Ce n'est plus qu'une question de jours, selon les protagonistes. Le gouvernement de Londres et EDF doivent signer, en début de semaine prochaine, un accord pour la construction de deux EPR, le réacteur nucléaire de troisième génération, sur le site d'Hinkley Point (sud-ouest de l'Angleterre).
Aprement négocié depuis plus d'un an, le contrat mentionnera le prix de vente garanti de l'électricité produite (environ 109 euros par mégawatt-heure), le mode d'indexation de ce prix, la durée de la garantie (en cas de changement de politique énergétique).
Il restera au conseil d'administration du groupe français, détenu à 85 % par l'Etat, à donner son feu vert pour un investissement colossal - 16 milliards d'euros – que l'entreprise ne peut plus porter seule.
Tout le monde est censé être gagnant dans ce deal qui associe EDF, premier exploitant mondial de centrales, la Grande-Bretagne, premier marché nucléaire en Europe, mais aussi la Chine, où l'on construit actuellement 35 réacteurs de technologies chinoise, américaine, russe ou française, soit la moitié des réacteurs bâtis dans le monde.
Revue de détails sur le "qui gagne quoi" avec ce contrat.
Le Royaume-Uni va pouvoir relancer son nucléaire. Les Britanniques ont un parc de centrales très anciennes, rachetées par EDF à British Energy en 2008. Les deux EPR d'Hinkley Point seront les premiers construits au Royaume-Uni depuis celui de Sizewell B, inauguré en 1995.
La production britannique d'hydrocarbures en mer du Nord ne cesse de reculer et le pays est menacé de pénurie énergétique d'ici à la fin de la décennie.
Londres a un très ambitieux programme de réduction de ses émissions de CO2 et joue sur deux "tableaux électriques": les renouvelables et le nucléaire. Le gouvernement doit encore fermer de nombreuses centrales au charbon.
Il a ainsi décidé de relancer la production nucléaire (20 % de l'électricité du royaume) dès le milieu des années 2000, à l'époque du travailliste Tony Blair. Ce choix a été confirmé par le Parti conservateur actuellement au pouvoir.
Londres a aussi favorisé le lancement du plus ambitieux programme d'installation d'éoliennes offshore d'Europe. Les "moulins à vent" seront installés de l'embouchure de la Tamise jusqu'en Ecosse.
Et pour commencer à pénaliser l'utilisation des énergies fossiles fortement émettrices de gaz à effet de serre, les autorités ont fixé un prix plancher du CO2 à 16 livres (19 euros) la tonne. Une première en Europe, où elle ne vaut que 5 euros sur le marché des échanges de certificats d'émission de carbone.
La Grande-Bretagne accède aussi à des financements. Le gouvernement britannique ayant refusé toute intervention publique, il y a un besoin de capitaux pour financer la relance du nucléaire.
Depuis le site de Taishan, M. Osborne a invité les sociétés chinoises à prendre des participations dans de nouveaux projets nucléaires britanniques, EDF n'ayant pas le monopole du secteur outre-Manche. Londres et Pékin ont signé un mémorandum de coopération.
"Les investissements chinois initiaux dans de nouveaux projets nucléaires seront probablement minoritaires, mais avec le temps, les investissements dans de nouvelles centrales pourraient être majoritaires", précise un communiqué du Trésor britannique.
La Chine pourrait ne pas être la seule à contribuer aux financements. Le ministre de l'énergie, Ed Davey, a récemment indiqué que des fonds sud-coréens et japonais étaient intéressés par le développement du nucléaire britannique.
EDF conforte son rang d'exploitant du premier parc mondial. Le groupe français d'électricité attendait ce contrat britannique pour renforcer la présence outre-Manche d'EDF Energy, sa principale filiale européenne (devant l'italien Edison).
C'est pour être à la pointe de la relance de l'atome civil en Grande-Bretagne qu'EDF avait cassé sa tirelire, en 2008, pour racheter British Energy (15 milliards d'euros) et ses vieilles centrales.
Mais, même s'il reste une référence en tant qu'exploitant du premier parc mondial, EDF est encore très endetté et n'a plus les moyens de financer seul de tels investissements.
Il est révolu le temps où l'exploitant public français pouvait faire cavalier seul, notamment grâce à des emprunts souscrits auprès du grand public. Les coûts du nucléaire ont fortement augmenté, tirés notamment par le renforcement des exigences de sûreté après les catastrophes de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2010).
D'autres capitaux sont donc les bienvenus. Chinois en l'occurrence. Après le retrait du britannique Centrica, qui devait assumer 20% de l'investissement, l'électricien français s'est tourné vers la China General Nuclear Power Corp (CGN), son partenaire chinois depuis 30 ans.
Il sera également associé à l'autre géant chinois du nucléaire, CNNC (China National Nuclear Corporation).
Les entreprises finalisent un accord qui fera de CGN un partenaire à la fois industriel et financier d'EDF en Grande-Bretagne.
Le patron d'EDF Energy, Vincent de Rivaz, accompagnait d'ailleurs en Chine le ministre de l'économie et des finances, John Osborne, mercredi 16 et jeudi 17 octobre.
C'est le signe d'une collaboration de plus en plus étroite entre la France, la Grande-Bretagne et la Chine dans le secteur nucléaire. Cette collaboration renforce les liens entre EDF et CGN, qui pourrait commander deux EPR supplémentaires en 2014 pour le site de Taishan (sud).
Areva vend enfin des réacteurs EPR. Areva livrera les chaudières nucléaires et le contrôle-commande de la centrale britannique.
Le constructeur français pourrait aussi se joindre au consortium franco-chinois chargé de construire les deux EPR, allégeant ainsi le poids financier supporté par EDF. Sa participation pourrait être de 10 %, selon une source citée par l'AFP.
"Nous attendons la Grande-Bretagne, c'est le plus immédiat ", confiait récemment le président du fabricant français de centrales, Luc Oursel.
Le numéro 1 mondial du nucléaire n'a plus vendu de réacteur depuis 2007, quand la Chine a opté pour deux EPR (et du combustible). Ils sont en cours de construction à Taishan (sud) et le premier devrait être raccordé au réseau fin 2014.
Areva travaille avec EDF sur un "EPR standard" pour l'exportation. Ceux de Hinkley Point seront les premiers d'une série qu'Areva espère vendre en Inde, en Finlande, en Pologne, en Arabie saoudite et peut-être en Afrique du Sud.
Le groupe a toujours pour ambition de vendre dix EPR d'ici à 2016.
La Chine montre qu'elle peut exporter sa technologie. Les dirigeants de Pékin affichent désormais sans complexe leur volonté d'être un pays exportateur de technologie nucléaire, fort de trente ans d'expérience notamment acquise auprès de la France à partir des années 1980.
Actuellement, les Chinois construisent eux-mêmes 25 réacteurs de technologie franco-chinoise (sur un total de 35 en chantier), les CPR 1 000 (1 000 MW), selon un décompte d'EDF.
Dirigeants et ingénieurs du secteur nucléaire chinois disent sans ambages qu'ils veulent "travailler ensemble à égalité, dans une logique d'échange de technologies et de compétences" avec leurs homologues français. Il n'y a plus de "professeurs français" face à des "élèves chinois" !
Dès sa nomination à la tête d'EDF, fin 2009, Henri Proglio avait relancé activement la coopération franco-chinoise. On lui a reproché d'être trop complaisant avec la Chine, et même de nourrir le dessein de livrer le nucléaire tricolore à l'insatiable appétit de technologies de Pékin.
Les Chinois ont très mal pris l'accusation de vouloir piller la France. Si mal que le développement d'un réacteur franco-chinois de troisième génération avec CGN est aujourd'hui en panne.
"Pour rester un industriel de l'électricité dans l'avenir, il faut être en Asie, et notamment en Chine", répète le "Chinois d'EDF", Hervé Machenaud, ex-patron de la filiale asiatique et aujourd'hui directeur général délégué responsable de la production et de l'ingénierie.