Tout un monde politique se meurt sous nos yeux. Une République, des partis, leurs élus. Mediapart l’a amplement documenté depuis le séisme européen qui, fort logiquement, a amplifié la double secousse des municipales. La France est devenue une exception européenne avec une extrême droite installée au centre du débat public au point de se préparer à la conquête du pouvoir, une droite en décomposition morale, frappée d’égarement idéologique et d’affairisme financier, et une gauche en capilotade, minoritaire comme jamais, divisée plus que jamais.
Ailleurs en Europe, notamment en Grèce, en Espagne ou en Italie, la crise financière, économique, sociale, écologique, européenne, etc., fait surgir des alternatives diverses et nouvelles, donnant corps à l’affrontement aussi nécessaire qu’inévitable des progrès réinventés et des peurs attisées. La France, elle, fait place vide, offrant une revanche inespérée aux idéologies inégalitaires qui, à l’abri de la crispation identitaire, ont ravagé notre continent au siècle dernier.
Pour la première fois depuis leur défaite de 1945, qui obligea la droite française à se convertir à la République, désormais constitutionnellement proclamée « démocratique et sociale », les voici durablement sorties de leurs habituelles marges minoritaires, imposant à tout le reste du champ politique l’hégémonie de leur vieille rhétorique : l’identité contre l’égalité. L’ordre figé de l’une contre le mouvement créateur de l’autre.
Une identité de fermeture et d’exclusion contre une égalité d’ouverture et de relation ; l’exacerbation du national contre la fraternité du social ; la hiérarchie des origines, apparences et appartenances, croyances et cultures, contre l’horizon des droits et des possibles pour toutes et tous, sans cesse à renouveler, toujours à conquérir.
Sous le prétexte d’une protection contre l’étranger, menace indistincte qui inévitablement prend figure d’ennemi intérieur (le juif hier, le musulman aujourd’hui), cette idéologie de la préférence prétendument nationale, c’est-à-dire du bonheur de rejeter ensemble y compris la France telle qu’elle est et telle qu’elle vit, n’est que l’alibi de dominations perpétrées et renforcées : quand les opprimés se font la guerre au nom de l’origine, les oppresseurs ont la paix pour faire affaire, c’est-à-dire des affaires.
Si elle se nourrit à la crise de confiance envers une Europe marchant tête en bas, perdant en légitimité populaire à force de s’identifier à la concurrence économique, cette ascension n’en est pas moins une histoire franco-française, commencée il y a trente ans exactement, en 1984, quand l’Union européenne n’existait pas et l’Union soviétique existait encore, quand la CEE (Communauté économique européenne) ne comptait que dix membres (avec la Grèce mais sans l’Espagne ni le Portugal), quand l’Allemagne n’osait même pas rêver à sa réunification.
Presque ininterrompue depuis, cette ascension ne doit rien à la fatalité mais tout aux politiques qui n’ont cessé de lui faire la courte échelle : ces renoncements opportunistes des partis supposés de gouvernement, à droite et à gauche, concédant à l’extrême droite ses « bonnes questions » sécuritaires et xénophobes pour lui opposer leurs meilleures réponses dont la seule efficacité aura été de légitimer l’agenda politique du Front national. Sans compter leur incapacité à assumer, haut et fort, un imaginaire non seulement antifasciste mais aussi anticolonialiste qui aurait su dresser contre les ombres du ressentiment les lumières de l’affranchissement.
Cet aveuglement est aggravé par un échec spécifiquement français sur le terrain démocratique qui diffuse un sentiment de dépossession civique parmi nos concitoyens, s’ajoutant aux constats d’impuissance économique et aux réalités d’injustice sociale des politiques menées. L’incapacité, si incurable qu’elle semble congénitale, des mêmes partis gouvernementaux à relever le défi démocratique lancé à la France par la Cinquième République mine sourdement notre vie publique, la dévitalise et l’hystérise tout à la fois. Réduisant la politique nationale au choix collectif d’un seul dont les choix individuels sont ensuite irrévocables, cette culture institutionnelle ne cesse de jeter le discrédit sur une démocratie représentative rabaissée en majorité présidentielle, et par conséquent interdite d’invention délibérative.
Nos institutions ruinent la politique comme bien commun et espérance partagée. Loin d’épouser la complexité du monde et d’appréhender la difficulté des temps, elles invitent aux solutions simplistes, entre pouvoir personnel et raccourci autoritaire, dans une nécrose où le « je » solitaire détruit l’espoir d’un « nous » solidaire. Loin d’inviter à d’authentiques majorités d’idées nées d’une délibération transpartisane, elles poussent à des suivismes aveugles envers une politique présidentielle réduite, notamment sur la scène européenne, à la volonté d’un seul et, de ce fait, de plus en plus fragile, de plus en plus illégitime, de moins en moins compréhensible.
La vérité oubliée de François Hollande
Faute d’avoir ce courage rare de penser contre soi-même, jusqu’à parfois se battre contre son monde et contre les siens, nos politiques dits de gouvernement se refusent avec entêtement à diagnostiquer le mal qui les emporte. La sanction électorale les fait à peine trembler : enfermés dans leur bulle, ils poursuivent leur agenda comme si de rien n’était, ne se sentant aucunement remis en cause. Ils s’illusionnent dans l’apparent confort d’institutions qu’ils croient solides parce qu’elles protègent ceux qui, momentanément, les occupent tout en les isolant dramatiquement du peuple qui souffre, grogne et désespère après les avoir faits souverains à sa place. Aveugles et sourds tant qu’ils croiront encore incarner à eux seuls le pouvoir, son regard, sa voix, ils nous conduisent droit à la catastrophe, confondant leur survie avec notre salut.
François Hollande le savait hier quand il jugeait les autres, avant de l’oublier maintenant qu’il s’agit de lui. Sa présidence n’échappe pas à la règle, trop de fois vérifiée, selon laquelle les lucidités d’opposition deviennent aveuglements au pouvoir. Seul le fondateur de la Cinquième République, Charles de Gaulle avec le référendum de 1969, mit en pratique, à ses dépens, la vérification démocratique de la confiance sans laquelle il n’est plus de politique viable ni audible. Tous ses successeurs, et surtout le premier issu de la gauche, François Mitterrand, ont cherché à transformer l’Élysée en place forte inexpugnable pour le président en place, quel que soit le verdict des urnes en dehors du scrutin suprême.
Tournant dès le lendemain la page de la sanction européenne, tout comme il avait ignoré le message des urnes municipales, François Hollande fait désormais de même après avoir recommandé explicitement l’inverse. C’était en 2006, quand je l’interrogeais pour Devoirs de vérité sur le bilan de la gauche au pouvoir – depuis 1981, elle y avait été, peu ou prou, dix-neuf années –, bilan vécu, de façon récurrente, comme un douloureux apprentissage du reniement, « cette façon de demander la confiance sur des engagements précis et, au bout du compte, de prétexter du réel pour les remettre en cause »…
Voici ce que fut sa première réponse : « Je ne crois plus à la possibilité de venir au pouvoir sur un programme pour cinq ans dont il n’y aurait rien à changer au cours de la mandature. Je pense qu’il y a forcément un exercice de vérification démocratique au milieu de la législature. La réalité change trop vite, les circonstances provoquent des accélérations ou, à l’inverse, des retards, des obstacles surgissent, des événements surviennent (…). Le devoir de vérité, c’est d’être capable de dire : “Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance.” »
« La démocratie et le pouvoir » : tel fut le thème de la poursuite de notre échange après cet appel explicite à une « vérification démocratique » en milieu de mandature dans le cadre du quinquennat. Pour l’inviter à préciser sa pensée, j’ai alors rappelé à François Hollande le précédent de l’invention de la cohabitation en 1986, dans le cadre du premier septennat de François Mitterrand.
« Imaginons, l’interrogeais-je, qu’en 1986, François Mitterrand ait considéré que sa politique avait été sanctionnée et qu’il en ait pris acte en quittant le pouvoir. La gauche n’en serait peut-être pas là où elle en est aujourd’hui. Elle se serait reconstruite collectivement dans l’opposition et la confrontation, au lieu de s’isoler dans l’aventure personnelle d’un des siens qu’animait l’obsession de durer au pouvoir. Son entêtement et son habileté ne sont pas niables, mais le prix à payer ne fut-il pas démesuré : cette lassitude politique, cette abstention massive, ces votes imprévisibles, ces partis de gouvernement de plus en plus minoritaires ? »
Dans sa réponse, François Hollande ne me contredit aucunement. Il acquiesce sur la « lassitude démocratique » qu’il attribue « à l’insupportable sentiment d’impunité : la fuite devant la sanction, l’impression que chacun paye pour ses actes dans la vie courante, sauf dans la vie politique. Je ne parle même pas des affaires. Je m’en tiens aux résultats électoraux ». Puis il met les points sur les i en récusant l’hypothèse d’une cohabitation pour lui préférer, en cas de perte de confiance majoritaire, celle d’une présidence remise en jeu.
« La cohabitation n’est pas une bonne affaire démocratique, même si elle fut une bonne affaire tactique », assène-t-il d’emblée, estimant « les dégâts collatéraux immenses ». « C’est pourquoi nous avons eu raison d’instaurer le quinquennat et de faire coïncider les scrutins, c’est-à-dire de faire en sorte qu’il ne puisse plus y avoir de cohabitation. Mais à la condition – et mieux vaut le préciser dès aujourd’hui – que si, d’aventure, à l’occasion de la vérification démocratique que j’évoquais, une crise profonde se produisait ou des élections législatives intervenaient, contredisant l’élection présidentielle, nous en tirerions toutes les conséquences en quittant la présidence. Le quinquennat est un exercice de cohérence. Il oblige et contraint. »
La crise de confiance a beau être profonde, laminant son propre parti et, avec lui, toute la gauche, François Hollande président ne se sent ni obligé ni contraint. Loin d’imaginer une seconde mettre en jeu sa présidence pour recréer la confiance, il fait mine d’ignorer que la sanction des urnes le vise au premier chef, expression de l’incompréhension immense et du désarroi général que suscitent une politique oublieuse de ses engagements et son exercice personnel du pouvoir. C’est l’ultime renoncement démocratique de sa présidence dont il faudra se souvenir à l’heure des comptes finaux. La surprise n’aura donc pas eu lieu, celle d’un Hollande s’élevant soudain au-dessus de lui-même et des circonstances pour relever le défi de la confiance perdue. Celle, après tout, d’un Hollande qui aurait été fidèle à sa propre parole. À son devoir de vérité.
« Le pire n’est pas toujours sûr »
Reposant sur cette illusion de stabilité et, donc, de durée tranquille qu’elle offre à son bénéficiaire et à tous ceux qui, en cascade, dépendent de sa survie, notre pratique institutionnelle exclut de son champ mental l’accident. Malgré l’alerte de 2002 – le Front national au second tour dont la gauche était exclue – et malgré l’alarme de 2014 – le Front national caracolant en tête des européennes –, François Hollande continue sans doute de se dire qu’en 2017, la catastrophe n’est pas assurée. Puisque après tout, aussi impopulaire soit-il, il survit, dans cette inconscience affichée du tragique qu’il aime cultiver.
« Le pire n’est pas toujours sûr » : devenue proverbiale, la formule vient d’une pièce de théâtre espagnole du XVIIe siècle, No siempre lo peor es cierto de Pedro Calderón de la Barca (1600-1681), dramaturge prolifique surtout connu pour La vie est un songe. Elle fut reprise par Paul Claudel en sous-titre de son œuvre la plus fameuse, cette « action espagnole en quatre journées » : Le Soulier de satin ou le pire n’est pas toujours sûr. Mais François Hollande aurait tort de croire que cette caution littéraire vaut sauf-conduit pour l’avenir. D’abord parce que Claudel lui-même, dans ses Mémoires improvisés, l’avait prophétiquement mis en garde : « On ne trouve jamais une chose qu’on recherche pour son avantage personnel. Il faut avoir un autre but. » Ce que l’écrivain diplomate résumait par « une vie correcte » ou « la voie droite »…
Mais, surtout, parce que, si le pire n’est pas toujours sûr, c’est seulement dans la mesure où l’on sait la catastrophe possible. Où, par conséquent, on l’anticipe pour l’éviter. Où la condition d’un optimisme raisonnable est ce pessimisme actif. Aussi est-il légitime, à l’issue de ces scrutins désastreux à presque mi-mandat, de prendre congé d’une politique qui s’illusionne sur elle-même au point de n’avoir pas vu venir une ample sanction qui, pourtant, tenait de l’évidence.
Les lecteurs de Mediapart en sont sans doute les moins surpris tant, depuis 2008, leur journal n’a cessé d’alerter sur la sourde et profonde crise de la démocratie française, son épuisement, son effondrement. Nous l’avons dit sous la présidence de Nicolas Sarkozy, révoltés par la dérive d’une droite caporalisée qui, soudain, légitimait les passions identitaires, d’exclusion et de rejet. Nous l’avons redit sous la présidence de François Hollande, stupéfaits par le renoncement d’une gauche socialiste apeurée qui, brusquement, rendait les armes sans même avoir mené bataille, au point de se reprocher aujourd’hui ses rares audaces sociétales.
Indissociables d’une forte abstention populaire qui, plus qu’elle ne témoigne d’une indifférence démocratique, exprime un schisme croissant entre gouvernés et gouvernants, les résultats des urnes municipales et européennes sont la sanction logique de ces stratégies d’apprentis sorciers ou de gribouilles inconséquents qui enfantent le Front national autant qu’il s’engendre lui-même. Stratégies dont la semaine écoulée depuis les européennes aura montré qu’elles perdurent, par exemple autour de l’assaut extrémiste de la droite contre la juste réforme pénale portée par Christiane Taubira, laquelle est soutenue comme la corde soutient le pendu par un président et un premier ministre saisis par la peur au seul mot d’audace.
Hélas, cette lucidité est de peu de secours si elle se contente d’accompagner la démoralisation et la résignation. Sauf à céder à la fascination morbide et narcissique d’un désespoir lucide, sonner le tocsin, ce n’est pas se donner le beau rôle. C’est plutôt vouloir éviter le pire : prévenir, alerter, rassembler, mobiliser. À quoi bon avoir eu raison si ce savoir n’a rien su empêcher, et surtout pas le scénario le moins enviable ? Désormais, le compte à rebours est lancé, et chacun a compris que notre démocratie vit désormais au risque d’un accident électoral en 2017 si rien ne change, si personne ne bouge, si, chacun à notre place, nous ne nous sentons pas responsables, et donc comptables, de ce qui adviendra demain.
Carrefour d’attentes aussi plurielles que diverses, réunies autour d’une même exigence d’élévation républicaine, Mediapart invite donc tous ceux qui ont pris la mesure du moment historique que nous traversons à se sentir responsables de ce qui en adviendra. En somme, à prendre leurs responsabilités, chacun à sa place et dans son rôle. Cette exigence concerne toutes les composantes, qu’elles en aient été bénéficiaires ou désappointées, du vote intervenu il y a deux ans en faveur de François Hollande, dans le rejet collectif de la courte échelle offerte par le sarkozysme à l’extrême droite.
Car l’échec du Parti socialiste et de son candidat élu n’exonère en rien ceux qui n’ont pas su construire la dynamique alternative et rassembleuse que, logiquement, il aurait dû appeler. Tout comme l’échec personnel de François Hollande n’exonère en rien les socialistes, élus ou militants, de leur propre apathie, entre résignation au fait présidentiel et contentement d’être au pouvoir, face à la dérive d’une présidence marchant à rebours de ses engagements et s’enferrant dans un exercice solitaire du pouvoir. Aucun alibi ne tient pour aucun des témoins de cette scène de crime où se joue le sort prochain d’une République que nous souhaiterions effectivement démocratique et sociale, et non pas identitaire et inégalitaire, xénophobe et intolérante.
« Ceux qui disent non à l’ombre »
Chacun est requis et tout le monde sera jugé. Car l’histoire n’est jamais écrite, et ne tient pas d’un récit linéaire dont le futur serait joué d’avance. Elle se noue à ces croisements d’un moment et d’une humanité, rencontre entre des individus et des circonstances. C’est alors que son cours peut bifurquer, butant sur la cristallisation de l’événement.
Entre inquiétude et espérance, seuls éviteront le pire ceux qui sauront que la catastrophe est possible. À l’inverse, les rentiers de l’histoire qui la traitent comme un placement de père de famille, sans trop d’inquiétude ni grande espérance, ne sauveront rien de la débâcle, pas même leur peau. À force d’acheter du temps, ils finiront par ne saisir que du vent. À force de survivre, ils finiront par se perdre, et nous perdre avec eux.
Affirmer que l’histoire n’est pas écrite, c’est l’ouvrir aux hommes, à leur audace, à leur liberté, à leur détermination. À leur capacité de s’élever au-dessus d’eux-mêmes, de leurs habitudes et de leurs préjugés, de leur confort et de leur milieu. Faire de l’égalité des droits et des possibles le moteur de l’invention républicaine, c’est parier sur le sursaut d’individus qui, en échappant à tout ce qui les détermine et les assigne, seront les premiers surpris de leur audace.
Cette audace que Jean Jaurès liait indissolublement à la capacité de la République à susciter la confiance dans son sillage, en refusant « la loi du mensonge triomphant », ses « applaudissements imbéciles » et ses « huées fanatiques ». Lequel Jaurès en fut l’incarnation même, fidèle jusqu’au sacrifice à son engagement de jeune député en 1887 : « La démocratie française n’est pas fatiguée de mouvement, elle est fatiguée d’immobilité. »
Rien ne bougera en haut si rien ne s’ébranle en bas. Engagé ou non en politique partisane, élu ou simple citoyen, professionnel ou occasionnel, amateur ou indifférent, chacun d’entre nous est requis, si du moins il se sent concerné par l’avenir de notre démocratie. Si podemos ! Oui, nous pouvons : tel fut le slogan de la surprise espagnole des européennes, le mouvement Podemos, déclinaison hispanique du Yes we can, ce sursaut américain qui, face à la catastrophique et dangereuse présidence Bush Jr, porta l’outsider Obama au pouvoir.
En l’occurrence, la question n’est pas celle du pouvoir mais de la politique comme possible, refus des fatalités et des résignations. La réinventer, lui redonner crédit et efficacité, suppose de sortir des certitudes confortables, des appartenances douillettes ou des vindictes complaisantes. En somme, de retrouver cette radicalité pragmatique qui, plutôt que de se payer de mots et de se définir en contre, prend les problèmes à la racine, invente des solutions, s’approche du concret, retrouve un langage commun.
Sauf à préférer leurs intérêts boutiquiers quand la maison brûle, non seulement toutes les gauches, mais toutes les volontés démocratiques devraient retrouver le chemin du dialogue à la base, entre citoyens conscients qui ont plus en partage qu’en différence. Se parler, s’écouter, se connaître, se respecter, se comprendre pour mieux aller à la rencontre, occuper le terrain, reconquérir les espaces perdus, inventer l’alternative qui manque, cruellement.
De ce point de vue, le chemin ouvert par la centaine de parlementaires socialistes qui, depuis les municipales, refusent le caporalisme présidentiel montre la voie d’une politique réhabilitée. Tout comme le font les divers appels récemment accueillis sur Mediapart, celui des socialistes affligés (lire ici) qui organisent leurs premières assises samedi 7 juin à Paris ou celui pour une République nouvelle (lire là) porté par des proches de François Hollande en rupture de présidentialisme.
Mais ces initiatives parisiennes, venues d’habitués de la politique, seront de souffle court si elles ne s’accompagnent pas d’un ressaisissement général et profond, rassembleur au plus près du terrain, des villes et des quartiers. Peu importe l’appellation que pourraient trouver ces comités locaux du sursaut, pluralistes et unitaires, réunis dans la double affirmation d’un non et d’un oui : dire non à l’ombre qui approche et menace, dire oui à notre pouvoir de la repousser. Oui, nous pouvons…
C’était déjà le sens de l’appel de Dire non, livre écrit en janvier dernier pour alerter sur la débâcle à venir et paru juste avant les municipales (lire ici son premier chapitre). Il s’ouvrait sur ce vers d’Aimé Césaire dans Moi, laminaire (1982) : « Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube ». Présentant en avril 1941 le premier numéro de sa revue Tropiques, née à Fort-de-France, le poète écrivait ceci qui y fait écho : « Où que nous regardons, l’ombre gagne. L’un après l’autre les foyers s’éteignent. Le cercle d’ombre se resserre parmi des cris d’hommes et des hurlements de fauves. Pourtant nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils. Les plus humbles. L’Ombre gagne… “Ah ! tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder le siècle en face !” Les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière. »
Hommes et femmes de bonne volonté, qu’attendons-nous pour, tous ensemble, dire non à l’ombre ?
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Source : www.mediapart.fr