle du cheval est jaune.» Il ajoute : «Toute cargaison importée doit être obligatoirement soumise à un contrôle vétérinaire à l'arrivée en France. Quel que soit le lieu de livraison de la viande, que ce soit chez Spanghero ou à Comigel, on s'est arrangé pour que le vétérinaire ne voie rien, soit par la ruse, soit par la corruption, voire les deux.» Est-ce cela que les Anglais ont découvert et qui les conduit à parler d'«organisation criminelle» ? Possible. Car cette affaire n'est pas sans rappeler le scandale du beurre frelaté italien qui a éclaté en 2000.
Des entreprises italiennes contrôlées par la Camorra ont écoulé près de 16 000 t de beurre mélangé à du suif de bœuf, à des carcasses animales, à des produits chimiques, à de l'huile de coco, et même à des hydrocarbures. En France, Lactalis, Yoplait, les fromageries Bel s'y fournissaient pour leurs besoins propres. Une PME normande, un des plus gros clients des Italiens, a profité de l'aubaine pour réexporter le beurre hors de l'Union européenne et toucher au passage des subventions.
Les clients ont tous protesté de leur bonne foi, expliquant que la fraude était très difficile à détecter. Mais des écoutes téléphoniques ont révélé que quelques intermédiaires français étaient parfaitement au courant des trafics. En Italie, la fraude a pu prospérer grâce à la complicité de fonctionnaires locaux, rémunérés pour leur silence.
Picard est-il le seul à avoir trouvé du cheval dans ses produits vendus en France ?
A l'heure où nous imprimons ce magazine, oui. Et l'information est d'une importance majeure. «En France, la grande distribution exerce une pression énorme sur ses fournisseurs, explique une ex-responsable d'une grande entreprise de l'agroalimentaire. Elle a imposé une norme franco-allemande draconienne de traçabilité, la norme IFS [International Food Standard] à laquelle tous ses fournisseurs doivent se soumettre. Picard, qui ne fait pas partie de la grande distribution, n'a pas ces exigences-là.» Les fraudeurs n'ignorent rien de ce fonctionnement. «Comigel, toujours pour des raisons de traçabilité, doit fournir le nom de son client à son fournisseur, Spanghero, qui l'a répercuté à son fournisseur roumain. Dès lors, on peut formuler une hypothèse : a-t-on délibérément choisi de fournir Picard en viande de cheval, sachant que les contrôles étaient moins draconiens ?» Possible, d'autant que les normes à l'exportation sont moins contraignantes que celles exigées par la grande distribution française. Ce qui permettrait de comprendre pourquoi la viande de cheval se retrouve en Angleterre, en Irlande et chez Picard, et non à Auchan ou à Système U.
La France a-t-elle réagi au quart de tour ?
«L'efficacité de l'administration française a permis les retraits en quarante-huit heures», se félicite Benoît Hamon, ministre de la Consommation. Faux. Le soupçon est d'abord venu d'Irlande en août 2012, à l'occasion d'un contrôle de routine sur des hamburgers de bœuf qui contenaient en réalité de la viande de cheval. Il a pris de la vigueur en octobre, en Angleterre cette fois, à propos des lasagnes Findus. Depuis, les enquêteurs anglais travaillent d'arrache-pied pour comprendre comment et par qui la fraude est arrivée. Voilà donc quatre mois que Findus et l'entreprise qui lui fournit les plats préparés à base de viande, Comigel, ont été alertés et sommés de s'expliquer. Quatre mois qui ont permis au ministre Owen Paterson de comprendre qu'il était face à une «conspiration criminelle».
Simple tromperie sans risques sanitaires ?
«Après tout, la viande de cheval n'est pas si mauvaise, pourquoi tant d'histoires ?» s'interroge-t-on aux comptoirs des bistrots. Le commerce de la viande de cheval est très réglementé ; un cheval de trait qui a tiré des carrioles ou des charrues toute sa vie ne peut en aucun cas entrer dans la chaîne de l'alimentation humaine. Partout en Europe, «tout propriétaire de cheval doit choisir précisément la destination des animaux dont il est responsable», précise le Centre d'information des viandes (CIV). S'il décide que le cheval n'est pas destiné à la consommation, ce choix est définitif. Pourquoi ? Parce que les médicaments vétérinaires administrés aux animaux dont la viande est destinée à la consommation humaine sont soumis à une réglementation stricte permettant d'assurer l'absence de résidus. Ce qui n'est pas le cas pour les chevaux de trait. Voilà ce qui fait craindre à Michèle Rivasi, députée européenne et spécialiste des problèmes sanitaires, «la présence de résidus de phénylbutazone, un anti-inflammatoire distribué largement aux chevaux de trait et très mal supporté par l'homme».
Il n'y aurait pas de risque de scandale sanitaire si tout le circuit était fiable. Mais la viande provient d'abattoirs roumains. Or, la Roumanie possède très peu de chevaux destinés à la boucherie. En revanche, à la suite d'une requête de la Commission européenne afin d'améliorer la sécurité routière, les carrioles hippomobiles, responsables de plus de 10 % des accidents sur les routes du pays, ont été interdites. Un cheptel énorme de chevaux a donc pris le chemin des abattoirs. L'enquête montrera si cette viande s'est retrouvée dans le circuit de l'alimentation humaine sous le contrôle d'organisations criminelles qui ont acheté toutes les complicités nécessaires, vétérinaires notamment. Le pire est néanmoins à redouter.
En outre, selon les premiers éléments d'enquête qui ont fuité depuis Bucarest, la Roumanie ayant écoulé une grande partie de son cheptel équidé, et la demande continuant à se faire pressante, des chevaux seraient introduits frauduleusement sur son territoire par la Pologne depuis l'Ukraine. «Il suffit de franchir clandestinement la passoire qui sert de frontière aux deux pays pour qu'un cheval devienne polonais», s'inquiète Thomas Godefroy, vétérinaire à la retraite, spécialiste de la contrebande d'animaux.
Un meilleur étiquetage aurait-il permis d'éviter la fraude ?
«Sous prétexte de rechercher toujours le moins cher possible, prétendument pour satisfaire les exigences des consommateurs, l'industrie agroalimentaire mise implicitement sur les rivalités entre fournisseurs pour que ceux-ci accomplissent des prouesses tarifaires», se lamente Philippe Folliot, député UDI du Tarn, partisan d'une agriculture à visage humain distinguée par des labels de qualité. La baisse des coûts a un prix, celui de la qualité, de la santé et de la vérité. «Sur le terrain de la production alimentaire, le dumping peut avoir des effets dévastateurs, car la malbouffe n'a pas de limites», concède un haut fonctionnaire en poste à la Commission européenne. Désireux de garder l'anonymat, ce juriste admet que la mention «Origine Union européenne» est une arme à double tranchant dès lors que des voyous entrent en scène. «Une fois ce certificat en main, ce qui est le cas si l'aliment a subi une modification sur le territoire de l'UE, alors que rien ne prouve qu'il y a été produit, le fraudeur dispose d'un laissez-passer lui permettant d'aller où il veut, quand il veut», ajoute-t-il. Et de conclure : «Il suffit au renard d'entrer dans le poulailler.» Alors que la Commission se prévaut de sa réglementation pour rassurer l'opinion, l'association UFC-Que choisir cite l'exemple de sauce tomate fabriquée en Allemagne dont le bocal arbore les couleurs italiennes, de paellas à intitulés ibériques sorties d'usines polonaises et de foies gras «du Périgord» provenant de Hongrie mais assemblés en Dordogne, et demande que l'indication précise du pays d'origine devienne obligatoire sur tous les produits transformés.
A ce propos, une enquête réalisée par le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) en France, en Suède, en Pologne et en Autriche, montre que 70 % de sondés attachent de l'importance à l'origine des produits alimentaires. Mieux, sur 10 clients, six veulent connaître le pays de fabrication du plat ayant subi une transformation et la provenance de l'ingrédient principal. Contre toute attente, Tonio Borg, commissaire européen à la Santé et à la Politique des consommateurs, faisait savoir mardi 12 février par la voix de son porte-parole, Frédéric Vincent, qu'il est «prématuré d'envisager un étiquetage obligatoire sur les produits transformés en ce qui concerne la viande». «Le problème auquel nous sommes confrontés est un problème de fraude, pas un problème sanitaire. La traçabilité fonctionne pour la viande fraîche comme pour les produits transformés. Cela n'empêchera pas la Commission de mener une réflexion sur la nécessité de revoir certains étiquetages.» En gros, tant qu'il n'y a pas mort d'homme, il n'est pas nécessaire de prévenir. Chargé de mission sur l'agriculture et l'alimentation à l'UFC-Que choisir, Olivier Andrault estime au contraire que «le problème vient de la chaîne de confiance européenne». Alors que la notion de traçabilité, née de la crise de la vache folle, a été conçue pour rassurer les citoyens et donner les garanties nécessaires à une libre circulation des denrées, elle sert aujourd'hui de caution à ceux qui profitent de la souplesse des échanges intracommunautaires pour contourner, voire violer, la réglementation.
Peu convaincu par les prises de position de la Commission, Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, affirme militer activement pour que Bruxelles décide d'un meilleur étiquetage des produits au niveau européen. A sa demande, une réunion d'urgence des gouvernements européens a été organisée le mercredi 13 février afin d'obtenir un engagement communautaire en faveur d'une indication de l'origine des ingrédients destinés à la transformation sur la totalité de l'Union. Une épreuve de force entre les défenseurs d'une traçabilité porteuse d'informations fiables pour le consommateur et les lobbies désireux que l'Europe se contente de labels flous et pas trop contraignants. Gageons qu'il obtiendra des promesses... réalisables dans une dizaine d'années.
Les tricheurs seront démasqués, mais qui est vraiment responsable ?
«Faire passer une viande pour une autre a toujours existé, explique le toxicologue Jean-François Narbonne, expert à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Un meilleur étiquetage ne changera pas grand-chose. La cause de la fraude est ailleurs.» Il faut chercher du côté de la grande distribution, celle qui commande toute la chaîne par ses exigences. Jusqu'au 2 février dernier, des centres Leclerc proposaient des lasagnes à la bolognaise surgelées Findus ainsi que des hachis Parmentier à un prix cassé : 3 e les 1 200 g, au lieu de 3,46 e, soit 15 % de réduction immédiate, pour des barquettes contenant 30 % de viande. Comment, dans un circuit où on retrouve autant d'intermédiaires, peut-on concevoir de tels tarifs si un fournisseur en bout de chaîne n'a pas été contraint soit de serrer les prix au risque de s'étrangler, soit de chercher des produits le moins cher possible, quitte à frauder ? Selon nos informations, la fausse viande de bœuf qui a atterri dans les lasagnes Findus a été achetée 1,16 e/kg par le trader chypriote aux abattoirs roumains, revendues 1,96 e/kg au trader néerlandais, qui l'a cédée 2,60 e/kg à Spanghero... alors que le prix de référence de ce genre de viande de bœuf tourne aux alentours de 4 e/kg. «Nous avons cherché à satisfaire la demande du client final», plaideront sûrement les fraudeurs.
Dès lors que le supermarché «sociocommercial» des années 70, qui prétendait permettre aux personnes à faible pouvoir d'achat d'accéder à des produits jusque-là réservés aux milieux plutôt aisés, est devenu l'appendice d'un système économique dont le profit financier est une finalité en soi, la porte s'ouvre sur toutes les dérives. Quand ce n'est plus le fournisseur qui fixe son prix mais l'acheteur, le système disjoncte. Quand ce système se retrouve en situation de quasi-monopole sur certains marchés, avec cinq centrales se partageant à elles seules 90 % des transactions dans la grande distribution, il n'y a plus de place pour la négociation. Une reconstitution du communisme sur une base privatisée contre laquelle, d'Alain Minc à Jean-Marc Sylvestre, tout libéral qui se respecte devrait s'insurger. Lorsque Carrefour, Auchan, Leclerc et Intermarché dictent leurs conditions au fournisseur, et particulièrement lorsqu'il s'agit de MDD, celui-ci, s'il veut emporter le contrat, ne peut que se soumettre ou se démettre. S'il se soumet, il engendre une réaction en chaîne répercutant jusqu'au producteur l'oukase tarifaire. L'ennemi, dans cette histoire, c'est la marge folle. Et le père de la marge folle, c'est le grand ogre distributeur jamais rassasié.
«Quand on voit avec quelles méthodes et quel mépris les centrales d'achats de la grande distribution traitent les salaisonniers de ma région pour leur arracher des prix dérisoires, on ne s'étonne plus de rien», s'insurge Philippe Folliot. Et le député du Tarn de rappeler la célèbre phrase du général de Gaulle clamant que «la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille». En 2013, le libérateur de la patrie pourrait ajouter : «Elle ne doit pas se faire non plus selon le chariot de Michel-Edouard Leclerc.» «Un jour, explique Jean-François Narbonne, on m'a demandé comment éviter les crises alimentaires. "Interdisez la publicité sur la bouffe moins chère", leur ai-je répondu.» Et si la proposition valait mieux que toutes les réformes de l'étiquetage qui s'enlisent dans les débats sans fin de la Commission européenne ? J.-C.J. et P.L.
On ne compte plus les témoignages de producteurs fermiers, éleveurs, artisans subissant les visites répétées et assidues des services de l'Etat, ne faisant, certes, que leur devoir, mais avec un zèle étonnant envers de si petites structures. Fromagers de campagne qu'une brigade d'inspecteurs de la direction départementale des services vétérinaires (DDSV) débarquant à l'aube menace de fermeture si une bactérie suspecte venait à être détectée sur le carrelage, charcutiers épiés au coin du frigo pour déceler la négligence qui tue, fumeurs de saumon sujets aux descentes de police à la limite de la fouille au corps... L'acharnement parfois mesquin de certains fonctionnaires jure avec la marge de manœuvre dont jouissent nombre d'industriels au bras long. Il faut dire qu'un éleveur de canards ou un conserveur de tripes maison n'a pas le poids d'un gros fabricant de camemberts pasteurisés ou de rillettes industrielles qui peut appeler le préfet et faire cesser le contrôle séance tenante.
A entendre certains commentateurs, il semblerait que ce soit du rat ou du corbeau que l'on ait trouvé dans les lasagnes Findus. Autrefois, les Français mangeaient beaucoup de viande de cheval, et les boucheries chevalines étaient dans certaines villes aussi nombreuses que les boucheries traditionnelles. Une certaine bourgeoisie de province se distinguait d'ailleurs du peuple en servant du cheval. Les médecins eux-mêmes n'hésitaient pas à en recommander la consommation aux adolescents, car il contenait moins de «mauvaises graisses». Non seulement manger du cheval n'est pas dangereux, mais sa viande présente des vertus nutritionnelles supérieures à celle du bœuf, qui d'ailleurs est de la vache (depuis l'apparition du tracteur). Si ce n'est que le cheval est devenu un animal vénéré et qu'il y a désormais sacrilège culturel à manger les congénères d'Ourasi ou de Black Beauty.
Star triplement étoilée au Guide Michelin et père refondateur de la cuisine française dans les années 70, Michel Guérard se souvient de son association avec Nestlé, alors propriétaire de la marque Findus. Sollicité en 1976 par la multinationale pour mettre au point une gamme de produits gastronomiques à échelle industrielle, Guérard créa des plats surgelés dont les gourmands se souviennent encore, notamment le célèbre pithiviers de poisson et mousse de cresson au beurre blanc, auquel Alain Ducasse, alors apprenti du maître, prêta la main. Il s'agissait de prouver que la technologie agroalimentaire n'était pas incompatible avec la haute cuisine. Et ce fut le cas. Pour des raisons de coût, malgré une rentabilité et un succès avérés, Nestlé ne poursuivit pas l'expérience. Comme le dit Michel Guérard : «C'était du temps où l'initiative et le progrès étaient dirigés par des capitaines d'industrie, pas par des directeurs financiers.»