A mi-chemin entre l’hippodrome de Longchamp et la très prisée villa Montmorency, un espace clos et verdoyant fait d’hôtels particuliers, de maisons de maître, d’immeubles de prestige, où se côtoient personnalités du monde des affaires, de la politique ou du show-biz. Mardi matin, Anne Hidalgo a fait un déplacement dans ce quartier pour saluer «un symbole» : après une décennie de bras de fer avec des riverains hostiles, la mairie de Paris est parvenue à faire construire sur une parcelle située derrière l’ancienne gare d’Auteuil deux immeubles HLM comprenant 176 logements.

 

«Rééquilibrage Est-Ouest»

Ce n’est pas un luxe dans le chic XVIe arrondissement, qui compte seulement 4 % de logements sociaux. «Une ville doit vivre avec toutes les catégories sociales», a pointé la maire (PS) de Paris, avant de rappeler que ces appartements «sont destinés aux classes moyennes et populaires». La capitale compte 21 % de HLM, mais avec de fortes concentrations dans certains arrondissements : 35 % dans le XIIIe, 38 % dans le XIXe. «Nous sommes dans une attitude très volontariste […], il faut poursuivre ce rééquilibrage Est-Ouest, notamment par [le biais de] la reconversion de bureaux en logements», a-t-elle souligné. Les deux immeubles de la porte d’Auteuil ont été livrés récemment. Les appartements, de 33 m² à 98 m², tous équipés d’un balcon, sentent encore la peinture fraîche et un technicien s’active pour régler les derniers soucis. Les premiers locataires sont arrivés il y a quelques semaines à peine. Devant le va-et-vient des grues sur la parcelle adjacente, pour construire deux immeubles de promoteurs, Anne Hidalgo a regretté les «dix ans d’empêchement» à la réalisation de ce projet mixte mélangeant habitat privé et social.

Depuis 2006, il a fallu venir à bout des recours successifs de riverains regroupés dans plusieurs associations. Pour obtenir l’annulation des permis de construire devant les juridictions administratives, des problèmes architecturaux, d’urbanisme ou d’impact visuel négatif pour le quartier ont été invoqués alors que ces immeubles portent la signature d’architectes de renom : le créateur du Mucem à Marseille, Rudy Ricciotti, et Francis Soler. Ce dernier ne cache pas sa satisfaction, évoquant l’«une des plus belles opérations de logement à Paris de ces dernières années».

480 euros par mois

Tout au long de ce bras de fer, les riverains ont habilement évité d’attaquer de front le logement social. Les associations hostiles ont bénéficié d’un soutien public du député-maire (UMP) de l’arrondissement, Claude Goasguen qui a même puisé dans sa réserve parlementaire pour les financer. Mardi, il était absent lors de la visite inaugurale d’Anne Hidalgo. Pourtant, le XVIe arrondissement a aussi ses demandeurs de logement social. Selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (l’Apur), 4 500 familles sont inscrites sur les listes d’attente pour un HLM.

Parmi les premiers bénéficiaires, Christophe, sa femme et leurs deux jumelles de 4 ans. Ils viennent juste de finir de déballer leurs cartons dans un appartement de 65 m² : une superficie quatre fois supérieure à celle qu’ils ont quittée. Loyer : 480 euros par mois. Après cinq ans d’attente, la nouvelle était inespérée : «Au début je n’y croyais pas, j’ai attendu de recevoir le courrier officiel.» L’immeuble a déjà sa gardienne : Samira, 49 ans, qui met au défi «de trouver un locataire mécontent», même si elle admet qu’«il reste des petits détails de travaux à régler».

Neuf étages

A présent que les immeubles sont construits, difficile de trouver dans le quartier des opposants assumés. Lucette, qui habite dans l’immeuble voisin depuis 1970, dit qu’elle n’est «pas contre les logements sociaux», mais ne voit pas «l’intérêt de les construire ici, vu le coût de la vie et les prix des commerces». Avant de fustiger la hauteur des nouveaux immeubles et leurs neuf étages. Son immeuble à elle en compte sept… Dans une brasserie cossue qui surplombe la place de la porte d’Auteuil, Boris, le patron, voit ces constructions d’un bon œil, «ça va apporter de la vie et du dynamisme, rajeunir la population du quartier». Certains habitants historiques, notamment des personnes âgées, auraient, eux, déménagé.

Raphaël Goument