L'appel au boycottage lancé par une quarantaine d'associations a été entendu. Les opposants (près de 200, selon eux) au Centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs (Cigeo) ont empêché la tenue de la première réunion du débat public sur ce projet, jeudi 23 mai au soir, à Bure (Meuse).
Tandis qu'à l'extérieur de la salle des fêtes, protégée par des gendarmes, les opposants manifestaient bruyamment, d'autres, à l'intérieur, réclamaient avec véhémence un référendum sur ce projet qui vise à confiner dans l'argile, à 500 mètres de profondeur, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne, les déchets nucléaire à haute ou moyenne activité et à vie longue. Le président de la commission du débat public, Claude Bernet, a préféré annuler la réunion. La prochaine est prévue le 30 mai à Saint-Dizier (Haute-Marne). Douze autres sont programmées jusqu'au 15 octobre.
Les opposants à l'enfouissement pourraient être confortés par un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendu public mercredi. S'il ne remet pas en cause le centre de stockage géologique, cet avis émet pourtant une série de réserves qui pourraient contraindre l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), maître d'ouvrage du futur site de stockage géologique, à revoir sur plusieurs points son dossier.
"ÉVALUER L'IMPACT DU STOCKAGE ET QUANTIFIER L'ALÉA SISMIQUE"
S'agissant de la capacité de l'argile du sous-sol de Bure à confiner la radioactivité, l'ASN, tout en accordant un satisfecit à l'Andra dont "la qualité des études et recherches (...) doit être soulignée", prévient qu'"à l'avenir, l'Andra devra cependant combiner plus systématiquement approches déterministe et probabiliste, notamment pour évaluer l'impact du stockage et quantifier l'aléa sismique".
Dans le même registre, l'autorité de contrôle souligne la nécessité de prendre en compte "les incertitudes résiduelles" sur l'homogénéité de la couche géologique d'argile, "en retenant à titre de précaution un scénario comprenant une ou plusieurs discontinuités [de la roche] afin d'évaluer la robustesse du stockage, même si la vraisemblance d'un tel scénario peut être considérée comme faible".
Au chapitre de la sûreté toujours, l'ASN critique un calendrier trop serré. "La durée d'un an annoncée à ce jour séparant la construction d'une alvéole témoin [pour les déchets de moyenne activité à vie longue qui seront les premiers stockés] et la mise en actif de l'installation, prévue en 2025, pourrait s'avérer insuffisante", met-elle en garde. Quant aux producteurs de déchets, EDF, Areva et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), ils "doivent prendre les marges nécessaires pour couvrir d'éventuels aléas (...) de façon à disposer en temps voulu des capacités d'entreposage des déchets suffisantes préalablement à leur stockage en couche géologique profonde".
L'ASN POSE LA QUESTION DE L'INVENTAIRE DES DÉCHETS
Mais c'est surtout la question de l'inventaire des déchets radioactifs destinés au Cigeo – donc du dimensionnement de l'installation – que pose le gendarme du nucléaire. Le site d'enfouissement est prévu pour accueillir, dans 15 km2 de galeries souterraines, les 10 000 m3 de déchets de haute activité et les 70 000 m3 de déchets de moyenne activité à vie longue générés par le parc électronucléaire français actuel, avec une hypothèse de fonctionnement des réacteurs pendant cinquante ans.
Or, en France, une petite fraction seulement (environ 4 %) du combustible usé sorti des centrales est classée comme déchet, le reste étant considéré comme une matière valorisable, en partie recyclée, après retraitement, en combustible MOX (mélange d'uranium et de plutonium). En cas d'arrêt du retraitement, ou de fermeture anticipée de certains des 58 réacteurs français, l'inventaire des déchets radioactifs, c'est-à-dire leur volume, augmenterait donc dans des proportions considérables. L'Andra, tout en affirmant que le concept du Cigeo est "adaptable", reconnaît du reste qu'il lui faudrait, dans ce cas, ou bien agrandir le site d'enfouissement, ou bien en aménager un second.
"Des marges adaptées devraient couvrir l'incertitude sur les volumes à stocker des déchets", note l'ASN, qui précise que "les évolutions potentielles de l'inventaire doivent être présentées (...) dans des hypothèses majorantes, en fonction des choix possibles en matière de politique énergétique". Et, prévient l'autorité de sûreté, "cet inventaire sera un élément essentiel du décret d'autorisation de création [du Cigeo] dont toute modification à la hausse constituerait une modification notable, soumise à une procédure complète d'autorisation sans préjudice d'un éventuel débat public".
DE L'EAU AU MOULIN DES ASSOCIATIONS HOSTILES AU CIGEO
Cet avis apporte de l'eau au moulin des associations hostiles à la création du centre de stockage souterrain. Le Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs (Cedra) y voit une légitimation de la démarche des 44 associations qui, fin 2012, avaient vainement demandé à François Hollande que le débat public sur le Cigeo soit repoussé après celui en cours sur la transition énergétique.
Du mix énergétique que choisira la France dépendra en effet la quantité des déchets radioactifs qui, à terme, devront être enterrés. Sauf à considérer, dès à présent, que la future loi de programmation énergétique, attendue pour la fin du printemps 2014, ne changera rien à la politique nucléaire française.