Rue89 - Décryptage 24/02/2013 à 10h34
L’Europe s’inquiète des conséquences du scrutin, dont l’issue reste incertaine compte tenu des forces en présence et du système électoral complexe.
Préparatifs dans un bureau de vote à Rome, samedi (Alberto Pizzoli/AFP)
Ces dimanche et lundi, les Italiens se rendent aux urnes pour élire leurs représentants aux deux chambres du Parlement.
Ces élections ont été déclenchées lorsque le parti de Silvio Berlusconi, il y a deux mois, a cessé de soutenir le gouvernement technocratique de Mario Monti, qui a imposé un programme de rigueur pour stopper la progression de la dette publique et restaurer la confiance des marchés.
- La gauche de Pier Luigi Bersani (parti démocrate) était au départ donnée favorite. Bersani, un ancien communiste, s’est engagé à poursuivre les réformes, mais juge qu’il faut introduire plus de croissance dans la politique européenne. Il mise sur plus d’un tiers des voix.
- La coalition de droite conduite par Silvio Berlusconi (Le peuple de la liberté, PDL) a progressé dans les sondages ces derniers mois. Elle critique l’austérité. Avec les voix de la Ligue du Nord, elle pourrait flirter avec les 30%.
- Le Movimento 5 Stelle (M5S, Mouvement 5 étoiles), anti-establishment et eurosceptique, conduit par le comique Beppe Grillo, peut créer une surprise. Les derniers sondages le donnaient à plus de 15%.
- La coalition conduite par Mario Monti, indépendant, pourrait se retrouver en position d’arbitre. Il pourrait obtenir, selon les derniers sondages autorisés, plus de 10% des voix.
- Révolution civile, mouvement de gauche conduit par le juge antimafia, Antonio Ingroia, semble ne pas avoir réussi à décoller. Il n’a pas dépassé 5% dans les sondages.
1 Pourquoi cette élection est-elle capitale pour l’Europe ?
Les résultats de l’élection en Italie sont attendus avec crainte dans de nombreuses capitales européennes : ils risquent de réamorcer la spéculation contre les dettes souveraines des pays de la zone euro.
La crise financière risque de repartir si les investisseurs perdent confiance dans la capacité de l’Italie à rembourser son énorme dette (120% du PIB), soit parce que le gouvernement qui sera issu du scrutin ne leur convient pas, soit parce que le résultat de l’élection ne permet pas de dégager une majorité claire et conduit à un blocage du pouvoir.
L’Europe reste un sujet brûlant en Italie. Diabolisée en fin de mandat par Silvio Berlusconi, elle est mal perçue par une partie de la population. Celle qui, notamment, a souffert de la pression fiscale instaurée par le technocrate Mario Monti, candidat du « “spread” italo-allemand » – l’expression, qui fait référence à la différence des taux d’intérêts entre les deux pays, a envahi les écrans télévisés depuis sa nomination par le président de la République Giorgio Napolitano en décembre 2012.
Angela Merkel n’a pas les faveurs de l’opinion publique. La déclaration de l’ancien président du conseil Mario Monti, selon laquelle la chancelière allemande ne souhaitait pas voir le candidat de la gauche Pierluigi Bersani arriver au pouvoir, n’a pas du tout été appréciée.
La moitié des candidats ont fait de l’Europe leur principal argument de campagne... mais pas forcément de manière positive, surfant sur la nostalgie de la lire et cultivant l’euroscepticisme. Le comédien Beppe Grillo, leader du mouvement Cinq étoiles, a déclaré lors de la dernière étape de son « Tsunami Tour » qu’il souhaitait un référendum pour décider d’un éventuel retour à la monnaie nationale...
Enfin, si l’ancien président du conseil Silvio Berlusconi venait à être élu, ce qui n’est pas le scénario le plus probable, il s’ensuivrait probablement une grande instabilité dans la zone euro.
Le Cavaliere a promis de revenir sur des hausses d’impôts (taxe foncière par exemple), ce qui marquerait la fin des efforts pour redresser les comptes publics. Les sacrifices réalisés par les Italiens dans le cadre des réformes Monti auront été vains.
2 Pourquoi le résultat de l’élection est-il si difficile à prévoir ?
La difficulté de faire une prévision est liée à trois facteurs :
- le nombre très important d’indécis : ils seraient 5 millions, selon un chiffre avancé par Le Corriere della Sera, soit 30% de l’électorat :
« Ce sont en majorité des femmes avec un faible niveau d’études, pas très jeunes, souvent résidentes dans le Sud, femmes au foyer ou à la retraite et très peu intéressées par la politique. »
- l’interdiction des sondages : aucun d’eux ne peut être publié lors de la dernière semaine de campagne pour ne pas influencer le vote. Avant cette échéance, aucun institut de sondage de référence ne s’est risqué à donner des résultats tranchés.
Silvio Berlusconi n’a pas hésité à avancer les résultats d’instituts privés, mais sans grande crédibilité. « Je peux vous dire que nous les avons dépassés », déclarait ainsi le Cavaliere en début de semaine, laissant planer le doute sur qui, comment et quand.
Le « Tsunami Tour » du comique Beppe Grillo a obtenu des succès d’audience importants. Vendredi soir, la dernière étape à Rome aurait rassemblé 800 000 personnes, selon les organisateurs. Dans le public, de nombreux indécis, venus se faire une opinion à la dernière minute.
Evolution des partis dans les sondages pendant la caampagne (Wikimedia)
- La rare complexité du système électoral. A la Chambre des députés, le parti qui arrive en tête obtient directement une prime de majorité, qui lui assure 55% des 630 sièges. Au Sénat en revanche, cette « prime de majorité » est calculée en fonction des résultats obtenus dans les différentes régions, proportionnellement à la taille de la région.
Si vous êtes en tête en Sicile, vous obtenez des sièges supplémentaires pour la Sicile. Il est donc très difficile de prévoir le résultat du scrutin au Sénat. La Campanie, la Sicile, la Lombardie, les Pouilles et la Vénétie sont les régions les plus recherchées. C’es pourquoi Silvio Berlusconi a envoyé un courrier aux électeurs promettant le remboursement de la taxe foncière s’il est élu...
3 Berlusconi a-t-il une chance de l’emporter ?
« La victoire de Berlusconi serait une très très grosse surprise », juge Ilvo Diamanti, politologue, qui n’exclut pas totalement l’hypothèse pour autant.
Les derniers sondages autorisés le donnent à un peu moins de 30%, mais c’est en intégrant les scores des candidats de la Ligue du Nord, un allié précieux sans lequel le Cavaliere et son parti stagnent à hauteur de 20%. Même si elle arrivait devant le centre gauche, c’est une coalition qui resterait fragile.
Une situation possible : Silvio Berlusconi perdrait l’élection de la chambre basse, mais obtiendrait un rôle clé au Sénat, ce qui poserait problème pour conduire des réformes dans le pays. Il mise sur des victoires dans plusieurs régions, qui lui assureraient des primes de majorité. La Lombardie, dont le poids électoral est très important, est, par exemple, le fief de la Ligue du Nord, un avantage pour lui.
4 Est-il possible que l’élection ne débouche sur aucun gouvernement ?
Oui. Dans le cadre de la constitution italienne, c’est le président de la République qui désigne le chef du gouvernement, généralement issu de la majorité au Parlement. Le président de la République reçoit chaque parti et décide d’une personne en fonction des résultats et des alliances.
Une fois nommé, le président du Conseil constitue son gouvernement, soumis alors à un vote de confiance dans les deux chambres. Si les équilibres sont trop fragiles, les chambres divisées, le nouveau gouvernement pourrait ne pas obtenir la confiance requise. Les Italiens devraient alors retourner voter.
5 Le favori Bersani pourrait-il gouverner sans Monti ?
Oui, s’il obtient une majorité dans les deux chambres.
Trois scénarios sont possibles en s’appuyant sur l’hypothèse selon laquelle Pierluigi Bersani obtiendrait une majorité absolue à la Chambre en arrivant en tête des suffrages et en obtenant les bonus prévus au Sénat :
- Une victoire absolue de Bersani dans les deux chambres.
- Une victoire de Bersani à la Chambre des députés, mais pas au Sénat, ce qui le contraindrait à une ouverture vers Monti si celui-ci obtient les suffrages nécessaires. Celui-ci pourrait être par exemple devenir ministre de l’Economie.
- Bersani l’emporte à la Chambre des députés mais ne peut pas faire une coalition avec Monti au Sénat car ce dernier n’obtient pas un pourcentage suffisant. Dans l’impossibilité de négocier avec Silvio Berlusconi et le mouvement de Beppe Grillo se refusant à toute coalition, la gauche ne pourrait pas mener sa politique. Les Italiens retourneraient alors voter.
6 Quel est le programme de la gauche ?
Le slogan de la gauche : « L’Italie juste ».
Parmi les mesures principales de son programme :
- Augmenter le budget de l’Education et l’investissement dans la recherche et l’innovation.
- Une loi anti-corruption
- Une loi faisant primer le droit du sol (et non du sang) pour obtenir la citoyenneté italienne.
- Parité et soutien de l’emploi des femmes en faisant bénéficier les entreprises d’un allègement fiscal.
- Un impôt sur la fortune pour compenser une baisse de la TVA et de l’impôt sur le revenu.
7 Beppe Grillo peut-il tenir en otage le gouvernement ?
En raison d’une condamnation pénale pour homicide involontaire, Beppe Grillo ne peut pas lui-même être élu, les candidats du Mouvement 5 étoiles (M5S) devant présenter un casier judiciaire vierge. Le M5S a d’ores et déjà déclaré qu’il ne ferait partie d’aucune coalition.
En faisant entrer dans le jeu électoral des citoyens sans expérience politique, le Mouvement cinq étoiles ouvre la porte à l’inconnu. Leurs exigences sont centrées autour du salaire des politiques, des retraites, des petites et moyennes entreprises, d’une redistribution des richesses.
Son mouvement est arrivé en tête en Sicile, lors des élections régionales. Un sympathisant qui se veut rassurant constate que « le mouvement traite avec les autres forces en présence sans qu’il y ait de problèmes pour l’instant ».
Ces futurs élus se posent donc davantage comme des garde-fous contre les excès d’une politique italienne qui a auparavant trop abusé de son pouvoir.