Source : dernier numéro de la revue de Solidaires 30, Solidaritat. Un numéro 5 (Automne-hiver 2014) riche de 76 pages !
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20 ans de lutte et
d'expérience autogestionnaire au Chiapas
Malgré le silence des grands médias, les zapatis-tes, indigènes mayas qui se sont soulevés
le 1 er janvier 1994 au cri de « Ya Basta ! » (ça suffit!),sont toujours bel et bien là. Et même
plus que jamais, comme le montrent les dernières initiatives qu'ils et elles ont organisées
pour réaffirmer le sens de leur lutte pour la démocratie, la justice et la liberté.
Le 21 décembre 2012 (le jour de la soi-disant fin du monde selon le calendrier maya préhispanique),
ils et elles étaient plusieurs dizaines de milliers à défiler dans les rues de cinq grandes villes du Chiapas (dont San Cristobal de las Casas), en silence, poings levés, montant toutes et tous successivement sur des estrades. Après les passe-montagnes pour être vu-es, le silence pour
être entendu-es. Un communiqué de l'EZLN est sorti le jour même :
« VOUS AVEZ ENTENDU ?
C’est le bruit de votre monde qui s’écroule.
C’est celui du nôtre qui resurgit.
Le jour où le jour fut, c’était la nuit.
Et ce sera la nuit le jour où ce sera le jour.
DÉMOCRATIE ! LIBERTÉ ! JUSTICE ! »
Quelques jours plus tard, le 30 décembre 2012, les zapatistes s'appuyant sur la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone (EZLN, 2005) annoncent la réactivation de leurs relations nationales et internationales. Des initiatives civiles et pacifiques, précédées d'une série de textes d'analyse politique anticapitaliste, et portant sur la résistance et l'autonomie (« Eux et Nous » et « les plus petit-es »), commencent dès l'été 2013 et se poursuivent à l'été 2014.
Malgré la répression qui continue, les zapatistes ouvrent les portes de leurs communautés aux mem-
bres des organisations et aux individus avec lesquels ils et elles ont des liens. Les Zapatistes les invitent dans leurs communautés à suivre « la Escuelita » (Petite École) pour apprendre « la liberté selon les zapatistes » (août & décembre 2013 et janvier 2014). Dans le même temps, ils réaffirment l'importance du Congrès National Indigène (qui réunit des représentant-es de la majeure partie des peuples indigènes du Mexique) qui est réuni à San Cristobal de las Casas en août 2013 à l'issue de la Petite École, puis à l'été 2014 à La Realidad.
Il est important de rappeler que leur nom fait référence au héros de la Révolution Mexicaine, Emiliano Zapata car les zapatistes se revendiquent comme étant des héritier-ères des luttes indigènes et révolu-
tionnaires mexicaines. L'EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale), organisation clandestine et
armée, est née de la rencontre de révolutionnaires métis et d'indigènes mayas dans la Forêt Lacandone au Chiapas, au sud du Mexique dans les années 1980. C'est cette rencontre qui a fait la richesse de cette organisation : à la fois indigène dans son essence et ouverte sur le reste du monde.
Le Chiapas est un des 32 États fédérés du Mexique, dont la population indigène est une des plus importantes mais aussi une des plus pauvres du pays. Paradoxalement, c'est aussi un des États du Mexique aux ressources les plus « prometteuses » pour les capitalistes, tant du point de vue des ressources naturelles (pétrole, bois, eau, plantes) que touristiques (nombreux sites archéologiques et naturels). Les enjeux économiques et politiques pour les gouvernements de l'État fédéral et de l'État du Chiapas sont donc majeurs.
Les zapatistes sont présent-es sur une grande partie du territoire de l'État du Chiapas, cohabitant avec le reste de la population, indigènes ou non, parfois dans les mêmes communautés. Il n'y a pas de terri-
toire zapatiste à proprement parler, sinon un territoire (découpé en 5 régions autonomes) dans lequel
les zapatistes vivent et construisent leur autonomie, plus ou moins pacifiquement, aux côtés des autres habitant-es du Chiapas
Bref historique
Les Zapatistes se sont soulevé-es le 1 er janvier 1994, jour de l'entrée en vigueur du traité de libre-échange d'Amérique du nord (ALENA). Ils ont occupé cinq des plus grandes villes du Chiapas, puis ils ont affronté l'armée mexicaine plusieurs jours (plusieurs centaines de morts) avant un cessez-le-feu sous la pression du mouvement social mexicain. S'en suivent plusieurs mois de négociations avec le gouvernement, entrecoupés par des phases de discussions et de consultations entre les zapatistes, la société civile et les autres peuples indigènes.
En 1996, le gouvernement mexicain et l’EZLN signent les Accords de San Andrés sur les Droits et
Cultures Indigènes. Le gouvernement (du PRI puis du PAN, tous deux des partis de droite conservatrice ou néolibérale) n'a jamais mis en application ces accords, ce qui a mèné les Zapatistes à la rupture politique définitive. Les Zapatistes décident donc de prendre leur autonomie et de la construire malgré tout.
Construction de l'autonomie
Après la mise en place des communes autonomes et rebelles zapatistes (MAREZ) dès 1994, les zapatistes annoncent, en 2003, la création des cinq Caracoles (« escargot », centres administratifs et politiques régionaux, anciens « Aguascalientes » : La Realidad, Oventik, La Garrucha, Morelia et Roberto Barrios) correspondant aux cinq régions du territoire zapatiste et des Conseils de Bon Gouvernement, chargés de l'administration, de la justice et des relations extérieures de l'organisation civile. Ils organisent aujourd'hui leur autonomie à trois échelles : la communauté, la commune et la région. Toutes les décisions se prennent en assemblée générale dans laquelle toutes et tous participent.
Des mandats sont donnés pour les différentes tâches (politique, administration, santé, éducation, etc...) dans la communauté, mais aussi pour représenter la communauté dans la commune (assemblée municipale constituée de deux représentant-es par communauté) et dans la région (Conseil de Bon Gouvernement mais aussi éducation, santé, formation…). Les mandats sont en général de trois années (sauf pour la santé et l'éducation qui demandent davantage de formation) et ne sont compensés par aucun salaire.
La communauté prend à sa charge la culture des terres, l'alimentation et le transport des mandaté-es afin de leur permettre d'assumer les tâches collectives qui leur incombent. Le principe général est celui du « mandar obedeciendo » (décider en obéissant) dans lequel « el pueblo manda, y el gobierno obedece » (le peuple décide et le gouvernement obéit). Tout mandat est révocable à tout moment si l'assemblée le décide.
Les principales tâches des conseils communaux et des conseils de bon gouvernement (CBG) sont d'administrer leur territoire (agriculture, éducation, santé), de rendre la justice (litiges internes mais aussi externes pour les CBG) et pour les CBG d'assurer le lien avec l'extérieur (localement mais aussi avec les visiteurs nationaux et internationaux).
Les femmes jouent un rôle fondamental dans l'organisation zapatiste dès le départ. En effet, en 1993,
alors qu'une consultation interne avait lieu pour préparer le soulèvement armé, les femmes ont posé leurs conditions. Elles ne seraient actrices du mouvement qu'à la condition que la « Loi Révolutionnaire des Femmes » soit actée, ce qui fut le cas. Entre autres revendications, l'égalité et le respect, mais aussi l'accès à l'éducation et aux responsabilités collectives, ou encore le choix de son partenaire, d'avoir ou non des enfants et combien… De fait, les femmes ont toute leur place à tous les niveaux d'organisation zapatiste, aussi bien dans l'EZLN que dans la société civile. Elles ont encore parfois des difficultés à pouvoir assumer des charges communales et régionales mais
cela change progressivement.
En ce qui concerne l'économie, les zapatistes sont presque tou-tes des paysan-nes qui vivent de leur
production (qui repose essentiellement sur la culture traditionnelle du maïs et des haricots rouges, mais aussi du café, de la canne à sucre, des courges et sur l'élevage de poulets, d'ovins et/ou de bovins selon les régions). Généralement, chaque famille cultive un lopin de terre qui lui a été attribué (en interne sur les terres récupérées en 1994, parfois dans le cadre des « ejidos », terres communales issues de la réforme agraire « officielle »). D'autres terres sont cultivées collectivement, au bénéfice de la communauté, de la commune ou de la région afin de financer les frais communs (notamment les charges liées aux mandats) mais aussi des projets (construction, aménagement, fêtes…). Enfin, il existe des coopératives qui permettent essentiellement de regrouper et de vendre la production à l'extérieur (café, cuir, artisanat des femmes).
La santé et l'éducation occupent une place toute particulière dans la construction de l'autonomie. En effet, dès la Première Déclaration de la Forêt Lacandone le 1 er janvier 1994, elles font partie des principales revendications zapatistes. Les communautés indigènes ont toujours été ignorées et mises à l'écart du système de santé et d'éducation officiels. Ces deux éléments fondamentaux pour toute société ont donc été au cœur de la réflexion et de la mise en œuvre de l'autonomie. Chacune des cinq régions a mis en place son propre système d'éducation et de santé, mais on peut retrouver des grands principes généraux.
L'éducation est obligatoire et ouverte à tou-tes (y compris les enfants non zapatistes). Toutes les com-
munautés sont désormais dotées d'une école et d'un-e promoteur-trice d'éducation (nom donné aux personnes chargées de l'éducation). L'enseignement est bilingue (voire trilingue) : la langue maternelle (tzotzil, tzeltal, tojolabal, chol ou mam) est privilégiée mais le castillan est aussi enseigné. Certaines régions ont mis en place des écoles secondaires et/ou techniques pour former à certains métiers (notamment les promoteurs et promotrices). Des « programmes » sont définis régionalement, basés sur les besoins du peuple : « l'histoire réelle des peuples » (selon leur propre définition) et leurs treize revendications (le travail, la terre, le logement, l’alimentation, la santé, l’éducation, l'information, la culture, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix). Il n'y a pas d'évaluation, les enfants sont respectés dans leur rythme et leur personnalité, l'idée étant que les savoirs n'ont de valeur qu'en étant partagés et mis au service de la communauté.
Le système de santé, quant à lui, repose sur une double organisation par échelle. La médecine traditionnelle est mise en valeur (« trois aires : sage-femmes, plantes médicinales, rebouteux ») complétée par la médecine allopathique (promotrice et promoteur de santé). Toutes les communautés ont un-e promotrice-teur et un dispensaire.
Des cliniques sont en activité dans quasiment toutes les communes autonomes (médecine générale, analyses biologiques et parfois petites chirurgies, dentistes, gynécologie, ambulances) et sont ouvertes à tou-tes, y compris aux non zapatistes qui eux doivent payer (des sommes modiques) pour y avoir accès. Il existe une clinique de la femme à La Garrucha, tenue uniquement par et pour les femmes, pratiquant des accouchements mais aussi tout ce qui relève de la planification familiale (contraception, conseils, suivis de grossesse…).
Au niveau régional, des responsables sont chargé-es de répartir le matériel et les médicaments arrivés de l'extérieur, de coordonner les campagnes de vaccination et de faire le lien avec les cliniques extérieures en cas de besoin (chirurgies importantes ou soins particuliers). On peut dire aujourd’hui que la mortalité infantile a considérablement baissé, que l'état de santé général des populations s'est beaucoup amélioré et que tout-es les zapatistes ont accès aux soins.
La Sexta
La lutte zapatiste a toujours été tournée vers l'extérieur, mais avec la Sixième Déclaration de la Forêt
Lacandone (2005), l'objectif est clairement de lancer une campagne pour unir les luttes dans un mouvement civil et pacifiste « en-bas, à gauche », indépendant des partis politiques, , au Mexique et dans le reste du monde. Après avoir pris le nom de l'Autre Campagne, elle se nomme désormais la Sexta à laquelle celles et ceux qui le souhaitent peuvent participer.
« Pour l'EZLN, être de la Sexta ne requiert pas d'affiliation ni de cotisation, ni d'inscription sur une liste,
d'original ou de copie d'une identification officielle, de reddition de comptes, d'être à la place du juge ou
du jury, ou de l'accusé ou du bourreau. Il n'y a pas de drapeau. Il y a des engagements et des conséquences de ces engagements. Les « non » qui nous appellent, la construction des « oui » nous met en mouvement » (…). Ceux qui, avec le re-surgissement de l’EZLN, espèrent une nouvelle période de tribunes, et de grandes concentrations, et les masses mettant le nez à la fenêtre de l’avenir, et les équivalents à la prise du palais d’hiver, seront déçus. Il vaut mieux qu’ils s’en aillent une bonne fois (...) Nous, nous ne voulons pas changer seulement de gouvernement, nous voulons changer de monde. » (« Eux et Nous V : La Sexta », 2013)
C'est dans cette perspective que les Zapatistes ont invité leurs contacts à participer à la Escuelita, la Petite École, l'été puis l'hiver 2013. Ils invitaient ainsi à « écouter, ce qui est le premier pas pour comprendre » les zapatistes dans leur vie quotidienne mais aussi dans la résistance et la construction de leur autonomie. Il ne faut pas oublier que le contexte de répression n'a jamais cessé, entre provocations militaires et policières, instrumentalisations d'autres communautés indigènes (sur la question des terres et à travers des « programmes d'aides financières »), attaques de groupes paramilitaires (entraînés et armés par la police et/ou l'armée).
En mai 2014, une attaque ciblée au Caracol de la Realidad a fait un mort chez les Zapatistes. Le
Conseil de Bon Gouvernement a fait appel à l'EZLN pour rendre la justice. Après cette violente agression, le sous-commandant Marcos a cessé d'exister pour prendre le nom de sous-commandant Galeano (nom du compañero assassiné).
Avec le sous-commandant Moisés, ils ont tenu une conférence de presse à l'issue du « premier échange des peuples originaires du Mexique avec les peuples zapatistes ». Un des messages est le suivant : « nous devons nous unir, nous devons nous prendre par la main les un-es les autres. […] Chacun-e lutte mais nous sommes uni-es ».
L'autre message concerne l'importance des médias libres, alternatifs et autonomes pour s'informer au
contraire des grands médias dont le seul but est de gagner de l'argent. Les zapatistes, par la voix du sous-commandant Galeano considèrent que le meilleur niveau de communication, malgré toute la technologie actuelle, est celui de l'échange direct. C'est pour cette raison, sans aucun doute, que le CNI et l'EZLN organisent un Festival mondial des résistances et des rébellions fin décembre 2014.
DÉMOCRATIE ! LIBERTÉ ! JUSTICE
Cybèle David,
Commission Internationale de Solidaires.
Soutenons les zapatistes et leurs coopératives de café
Par l'intermédiaire de l'association Échanges Solidaires qui importe directement du café de deux coopératives de café zapatistes ( Yachil Xojobal Chulchan et Ssit Lequil Lum), vous pouvez commander du café dans le cadre du regroupement de Solidaires (soit auprès de votre syndicat ou de
votre Solidaires local s'il en commande, soit auprès de Pascal Devernay : devernay.pascal@wanadoo.fr).
Non seulement vous dégusterez un très bon café arabica rebelle et zapatiste, mais vous soutiendrez aussi les producteurs et leurs coopératives ainsi que la construction de l'autonomie plus largement. En effet, en plus de pratiquer un prix juste, tous les bénéfices de la vente du café sont reversés aux cinq Conseils de Bon Gouvernement afin de financer les projets que l'assemblée des peuples décide.
Pour des informations plus complètes et plus précises, vous pouvez consulter, en français, le site du CSPCL (cspcl.ouvaton.org) et le dernier numéro de la Revue internationale de Solidaires : Mexique, Chiapas et Zapatistes (disponible à votre Solidaires local ou sur commande à Solidaires national) et bien entendu, en castillan le site officiel de l'EZLN : http://enlacezapatista
Nous envoyons des exemplaires sur demande. Les envois comme la revue seront pris en charge par Solidaires 30. Nous contacter à : solidaritat@outlook.fr
Le sommaire :
● Notre camarade et amie Armelle…p.2
● Editorial : l’enjeu en question, p3
● « Un syndicalisme de transformation sociale, anticapitaliste et internationaliste». Entretien croisé d'Annick Coupé et Christian Mahieux, p.4-15
● Répressions syndicales p.16-20
● Situation des syndicats p.21-24
● Lutte de classe à l’Hôpital Careiron, chez les Intermittent-e-s et à Sirven p.24-32
● Dossier retraites p.33-35
● Parole à la conf. ; billet picard, p.36-38
● Dossier psy p.38-40
● Les révoltes logiques (4), Retour sur une revue : Socialisme ou Barbarie p.41-44
● Dossier autogestion () p.45-56
● Dossier Palestine (2) p.57-63
● Dossier antifascisme p.64-68
● Culture p.69-75
● Los patrons… nos ne podèm passar ? p.76
Le Comité de rédaction de Solidaritat.