Invitation pour les militants du monde entier à “occuper partout” pour un jour de désobéissance civile générale sur la planète le 5 novembre 2013.
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Invitation pour les militants du monde entier à “occuper partout” pour un jour de désobéissance civile générale sur la planète le 5 novembre 2013.
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18 octobre par Eric Toussaint
Éric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), était à l’Université d’été d’Attac à Nîmes fin juillet 2013.
Il revient sur différents exemples de suspension de paiements de la dette dans le monde.
Pierre Johnson
samedi 19 octobre 2013
En Colombie, on détruit des milliers de tonnes d’aliments et de semences paysannes en conséquence du traité de libre échange avec les Etats-Unis.
Le 24 août 2011, la tranquillité de la petite ville de Campoalegre, au Sud de la Colombie, est brusquement interrompue par l’irruption de forces de la police militaire accompagnant cinq fonctionnaires de l’Institut Colombie d’Agriculture et d’Elevage (ICA). Ceux-ci confisquent et détruisent les sacs de riz produits par une vingtaine de paysans locaux. Des sacs contenant soixante-dix tonnes de riz destiné à l’alimentation humaine sont ainsi déchirés à la pelleteuse, puis jetés à la décharge publique.
En 2011, 1167 tonnes de semences, puis en 2012, 2793 tonnes, principalement de riz, mais aussi de pomme de terre, de maïs, de blé, de plantes fourragères et de haricot rouge sont ainsi retirés de la circulation dans cinq départements, près de la moitié étant détruite, l’autre confisquée.
La motivation de ces actions d’un organisme d’Etat dont la mission est de « contribuer au développement et aux exportations du secteur agricole colombien en s’assurant de la santé et de l’innocuité de la production primaire » (sic) ? Montrer que la Colombie respecte les clauses relatives aux droits de propriété intellectuelle appliqués aux semences, prévues par le Traité de libre échange avec les Etats-Unis, ratifié par la Colombie dès 2008 et par le Congrès de Washington en 2011. Appliqués aux semences, ces droits sont consignés dans la convention UPOV de 1991, approuvé en Colombie par la loi 1518 de 2012.
Une loi colombienne de 2006 prévoyait déjà des peines de quatre à huit ans de prison et des amendes allant de 26 à 1 500 salaires mensuels à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas les droits de propriété intellectuelle sur les semences. En 2010, la résolution 9.70 de l’ICA a renforcé ces obligations, en régulant la production, l’usage et la commercialisation de semences en Colombie.
Désormais la vente de semences, dont d’aliments, issus de la sélection paysanne est déclarée illégale, au motif que leurs qualités sanitaires ne seraient pas garanties. La qualité et la valeur ajoutée des semences certifiées justifient-elles ces dispositions sévères ?
Pour les paysans colombiens, le prix des semences certifiées est de deux à trois fois le prix des semences paysannes sur les marchés locaux. Suivant leur expérience, les premières ne présentent pas d’avantage significatif sur les secondes, même lorsque l’agriculteur achète l’ensemble du « paquet technologique » (fertilisants, pesticides) et suit les conseils prévus par les industries semencières.
Bien souvent, semences certifiées et semences paysannes se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Leur principale différence ? Les premières ont été enregistrées par de grandes entreprises semencières, après avoir été sélectionnées sur la base de leurs propriétés. Mais le stock initial de ces entreprises provient nécessairement de la sélection de semences effectuée par des générations de paysans. Le régime de propriété intellectuelle sur les semences semble donc marcher sur la tête.
Trois entreprises semencières dominent le marché mondial
Le documentaire « 9.70 » de Victoria Solano, dont sont tirées plusieurs informations présentées ici, révèle qu’aucune information préalable n’avait été fournie à la population avant l’intervention musclée de l’ICA, ni par consultation locale, ni par l’organisation de forums, ni même en informant les moyens de communication.
Cette situation témoigne de l’éloignement de certains hauts fonctionnaires des réalités que vivent les 60 % de la population colombienne impliqués dans l’agriculture, soit 3,5 millions de familles. Il semble plus important pour l’État colombien d’assurer le respect de résolutions en porte-à-faux avec les réalités sociales que d’assurer les bases du développement rural.
La situation de la Colombie est loin d’être unique. Elle est le reflet du marchandage des intérêts économiques pratiqué au niveau mondial dans le cadre des accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux (OMC). Les aspects du droit de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) sont toujours partie intégrante de ces accords de libre échange. Ils supposent le respect du droit des brevets et du système mis au point pour tenir compte de certaines spécificités du monde agricole, le certificat d’obtention végétale (COV).
À la différence du brevet, celui-ci concède à l’agriculteur certains droits, mais pas celui d’échanger librement les semences, puisque les droits de propriété intellectuelle appartiennent aux industries semencières.
Grâce à cette protection, trois entreprises semencières multinationales contrôlent déjà au niveau mondial 47 % du marché des semences certifiées (Monsanto, Dupont de Nemours et Syngenta), sept autres en contrôlent 30 %. En Colombie, les entreprises multinationales ne contrôlent directement « que » 15 % de la production de semences, mais parmi les entreprises colombiennes contrôlant le reste de la production, bon nombre sont franchisées des multinationales.
Un bilan catastrophique au Mexique
L’accord de libre-échange entre la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique connaît un précédent dont on peut examiner les conséquences sur deux décennies : celui de l’accord de libre-échange nord-américain entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, entré en vigueur le 1er janvier 1994. Malgré les promesses faites de part et d’autre du Rio Grande, les conséquences sur l’emploi et le développement rural ont été, selon toutes les études réalisées, catastrophiques dans l’ensemble des pays, l’accord ne bénéficiant qu’à des grandes entreprises.
En matière agricole, le Mexique avait obtenu un délai pour libéraliser le commerce des produits de base, dont le maïs, mais son gouvernement s’était empressé d’anticiper cette libéralisation, tout comme le gouvernement colombien a anticipé la mise en œuvre du TLC.
Les conséquences sur les prix aux producteurs et sur la réduction des variétés proposées aux consommateurs ont été dramatiques. Des plants de maïs transgéniques ont rapidement été détectés dans l’Etat d’Oaxaca, cœur de l’agrobiodiversité de cette céréale à la base de l’alimentation de toute l’Amérique centrale depuis plusieurs millénaires. Plus que jamais, le monde agricole mexicain est en crise, sans que les autres secteurs économiques aient significativement gagné à cette ouverture commerciale incontrôlée.
Les droits de propriété intellectuelle sur les semences sont le principal outil de la concentration économique du secteur, aboutissant à la réduction de la diversité des espèces cultivées. Sur 80 000 plantes comestibles répertoriées, seulement trente fournissent aujourd’hui 90 % des calories, appauvrissant d’autant notre alimentation.
Comme l’explique Vandana Shiva, militante et scientifique indienne, dans le rapport Seedfreedom et lors de la quinzaine des semences libres 2012, les principes mêmes du COV reposent sur des critères industriels peu compatibles avec les qualités du vivant : distinction, homogénéité et stabilité s’opposent notamment aux qualités de variabilité, adaptabilité et résilience propres au monde vivant.
Au moment où des négociations visant à mettre un terme au conflit armé qui ravage certaines régions de Colombie depuis un demi-siècle connaissent des avancées significatives, des dizaines de milliers de paysans colombiens manifestent à Bogota pour ce qui leur semble une déclaration de guerre contre l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire. La préservation de celles-ci est un enjeu de premier plan, non seulement pour l’avenir de la Colombie, mais pour celle de l’Humanité.
Source : Courriel à Reporterre.
Pierre Johnson est ingénieur du développement durable, expert des liens entre commerce et biodiversité. Contact : contact (arobase) pierrejohnson.eu
Photo : Pressenza
Lire aussi : En Colombie, la révolte paysanne secoue le pays .
Marine Le Pen a confié à la galaxie des anciens du GUD, groupuscule étudiant d'extrême droite radicale, de nombreux postes financiers, leur conférant la haute main sur la trésorerie du parti. Au centre de cette nébuleuse : Frédéric Chatillon, dont la société a perçu 1,6 million d'euros pendant la campagne présidentielle, d'après des documents consultés par Mediapart.
Le Front national n’est pas « d'extrême droite ». C’est le nouveau combat sémantique de sa présidente, qui menace d'« actions en justice » ceux qui continueraient à accoler ce qualificatif à sa personne et à son parti. Pourtant, depuis son arrivée à la tête du Front national, Marine Le Pen a confié au cercle des anciens du GUD (Groupe union défense) de nombreux postes et missions financières, leur conférant la haute main sur la trésorerie du parti, d'après des documents inédits consultés par Mediapart.
Au centre de cette nébuleuse, le sulfureux Frédéric Chatillon, chef emblématique du GUD dans les années 1990. Cette organisation étudiante d'extrême droite radicale s'est fait connaître par ses actions musclées, racontées par Chatillon et ses acolytes dans Les Rats maudits. Nationaliste révolutionnaire, adepte des arts martiaux, il sera aussi directeur de la librairie révisionniste Ogmios.
Vingt ans plus tard, la communauté des gudards forme un clan qui mêle amitié, réseaux politiques et business. Ses membres possèdent de nombreuses sociétés où les actionnariats se croisent et où les uns font travailler les autres. Quand ils ne travaillent pas pour le Front national, ou plutôt pour Marine Le Pen, qui a promu dans l'ombre toute cette « génération Chatillon » (lire aussi notre enquête « FN et ultras: les preuves d'une amitié »).
Car parmi les prestataires de la campagne présidentielle 2012 de Marine Le Pen, on retrouve Frédéric Chatillon et sa société de communication Riwal. La présidente du FN l’a connu à l’université d’Assas. Ils se considèrent tous deux comme de « vieux potes de faculté », affirme Chatillon. Questionnée sur France Inter pendant la campagne, Marine Le Pen l’avait présenté non pas comme un « ami » – ce qu’elle avait fait dans Le Monde –, mais comme « un de (ses) prestataires de service ». Au FN, on explique que « M. Chatillon est un fournisseur ».
Un « fournisseur » qui joue tout de même les conseillers officieux et les passerelles politiques. C’est lui qui organise les tournées en Italie de Marine Le Pen (exemple en octobre 2011), grâce à ses réseaux néofascistes – « mes anciens alter ego », dit-il. C’est lui encore qui approche l'ancien pasquaïen et ex-dirigeant de petite parfumerie Bernard Marionnaud, pour mener la liste « Rassemblement bleu marine » à Clamart, aux municipales de 2014 (lire notre boîte noire).
Frédéric Chatillon est surtout devenu le prestataire phare de la campagne frontiste de 2012. D’après le compte présidentiel de Marine Le Pen, que Mediapart a consulté, l'entreprise de l'ancien leader du GUD a facturé 1,66 million d'euros de prestations à la campagne (presque un cinquième des dépenses déclarées par la candidate, prises en charge par l'Etat à hauteur de 8 millions). L’année dernière, il affirmait à Mediapart n’avoir engrangé que « quelques centaines de milliers d’euros ».
Il a en réalité conquis le monopole de la communication de la présidente du FN : impression des affiches et documents de propagande électorale (960 680 euros), campagne Internet et applications pour smartphones (258 204 euros), retransmission sur Internet des réunions de Marine Le Pen (69 607 euros), envoi de SMS et emailing pour mobiliser les sympathisants (11 182 euros), impression et routage de mailings sur la candidate (167 001 euros), frais et diffusion pour les échanges avec les blogueurs par Facebook et Twitter (11 601 euros), fournitures pour le local de campagne (6 757 euros), travaux d’agencement dans le local (32 500 euros), etc.
Des sommes qui ne choquent pas Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN : « Cela me paraît normal et correspond à des prestations réelles. » « Il a beaucoup d’activités au FN, reconnaît-il. Il voit régulièrement Marine Le Pen, ils ont de bonnes relations, des relations anciennes. Nous avons confiance en lui, en son travail. »
Outre Riwal, une toute jeune société de la nébuleuse Chatillon a travaillé pour la campagne de Marine Le Pen : Unanime, créée en 2011 et domiciliée à la même adresse que deux sociétés d'Axel Loustau, autre proche de l'ancien chef du GUD. Unanime a réalisé la maquette et l’impression de journaux du FN, pour plus de 152 000 euros.
Ses actionnaires ? Deux figures de la galaxie Chatillon, Sighild Blanc (salariée et actionnaire de Riwal) et Thibault Nicolet. Ils apparaissent tous deux dans le magazine Cigale (la première en a été la directrice de publication, le second y figure dans une interview-promo). Ce détail est loin d’être anodin : ce mensuel gratuit sur « l’art de vivre à la parisienne », distribué dans les boulangeries, est au cœur de la « GUD connection ». Réalisé par l'équipe de Riwal, il est édité par la société Taliesin, dont les actionnaires fondateurs ne sont autres que Frédéric Chatillon, son bras droit Jildaz Mahé O’Chinal, et Philippe Péninque, conseiller officieux de Marine Le Pen.
Parmi les prestataires de la campagne présidentielle de Le Pen, un autre nom retient l’attention : celui de Minh Tran Long. L’intéressé confirme à Mediapart avoir assuré « une prestation de régie technique », sans vouloir en dire davantage. Après avoir milité dans les années 1970-80 à la Fane (Fédération d'action nationale et européenne), un groupuscule néonazi, puis s’être engagé sept ans dans la Légion étrangère, Minh Tran Long a lancé sa société d’événementiel, Crossroads. Il apparaît lui aussi dans le magazine Cigale, où il signe une chronique sur les applis iphone et où une page est dédiée à sa société.
Au-delà de la campagne 2012, Frédéric Chatillon et ses proches ont également la haute main sur Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, créé fin 2010. Lors des cantonales de 2011, c’est d’ailleurs Riwal qui a fabriqué les kits de campagne proposés par le micro-parti aux candidats FN, facturés minimum 2 500 euros chacun.
À la tête de cette association de financement, on trouve Florence Lagarde, une autre vieille amie de Marine Le Pen, elle aussi rencontrée sur les bancs de la faculté d’Assas. Florence Lagarde militait alors au Rassemblement des étudiants parisiens (REP) qui a succédé au GUD après son auto-dissolution. Elle écrit – elle aussi – dans le magazine Cigale.
Florence Lagarde est surtout la compagne du bras droit de Frédéric Chatillon, Jildaz Mahé O’Chinal, qui a coprésidé le GUD avec lui. Pilier de Riwal, il est lui aussi présent lors des tournées de Marine Le Pen en Italie.
Quant au poste de trésorier de son micro-parti, Marine Le Pen l’a successivement confié à deux très proches de Frédéric Chatillon, eux aussi anciens du GUD. Il y a d’abord eu Olivier Duguet, expert-comptable et homme de main de Chatillon. Les deux hommes sont notamment associés dans la société Dreamwell, filiale publicitaire de Riwal (lire notre enquête).
Olivier Duguet affirme avoir pris les fonctions de trésorier « à la demande d’une amie de longue date, Madame Florence Lagarde » et assure qu’il n’est « pas adhérent du Front national ni proche de Mme Marine Le Pen ». « Ma mission concernait les élections cantonales de 2011 et a pris fin en mars 2012 (comme il était convenu) après la clôture des comptes de l’association Jeanne et de leur transmission à la commission de financement des partis politiques », explique-t-il.
Le 15 mars 2012, c'est un autre ami de l'ancien leader du GUD qui lui a succédé : Axel Loustau, actionnaire de Riwal et patron de la société privée Vendôme sécurité. Loustau n’est pas étranger au FN : il fut candidat frontiste aux législatives de 1997 dans les Hauts-de-Seine, et le parti fait appel à sa société pour assurer une partie de sa sécurité (comme l'organisation du défilé du 1er-Mai ou de certains meetings de Marine Le Pen pendant la campagne).
Coutumier des provocations et menaces, il a participé aux débordements en marge des rassemblements contre le mariage pour tous (lire notre article et voir les images ici). Il a été interpellé le 23 avril lors d’affrontements avec la police.
Pour contrôler les comptes de Jeanne, Marine Le Pen a fait appel à Benoît Rigolot, un expert-comptable évoluant dans les milieux catholiques traditionalistes. Rigolot apparaît lui aussi dans la nébuleuse de sociétés gravitant autour de Chatillon : il a créé, en 2009, avec Olivier Duguet, une société d’experts-comptables, « Équité ».
Visiblement embarrassé, il concède avoir rencontré Frédéric Chatillon, mais « très peu », et nie toute « relation suivie » avec lui et Olivier Duguet. Il explique avoir été sollicité «par une relation professionnelle». «On est venu me chercher, j'ai accepté, je n'ai pas d'exclusive. On a fait appel à moi sur des partis divers et variés.» Des partis essentiellement situés à l'extrême droite : il a notamment présenté les comptes de campagne de la liste de Dieudonné et Alain Soral aux européennes de 2009.
Chatillon, Loustau, Duguet. La présence de ce trio très actif dans les coulisses financières du Front national ne semble pas gêner Wallerand de Saint-Just, le trésorier officiel du parti, lui-même ancien du GUD. « Eh ben voilà, les copains ! » rétorque-t-il. C’est comme ça qu’on travaille, avec des amis. Comme Philippe Péninque l’a dit, “nous avons été des parias, donc nous nous sommes entraidés”. »
Philippe Péninque, un autre ancien gudard présent lui depuis de nombreuses années dans le premier cercle des Le Pen. Cet ancien avocat, spécialiste des montages fiscaux, n’a pas de fonction officielle au sein de l’organigramme frontiste, mais il est un conseiller très écouté des Le Pen. Comme l'ont raconté les auteurs du Système Le Pen (Denoël, 2011), c’est lui qui a géré la restructuration financière du Front national après 2007, année zéro pour le parti. Lui aussi qui entraînait Jean-Marie Le Pen avant ses émissions télé. Le fondateur du FN l’a d’ailleurs récompensé en lui remettant en 2011 la Flamme d’honneur du parti.
Péninque est tout aussi proche de Marine Le Pen, sa « grande amie », dit-il au Monde. Il a par exemple organisé sa visite à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en 2007. L’affaire Cahuzac l’a sorti de son habituelle invisibilité, lorsque Le Monde a révélé qu'il avait ouvert en 1992 le compte suisse de l’ancien ministre socialiste.
L’ancien avocat ne renie rien de ses années GUD. Il « (s’)honore d’avoir été au Groupe union défense », expliquait-il en avril à Canal Plus, en affirmant qu’ils seront considérés « quand l’histoire va (leur) rendre raison, comme des héros et des résistants ». Il ne cache pas que parmi les anciens du GUD, « on se connaît tous » et que certains travaillent pour le FN : « Nous avons été victime d’un ostracisme. Nous avons essayé de travailler entre nous. Oui, autour de Marine, il y a des gens qui n’ont pas trop mal réussi dans la vie, qui sont insérés socialement, et qui combattent le système de l’intérieur. »
Pour les prochaines élections, la nébuleuse de Chatillon sera à nouveau sollicitée, d'après Wallerand de Saint-Just : « Pour les municipales, Frédéric Chatillon va faire un travail considérable. Je suis content de savoir qu'il existe. Comme on ne peut plus emprunter aux banques, on est content de compter sur lui. Il va bien falloir trouver de l’argent ailleurs. »
Cette enquête s'inscrit dans un travail entamé il y a plusieurs mois sur les liens du Front national avec l'extrême droite radicale, et sur le financement du parti lepéniste (retrouvez nos enquêtes ici et là ou encore là).
Au Front national, ni Marine Le Pen, ni son bras droit Florian Philippot, vice-président du parti, ni Jean-Michel Dubois, trésorier de la campagne présidentielle 2012, n’ont accepté nos demandes d’entretien. Florian Philippot nous a expliqué qu’il « ne répondai(t) plus à Mediapart ». Seul le trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, a accepté de nous rencontrer. Contacté, Steeve Briois, secrétaire général du FN et mandataire financier du micro-parti Jeanne, n'a pas voulu commenter la présence des gudards à ces postes clés.
Mediapart avait interviewé Frédéric Chatillon à plusieurs reprises (ici et là) sur ses sociétés et ses liens avec le FN. Cette fois, après avoir accepté l’entretien, il a annulé notre rendez-vous en prenant connaissance de nos questions par écrit.
Contacté, Olivier Duguet n’a pas non plus accepté de nous rencontrer au vu de nos questions, et s’est contenté d’une réponse par email. Minh Tran Long a de son côté refusé d’en dire davantage sur sa prestation de « régie technique » et nous a raccroché au nez.
Sollicité à plusieurs reprises, Axel Loustau n’a pas donné suite à nos demandes.
Précision: ancien dirigeant de petite parfumerie, Bernard Marionnaud s'est fait racheter (y compris son nom), et n'est en rien associé au développement du groupe de parfumerie.
Hervé Kempf (Reporterre)
samedi 19 octobre 2013
La communication d’EDF a remporté un nouveau succès : deux réacteurs EPR vont être construits en Angleterre. Sauf que… rien n’est moins sûr. La réalisation de ces réacteurs dans les conditions économiques prévues enfreint les règles européennes. Il faudra donc attendre le verdict de la Commission de Bruxelles.
La capacité des médias dominants français à se comporter comme les porte-paroles des compagnies EDF et Areva est toujours aussi surprenant. La nouvelle a ainsi été diffusée le 18 octobre que EDF (Electricité de France) et le gouvernement du Royaume-Uni ont trouvé un accord sur le financement de deux réacteurs EPR en Angleterre, accord devant être signé lundi 21 octobre. Cela parait exact.
Et d’annoncer dans la foulée - en modulant diverses harmonies du "cocorico" - que donc, EDF va construire avec Areva (et un partenaire chinois, CGN, China General Nuclear) deux réacteurs EPR en Angleterre. Ceci est très douteux.
En effet, l’accord qui doit être formellement annoncé lundi prévoit que le gouvernement britannique garantira au consortium exploitant les éventuels réacteurs un prix garanti de l’électricité. Ce prix est établi au tarif de 109 euros le mégawattheure.
Notons, comme l’ont relevé les députés écologistes Michèle Rivasi et Denis Baupin, que ce tarif est bien plus élevé que le prix du marché et que celui de l’électricité nucléaire. Officiellement, le prix du mégawattheure en France est de 49,50 €, selon le rapport de la Cour des Comptes de janvier 2012.
Rapport de la Cour des Comptes sur les coûts de la filière électronucléaire (p. 280).
En acceptant un prix de plus de cent euros et en s’en réjouissant, EDF, Areva et le gouvernement français reconnaissent donc que le prix de l’électricité nucléaire des prochains réacteurs (s’il y en a) sera bien plus élevé que ce qui est facturé aujourd’hui. Et aussi que les énergies renouvelables ont déjà un prix inférieur à ce prix à venir.
L’Europe qui dit oui, l’Europe qui dit non
Mais le fait que le gouvernement anglais signe avec EDF un accord ne signifie aucunement que deux réacteurs EPR vont être construits en Angleterre. Car les conditions de financement en sont telles qu’elles ne répondent pas aux critières du marché européen. Or, l’Union européenne doit en principe assurer des conditions d’égale concurrence entre énergies. Et cet accord ne les respecte pas.
Les gouvernements français et anglais ont bien tenté de convaincre la Commission européenne d’accepter cette clause de prix garanti, sur le modèle de ce qui est appliqué aux énergies renouvelables. Mais comme l’a rapporté le Financial Times, cette proposition a été rejetée lors d’une réunion des commissaires européens le 8 octobre dernier : l’opposition de l’Allemagne, qui est en train de sortir du nucléaire, et de l’Autriche, a été farouche. Et même si la France a cédé récemment à l’Allemagne sur la question de la pollution automobile, il y a peu de chance que cette lâcheté conduise Berlin à céder sur une question qui est au coeur de sa politique énergétique. Ainsi, le nucléaire doit respecter les régles de la concurrence. Et un prix garanti par un gouvernement pendant trente-cinq ans a peu de chances de respecter les règles de la concurrence...
En tout cas, avant de couler la moindre goutte de béton, il faudra soumettre l’accord sur ces fameux EPR à la Commission européenne qui examinera si cette aide d’Etat est acceptable. Comptez douze mois d’attente pour la décision, précisent à The Independent des sources anglaises.
Et sur place, à Hinkley, où sont censés être construits ces EPR si coûteux, le chantier a encore pris du retard : il ne démarrerait pas avant la mi-2015, rapporte Building, un journal britannique spécialisé dans la construction. Le personnel dédié à la préparation du chantier est même passé durant l’été de 140 travailleurs à 35, selon le journal.
Alors, les EPR en Grande-Bretagne ? Wait and see….
Au fait, c’est censé être un détail : le gouvernement anglais veut redévelopper le nucléaire en Angleterre, mais n’a aucun endroit où mettre les déchets nucléaires. Et les déchets des EPR de Hinkley, on les mettrait où ? En Chine ?
Source : Hervé Kempf pour Reporterre.
Photo : Indymedia UK.
Lire aussi : Les Etats-Unis rejettent l’EPR.
Alors qu’aucun réacteur nucléaire au monde n’a jamais atteint l’âge canonique de 50 ans, EDF se bat pour prolonger la durée de vie de ses centrales à 60 années. Un choix économique et technologique non dénué de risques, et accueilli avec réserve par plusieurs hauts cadres de l’atome. Officiellement, les centrales n'ont pas de date de péremption, et l'exécutif reste indécis.
Allonger ou non la durée de vie des centrales nucléaires : la question monte en puissance au fur et à mesure de l’indécision de l’exécutif sur sa politique en matière d’atome. Dernier épisode en date, un article du Journal du dimanche du 13 octobre annonçant, sur la base de plusieurs sources anonymes, que le gouvernement s’apprêterait à autoriser EDF à prolonger de 40 à 50 ans le temps d’usage des réacteurs.
Les démentis de Pierre Moscovici (« aucune décision n’est prise ») et de Philippe Martin (« ce ne sont pas les commissaires aux comptes d'EDF qui déterminent et détermineront la politique énergétique de la France ») n’enlèvent rien à l’actualité du sujet, clairement posé sur la table. Par exemple, dans un rapport de la commission de régulation de l’énergie (CRE) de juin dernier, où figure l’hypothèse d’un allongement de dix ans de la durée des amortissements d’EDF afin de lisser la nécessaire hausse des tarifs (voir ici).
Ou encore, dans le rapport que la Cour des comptes a consacré aux coûts de la filière électro-nucléaire en janvier 2012, où l’on peut lire : « Le scénario industriel implicitement retenu aujourd’hui, sans aucune assurance sur son acceptation par l’autorité de sûreté du nucléaire, est celui d’un prolongement au-delà de 40 ans de la durée de fonctionnement des réacteurs, les capacités de production de substitution rendues nécessaires par un scénario à 40 ans n’ayant pas été lancées ni même programmées. »
« Le gouvernement est sur la ligne que les centrales sont une rente nucléaire et qu’il faut les garder », décrypte un expert indépendant. C’est en 2009 qu’EDF, unique exploitant des installations nucléaires hexagonales, a officiellement émis le souhait d’étendre leur durée de fonctionnement « significativement au-delà de 40 ans » et de « maintenir ouverte l’option d’une durée de fonctionnement de 60 ans » (voir ici).
Officiellement, les centrales n’ont pas de date de péremption puisqu’elles ont été autorisées à fonctionner sans limitation temporelle. « Toutefois, 40 ans correspondent à la durée de fonctionnement des réacteurs initialement envisagée par EDF », explique l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) dans une note de juillet dernier. Pour appuyer sa demande, l’électricien a conçu un programme de « maîtrise du vieillissement » et de « réévaluation de sûreté » pour hisser ses centrales au niveau des actuelles normes internationales, bien plus élevées que dans les années 1980, a fortiori depuis l’accident de Fukushima. Ce programme est en cours d’évaluation par le gendarme du nucléaire qui doit rendre un premier avis, non définitif, en 2015. Le processus est long et particulièrement lourd. Il pourrait être à l’ordre du jour du prochain conseil de politique nucléaire, le 15 novembre. Mais la toute première autorisation de prolongement de réacteur à 50 ans (Tricastin 1) ne pourrait pas être délivrée avant 2021 – à la fin du prochain mandat présidentiel.
En réalité, le gendarme du nucléaire ne respecte pas toujours scrupuleusement les anniversaires. L’examen de sûreté des 30 ans de la centrale de Fessenheim s’est ainsi déroulé avec plusieurs années de retard, au point que le deuxième réacteur atteignait 35 ans d’usage à l’issue de sa troisième visite décennale. Les procédures sont complexes, le système de contrôle souffre d’inertie.
Surtout, le cadre réglementaire a été conçu pour retarder le plus possible la mise à l’arrêt des réacteurs. En 2006, la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite « loi TSN », crée l’autorité de sûreté du nucléaire (ASN) et institue le premier régime légal complet des installations nucléaires de base. Mais elle prive aussi le pouvoir politique de la capacité de fermer les réacteurs pour des raisons autres que sécuritaires. « Aujourd’hui, la loi et les textes réglementaires font que la fermeture d’une centrale relève de la décision de l’exploitant et de l’ASN », explique Francis Rol-Tanguy, bien placé pour le savoir puisqu’il est le délégué interministériel à la fermeture de Fessenheim.
Alors qu’en 1997, le gouvernement de Lionel Jospin a pu décider l’arrêt de la centrale de Creys-Malville en raison de son coût excessif, aujourd’hui l’exécutif ne pourrait plus le faire. Le délai légal de clôture atteint quasiment quatre ans, soit presque autant qu’un quinquennat. Cette substitution du critère de sûreté aux critères de nature politique ou économique parmi les raisons légales de fermeture des réacteurs avait été obtenue de haute lutte par les énergéticiens, traumatisés par l’épisode Superphénix. Anne Lauvergeon, l’ancienne présidente d’Areva, s’en était ouvertement réjouie. Les parlementaires de l’époque, pour une part d’entre eux en tout cas, n’y avaient vu que du feu. Si bien que, facile et fréquente opération d’un point de vue technique, l’arrêt d’un réacteur est devenu un tabou politique.
D’où la nécessité aujourd’hui d’une nouvelle loi pour permettre à l’exécutif de fermer la centrale de Fessenheim. Cette disposition devrait figurer dans le projet de loi sur la transition énergétique attendue d’ici la fin 2014 : « Le président de la République a dit que le projet de loi devait rendre leur responsabilité aux politiques en la matière, c’est un élément très important », constate Francis Rol-Tanguy, qui pointe encore que « les procédures ont été écrites en 2007, à un moment où on ne s’attendait pas à passer aux actes le lendemain ».
S’il est aussi urgent de se demander si les centrales nucléaires françaises peuvent atteindre 50 ans ou plus, c’est parce qu’elles ont été construites dans un laps de temps si rapproché que le couperet des 40 ans pourrait tomber trop vite pour les remplacer au rythme de leur fermeture. À partir de 2017, il faudrait arrêter plusieurs réacteurs par an : ceux de Fessenheim, deux au Bugey en 2018 et deux autres en 2019 ; en 2020 pas moins de cinq réacteurs (à Dampierre, Gravelines et au Tricastin), en 2021 huit autres (au Blayais, à Dampierre, Gravelines, Saint-Laurent, au Tricastin). Ce que les spécialistes appellent « l’effet falaise » : 80 % du parc a été construit sur dix ans.
Dans son scénario, l’association Négawatt modélise la fermeture du parc en 22 ans, en ne dépassant pas 40 ans de vie industrielle (voir ici). Mais au prix d’un changement radical de paradigme énergétique, combinant baisse drastique de la demande et montée très forte des renouvelables. Ces deux objectifs sont, en théorie, ciblés par l’actuel gouvernement, mais dans les faits, pas du tout dans les proportions nécessaires pour un tel basculement.
Phénomène inhabituel au sein du monde de l’atome, des responsables expriment ouvertement leurs réserves quant à la perspective d’un allongement de la durée de vie des centrales. « La poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans n'est pas acquise », a déclaré le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, selon qui « le rendez-vous des quarante ans est beaucoup plus exigeant que les révisions périodiques de la sûreté, qui ont lieu tous les dix ans » (voir ici).
Affirmer que le gouvernement va offrir dix ans supplémentaires aux centrales, « ce n’est pas le reflet de la réalité », explique Thomas Houdré, à la tête de la direction des centrales nucléaires à l’ASN, « nous n’en sommes qu’au stade préliminaire de la discussion. Le volume des travaux va être colossal, sans commune mesure avec ce qui a été fait sur le parc jusqu’à présent ».
EDF prévoit 50 milliards d’euros d’investissement pour mettre ses réacteurs au niveau d’exigence de sûreté post-Fukushima et les rénover (le « grand carénage »). Soit quasiment 1 milliard par réacteur (la France en compte 58), remarque Francis Rol-Tanguy, alors que ce chiffre ne comprend même pas les travaux à réaliser pour les prolonger de dix ans, qui ne peuvent être évalués puisque l’on n’en connaît pas encore la teneur. Or ces milliards, « quelqu’un les paiera », à commencer par les consommateurs. « L’avenir amène à se poser la question de la fermeture d’autres centrales, ce serait bien de ne pas avoir à en choisir les noms à la veille du second tour des élections présidentielles », poursuit le délégué interministériel, lors d’une conférence à l’Assemblée nationale, le 15 octobre. Il fait le vœu que ce sujet puisse être traité comme un autre, et non « dans un cadre extraordinaire ».
De son côté, l’ancienne ministre de l’écologie et de l’énergie, Delphine Batho, considère que « tout prolonger à 60 ans n’est pas une option soutenable. Il est important de diversifier les sources d’énergie ». Elle se dit favorable à la prolongation de certaines centrales mais à la fermeture d’autres afin de parvenir à un plafond de 50 % de nucléaire dans la production d’électricité, la promesse de campagne de François Hollande. À ses yeux, cet objectif n’est « pas le résultat d’un accord politique mais une nécessité ». Or si l’on réduit de 25 % la part de l’atome dans le mix énergétique, tout en réduisant de moitié la demande, il est arithmétiquement nécessaire de fermer des réacteurs.
Mais au fait, combien de réacteurs nucléaires dans le monde atteignent 50 ans de fonctionnement en 2013 ? Aucun. 45 ans ? Un seul, en Suisse, à la centrale de Beznau. Plus de 40 ? 31, soit 7 % du parc mondial (ces chiffres proviennent d’Elecnuc, une publication du CEA). « Il n’y a pratiquement pas d’expérience au-delà de la quarantième année de fonctionnement », explique Bernard Laponche, physicien et membre de l’association Global Chance, qui ajoute que « tous les réacteurs arrivant à ces âges-là ont été conçus bien avant les accidents de Tchernobyl, en 1986, et même de Three Mile Island, en 1979 ». Au-delà du paradoxe, le vieillissement est un phénomène nouveau dans le nucléaire, comme le résume l’expert indépendant Yves Marignac dans une note publiée sur le site de Global Chance.
Au total, 121 réacteurs ont été définitivement arrêtés depuis la mise en service du premier appareil (ce fut en 1954, en Union soviétique). En moyenne, leur durée de vie n’a pas dépassé 23 ans, et seuls 14 d’entre eux avaient atteint 40 ans, indique Yves Marignac. Le plus ancien lors de sa fermeture, Calder Hall (au Royaume-Uni), affichait 46,5 ans d’exploitation. Quant à la technologie utilisée dans les centrales françaises, la filière des réacteurs à eau pressurisée (REP), elle est la plus partagée à l’international mais aussi parmi les plus jeunes. Leur âge moyen de fermeture était de 23 ans en 2009.
Ce passé n’interdit pas de réfléchir à l’allongement de leur durée de vie mais révèle que le retour d’expérience est très limité. En vingt ans, entre 1986 et 2006, le nombre d’événements « significatifs » de sûreté recensés par l’IRSN, les experts de l’ASN, n’a cessé d’augmenter, comme l’indique le graphique ci-dessous.
Pour l’IRSN (voir ici), « il apparaît que les mécanismes de vieillissement sont à l’origine d’une part importante des événements ayant conduit à des défaillances matérielles. Celles-ci peuvent être difficiles à détecter et avoir des conséquences significatives ».
Aux États-Unis, ces dernières années, plusieurs centrales ont vu leur autorisation de fonctionnement prolongée à 60 ans, un exemple souvent cité par le lobby du nucléaire. Mais en France, la durée de fonctionnement des centrales est comptée à partir de la première divergence (les premières fissions nucléaires) alors qu'aux États-Unis, elle est comptée à partir du début de la construction. « Cela peut faire une dizaine d'années de différence, voire plus », précise Bernard Laponche. En 2012, trois de ces réacteurs ont pourtant fermé, et un quatrième est en cours d’arrêt. La raison ? L’électricité qu’ils produisent est devenue trop chère sur le marché.
À partir de 40 ans, tous les réacteurs français seront amortis (en 2010, ils l’étaient à 75 %), c’est-à-dire qu’ils auront généré assez de recette pour compenser leur mise en marche. Mais pour la Cour des comptes, il faudra nécessairement augmenter les investissements de maintenance, en plus des évaluations de sûreté post-Fukushima (entre 5 et 10 milliards d’euros). Cette enveloppe pourrait aboutir à une hausse de 10 % du coût de production et représenter 3,7 milliards d’euros par an jusqu’en 2025.
À 50 ou 60 ans, les réacteurs français seront-ils encore compétitifs sur le marché européen du kilowatt/heure ? L’été dernier, EDF a dû payer pour vendre ses électrons, pendant quelques heures, du fait de « prix négatifs » sur le marché de gros européen : jusqu’à –200 euros le mégawatt-heure (MW), un record. Dans la foulée, l’électricien a mis à l’arrêt cinq réacteurs et réduit la puissance de dix autres. Il y avait trop d’offre, pas assez de demande, l’énergie d’origine renouvelable étant qui plus est prioritaire. L’année dernière, un rapport du Sénat avait établi qu’en cas de prolongement de la vie des centrales à 60 ans, le coût réel du MWh pourrait atteindre jusqu'à 75 euros en coût courant économique, contre 49,5 euros aujourd’hui selon la Cour des comptes.
Ce n’est pas qu’une affaire de sous. Fabriqués il y a 40 ans, certains composants des installations nucléaires n’existent tout simplement plus. L’électro-mécanique par exemple. « Une solution serait de passer à la technologie numérique, mais ce serait une grosse rénovation », précise Thomas Houdré de l’ASN. Il constate aussi que « le tissu industriel de la France n’est plus ce qu’il était : la chaudronnerie, la métallurgie…au moment de la construction du parc, il y avait une filière pour le soutenir ».
Du point de vue technique, le chantier du « post 40 ans » est double : « maîtrise du vieillissement » et amélioration de la conception des réacteurs. Parmi les failles identifiées par l’ASN : le sort des piscines. Dans toutes les installations, à part l’EPR en construction à Flamanville, les combustibles usés sont stockés en piscine avant d’être convoyés à l’usine d’Areva à La Hague. Mais pour l’autorité, « l’état actuel des piscines de désactivation restera en écart notable avec les principes de sûreté qui seraient appliqués à une nouvelle installation ». Si bien qu’« EDF doit réviser sa stratégie en matière de gestion et d’entreposage ».
De son côté, l’IRSN (voir ici) s’est inquiété de la tenue en service de l’acier des cuves des réacteurs de 900 MW, que l’on retrouve dans une bonne partie du parc (Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Gravelines, Saint-Laurent, et au Tricastin). Sous l’effet de l’irradiation, leur température monte avec les ans, ce qui crée un risque de rupture en cas de choc thermique. Par exemple, s’il fallait déverser beaucoup d’eau sur un réacteur en cas d’accident, comme à Fukushima.
Or, à cause de la standardisation des centrales hexagonales, en cas d’incident sérieux sur un réacteur, il faudrait arrêter tous ses semblables simultanément, a récemment expliqué l’ASN. Une mise à l’arrêt collective et non négociable, la sûreté primant sur tous les autres critères de décision.
Et si, en fin de compte, l’allongement à 50 ans n’était que comptable ? C’est la position que défend aujourd’hui Delphine Batho, l’ancienne ministre de l’écologie. EDF n’y est pas opposé. Le prolongement de vie serait virtuel. Il s’agirait alors d’un simple jeu d’écriture, permettant de réduire chaque année le poids de son amortissement. Tout bénéfice pour une société très endettée ? (34 milliards d’euros en 2013.) Pas si simple. Car une fois les réacteurs quarantenaires fermés, les recettes de leur activité s’éteindraient, déséquilibrant les comptes de l’entreprise. « Un acteur privé peut décider comptablement de la durée de ses investissements, analyse un expert indépendant, mais c’est plus compliqué si c’est de la reprise de provisions. » L’électricien est obligé par la loi de provisionner de l’argent pour le démantèlement futur des centrales pour chaque kilowattheure produit. S’il se mettait à puiser dans ces réserves pour financer son activité, c’est la collectivité qui se retrouverait prise en otage de ses difficultés. « C’est de la cavalerie financière ! Ce genre de bulle finit par exploser », met en garde Denis Baupin, député EELV et coordonnateur du groupe de travail sur la compétitivité des entreprises dans le débat sur la transition énergétique.
Physique ou de papier, le surplus de vie qu’EDF s’échine à obtenir pour ses réacteurs rayonne d’une haute valeur symbolique : la résistance à la transition énergétique. Refuser de préparer l’arrêt de ses centrales permet de continuer à occuper l’espace, et conserver sa place de premier électricien. Une forme de cordon sanitaire pour se protéger des bouleversements induits par le tournant énergétique allemand et l’inexorable essor des renouvelables en Europe, mais aussi du boom mondial du charbon, autre tendance massive de fond. Mais difficile de dire pour combien de temps.
19 octobre par Patrick Saurin
Le projet de loi de finances pour 2014 comporte dans son article 60 une disposition particulièrement scandaleuse. En effet, sous le couvert de la mise en place d’un fonds de soutien aux collectivités qui ont souscrit des produits toxiques, le gouvernement socialiste n’hésite pas à remettre en cause un des principes essentiels de notre droit, le principe de non-rétroactivité des lois, et à désavouer les juges dans le seul but d’aider les banques à spolier les collectivités publiques et la population.
Dans cette étude, nous commencerons par rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la loi de validation que constitue l’article 60 avant d’évaluer les conséquences de cette disposition. Nous présenterons ensuite les grandes lignes du régime juridique des lois de validation ainsi que la jurisprudence des quatre grandes institutions chargées d’en définir les contours, à savoir le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil d’État et la Cour de cassation, puis nous mettrons l’article 60 à l’épreuve de cette jurisprudence. Enfin, en conclusion, nous proposerons aux collectivités et aux contribuables quelques pistes d’actions.
1. Les données du problème
Victimes des prêts toxiques, 200 collectivités ont engagé plus de 300 procès contre les banques qui leur ont fait souscrire ce type de produits. Les sommes en jeu sont considérables. Dans une tribune publiée dans Le Monde du 3 juin dernier, Michel Klopfer estimait le risque lié aux emprunts toxiques entre 15 et 20 milliards d’euros. Pour comprendre les motivations du gouvernement, il faut rappeler qu’en janvier 2013, celui-ci a créé la Société de Financement local (SFIL), dont le capital est détenu à 75 % par l’État, à 20 % par la CDC et à 5 % par la Banque Postale. La SFIL a pour objet la reprise d’un portefeuille de 90 milliards d’euros de prêts déjà consentis à des collectivités par DEXMA (une entité de DEXIA). Sur ce stock, près de 10 milliards d’euros d’encours sont considérés comme « sensibles » (comprendre « toxiques ») et concernent environ 1 000 collectivités. Il s’agit pour l’essentiel de prêts structurés dont le taux est indexé sur des cours de monnaies telles que le franc suisse, le dollar ou le yen. Le risque de ce stock de 10 milliards d’euros de prêts toxiques est donc désormais assumé par la SFIL, c’est-à-dire par l’État. Or ces derniers mois, des collectivités qui avaient assigné les banques pour contester les prêts toxiques qu’elles leur avaient fait souscrire ont obtenu gain de cause en justice. Cela a été le cas notamment du conseil général de Seine Saint-Denis qui, le 8 février 2013, dans trois affaires l’opposant à Dexia, a vu le tribunal de grande instance de Nanterre décider la nullité de la clause d’intérêt de trois contrats pour défaut de mention du taux effectif global (TEG) dans les fax de confirmation des prêts. Le TGI « annule la stipulation conventionnelle d’intérêts, dit que le taux légal doit être substitué au taux conventionnel depuis la conclusion du contrat de prêt, le taux légal subissant les modifications successives que la loi lui apporte. » Cela signifie que le taux légal doit s’appliquer rétroactivement depuis la 1ère échéance… Pour information, le taux légal pour 2013 est de 0,04 %. Le risque est donc grand pour le gouvernement de voir l’encours de 10 milliards de prêts toxiques connaître le même sort que les trois prêts du département de Seine Saint-Denis. L’État portant désormais le risque de Dexia, c’est lui, à travers la SFIL, qui sera condamné à supporter les coûts considérables liés aux prêts toxiques.
Pour se soustraire à cette obligation, le ministère de l’économie et des finances a eu l’idée d’insérer dans l’article 60 de son projet de loi de finances pour 2014 une disposition qui prévoit que « sont validés les contrats de prêt ou les avenants à ces contrats conclus antérieurement à la publication de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale, en tant que la validité de la stipulation des intérêts serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention du taux effectif global prescrite par l’article L. 313-2 du code de la consommation… » Pour les collectivités et les contribuables locaux cet article, s’il est adopté, sera lourd de conséquences.
2. Les conséquences de l’article 60 du projet de loi de finances pour 2014
Le 18 juin dernier, à l’occasion de la présentation de son dispositif, le ministère des finances a invoqué « sa volonté d’apporter une solution pérenne et globale au problème des emprunts structurés les plus sensibles » |1|. Mais ces arguments de façade peinent à dissimuler le risque majeur de ce projet pour les collectivités : leur faire porter une part non négligeable des surcoûts liés aux prêts toxiques tout en les privant de leur droit d’agir en justice.
De plus, une telle disposition est proprement scandaleuse dans la mesure où elle remet en cause un des principes essentiels de notre droit, le principe de non-rétroactivité des lois. Même si l’article 2 du code civil prévoit que « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif », ce principe n’est pas absolu en matière civile, le législateur peut y déroger. Deux exceptions sont possibles. La première se rapporte aux lois d’interprétation qui ont pour finalité de clarifier le sens d’une disposition législative antérieure, sans y ajouter. Pour éviter que le législateur ne soit tenté de compléter des dispositifs sous couvert d’interprétation, la Cour de cassation s’est reconnu le pouvoir de contrôler la réalité du caractère interprétatif de la loi. La seconde exception concerne les lois de validation qui ont pour objectif de valider rétroactivement un acte dont une juridiction est saisie ou susceptible d’être saisie, afin de prévenir les difficultés pouvant naître de l’éventuelle censure dudit acte. C’est le cas qui nous intéresse ici avec les procès relatifs aux contrats de prêts dépourvus de TEG, sachant que les lois de validation doivent respecter un certain nombre de conditions.
Le Service des études juridiques du Sénat relève que l’objet des validations s’est diversifié : « portant traditionnellement sur des actes administratifs, la validation peut également concerner des procédures ou encore des actes relevant des relations de droit privé, y compris en matière contractuelle. » |2| Il note que des validations ont pu porter au cours de ces dernières années sur « des contrats de prêts immobiliers », « des conventions passées par des collectivités territoriales ou leurs groupements » |3|.
3. Le régime juridique des lois de validation
Aujourd’hui, la définition du régime juridique des lois de validation relève du Conseil constitutionnel, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et de celles du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Selon le Service des études juridiques du Sénat, trois conditions cumulatives doivent être réunies pour qu’une loi de validation soit déclarée constitutionnelle : la non-immixtion dans l’exercice du pouvoir juridictionnel par le respect des décisions de justice devenues définitives ; le respect du principe de non-rétroactivité de la loi en matière pénale ; l’existence d’un motif d’intérêt général. À ces trois conditions est venu s’ajouter un nouveau critère, celui du caractère nécessairement circonscrit de la validation. |4|
La juriste Anne-Laure Cassard-Valembois a étudié de façon approfondie les spécificités de la jurisprudence relative aux lois de validation et elle a identifié six conditions nécessaires à la compatibilité de ces lois avec les principes de droit. Selon elle :
« Aujourd’hui, la constitutionnalité des lois de validation est admise sous réserve premièrement de ne pas porter atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et de l’indépendance des juridictions, c’est-à-dire de respecter les décisions de justice passées en force de chose jugée ; deuxièmement de ne pas méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif ; troisièmement de ne pas enfreindre le principe de non-rétroactivité en matière pénale ni son corollaire qui interdit de faire renaître des prescriptions légalement acquises ; quatrièmement qu’elle soit justifiée par un but d’intérêt général suffisant qui ne saurait se réduire à un simple intérêt financier ou par des exigences constitutionnelles ; cinquièmement qu’elle ne porte pas sur un acte inconstitutionnel sauf à ce que le motif de la validation soit lui-même de rang constitutionnel ; sixièmement que sa portée soit strictement définie. » |5|
Pour ce qui concerne les prêts toxiques, trois motifs sur les six peuvent être invoqués pour soulever un motif d’inconstitutionnalité : l’absence d’intérêt général, une atteinte substantielle au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, enfin le fait que l’acte validé contrevienne à un principe de valeur constitutionnelle sans que l’intérêt général visé par la validation soit établi. Les autres motifs ne peuvent être invoqués car, à ce jour, il n’y a pas eu de décision définitive sur les contentieux liés à ces prêts (même si l’on peut souligner que des décisions favorables aux collectivités ont été rendues par des tribunaux de grande instance et une cour d’appel), ces affaires relèvent du civil et non du pénal |6|, enfin la validation, pour discutable qu’elle soit, présente un caractère circonscrit à des contrats de prêts ou à des avenants bien définis.
Examinons maintenant la façon dont les quatre juridictions précitées ont apprécié ces motifs |7| et essayons d’appliquer leurs critères au cas de la validation rétroactive des contrats dépourvus de TEG prévue par l’article 60 du projet de loi de finances de 2014.
4. L’article 60 du projet de loi de finances pour 2014 confronté à la jurisprudence relative aux lois de validation
a. Le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a encadré la rétroactivité de ces lois de validation qui ne doivent pas remettre en cause des décisions de justice passées en force de chose jugée et doivent répondre à un but d’intérêt général « suffisant ». Un des contentieux qu’il a eu à connaître est particulièrement intéressant pour notre propos car il y est question de banques et de contrats de prêts.
La décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1996
Le 1er avril 1996, des sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel pour mettre en cause la constitutionnalité de l’article 47 et du I de l’article 87 de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier. Le I de l’article 87 déclarait régulières les offres de prêts immobiliers émises avant le 31 décembre 1994 ayant méconnu les dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 312-8 du code de la consommation. S’appuyant sur une réponse ministérielle de 1982 à une question écrite, certains établissements de crédit n’avaient pas fourni à leurs emprunteurs de tableau d’amortissement et s’étaient limités à indiquer « d’une part le montant global des échéances annuelles ainsi que le montant de la dette de l’emprunteur à la fin de chaque période annuelle et d’autre part, le montant total des intérêts et le montant des total des frais accessoires qui auront été payés après complet amortissement ».
Or, sur ces dossiers, par deux arrêts des 16 mars et 20 juillet 1994, la Cour de cassation a infirmé cette interprétation fondée sur la réponse ministérielle. Dans le premier arrêt, elle a considéré « qu’un tableau qui se contenterait de détailler les dates des échéances et leur montant global, sans préciser la part du remboursement affecté dans chacune d’elles à l’amortissement du capital par rapport à celle couvrant les intérêts, ne satisferait pas aux exigences légales. » Dans son second arrêt, elle a jugé que « l’échéancier des amortissements, joint à l’offre préalable, doit préciser, pour chaque échéance, la part de l’amortissement du capital par rapport à celle couvrant les intérêts, et que le non-respect de ces dispositions d’ordre public est sanctionné non seulement par la déchéance du droit aux intérêts pour le prêteur, mais encore par la nullité du contrat de prêt. »
Dans sa décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel n’a pas suivi les sénateurs dans leur demande. Il a retenu l’argument du gouvernement qui justifiait l’article 87 de la loi n° 86-793 du 2 juillet 1996 par le souci d’ « éviter un développement des contentieux d’une ampleur telle qu’il aurait entraîné des risques considérables pour l’équilibre financier du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l’activité économique générale », ainsi qu’il le souligne dans les motifs de sa décision. Même si dans sa décision il fait référence à « l’équilibre financier du système bancaire dans son ensemble », pour le Conseil constitutionnel, un motif purement financier n’est pas de nature à fonder une validation législative.
L’article 60 au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1996
Dans les motifs à l’appui de l’article 60, l’argument évoqué par le gouvernement selon lequel « la généralisation d’une jurisprudence récente, relative à des prêts structurés, risquerait […] de déstabiliser le secteur bancaire français, ce qui entraînerait à la fois une restriction de l’accès au crédit par les collectivités locales et des coûts d’intervention très élevés pour l’État actionnaire de certains de ces établissements bancaires », est difficilement soutenable. En effet, si l’on estime que le traitement du surcoût des prêts toxiques représente 10 milliards d’euros, et si l’on décide que les banques devraient y consacrer 2 milliards par an pendant 5 ans, cette contribution représente 13 % du résultat net annuel des 6 principaux groupes bancaires français au vu de la moyenne des exercices 2010, 2011 et 2012. Une telle contribution est tout à fait supportable pour les banques. Nous sommes loin d’une déstabilisation du système bancaire, sachant que ne sont considérés dans notre approche que les 6 principaux groupes français sans la prise en compte des autres petits groupes bancaires français, des prêteurs étrangers et des banques de contrepartie. Pourtant, il ne serait pas incongru de réclamer une contribution aux acteurs de ces deux dernières catégories du fait de leur implication et de leur rôle dans la crise. Enfin, rappelons que l’aide de 20,75 milliards apportée par l’État aux banques à la suite de la crise des liquidités survenue fin 2008 après la faillite de Lehman Brothers a été remboursée en moins de 3 ans par les banques.
b. La Cour européenne des droits de l’Homme
La Cour a développé sa réflexion à l’occasion de plusieurs arrêts importants.
L’arrêt du 23 octobre 1997 (National and Provincial Building Society e.a. c/Royaume-Uni)
Dans cette décision, elle a admis qu’une validation pouvait intervenir « à condition de répondre à certains critères tels que le caractère prévisible de l’intervention du législateur aux fins de validation, l’importance des enjeux financiers, le fait que la validation intervienne au tout début de l’émergence des contestations et de la cristallisation d’un contentieux, la bonne ou la mauvaise foi des requérants. » |8| Si l’on examine successivement ces critères, il apparaît que certains font défaut dans le cas de la validation des contrats de prêts dépourvus de TEG.
L’article 60 au regard de l’arrêt du 23 octobre 1997
Le caractère prévisible de l’intervention du législateur ne ressort pas de ce dossier qui a suscité des contentieux depuis de nombreuses années. En réalité, c’est la condamnation de Dexia le 8 février 2013 et la reprise de l’encours des prêts toxiques de cette banque par la Société de Financement Local, une structure à 100 % publique, qui a amené le gouvernement à vouloir trancher rétroactivement sur la question du TEG.
L’importance des enjeux financiers n’est pas établie par le gouvernement, ainsi que nous l’avons démontré précédemment.
Ensuite, nous relevons que la validation n’intervient pas au tout début de l’émergence des contestations et de la cristallisation d’un contentieux, puisque la question des prêts toxiques a fait l’objet de plusieurs avis de chambres régionales des comptes, de plusieurs décisions de tribunaux de grande instance et même d’un arrêt d’une cour d’appel.
Enfin, pour ce qui est du critère relatif à la bonne ou la mauvaise foi des requérants, la bonne foi des emprunteurs ne saurait être contestée, celle-ci reposant sur le climat de confiance entretenu depuis de nombreuses années par les collectivités avec les banques et la loyauté des relations qui avait prévalu avec ces dernières jusqu’alors. À l’inverse, nous relevons que nombre d’actions engagées par les collectivités contre les banques, Dexia en particulier, mettent en avant la mauvaise foi caractérisée des établissements financiers. On peut donner l’exemple de Dexia qui avait baptisé TOFIX toute une gamme de financement dont la caractéristique était de proposer, après une courte période de taux fixe, un taux révisable établi à partir d’index risqués, la parité de devises en particulier.
L’arrêt du 28 octobre 1999 (Zielinski et Pradal et Gonzales et a. c/France)
Dans cet arrêt, le juge européen a décidé qu’une validation avait violé l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales quant à l’équité de la procédure. Selon cet article : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » Le service des études juridiques du Sénat a listé six constats qui ont amené le juge à cette conclusion : « le caractère tardif de l’engagement de la procédure de validation par rapport au déroulement des procédures juridictionnelles, la volonté de faire obstacle à des jurisprudences majoritairement favorables aux requérants, la bonne foi des requérants, le caractère non prévisible du recours à la validation, le caractère non justifié de la régulation par la loi de divergences de jurisprudence qui auraient en tout état de cause été réduites par la Cour de cassation, et enfin le caractère insuffisant du motif financier invoqué. » |9|
L’article 60 au regard de l’arrêt du 28 octobre 1999
Les six constats relevés par la Cour européenne des droits de l’homme se retrouvent selon nous dans la validation des contrats de prêts toxiques dépourvus de TEG.
Nous avons précédemment souligné le caractère tardif de l’engagement de la procédure de validation, intervenant après plusieurs années de différends entre les banques et les collectivités. Ceux-ci ont donné lieu à plusieurs décisions de justice favorables à ces dernières, notamment les trois décisions du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013 dans le litige opposant le conseil général de Seine-Saint-Denis à Dexia, et l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 juillet 2012 dans le litige opposant la ville de Saint-Étienne à Royal Bank of Scotland.
La bonne foi des requérants ne saurait être contestée au vu de la complexité des contrats que les banques leur ont fait signer en profitant du climat de confiance qui présidait depuis de nombreuses années aux relations entre les banques et les acteurs publics locaux.
La volonté de faire obstacle à des jurisprudences majoritairement favorables aux requérants est indéniable après les trois arrêts du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013 en faveur du conseil général de Seine-Saint-Denis et la décision de la cour d’appel de Paris du 4 juillet 2012.
Nous avons évoqué plus haut le caractère non prévisible du recours à la validation dont la survenance soudaine ne trouve d’autre explication que dans les décisions du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013 en faveur des collectivités et leurs conséquences sur la SFIL, repreneuse de l’encours de crédits toxiques de Dexia.
Le caractère non justifié de la régulation par la loi de divergences de jurisprudence – qui auraient en tout état de cause été réduites par la Cour de cassation – est avéré si l’on sait que plus de 300 procès ont été engagés à ce jour par 200 collectivités. Après plusieurs décisions de TGI, un arrêt de Cour d’appel, la Cour de cassation aurait été amenée immanquablement à trancher au fond la question de la validité des contrats de prêts toxiques. En rattachant l’article 60 au projet de loi de finances 2014, le gouvernement a tout simplement voulu prendre la haute juridiction de vitesse et dire le droit à sa place.
Enfin, nous avons développé plus haut le caractère insuffisant du motif financier invoqué.
L’affaire Zielinski, Pradal, Gonzales et al. que nous évoquons est particulièrement intéressante car, à l’instar de la situation générée par l’article 60, l’État était à l’époque partie au procès, intéressé et bénéficiaire direct des lois rétroactives devant influer sur l’issue du procès. Ainsi que le souligne Catherine Sandras, « il y a eu violation de l’article 6, § 1er car les lois rétroactives portaient atteinte à un procès équitable, au principe de l’égalité des armes » |10|. Selon cette juriste, « l’égalité des armes exige que chacune des parties au procès puisse présenter sa cause civile ou pénale ; mais relevant de l’article 6, dans des conditions qui ne la placent pas dans une position désavantageuse par rapport à la partie adverse » |11|.
c. Le Conseil d’État
Le Conseil d’État a rendu plusieurs arrêts qui lui ont permis de définir un certain nombre de conditions pour apprécier la constitutionnalité d’une loi de validation. Selon les juges administratifs, l’intervention doit être justifiée par des « motifs d’intérêt général suffisants » ou d’ « impérieux motifs d’intérêt général », pour reprendre la formulation du juge européen.
d. La Cour de cassation
À l’instar du Conseil d’État, la Cour de cassation, a repris à son compte le critère de la Cour de Strasbourg relatif à l’existence d’ « impérieux motifs d’intérêt général ».
e. Arguments pour démontrer le caractère inconstitutionnel de l’article 60
Nos précédents développements mettant en regard les jurisprudences du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’Homme, du Conseil d’État et de la Cour de cassation et l’article 60 démontrent que cet article est contestable à plusieurs titres. La validation qu’il recouvre, non seulement n’est pas justifiée par d’« impérieux motifs d’intérêt général », mais contrevient à l’exigence d’un procès équitable, avec cette circonstance aggravante que l’État, partie au procès, porte une atteinte grave au principe de la séparation des pouvoirs.
Dans son rapport public de 1999 intitulé Réflexions sur l’intérêt général, le Conseil d’État rappelle que l’intérêt général est « une notion centrale de la pensée politique et du système juridique français » |12|. Après avoir observé que « l’intérêt général est, par nature, rarement consensuel et [que] sa définition résulte d’inévitables confrontations d’intérêts entre lesquels il faut, en fin de compte choisir » |13|, la juridiction suprême de l’ordre administratif prend soin de souligner qu’ « il revient précisément au juge de défendre une conception de l’intérêt général qui aille au-delà de la simple synthèse entre intérêts particuliers ou de l’arbitrage entre intérêts publics, géographiques ou sectoriels, qui, chacun, revendiquent leur légitimité. » |14| Dans le dossier des prêts toxiques, en raison de l’intérêt de l’État partie prenante de ce dossier, le juge devra veiller à ce que l’intérêt général ne soit pas l’expression des intérêts les plus puissants, il ne devra pas faire primer le marché sur la cohésion sociale, l’éthique et l’équité.
5. Que faire en l’état actuel des choses ?
Les collectivités et les citoyens doivent continuer à attaquer en justice les banques coupables de leur avoir fait souscrire des emprunts toxiques. L’article 60 du projet de loi de finances de 2014 ne met pas un terme à leur action. Plusieurs moyens existent pour écarter ce texte.
Tout d’abord une saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou 60 sénateurs est possible avant la promulgation de la loi. Cette éventualité semble peu probable de la part d’élus socialistes aux ordres de leur gouvernement. Quant aux élus de droite, même s’ils engageaient cette démarche, ce serait par pure opportunité, non pas pour rétablir une situation de droit, mais pour jeter une nouvelle pierre dans le jardin déjà bien encombré du gouvernement socialiste.
Si le Conseil constitutionnel n’est pas été saisi et si la loi n’est pas adoptée, une collectivité ou un citoyen (agissant en justice dans le cadre de l’autorisation de plaider) peuvent l’une et l’autre, à l’occasion d’une action en justice contre une banque au sujet d’un ou plusieurs prêts toxiques, poser la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En effet, depuis le 1er mars 2010, l’article 61-1 alinéa 1er de la Constitution prévoit :
« Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »
Cette question peut être posée en première instance (c’est-à-dire devant le TGI), en appel (devant la Cour d’appel) ou en cassation (devant la Cour de cassation). La juridiction saisie de l’instance examine si la question est recevable et si les critères fixés par la loi organique sont remplis. Si ces conditions sont réunies, la juridiction transmet la QPC au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. La haute juridiction saisie procède à un examen plus approfondi de la QPC et décide ou non de saisir le Conseil constitutionnel. Celui-ci doit juger dans un délai de trois mois. Le refus d’une juridiction de première instance ou d’une cour d’appel de transmettre la QPC peut être contesté à l’occasion d’un recours ou d’un pourvoi en cassation visant la décision rendue au fond. Le refus, par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, de saisir le Conseil constitutionnel n’est susceptible d’aucun recours.
Enfin, lorsque le contribuable a épuisé toutes leurs voies de recours internes, il lui reste une dernière possibilité qui est de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Il faut préciser que les collectivités territoriales n’ont pas la possibilité de saisir cette Cour, même si elles peuvent invoquer les principes de la Convention européenne des droits de l’Homme lorsqu’elles agissent contre l’État devant les juridictions internes.
Les collectivités locales et leurs administrés ont droit à un procès équitable, c’est pour cela que l’article 60 du projet de loi de finances pour 2014 doit être invalidé.
Pour conclure notre propos, revenons sur un dossier vieux de quelques mois à peine. Dans son rapport du 29 mai 2013 relatif à une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales |15|, Olivier Dassault n’hésitait pas à invoquer à l’appui de son propos un des grands théoriciens de notre droit, Jean-Étienne-Marie Portalis qui, présentant l’article 2 du Code civil devant le Corps législatif en 1803, déclarait :
« C’est un principe général que les lois n’ont point d’effet rétroactif. À l’exemple de toutes nos assemblées nationales, nous avons proclamé ce principe. Il est des vérités utiles qu’il ne suffit pas de publier une fois, mais qu’il faut publier toujours et qui doivent sans cesse frapper l’oreille du magistrat, du juge, du législateur parce qu’elles doivent constamment être présentes à leur esprit. » |16|
Aujourd’hui, plus de deux siècles après la mise en place du Code civil, chacun peut convenir que le principe de non-rétroactivité puisse souffrir des exceptions. Toutefois la vocation de ces exceptions n’est pas de satisfaire aux intérêts des puissants, qu’il s’agisse des grandes entreprises, des contribuables aisés ou des banques, mais de répondre à un principe d’intérêt général dont la finalité est précisément de dépasser les intérêts égoïstes. La défense de ce principe est essentielle car, ainsi que le soulignaient les sages du Conseil d’État dans leur Rapport public de 1999 :
« Les grandes notions clés de droit public, que sont le service public, le domaine public, l’ouvrage public et le travail public ont un point commun : elles ne peuvent être définies que par référence à la notion première d’intérêt général et trouvent en elle leur raison d’être. » |17|
S’il pouvait lire le rapport d’Olivier Dassault et le projet de loi de finances pour 2014, le malheureux Portalis se retournerait dans son caveau du Panthéon.
|1| Communiqué de presse du Ministre des Finances, de la Ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, de la Ministre déléguée auprès de de la Ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation, du 18 juin 2013, N° 668 / 154, http://proxy-pubminefi.diffusion.fi....
|2| Le régime juridique des validations législatives, Services des études juridiques, Division des recherches et études, Sénat, janvier 2006, p. 7.
|3| Id.
|4| Ibid., p. 9.
|5| Anne-Laure Valembois, « La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 17, mars 2005.
|6| Il faut noter toutefois que certaines collectivités ont agi au pénal au motif de l’escroquerie en bande organisée.
|7| Dans le développement qui suit nous nous appuyons sur l’étude du Services des études juridiques et sur l’article d’Anne-Laure Valembois déjà mentionnés.
|8| Ibid., p. 15.
|9| Ibid.
|10| Catherine Sandras, « les lois de validation, le procès en cours et l’article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l’Homme », Revue trimestrielles des droits de l’Homme, N° 51, juillet 2002, p. 637.
|11| Ibid.
|12| Conseil d’État, Réflexions sur l’intérêt général – Rapport public 1999.
|13| Ibid.
|14| Ibid.
|15| Assemblée Nationale, N° 1089 et 1090, Rapport fait par Monsieur Olivier Dassault, 23 mai 2013.
|16| Ibid., p. 5.
|17| Conseil d’État, Réflexions sur l’intérêt général – Rapport public 1999.
Patrick Saurin est un des porte-parole de SUD BPCE et il est membre du CADTM.
Pour Achille Mbembe, la répétition des drames liés à la fermeture des frontières, comme à Lampedusa, marque la poursuite d’une « idéologie de la sélection entre différentes espèces humaines ». Mais elle masque aussi le « devenir-nègre du monde », c’est-à-dire aussi bien la marchandisation des hommes sous l’effet de l’accumulation capitaliste que la possibilité d’une « montée collective en humanité ».
Achille Mbembe, d’origine camerounaise, vit entre l’Afrique du Sud, où il enseigne l’histoire et la science politique à l’Université du Witwatersrand de Johannesburg, et les États-Unis, puisqu’il est également professeur à Duke University. Il fait aussi quelques escales régulières à Paris, cette fois-ci à l’occasion de l’ouvrage qu’il vient de publier aux éditions La Découverte, Critique de la raison nègre.
Pour lui, la figure historique du Nègre est une clé de compréhension de la marchandisation des hommes à l’âge des politiques néolibérales et sécuritaires, parce que « le Nègre est (…) le seul de tous les humains dont la chair fut faite chose et l’esprit marchandise ». Mais c’est une figure duale qui devint aussi « le symbole d’un désir conscient de vie, une force jaillissante, flottante et plastique, pleinement engagée dans l’acte de création » et qui fournit, par là, le complément nécessaire d’une critique marxiste de l’exploitation, trop longtemps aveugle à la dimension raciale des classes sociales.
Achille Mbembe examine donc les conditions, ambitieuses, de possibilité d’un monde commun et partagé. Pour lequel, il faudra d’abord « restituer à ceux et celles qui ont subi un processus d’abstraction et de chosification dans l’histoire la part d’humanité qui leur a été volée ». Mais aussi admettre que la « proclamation de la différence n’est qu’un moment d’un projet plus large », alors que « pour ceux qui ont subi la domination coloniale ou pour ceux dont la part d’humanité a été volée à un moment donné de l’histoire, le recouvrement de cette part d’humanité passe souvent par la proclamation de la différence ».
Dans le livre que vous venez de publier, vous écrivez que « la transformation de l’Europe en “forteresse” et les législations anti-étrangers dont s’est doté le Vieux Continent en ce début de siècle plongent leurs racines dans une idéologie de la sélection entre différentes espèces humaines que l’on s’efforce tant bien que mal de masquer ». Ce qui s’est passé au large de Lampedusa et de Malte la semaine dernière est-il voué à se répéter à l’infini ?
Il est nécessaire de rappeler que l’Europe n’est pas la destination privilégiée des migrants africains. Depuis quinze ou vingt ans, les destinations de ces migrants se sont énormément diversifiées. Ils vont en Chine, aux États-Unis, vers d’autres parties du monde... Ce qui me pose question, c’est le fait qu’autant de gens ne veulent pas vivre en Afrique. L’Afrique doit créer les conditions pour que ces gens puissent vivre normalement chez eux.
Cela passe par l’ouverture des frontières à l’intérieur du continent lui-même, afin qu’il devienne un vaste espace de circulation régionale. Au cours des quinze dernières années, l’Afrique est devenue la destination d’une nouvelle vague d’immigrants venant de Chine, du Portugal ou d’ailleurs. Pendant que l’Europe ferme ses portes, il faut donc que l’Afrique ouvre les siennes, et en priorité à ses fils et à ses filles. Il est quand même étonnant qu’on n’ait entendu quasiment aucune voix de dirigeants africains à l’occasion de ces drames.
Percevez-vous une évolution dans les relations entre l’Europe et l’Afrique, notamment avec les régimes de « satrapes » dont vous aviez fait la critique dans votre précédent ouvrage, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée ?
Le continent africain est en passe de devenir la dernière frontière du capitalisme. Au cours des quinze dernières années, les taux de croissance les plus élevés de l’économie mondiale ont été réalisés là-bas. Une classe moyenne est en train d’émerger et constituera, en 2040, un marché plus important que celui de la Chine. Il faut donc accompagner cette évolution interne en abolissant les frontières héritées de la colonisation, afin de créer des marchés régionaux qui puissent rendre possible un développement endogène.
Mais cette grande transformation qui a cours en Afrique est en décalage avec des rapports euro-africains qui n’évoluent guère. Cet écart ne peut pas durer, d’autant que les relations avec d’autres puissances, comme la Chine, l’Inde, voire la Turquie, évoluent nettement, rapidement et positivement.
Vous enseignez aux États-Unis. Qu’en est-il de la relation américano-africaine ?
La variable historique la plus importante est l’existence d’une diaspora africaine importante depuis la fondation des États-Unis modernes. À cette diaspora ancienne faite d’esclaves et de descendants d’esclaves se sont ajoutées de nouvelles vagues de migrations, dont les membres sont présents dans la plupart des grandes institutions. Mais la géopolitique américaine par rapport à l’Afrique me semble, par contre, prendre un cours inquiétant, dans la mesure où, que ce soit avec Obama ou avant lui, elle est fortement marquée par une recrudescence du militarisme. Le nombre de bases américaines, formelles ou informelles, sur le continent a augmenté et le risque est de plus en plus fort que les États-Unis perçoivent l’Afrique seulement comme un champ de la lutte contre le terrorisme.
Vous plaidez, dans votre ouvrage, pour une politique soucieuse du « sort de l’homme noir dans le monde moderne », mais qui ne fasse pas de la « négritude » l’alpha et l’oméga des luttes qu’il reste à mener, en dépit de l’importance des écrits et des combats de Senghor ou Césaire. Quelle serait cette politique ?
La politique post-Césaire, post-Fanon, post-Senghor ou post-Du Bois pourrait ressembler à ce qu’esquissait quelqu’un comme Édouard Glissant. À partir du moment où on n’a qu’un seul monde, et qu’il nous est commun, la question se pose de savoir comment le partager. Cette politique serait donc une politique de partage, parce que nous sommes tous des ayants droit de ce monde. Cela implique la reconnaissance du fait qu’une des conditions premières de la possibilité de mener une existence digne, aujourd’hui, est de pouvoir circuler librement.
Il n’y a pas de monde sans circulation de tous les hommes, sans possibilité de circulation, en Afrique même et ailleurs. Il faut donc revisiter cette question de la frontière, non plus comme une barrière mais comme un lieu de rencontres, non plus comme un cimetière mais comme un lieu de vie. À l’ère de la circulation débridée du capital et des politiques de clôture et de fermeture pour les hommes, c’est ce paradoxe qu’il faut résoudre.
Votre livre est une charge contre les effets d’un système capitaliste qui transforme les hommes en marchandises, comme il transformait les esclaves en choses. Mais le FMI, l’OCDE ou le Medef sont des adeptes d’une ouverture contrôlée des frontières, parce qu’ils sont conscients des projections démographiques européennes…
L’Europe, d’ici à vingt-cinq ans, aura certes besoin de gens et devra ouvrir ses frontières. Sans quoi, elle ne pourra pas assurer les retraites ou financer son niveau de vie. Le capital dresse moins de murs que les politiques européennes. Mais le grand désir du capitalisme n’est pas la circulation des hommes. Même quand le capitalisme a eu besoin d’hommes et de bras, en allant chercher 13 à 15 millions d’esclaves transférés d’Afrique aux États-Unis, cette circulation n’était pas libre, elle était enchaînée. Et aujourd’hui, la prime reste donnée à la circulation des marchandises, à celle du capital, avec un degré de vélocité jamais atteint dans l’histoire humaine.
Votre dernier livre s’intitule Critique de la raison nègre. C’est un beau titre, mais pouvez-vous en préciser l’idée ?
Ce titre est un clin d’œil à la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant, qui renvoie à deux processus. La capacité de l’homme à devenir maître de lui-même et à prendre la parole dans le champ public en rentrant en communication avec les autres hommes, sur la seule base de la raison, en excluant les passions, les émotions et toutes ces autres facultés qui, d’après Kant, ne permettent pas à l’homme de devenir libre.
Je pose ces mêmes questions pour le sujet nègre. Comment, historiquement, le « nègre » a-t-il été, ou non, capable de dire « Je » et quels sont les facteurs qui ont empêché cette naissance à la liberté ? Et quelles ont été les modalités de ces luttes pour la liberté aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Afrique, mais aussi en France et dans ses colonies ?
L’histoire nègre implique, selon vous, des restitutions et des réparations contemporaines. Sous quelles formes ?
L’économie de la réparation est par définition plurielle. Elle a une dimension symbolique qui a trait à la restitution, à ceux qui ont été amputés de leur humanité, de leur part essentielle, pour qu’ils puissent être des hommes comme tous les autres. Mais il y a aussi des instances et des contextes où la réparation doit être économique.
Les combattants kényans Mau-Mau ont récemment obtenu réparation de la Grande-Bretagne en raison des atrocités commises pendant la lutte pour la décolonisation. En Afrique du Sud, il a fallu mettre en place un ensemble de politiques dont les bénéficiaires sont ceux qui, historiquement, ont été désavantagés. La panoplie des exemples dépend des contextes historiques précis.
Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est d’introduire une réflexion un peu plus vaste sur la question de la responsabilité historique et de la justice universelle, à un moment où on se rend de plus en plus compte que le monde que nous avons, il n’en existe qu’un, qu’il nous est commun, et qu’il faut donc le partager.
Pour bâtir ce « monde au-delà des races » que vous appelez de vos vœux, il faut se tenir à égale distance d’une posture « victimaire » et du déni de responsabilité ou de la bonne conscience d’une partie de l’Occident ?
Il me semble important de ne pas s’arrêter aux processus de différenciation pour ne pas reproduire des logiques qui ont conduit à ce que l’on est en train de dénoncer. La position victimaire endosse la différence au point de chercher à jouir des dividendes de celle-ci. Mais le déni ou la bonne conscience sur le mode « tout ça c’est du passé » sont des marques de fabrique de l’Occident qui sont les privilèges des puissants et des dominants.
Le terme « nègre », dans votre ouvrage, ne désigne pas seulement une couleur de peau. Quel usage en faites-vous ?
C’est en effet un terme qui dépasse le phénomène de racialisation et renvoie au processus lié à l’émergence du capitalisme. Le Nègre est une fabrication du premier capitalisme, entre le XVe et le XVIIe siècle. La pulsion première du capitalisme est de transformer l’homme en objet. Et le terme de « nègre » désigne ce processus où un homme est réduit à l’état de marchandise. En cet âge néolibéral, je crois que la puissance du terme « nègre » se trouve là, comme révélateur d’un projet économique qui cherche à tout transformer en quelque chose qui puisse être vendu et acheté, y compris les émotions, les affects, les passions… Un des arguments du livre est de dire qu’il existe un « devenir-nègre du monde » qui dépasse l’affectation d’une couleur à une population donnée.
Pourquoi faudrait-il en passer par un « devenir-nègre du monde » pour penser le capitalisme aujourd’hui ? Karl Polanyi avait déjà décrit, dans l’entre-deux-guerres, la marchandisation de nombreux champs de l’activité humaine, jusque-là épargnés, sous l’effet du capitalisme…
Le passage par le terme de « nègre » cherche à réintroduire la dimension de la race dans la discussion. La plupart des critiques du capitalisme, que ce soit Marx ou Polanyi, ont très peu pris en considération le fait que, pour que le capitalisme fonctionne, il a besoin de ce que j’appelle les « subsides raciaux ».
Pour que le capitalisme puisse fonctionner dans des pays comme l’Afrique du Sud ou les États-Unis, il n’a pas seulement fallu déposséder les gens de leur force de travail. On a eu besoin de la race comme de ce supplément sans lequel la classe n’est pas possible, dans un rapport de co-constitution. Une des faiblesses de la pensée de gauche est de ne pas comprendre qu’il n’y a pas de classe sans la race, et vice versa.
Il faut donc un premier moment de déracialisation, afin que tout le monde puisse être considéré comme humain, afin que tous ceux qui ont été affublés du terme « nègre » puissent devenir des hommes comme tous les autres. C’est un moment de reconnaissance absolument essentiel.
Mais il faut un second moment qui fasse partie d’une critique sociale des processus de capitalisation, dont le sujet fondamental est une humanité subalterne, transformée en classe superflue, qui n’est même plus exploitable du point de vue de la rationalité capitaliste. Ce moment de dépassement de la race nous permet de comprendre que cette nouvelle « race » superflue, qui est produite aujourd’hui par le système néolibéral, est de toutes les couleurs.
Ne craignez-vous pas que l’emploi du mot « nègre », à partir de ce qu’a été notamment la condition des esclaves, ne soit trop métaphorique pour mener une critique efficace du capitalisme ?
Non, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une métaphore, puisqu’il s’agit de prendre au sérieux le fait qu’une partie importante de cette forme de l’exploitation qu’on appelle capitaliste a eu besoin de fabriquer des races. La production de la race est une part des dynamiques du capitalisme que ni Braudel ni Marx n’ont pris au sérieux.
L’histoire du capitalisme a produit de la race en ayant recours à l’économie épidermale. Si vous examinez la fabrication du « noir » ou du « nègre » aux États-Unis, c’est un processus très concret, qui passe par une législation qui assigne des positions sociales, des positions dans le champ urbain en définissant qui peut épouser qui, qui peut habiter où… Il s’agit d’une dimension consubstantielle au capitalisme.
À l’époque, c’était une histoire de couleur de peau, aujourd’hui ça l’est un peu moins, même si ça l’est encore. Aujourd’hui il s’agit de créer une humanité subalterne qui n’est même plus exploitée, qui est complètement mise à l’écart du marché, qui n’a pas de travail, qui ne peut pas consommer…
En Afrique, comme au cœur même des États-Unis, la nouvelle réalité est la fin du travail, du moins salarié. À l’époque de Marx, le grand drame était l’exploitation et la grande préoccupation du marxisme était de savoir comment arriver à être payé de manière juste pour l’équivalent du travail offert. Aujourd’hui, le grand drame de millions de gens est de ne même plus pouvoir être exploités dans un rapport salarial. Même si vous voulez être exploité, vous n’en avez plus la possibilité !
Cela pose de nouvelles questions pour la pensée de l’émancipation. Que signifie l’émancipation lorsque les discours qui l’accompagnent sont fondés sur le travail salarié, alors qu’une grande partie de la population vit à l’écart de ce travail salarié ? En Afrique du Sud, où je vis, 40 % de la population est sans travail, non parce qu’elle ne veut pas travailler, mais parce qu’il n’y a pas de travail. Je suis récemment allé à Detroit : toutes les industries ont été délocalisées…
Cette nouvelle réalité, sur le plan planétaire, de la fin du travail, ou en tout cas du travail formel et salarié, entraîne une informalisation accélérée du marché du travail, qui est une réponse à la financiarisation et à la dématérialisation, devenues les modes dominants de reproduction du capital de nos jours.
Je ne suis pas certain que le manque de travail soit synonyme de fin de l’exploitation, puisqu’un régime d’exploitation peut cohabiter voire se nourrir d’un régime où le travail manque. Mais il est intéressant de dire que cela exige de repenser l’émancipation. Sous quelles formes ? Vous écrivez dans votre ouvrage que la création artistique ou religieuse a souvent été pour le Nègre, le dernier moyen de se sentir vivant lors des processus historiques de déshumanisation et d’esclavage ; et vous faites l’éloge d’un Césaire aussi poétique que politique. Faites-vous de cette alliance entre poésie et politique une piste de résistance ou d’émancipation à l’intérieur de ce que vous nommez le « devenir-nègre » du monde ?
Oui. Je ne suis pas anti-marxiste mais, travaillant sur le type d’existence historique qui est le nôtre, je pense que le marxisme a besoin d’un certain supplément. Et l’histoire nègre fournit ce supplément, puisqu’on retrouve dans l’histoire nègre les éléments, les ressources, qui permettent de réanimer les pensées traditionnelles d’émancipation pour leur donner un élan aujourd’hui. Comment repenser l’émancipation dans un contexte de fongibilité plus ou moins généralisée de l’être en codes, en flux, en objets ? C’est à cela que je tente de répondre.
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