Correspondants
Mercredi, dans le silence assourdissant des médias français, des dizaines de milliers d’étudiants, parents d’élèves et professeurs sont descendus dans les rues de plus de cinquante villes espagnoles pour dire non à la LOMCE et aux revalidas (« revalidations »), réforme de l’éducation approfondissant le caractère élitiste de l’enseignement dans l’Etat Espagnol. Un « automne chaud » se prépare-t-il de l’autre côté des Pyrénées ?
Depuis le début de la crise, l’éducation publique dans l’Etat espagnol a été l’un des secteurs les plus touchés par les coupes budgétaires. En seulement quatre ans, 134 000 étudiants et étudiantes ont été exclus de l’université du fait des frais d’inscriptions, qui ont augmenté parfois jusqu’à 66% depuis 2012. Plus de 30 000 professeurs ont été licenciés, et parmi ceux qui ont pu garder leur poste, la majorité travaille dans des conditions précaires et sans garantie pour leur futur.
Les lycées ont subi de nombreux coups et l’attaque néolibérale contre l’université publique a eu des effets sur les étudiants les plus jeunes. L’application de la LOMCE – équivalent de la loi relative aux Libertés et Responsabilité des Universités (LRU) en France – et les revalidas - « revalidations », nouvelles épreuves nécessaires pour accéder à l’éducation supérieure que le gouvernement veut mettre en place – sont un exemple clair de la logique de plus en plus élitiste qui gouverne les politiques publiques en matière d’éducation dans l’Etat espagnol. D’après un rapport de l’association Save the Children (« Sauver les enfants »), les abandons de poursuite d’étude après le lycée ont été multipliés par deux entre 2008 et 2015, principalement parmi les familles ayant le moins de ressources.
C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la grève de mercredi, qui a rassemblé étudiants, parents d’élève et professeurs contre la LOMCE et ses conséquences, et contre les revalidas dont le gouvernement a voté la mise en place en plein milieu de l’été. L’opposition aux revalidas a été au cœur de la grève, car elles constituent une nouvelle forme de sélection, qui par ailleurs rappelle une mesure mise en place par le gouvernement de Franco sous la dictature. C’est donc aux cris de « No a las reválidas franquistas » (« Non aux revalidations franquistes ») que la journée de grève a commencé, appelée par le Syndicat des Etudiants, la Confédération des Associations de Pères et Mères de l’Ecole Publique (CEAPA) et la Fédération des Associations des Etudiants Progressistes (Faest), ainsi que par diverses organisations étudiantes, comme le Syndicat des Etudiants de Gauche (SEI) de Saragosse, et d’autres organisations qui y appelaient tout en critiquant une partie du contenu de l’appel à la manifestation. La majorité des syndicats de professeurs, comme le CCOO, UGT, STES ont exprimé leur soutien à l’appel, mais sans convoquer à la grève dans l’éducation.
Les organisations se sont déclaré « satisfaites » des chiffres de grève, de près de 90% dans les lycées et prépa d’après leurs chiffres, tandis que le Ministère de l’Education annonçait entre 30 et 40% de grève. D’après les chiffres du CEAPA, la grève a été plus suivie dans le secondaire que dans l’enseignement maternel et primaire (50-60%). C’est parmi les lycéens que la grève a été la plus forte, probablement parce que ce seront les premiers touchés par les changements introduits par les « revalidas ».
La grève a été très suivie dans les villes de Madrid, Barcelone, Valence, Bilbao, Malaga et Ferrol. A Madrid, plus de 50 000 personnes se sont rassemblées. La marée humaine, plus nombreuse que les précédentes manifestations, a parcouru la ville.
La manifestation était dirigée par le Syndicat des Etudiants avec une banderole « A bas les revalidations franquistes », mais un pôle radical s’était formé dans le cortège, autour d’une banderole disant « Contre les revalidations et l’élitisme. Rupture et horizontalité ». Ce pôle radical était composé de la Gauche Castillane, le Front des Etudiants, le collectif Armes de la critique, ainsi que d’autres collectifs critiques du Syndicats des Etudiants, contre « ses méthodes traditionnelles d’imposition par le haut, bureaucratiquement, sans prendre en compte les collectifs étudiants et bien loin de l’intention de favoriser l’auto-organisation de ceux-ci ».
A Barcelone, la manifestation a réuni 2000 personnes, deux fois plus à Saragosse où étaient présents de nombreux étudiants d’instituts secondaires. A Cordoue, la police a chargé les étudiants qui s’étaient dirigé vers le siège du Parti Populaire, faisant une blessée.
La grève massive de mercredi s’est tenue alors que la situation dans l’Etat espagnol est marquée par une crise politique importante depuis les dernières élections. L’irruption du mouvement étudiant pourrait ouvrir la possibilité d’un renouveau des mobilisations de rue. Le Syndicat des Etudiants a annoncé qu’il appellerait à une nouvelle journée de grève et a demandé aux organisations syndicales des professions de l’éducation de s’y allier, pour une grève générale éducative dans tout l’Etat. La grève du 26 octobre pourrait être le début d’une nouvelle période de mobilisation sociale et de lutte, donnant lieu à un « automne chaud » espagnol.