SEMINAIRE DETTE – Pourquoi y a-t-il une dette illégitime et en quoi l’audit citoyen de la dette peut-il contribuer à son annulation ?
Renaud Vivien (CADTM Belgique) a tout d’abord déconstruit une première idée reçue en matière juridique liée à la question de la dette : il n’y a pas d’obligation absolue pour un État de rembourser ses dettes. Si le droit pose comme principe le fait qu’un débiteur doit s’acquitter de ses dettes, l’article 103 de la charte de l’ONU rappelle clairement la hiérarchie des normes : si une incompatibilité survient entre une règle juridique et la charte de l’ONU, alors cette dernière prévaut. Par conséquent, les droits humains fondamentaux consacrés dans cette charte (souveraineté des peuples, droit à une vie décente, etc...), sont supérieurs aux normes économiques. Par ailleurs, il existe toute une série d’exceptions à ces règles imposées par les traités économiques. C’est dans ces brèches qu’un État peut s’engager en refusant de rembourser une dette qu’il considère illégitime. Dans ce contexte, la réalisation d’un audit citoyen de la dette publique permet d’apporter les preuves de son caractère illégitime pour affronter les créanciers. Le concept d’illégitimité, repris par les institutions internationales (ONU), les gouvernements (Équateur), et les mouvements sociaux (ICAN – Réseau international des audits citoyens de la dette), constitue aussi un moteur de contestation politique, mais la définition de ce concept dépend du contexte national.
La lutte contre les dettes illégitimes se joue également au niveau local, comme le souligne Patrick Saurin (syndicat SUD, membre du CADTM et du Collectif pour un audit citoyen de la dette en France), auteur de « Les prêts toxiques, une affaire d’État ». Les citoyens peuvent en effet auditer les dettes de leurs collectivités locales abusées par des institutions financières privées, au point que même les agences de notation telles que Fitch Ratings dénoncent cette escroquerie sciemment organisée. À Dijon, la souscription d’un prêt de 10 millions d’euros avait engendré des indemnités de 20 millions d’euros, soit un total de 30 millions d’euros à payer. C’est dans ce cadre que des habitants de la ville de Dijon ont conduit un audit de la dette de leur ville, lequel a permis de révéler que 47 % de cette dernière résultaient de prêts toxiques, contractés essentiellement auprès de la banque franco-belge Dexia. Une action en justice a été intentée contre la banque pour dénoncer ses agissements. Cette affaire met en lumière la possibilité donnée aux citoyens d’agir en faisant valoir leur droit à l’information. Ces initiatives citoyennes peuvent par ailleurs pousser les élus à s’engager, à l’image du Sénateur Fournier, porteur d’une action en justice contre les banques. Cependant, il est nécessaire que cette action s’inscrive dans la continuité, sans quoi la résistance face aux forces dominantes demeurerait vaine.
Ricardo Garcia Zaldivar (ATTAC Espagne) a quant à lui fait état de la situation de la dette espagnole : de 2 000 milliards d’euros en 2000, la dette totale de l’Espagne s’élève aujourd’hui à 4 700 milliards d’euros. La dette publique se chiffre quant à elle à 1 347 milliards d’euros : 399 milliards sont dus à des entités de crédit, et 148 milliards à des sociétés financières. Dans les deux cas, le porte-parole d’ATTAC Espagne souligne que 50 % de cette dette seraient illégitimes et devraient par conséquent être annulés. Note encourageante : de nouvelles formations politiques soucieuses du problème ont émergé, à l’image de Podemos, un des grands vainqueurs des élections européennes mais dont le succès ne fut pas relayé par les grands médias espagnols. De son côté, le mouvement social du PACD (Plataforma Auditoria Ciudadana de la Deuda – plateforme pour un audit citoyen de la dette) poursuit sa quête d’audit de la dette afin d’apporter des réponses aux questions suivantes : qui sont les créanciers ? Quelle part de la dette est illégitime ?
SEMINAIRE - Des propositions qui prennent en compte la nature profonde de la crise
Lors de ce séminaire impulsé par les conseils scientifiques des ATTAC français et allemand, Peter Wahl (ATTAC Allemagne), Thanos Contargyris (ATTAC Grèce) et Éric Toussaint (CADTM Belgique), étaient invités à nous éclairer quant aux alternatives et aux stratégies à mettre en œuvre face au capitalisme néolibéral qui ne cesse de se renforcer malgré les crises qu’il génère (économique, financière, sociale, écologique...). Nous avons consacré un article à part entière à cette réflexion riche, dont l’intitulé donne le ton : « Nous ne sommes plus habitué.e.s à la radicalité ».
ATELIER – Fukushima ou l’expression même du capitalisme, co-organisé par ATTAC France, ATTAC Japon et CADTM Belgique
D’une part, Masumi KOWATA, habitante de la province de Fukushima, a témoigné des événements qui se sont déroulés depuis l’accident de mars 2011 mais aussi des difficultés auxquelles font face les habitant-e-s aujourd’hui encore. La modératrice, Yoko Akimoto (ATTAC Japon) a également rappelé les enjeux financiers liés au nucléaire, comme manne de profit infini. Le comble aujourd’hui, c’est que ce sont les mêmes entreprises qui ont obtenu les marchés de construction et gestion des centrales qui s’occupent de la décontamination du site.
Éric Du Ruest (CADTM Belgique) a mis quant à lui l’accent sur le système politique et financier dans lequel s’inscrit le choix du nucléaire. On nous répète sans cesse que le nucléaire est une énergie bon marché et pour cause ! Le nucléaire français ne vit qu’à travers l’exploitation des ressources africaines. L’intervention de l’armée française au Mali en est d’ailleurs une preuve flagrante. De plus, des investissements publics ont pris en charge les coûts de la recherche, du démantèlement (que l’on n’arrive même pas à évaluer, par ailleurs), du stockage des déchets et des accidents, ce qui, en réalité, en fait une énergie extrêmement coûteuse pour la collectivité. |1| Enfin, nous a-t-il rappelé, sortir du nucléaire est un impératif, car sans pétrole bon marché, il sera impossible d’assurer l’entretien et le démantèlement des centrales.
ATELIER – « Extractivisme, climat et transition », co-organisé par ATTAC France et le Réseau Frack-Free-Europe
Cet atelier organisé par Attac France et le Réseau Frack-Free-Europe nous a rappelé l’urgence de la situation climatique – conformément aux rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, rattaché à l’ONU) –, et la responsabilité des activités extractives en ce sens, en particulier celles relevant de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels (sable bitumeux, gaz de schiste...). L’accent a été mis sur les luttes existantes - comme celles contre l’extraction minière en Argentine, et plus largement en Amérique du Sud (présentées par Luciana Ghiotto d’ATTAC-CADTM Argentine) -, et sur les luttes à venir, en mettant l’emphase sur la mobilisation de la société civile en vue d’un rassemblement face à la Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 21) qui se tiendra sur Paris en décembre 2015. |2| Les fausses solutions à la crise énergétique ont été dénoncées (notamment le mythe de la technologie) pour rappeler la solution première et inéluctable : laisser les ressources fossiles dans le sous-sol et réduire les émissions de CO2, ce qui implique de revoir drastiquement notre consommation énergétique et de révolutionner nos modes de vie au Nord. En somme, une plaidoirie contre notre modèle extractiviste mortifère – pour notre Terre-Mère et pour l’espèce humaine – et un appel pour la mise en place d’une société post-extractiviste, post-consumériste, ou post-capitaliste, une « décroissance » choisie (et non subie), sous l’inspiration notamment du « buen vivir » des populations amérindiennes.
Oui, mais... que vient faire la dette dans tout ça ? Nicolas SERSIRON (CADTM France) |3| a souligné que l’extractivisme résidait non seulement en un pillage des ressources naturelles (minières, fossiles et végétales), mais également des ressources humaines (exploitation de la main d’œuvre) et des ressources financières : par le mécanisme de la dette. Ces trois volets sont étroitement liés puisqu’ils constituent les pendants de notre système. L’Occident a conquis le monde par le pillage des ressources naturelles, rendu possible par la colonisation et l’esclavage. Suite à la deuxième guerre mondiale, face aux besoins grandissant de ressources pour répondre à l’avènement de la société de consommation au Nord, les armées d’occupation ont été remplacées par un nouveau mécanisme de pillage : celui de la dette illégitime.