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Source : mediapart.fr
Blessé par un tir de flashball le 21 juin 2009 à Paris, Clément Alexandre, un Rouennais de 30 ans, a assigné le préfet de police de Paris devant le tribunal administratif mardi. Une démarche inédite qui vise selon le jeune homme à « taper à un niveau de responsabilité plus élevé que celui de la responsabilité individuelle du flic ».
Blessé par un tir de flashball le 21 juin 2009 à Paris, Clément Alexandre, un Rouennais de 30 ans, a assigné le préfet de police de Paris devant le tribunal administratif. Une démarche inédite qui vise selon le jeune homme à « taper à un niveau de responsabilité plus élevé que celui de la responsabilité individuelle du flic ».
Le 21 juin 2009, lors de la fête de la musique, Clément Alexandre s’effondre, touché à la joue par un tir, alors que des policiers tentent d’évacuer la foule de la place de la Bastille. Les témoignages de ses amis évoquent « un mouvement de foule » à la vue des policiers armés de flashball et des tirs « sans aucun discernement ». Aucun n’a entendu de sommation. L’un d’eux affirme avoir également reçu un tir dans le dos. Ce soir-là, plusieurs autres personnes victimes de tir de flashball ont été prises en charge par les sapeurs pompiers de Paris entre 0 h 00 et 0 h 30. Les fiches d’utilisation fournies par la préfecture de police montrent que trois policiers de la brigade anticriminalité ont fait usage de leurs flashballs à 22 reprises au total. Selon la version policière, les fonctionnaires auraient riposté à des jets de projectiles. Après s’être réfugié dans un café, Clément Alexandre, la joue gauche en sang, est pris en charge par les pompiers et arrive aux urgences à 0 h 21. Il y croise « un homme d'un quarantaine d'années, qui avait eu le lobe de l'oreille arraché par un tir ». Le jeune homme souffre, lui, d’une fracture à la mâchoire qui nécessitera la pose d’une broche, de multiples plaies à la joue, ainsi que de deux dents fêlées. Ce qui lui vaut 45 jours d’ITT. Il ne lui reste plus aujourd'hui que quelques cicatrices sur la joue gauche, encore visibles sous sa barbe de trois jours, et... une dent arrachée deux jours avant l'audience de ce mardi 3 décembre 2013.
Clément Alexandre n’est qu’un blessé parmi d’autres. Selon notre décompte (lire ici), depuis la généralisation en 2004 du flashball parmi les forces de l’ordre françaises, une vingtaine de personnes ont été grièvement blessées, pour la plupart au visage. Parmi elles, quatorze ont perdu un œil. Et un homme, atteint à très faible distance au thorax dans un foyer de travailleurs immigrés à Marseille, est décédé en décembre 2010. Mais seul un fonctionnaire a été condamné, un policier qui a écopé en janvier 2011 de six mois de prison avec sursis pour avoir éborgné six ans plus tôt un adolescent de 14 ans aux Mureaux. Les procédures pénales se heurtent souvent à l’impossibilité d’identifier le tireur et au mur de silence de sa hiérarchie. « À chaque fois, au pénal, les gens sont déboutés, et même à Nantes (un lycéen de 16 ans avait perdu un œil en 2007 - ndlr), lorsque le policier avoue avoir tiré, il est relaxé, car il a obéi à un ordre de sa hiérarchie », constate Clément Alexandre.
C’est donc également par souci tactique que le jeune homme et son avocat Me Étienne Noël ont choisi d’attaquer la responsabilité de l’État au tribunal administratif, en réclamant 26 000 euros de préjudice. L’avocat pénaliste est familier de la justice administrative qui lui a permis de faire condamner la France pour ses conditions de détention en prison à de multiples reprises. « Depuis 1999, j'ai fait condamner tous les ministres de la justice, de gauche ou de droite », se targuait-il récemment dans un portrait de L’Express.
Dans le cas de Clément Alexandre, l’expert médical désigné par le tribunal administratif a prudemment estimé que la blessure, qui présente un aspect de brûlure circulaire, était « compatible avec celle qui serait occasionnée par un tir de flashball ». Une analyse confirmée par l’expert balisticien. Malgré cela, le 13 août 2013, la préfecture de police de Paris a refusé la demande d’indemnisation du blessé. Selon la préfecture, les fiches d’utilisation du flashball remplies par les policiers de la BAC sont datées du 22 juin à 0 h 30, alors que le jeune homme a été pris en charge aux urgences à 0 h 21. Une interprétation jugée, mardi 3 décembre, « peu crédible » par le rapporteur public qui rappelle que les pompiers sont intervenus dès minuit pour des tirs. Et que les policiers ne remplissent pas « dans le feu de l’action » leurs fiches.
Pour lui, le jeune homme a bien été touché par un tir de flashball qu’il qualifie d’« accidentel ». Le rapporteur public considère que les dommages causés sont « directement consécutifs aux agissements des forces de l’ordre », mais qu’il n’y a pas de faute lourde qui engagerait la responsabilité de l’État. En effet, il n’est pas, selon lui, établi que les policiers aient tiré hors du cadre réglementaire. Le jugement devrait être rendu dans une quinzaine de jours.
Le rapporteur conclut donc à la condamnation de l’État, sous le régime de la responsabilité sans faute. Il s’agit d’une disposition du code des collectivités prévoyant que « l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis (…) par des attroupements ou rassemblements ». Le tribunal a été prié d’accorder 6 600 euros de dommages, la prise en charge des expertises ainsi que 2 000 euros pour les frais de justice.
Pour Me Noël, ces conclusions ne vont pas assez loin. D’abord car « rien ne laisse supposer l’existence d’un délit préalable qui justifie l’emploi du flashball » et donc que les policiers aient agi en état de légitime défense. Et, selon lui, le flashball devrait rentrer dans la catégorie des armes « comportant des risques exceptionnels », puisqu’il provoque de « manière presque systématique des blessures à la tête ». Une jurisprudence du Conseil d’État de 1949 prévoit que lorsque les forces de l’ordre font usage « d’armes ou d’engins comportant des risques exceptionnels », il suffit d’une faute simple pour que la responsabilité de l’État soit engagée. Jusqu’ici cette jurisprudence n’a été appliquée qu’à des armes à feu, jamais pour des lanceurs de balle de défense.
La préfecture de police n’avait pas déposé de mémoire en défense. Et aucune représentant n’a daigné se déplacer au tribunal mardi, un « désintérêt malvenu », a regretté le rapporteur public. Plusieurs personnes ou proches de victimes de tirs de flashball, comme Joachim Gatti ou un cousin du jeune Salim, éborgné à Trappes cet été, étaient en revanche présents. Le collectif « face aux armes de la police » espère en effet faire boule de neige. Une procédure administrative a déjà été lancée pour Pierre Douillard, le lycéen de Nantes.
Dans un rapport en mai, le Défenseur des droits s’était interrogé sur l’avenir du flashball superpro, le lanceur de première génération jugé trop imprécis et responsable de plusieurs blessures graves. Mais son successeur le LBD 40×46, plus puissant et précis, est également à l’origine de bavures. Le porte-parole du collectif, un autre Pierre, entend dépasser le « caractère individualisant des blessures » pour s’interroger sur « la logique de l’arme ». « On se rend compte que ces tirs ont lieu lors d’opérations de maintien de l’ordre dans les quartiers populaires, lors de mouvements politiques, lors d’une fête de la musique ou contre des supporteurs, explique-t-il. Donc contre certains groupes. Pourquoi ces groupes sont-ils considérés comme une menace à chaque fois ? Le flashball est une arme à neutraliser des menaces politiques. » « Le flashball est présenté comme une arme de défense, alors que c’est clairement une arme offensive, estime Clément Alexandre. Là où la police dégainait rarement, ils peuvent maintenant dégainer de façon plus fréquente. C’est ce qui se passe tous les jours en banlieue. »
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