Que diriez-vous s'il n'était plus possible de choisir une alimentation saine et variée, une eau non polluée par les pesticides ? Ce choix ne sera possible que si la biodiversité cultivée demeure riche et disponible. Les semences sont une clé de la préservation de la biodiversité et d'une agriculture moins carbonée.
Les semences de ferme et paysannes, fruits d'une tradition millénaire d'adaptation aux terroirs, aux évolutions climatiques, sont essentielles pour garantir notre alimentation de demain.
Pourquoi le débat est-il si vif en France ? Notre pays est devenu en 2012 le premier exportateur mondial de semences devant les Pays-Bas et les Etats-Unis. Sous couvert de compétition économique, un seul modèle est promu : la production à grande échelle de quelques variétés. La qualité gustative et nutritionnelle, l'adaptabilité des cultures avec peu d'engrais et pesticides, ne sont pas des critères de sélection pertinents dans ce modèle.
CONFISCATION DU VIVANT
Là où autrefois, nos agriculteurs avaient sélectionné des variétés adaptées à nos différents terroirs, ce sont maintenant les terroirs qu'il faut adapter à un très faible nombre de variétés, au risque de les fragiliser (perte d'humus et de fertilité) et de devoir employer maints intrants chimiques, sources de pollutions diverses. Ces nouvelles variétés, sélectionnées pour des utilisations industrielles, ne peuvent supporter le moindre changement, et laissent les agriculteurs sans recours face aux conséquences des changements climatiques.
Le scénario noir d'une confiscation du vivant par quelques firmes agroalimentaires puissantes risque de devenir une réalité si les parlementaires ne se saisissent pas de cette question. Dans les jours à venir, ils devront se prononcer sur trois textes qui vont dans le même sens, protéger les entreprises vendant des semences avec droits de propriété intellectuelle (DPI).
Une proposition de loi qui étend la chasse aux contrefaçons jusque dans les champs et les étables des paysans qui reproduisent leurs propres semences ou animaux sera votée par le Sénat mercredi 20 novembre ; le lendemain, la haute assemblée devra se prononcer sur la ratification du Brevet unitaire européen ; et, enfin, le projet de loi pour " l'avenir de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt" sera présenté au Parlement en décembre.
En faisant du paysan qui reproduit ses propres semences ou animaux un contrefacteur en puissance, ces lois détruiraient l'entraide à la base de la vie sociale rurale. Tout paysan demandant à un collègue de le dépanner de quelques graines ou d'un animal reproducteur deviendrait un délateur en puissance, les produits échangés étant, si ces lois passent, des contrefaçons illégales.
APPAUVRISSEMENT DE LA BIODIVERSITÉ
C'est cette menace constante de poursuite en contrefaçon qui a conduit les agriculteurs américains à cultiver en moins de dix ans plus de 90% de leurs champs de soja et de maïs avec des OGM brevetés et qui a condamné à la faillite ceux qui ont voulu résister. Rappelons que 10 entreprises multinationales concentrent 73 % du marché mondial des semences. Ce sont elles qui font pression dans ce sens.
L'interdiction des semences paysannes est la conséquence du verrouillage progressif de la propriété intellectuelle sur le vivant au travers des certificats d'obtention végétale (COV) et des brevets. Cette rupture très récente entre le métier d'agriculteur et la sélection des plantes monopolisée par l'industrie semencière contribue à l'appauvrissement de la biodiversité.
C'est une menace pour l'humanité. Il faut préserver ce qui a constitué la base de la sélection des plantes pendant des siècles : la reproduction et l'échange entre agriculteurs de leurs propres semences.
Les semences de ferme et paysannes ne peuvent pas être considérées comme des contrefaçons, ni l'échange entre agriculteurs comme un acte commercial, qui induit une toute autre réglementation. Il est vital pour la préservation de la biodiversité cultivée que le choix demeure possible entre les semences de ferme ou paysannes et les semences certifiées du commerce.
En l'état, le brevet unitaire européen, voté à Strasbourg fin 2012 et qui doit aujourd'hui être retranscrit dans chaque pays de l'UE, n'autorise l'utilisation libre de plantes brevetées uniquement dans le cadre de travaux de recherche.
Nous souhaitons que cette utilisation possible soit étendue à tous pour l'obtention de nouvelles variétés, sans paiement de royalties aux détenteurs de DPI sur les composants utilisés. Cette option est soutenue par l'organisation professionnelle des semenciers hollandais, Plantum.
UNE VISION "HUMANISANTE" DE L'ÉCHANGE
Il reste à se mobiliser aussi pour que ce " privilège de l'obtenteur " ne soit pas une exclusivité laissée aux seules firmes de sélection végétale, mais qu'il bénéficie aussi aux agriculteurs qui produisent et sélectionnent leurs propres semences. Cette précision ne suffira pas à régler tous les problèmes posés par la multiplication des brevets sur le vivant, mais elle est une première étape.
Le politique doit être le porte-parole de ceux qui ne peuvent pas se faire entendre, surtout lorsqu'il s'agit de promouvoir une vision " humanisante " de l'échange et de l'économie. Tel est l'enjeu d'actions de sensibilisation lancées récemment.
La campagne " Semons la Biodiversité " lancée en 2011 par 22 associations et syndicats promeut le respect absolu du droit des agriculteurs de réutiliser et d'échanger leurs semences. La campagne européenne " No Patents on Seeds " se mobilise pour l'interdiction de tout brevet sur le vivant et rejoint les mobilisations autour de la santé humaine : voir l'affaire récente de Myriad Genetics.
Malgré le déséquilibre apparent du rapport de force, nous réaffirmons avec Paul Ricœur que " l'espérance est la passion du possible "...