Le 26 septembre dernier, les écologistes ont fait inscrire un amendement au sein de la future loi sur l’environnement qui sera discutée en Octobre prochain. Cet article a pour objet de réprimer un type de tromperie sur la marchandise, visant à raccourcir délibérément la durée de vie d’un objet dans le but de pousser au rachat. Ou dit plus simplement, de lutter contre l’obsolescence programmée.
La protection de l’environnement et des ressources sont des points importants dans une politique de long terme. En revanche, il convient aussi de ne pas faire n’importe quoi au motif que cela fait bien auprès du public et des militants dans une visée électoraliste.
Et il est à craindre que le texte du 26 septembre ait plus à voir avec l’agitation médiatique qu’une véritable politique de protection dont nous avons vraiment besoin.
La première difficulté à laquelle ce texte, s’il est voté en l’état sera confronté, sera son passage auprès du Conseil Constitutionnel. Et tout porte à croire qu’il ne passera pas cet obstacle pour une raison simple : à part de grands principes généraux, il n’est stipulé nulle part comment définir précisément l’obsolescence.
Pour prouver, il faut quantifier. Si une entreprise met en vente une machine à laver conçue pour durer 10 000 cycles, comment dire si oui ou non cette durée est raisonnable ou un appel déguisé à l’obsolescence ? Le concurrent qui va vendre une machine prévue pour 5 000 cycles peut-il être poursuivi sur cette base ? Et si une troisième entreprise arrive sur le marché avec une machine calibrée à 15 000 cycles, la première, autorisée, tomberait-elle sous le coup de la loi ?
C’est la première difficulté à laquelle cet amendement aura à faire face : l’absence de référentiel fiable, sans lequel aucune loi ne peut s’appliquer.
La seconde difficulté, c’est que la cible de cet amendement est l’obsolescence programmée. Un concept dont le nom court le web mais dont l’existence n’est pas certaine par bien des côtés.
Le net semble regorger d’histoires à ce sujet. Mais quand on y regarde de plus près, un lot de cinq histoires constituent la quasi-totalité des exemples donnés.
La voiture, l’ampoule électrique, l’imprimante, le bas nylon et le smartphone.
Cinq objets d’un usage courant mais pourtant représentant loin d’être les seuls à être en vente et donc susceptibles d’être victimes d’obsolescence précoce volontaire.
L’explication en est simple. Ces cinq exemples ont été choisis et montés en épingle dans un documentaire sorti en 2010, « prêt à jeter », qui est si souvent relaté qu’on peut le considérer comme étant une Bible par celles et ceux qui pensent qu’effectivement, le commerce est pollué par des entreprises sans foi ni loi dont le seul but est de nous enterrer vivant sous des monceaux de produits bas de gamme destinés à tomber rapidement en panne.
Pourtant, de même que la Vraie Bible ne peut être crue aveuglément, le documentaire élude de façon assez flagrante certains points importants. Cela suffit à faire douter de la pertinence, et même de l’honnêteté de ce programme. Et par extension, de douter de l’existence de l’obsolescence programmée.
L’exemple le plus criant en est l’ampoule électrique. Tout le monde en connait l’usage et l’histoire qui y est raccordée : le cartel Phoebus, dans les années 30, aurait, tel un groupe de satanistes réunis un soir d’orage dans un chateau des Carpates dans le but de boire le sang d’une Vierge, fait main basse sur le marché en imposant une courte durée de vie aux ampoules afin de s’assurer d’une rente régulière et importante. Les plus zélés rapportant l’exemple de l’ampoule de Livermore, qui brûle dans une caserne de pompiers non-stop depuis 1901, disant que comme quoi, une ampoule éternelle ou presque, c’est possible.
Ce qui est vrai. Mais ce que les zélés rapporteurs ne disent point, c’est que cette ampoule, dotée à l’origine d’une puissance éclairante de 60 watts, n’en produit plus que 4 en lumière visible. A peine le niveau d’une bougie. Ce à cause d’un phénomène physique nommé « résistance croissante » du filament de carbone.
Vous êtes bien entendu libres de vouloir une ampoule aussi brillante qu’une bougie, mais c’est un peu du gâchis. A moins que vous ne soyez capables de percevoir l’infrarouge, gamme d’onde dans laquelle l’ampoule brille désormais.
Interrogés par la Justice, les membres du cartel Phoebus ( qui furent condamnés pour entente illicite sur les prix, soyons justes ) n’eurent aucun mal à prouver leur bonne foi : s’ils vendent des ampoules à filament de tungstène finissant par se briser, c’est parce que les filaments carbones perdent au fil du temps leur puissance lumineuse au profit de la puissance calorifique. C’est une loi de la physique contre laquelle on ne peut rien.
Ayant le choix entre une technologie fragile mais à éclairage constant et une autre plus solide mais aux performances se dégradant dans le temps, le choix avait été fait. Au bénéfice du consommateur car je ne pense pas que quiconque voudrait d’une ampoule qui perdrait de sa puissance au fil du temps.
C’est la première leçon : l’arbitrage entre diverses technologies peut donner le sentiment d’une programmation de la déliquescence. Il ne s’agit en fait que d’équilibrer les contraintes physiques avec les gains potentiels. Pour le consommateur comme le producteur.
C’est à peu près le cas également pour le bas nylon. Inventé par la société américaine Dupont de Nemours pour pallier au manque de soie réquisitionnée pour les besoins de l’armée américaine ( la soie était utilisée pour la toile des parachutes ), le nylon a rapidement conquis le marché des bas féminins, les femmes adorant sa solidité, sa transparence et sa durabilité.
La légende veut de la société Dupont aurait dès lors, pour pallier des ventes insuffisantes en raison de la trop grande solidité du tissu, décidé de dégrader volontairement la qualité des fibres afin qu’elles se brisent plus facilement, poussant à racheter de nouveaux bas.
Cette histoire serait corroborée par des témoignages d’ingénieurs de la société.
Ces témoignages, pourtant, sont soit anonymes, soit portent des noms de personnes n’ayant jamais travaillé chez Dupont. Ce qui les rendent hautement suspects.
Le bon ouvrier utilise le bon outil.
Dès les années 50 en fait, la qualité moins bonne de ces bas fut remarquée. Le magazine Good Housekeeping se fendit d’un article au fil duquel la vérité se fit jour : les femmes appréciaient les bas nylons de première génération, mais critiquaient l’ aspect plastifié donné à leurs jambes en raison de la taille des fibres. Dupont testa et mis en vente une seconde génération de bas, aux fibres plus fines, moitié moins épaisses que la première génération. Elles donnaient un aspect plus satiné aux jambes ce qui séduisit les acheteuses, passant outre sur le fait que ces derniers étaient, par nature, plus fragiles.
http://www.vintageconnection.net/NylonStockings.htm
C’est la seconde leçon : le choix du public peut pousser une entreprise à vendre des produits plus fragiles pour couvrir le marché. Comme nous le voyons, ce n’est pas Dupont qui a dégradé volontairement la qualité de son nylon, c’est le public qui a exigé des mailles plus fines et donc plus fragiles.
Le choix du public est une donnée à toujours prendre en compte. Au prix de la R&D, ce n’est pas par plaisir qu’ Apple, Samsung, LG, Sony ou d’autres encore sortent une nouvelle gamme de téléphones par an, parfois même plus souvent.
L’industrie n’est pas un système statique. Une société désireuse de garder ses positions ou d’en conquérir d’autres se doit de garder une avance technologique et d’en faire profiter ses clients. Quelle que soit la marque du smartphone, rester en mouvement permet de faire bénéficier à sa clientèle des nouvelles avancées techniques.
Il faut cependant garder à l’esprit qu’en aucune façon l’entreprise ne vous force à vous défaire de votre ancien appareil pour acquérir la dernière génération.
Elle vous y incitera, c’est vrai. Mais aucune entreprise ne fait de bénévolat. Elles rémunèrent des dizaines de milliers d’employés par ce biais, ce qui soutient l’économie. La dernière décision appartient de toute façon à l’acheteur potentiel. Si le nouvel appareil ne convient pas, il passera son tour et attendra un futur modèle. Ou pas.
Le suivi des anciens modèles est lui assuré de toute façon, dans certaines limites : pour prendre l’exemple de l’ Iphone, un modèle est susceptible de recevoir trois ou quatre mises à jours majeures au fil de son existence. Mais même quand il n’est plus éligible pour recevoir une nouvelle mouture de son OS, Apple laisse la possibilité de retélécharger les anciennes versions sur son site. Ce qui permet au propriétaire de l’appareil obsolète de pouvoir continuer à l’utiliser et le remettre d’aplomb en cas de soucis logiciel.
On pourrait rêver, bien entendu, d’un smartphone plus durable. Mais l’entreprise est limitée par les capacités physiques du matériel embarqué dans le téléphone. A quoi bon intégrer iOS 4 dans un Iphone EDGE pour gérer la vidéo quand ce type d’appareil n’est pas équipé des capteurs adéquats ?
C’est notre troisième leçon : L’entreprise propose, le public dispose. Nous n’avons pas forcément besoin d’un nouveau smartphone tous les ans. Mais pour certains, cela en jette d’avoir le dernier modèle, que ce soit en terme de vêtement, de sac à main, de voiture ou de télévision. C’est à nous de nous dire si oui ou non notre télé écran plat est encore dans le coup malgré le fait qu’on ne puisse pas la brancher directement sur le Net.
Une blague d’informaticien dit que lorsque l’ordinateur est en panne, le problème se trouve souvent entre la chaise et le clavier. Force est de reconnaitre que ce proverbe est parfois justifié. Et l’imprimante, sujet oh combien houleux, en est la victime.
Tout a été dit ou presque. Avec plus ou moins de justification. Oui, les cartouches sont chères et on peut les remplir à nouveau au lieu d’en racheter des nouvelles, ce qui nous fait économiser pas mal d’argent. Mais ces objets quelque peu insolites en ces temps de mails sont-ils vraiment les pompes à fric souvent dénoncés ?
Le problème des cartouches est autre et réel, ce n’est pas de cela dont il s’agit. Mais le bruit court que les fabricants auraient volontairement bridé leurs machines afin de les rendre hors-service au bout d’un certain temps d’utilisation.
La encore, l’exemple le plus frappant est issu du documentaire de Cosima Dannoritzer, réalisatrice de « prêt à jeter ». On y voit une imprimante Epson qui serait programmée pour rendre l’âme après 18 000 copies, le coup de grâce étant donné par une puce intégrée à la carte. Un logiciel russe est censé lui rendre vie. Il ne fait en réalité que remettre à zéro le compteur intégré.
Mais est-ce bien la réalité ? Interrogé, le service client d’ Epson a formellement nié toute présence d’un dispositif rendant la machine inutilisable au bout d’un certain laps de temps. On peut imaginer que bien entendu, ils n’allaient pas dire autre chose.
Pourtant, ce serait logique : le marché de l’imprimante, ainsi que d’autres, sont ultra-concurrentiels. Est-il logique de penser qu’un fabricant d’imprimante plomberait ses propres produits afin de pousser à racheter d’autres produits de la même marque ?
Je ne sais pas pour vous, mais quand un produit me déçoit, quand je dois le renouveler, j’ai tendance à aller chez les concurrents. Aussi je considère comme douteux l’argument de la panne provoquée.
La société Epson a communiqué sur le problème et ne nie pas la présence de la puce ni du compteur. Elle nie en revanche le lien avec la panne : cette puce ne servirait qu’à informer la machine d’une saturation du tampon encreur quand il se produit et son nécessaire remplacement. Ce qui est plausible car les fabricants d’imprimantes ont prévu à l’usage des consommateurs une procédure de remise à zéro du compteur après le changement du tampon afin que la machine puisse fonctionner à nouveau.
http://blogs.lexpress.fr/generation-verte/2011/05/06/imprimantes-epson-et-la-puce-qui-fache/
La Commission Européenne s’est penchée déjà sur la question, et les arguments des fabricants semblent avoir convaincu les instances continentales. Cela n’a pas empêché par ailleurs le Parlement Européen d’interdire l’importation en Europe de machines bridées qui empêchent l’usage de cartouches de marque générique ou de la réutilisation d’anciennes cartouches remplies à moindre frais.
http://www.gel-ink.com/10-puce-des-cartouches-puce-des-cartouches.html
Quand à la fragilité et la courte vie des imprimantes, il est frappant de voir que la majeure partie des pannes frappent en premier les modèles à jet d’encre.
Les SAV le savent : les causes de pannes viennent avant tout des cartouches mal insérées et forcées dans leurs logements, ou par la piètre qualité de l’encre de substitution. Si elle est trop pâteuse, les buses s’encrassent plus rapidement et le nettoyage qui suit est parfois pénible.
Pour résumer la chose, on peut dire que non, les entreprises ne sont pas des bénévoles au grand coeur. Elles conçoivent des produits qu’elles espèrent vendre au meilleur prix et en grande quantité.
Mais leur construction a un coût. L’entreprise doit trouver le juste équilibre entre solidité et prix de revient. Elle doit aussi arbitrer entre diverses technologies qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients.
Le plus important, c’est qu’ au final, c’est nous qui décidons malgré toutes les influences extérieures. Et si nous ne sommes pas satisfaits de quelque chose, alors c’est aussi à nous d’intervenir pour changer les choses. A la condition d’avoir bien identifié le problème.