Ce 24 octobre, le Parlement wallon a refusé de céder aux injonctions de la Commission européenne et des États-membres. Son président-ministre Paul Magnette a confirmé le « non » de la Wallonie à la signature de l’accord commercial entre l’UE et le Canada (CETA). Le Premier ministre belge, Charles Michel, a donc signifié officiellement au président du Conseil européen Donald Tusk qu’il n’était pas en mesure de signer l’accord tel que prévu, le 27 octobre. Si Donald Tusk et le Premier ministre canadien Justin Trudeau affirment vouloir maintenir le sommet UE-Canada prévu à cette date, l’avenir du CETA semble néanmoins incertain.
Promoteurs du traité, éditorialistes et faiseurs d’opinion s’offusquent. Oubliant de mentionner que plus de 2000 collectivités territoriales en Europe – représentant 75 millions d’européens – s’opposent au TAFTA et au CETA (voir ici), ils interpellent l’opinion publique : comment accepter qu’une si petite région telle que la Wallonie, « aux pouvoirs exorbitants » disent-ils, puisse bloquer le processus de validation d’un accord commercial négocié au nom de 500 millions d’européens ? Sans tenir compte du contenu du traité, ils le présentent cependant comme « le meilleur » et « le plus progressiste » qui n’ait jamais été négocié par l’UE et s’emportent contre ceux qui le critiquent. Plutôt que de débattre du fond, ils surfent sur les peurs en assurant que l’UE perdra le peu de crédibilité qu’il lui reste et qu’elle sera affaiblie sur le plan diplomatique.
« Une bonne nouvelle pour la démocratie »
La confirmation du « Non » wallon est pourtant une bonne nouvelle pour la démocratie. L’ultimatum et les pressions diplomatiques des institutions européennes visaient à fragiliser la position étayée et documentée des parlementaires wallons, qui ont sans doute consacré plus d’heures de travail à ce traité que l’ensemble des autres Parlements en Europe réunis. Ces parlementaires, par leur refus de rentrer dans le rang, font prévaloir la légitimité démocratique de leurs exigences sur les manœuvres d’intimidation. Ils révèlent également au grand jour les pratiques douteuses de la Commission européenne qui écarte les critiques tant qu’un traité est en cours de négociation au prétexte qu’il faut attendre le texte final, avant de les écarter à nouveau lorsque le traité est enfin conclu au motif qu’il est alors trop tard pour le modifier.
Réjouissons-nous donc une première fois. Le Non wallon prouve qu’il est possible d’éviter le piège dans lequel la Commission et le Conseil européens tentent d’enfermer le débat public et les Parlements élus : « Ce traité est parfait, vous avez le choix entre le Oui et le Oui ». Le Non wallon légitime au contraire l’opposition de longue date de la société civile, montrant que les politiques de commerce et d’investissement ne peuvent plus, et ne doivent plus, être imposées aux populations contre leur volonté, sans avoir été débattues de façon approfondie. Le Non wallon réussit la double prouesse de mener un débat de haut-niveau sur le CETA et d’ouvrir un débat démocratique sur la mondialisation à l’échelle européenne. Espérons que d’autres Parlements européens vont s’emparer de la question et s’engouffrer dans la brèche avec autant de détermination que le Parlement wallon.
Un « non » progressiste
Réjouissons-nous une deuxième fois : le Non wallon est un non progressiste. Dans une période d’affirmation identitaire et xénophobe, ce n’est pas rien. Paul Magnette ne cesse de l’affirmer, c’est un « Non pour négocier ». Objectif ? « Créer un rapport de force » et « faire en sorte que l’on ait des traités avec un niveau de protection en matière sociale, de services publics, d’environnement, avec un niveau de garantie juridictionnelle, qui soit les plus élevés au monde ». Difficile de comprendre pourquoi une telle position, progressiste et mesurée, ne soit pas celle de l’ensemble des gouvernements sociaux-démocrates de l’UE, à commencer par François Hollande et Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur.
Réjouissons-nous enfin une troisième fois : l’ajournement de la signature du CETA pourrait ouvrir la porte, pour qui voudrait bien la franchir, d’une remise à plat de la stratégie commerciale de l’UE. Alors que la négociation du CETA et du TAFTA ne cesse de soulever des oppositions et des controverses, nul doute que le moment est venu de rénover les règles du commerce mondial, pour la plupart établies au cours du 20ème siècle, au prisme des grands défis auxquels nous faisons face au 21ème siècle : l’urgence climatique, le chômage de masse, l’accroissement des inégalités mondiales, la prédation des ressources naturelles.
Pour des droits opposables au droit du commerce
Si l’UE et le Canada sont vraiment disposés à faire du CETA l’accord le plus progressiste qui soit, alors engageons un travail ambitieux pour que les droits humains, sociaux et environnementaux deviennent opposables au droit du commerce et de l’investissement. Prenons le temps et assurons-nous par exemple que l’objectif fixé par l’Accord de Paris sur le climat, sur le point d’entrer en vigueur, visant à rester bien en-deçà des 2°C du réchauffement climatique, conditionne désormais la signature de nouveaux accords commerciaux. Intervenons, enfin, pour que les politiques commerciales de l’UE soient garantes de la justice sociale, de la redistribution équitable des richesses et du respect de l’environnement.
C’est urgent, possible et nécessaire. Le Non wallon nous en offre l’opportunité. Saisissons-là.
Maxime Combes, économiste, membre d’Attac France
Dessins : Rodho
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