Plus de trois millions de Français sont descendus dans la rue dimanche. Une mobilisation sans précédent. A Paris, deux millions de personnes ont marché en hommage aux victimes des attaques terroristes. Ils étaient 300 000 à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 110 000 à Grenoble, 70 000 à Clermont-Ferrand, 115 000 à Rennes, et un nombre impressionnant aussi dans les petites villes et villages… Une cinquantaine de chefs d’État étaient présents aux côtés de François Hollande dans les rues de Paris [1].
Une mobilisation inédite, où l’on aura vu la foule applaudir au passage des fourgons de police. Où l’on aura défilé contre le terrorisme, pour la liberté de la presse, la liberté d’expression, en hommage à des journalistes, à des policiers, à la mémoire des victimes d’un crime antisémite. En pensant aussi à tous ceux qui demain devront supporter les conséquences de ces événements. En premier lieu les musulmans, qui, dans le grand bazar des amalgames, sont déjà la cible de plusieurs actes islamophobes un peu partout sur le territoire (lire notre article). Difficile de trouver les mots pour décrire cette mobilisation. Entre émotion face aux événements tragiques et à ce réveil citoyen, et agacement face à un unanimisme construit par nos dirigeants. Entre un événement qui laisse sans voix, et qui suscite pourtant une avalanche de commentaires, le besoin de parler, discuter, échanger, analyser.
Une question est sur toutes les lèvres : « Et demain ? ». Que sera la France, le jour d’après ? Voici quelques mots pour tenter de comprendre. Et pour inviter à la vigilance.
Peur. Une phrase circule, reprise un peu partout. Celle de Fabian Stang, maire d’Oslo, après la tuerie de l’île Utøya perpétrée par le néo-nazi Anders Breivik en 2011, qui a fait 69 morts : « Nous allons punir le coupable. La punition, ce sera plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie. » Dimanche, dans les mobilisations, un message fort : « Nous n’avons pas peur », la peur ne passera pas. Saurons-nous transformer cela en une exigence de plus de démocratie et de tolérance en France ? Ou verrons-nous une énième loi liberticide être votée au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme ?
Terrorisme. Certains comparent cet évènement au 11 septembre 2001, une raison de plus pour s’interroger sur la façon dont les États-Unis ont répondu à cet événement en instaurant le Patriot Act. Évitons de reproduire les mêmes erreurs.
Patrick Viveret, philosophe : « L’extension du terrorisme alimenté par le fanatisme qu’exprime aujourd’hui Daesh est en effet une conséquence directe de la politique conduite par l’administration Bush en réponse aux attentats du 11 septembre. Le désastre de cette politique est patent tant à l’extérieur des États-Unis qu’à l’intérieur. D’un côté c’est le double échec de l’intervention militaire en Afghanistan qui conduit aujourd’hui au retour en force des talibans, et, plus encore, en Irak dont la désagrégation a permis la création d’un État terroriste qui instrumente l’Islam pour habiller ses crimes d’une justification prétendument religieuse.
De l’autre, à l’intérieur, ce sont les atteintes majeures aux libertés organisées par le Patriot Act, les crimes contre l’humanité commis dans les camps de torture organisés par la CIA, les logiques de peur et de repli identitaires qui conduisent aux régressions racistes malgré la présence historique d’un président noir à la maison blanche. Autant dire que ce sont les valeurs fondamentales de l’Amérique qui sont aujourd’hui menacées beaucoup plus efficacement par les conséquences de la politique de Bush que par l’attentat organisé par Ben Laden. Il en serait de même si, par malheur, une France saisie par ce que Wilhem Reich nommait "la peste émotionnelle", se laissait embarquer dans une double logique de guerre extérieure et intérieure, la première alimentant d’autant plus la seconde. » (…) « une logique de peur et de repli identitaire faciliterait encore davantage la lepénisation des esprits. Ce serait pour nos amis de Charlie une seconde mort » [2].
Alors que le gouvernement annonce déjà vouloir étudier de nouvelles mesures législatives, La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, avertit : « Depuis 1986 chaque acte terroriste a été suivi d’une loi antiterroriste, lesquelles entraînent systématiquement un recul des libertés fondamentales au prétexte de la sécurité. Aujourd’hui, la dernière loi votée en novembre n’est même pas encore entrée en application que le gouvernement en annonce déjà de nouvelles, sans prendre le moindre temps de réflexion ou de mise à l’épreuve de la réalité, des effets ou de l’efficacité de ces lois. »
Guerre. Si la portée d’un acte terroriste se mesure à la réaction de la victime, par ces mobilisations, nous donnons aussi de la puissance à cet acte. Mais il ne s’agit pas de tomber dans les délires de ceux qui y voient une déclaration de guerre. Ceux qui voudraient nous entrainer sur le terrain de la guerre de civilisation. Ceux qui emploient des formules toute faites pour empêcher de penser, « renvoyant de manière calamiteuse aux déclarations de George Bush et des faucons américains au lendemain du 11-Septembre » (Médiapart). Un attentat perpétré par des fous au nom de la religion, par quelques individus au nom d’une idéologie, ne peut être assimilé à une guerre. « Les frères Kouachi, Coulibaly, comme Merah, ne sont pas plus musulmans qu’islamistes. Ils sont des Français, passés par la délinquance et la case prison avant de s’enfermer dans une radicalisation terroriste habillée de quelques minables oripeaux idéologiques », analysent François Bonnet et Edwy Plenel.
Prisons. Chérif et Saïd Kouachi, Amédy Coulibaly, mais aussi Mohamed Merah – qui a assassiné sept personnes, dont trois enfants de confession juive et trois militaires (dont deux de confession musulmane) –, Mehdi Nemmouche – auteur présumé de l’attaque contre le Musée juif de Belgique qui a tué quatre personnes le 24 mai 2014 à Bruxelles – et Khaled Kelkal – membre du Groupe islamique armé (GIA) algérien et impliqué dans la vague d’attentats qui touche la France en 1995 et fait dix morts (huit victimes lors de l’attentat à la bombe du RER B à Saint-Michel, un imam et son assistant assassinés dans le 18ème arrondissement) et 200 blessés – se sont tous radicalisés en prison, au contact de militants islamistes, après avoir sombré ou flirté avec la petite délinquance.
Cela pose crûment la question du rôle de l’institution carcérale dans la société française. La prison est considérée comme la réponse pénale prioritaire face à la petite délinquance, à ceux qui récidivent. Fin décembre, 67 105 personnes étaient incarcérées en France, dont une sur quatre n’ont pas encore été jugées (17 526 prévenus). Pourquoi est-elle le lieu privilégié de la radicalisation menant à de dramatiques passages à l’acte ? Comment l’éviter ? Comment ouvrir d’autres horizons que cette radicalisation à des jeunes gens condamnés pour des délits de droit commun, alors que les actions de prévention et de luttes contre la récidive, autre que l’emprisonnement, ont été décriées depuis tant d’années ?
Désolidarisation. Le jour même de l’attentat contre Charlie Hebdo, certains enjoignent les Français de confession musulmane à réaffirmer leur attachement aux valeurs de la République. Comment ne pas voir la violence de cette injonction à la désolidarisation ? Comme si, parce qu’on est musulman, on pouvait être a priori solidaire de cet attentat. Demande-t-on aux Français de confession chrétienne, à tous les Français, de se désolidariser des actes islamophobes perpétrés depuis quelques jours ? Sans compter l’absurdité qu’il y a à renvoyer publiquement des citoyens français à leur islamité, alors qu’on leur demande chaque jour de mettre cette part de leur identité en sourdine, de ne l’exprimer que dans l’intimité. Une telle injonction à la désolidarisation fait bien sûr le jeu de l’extrême droite, mais aussi de l’islamisme, par les amalgames qu’il génère, la souffrance ou l’exaspération légitime qu’il provoque chez ceux qui sont visés, sommés de donner des gages de leur appartenance à la communauté française, de leur citoyenneté.
« Comment les musulmans pourraient-ils se dissocier d’actes auxquels ils ne se sont jamais associés ? Pourquoi les musulmans auraient-ils à se dissocier de leurs bourreaux ? », écrivent des responsables de collectifs et réseaux citoyens des quartiers populaires et de lutte contre les discriminations. Le fait que plusieurs victimes soient de confession musulmane renforce l’absurdité de cette injonction.
« Peut-être que la plupart des musulmans sont pacifiques, mais jusqu’à ce qu’ils reconnaissent et détruisent leur cancer djihadiste, ils doivent être tenus pour responsables », ose affirmer le milliardaire états-unien Rupert Murdoch le 10 janvier sur Twitter. En réponse à ces propos islamophobes, J.K. Rowling, auteur de la série Harry Potter, rétorque : « Je suis née chrétienne. Si cela me rend responsable de ce que dit Murdoch, je m’auto-excommunie. »
Amalgame. Tout cela nourrit l’amalgame. En témoigne la stigmatisation que subissent les jeunes de Seine-Saint-Denis, pointés du doigt lors de quelques perturbations de la minute de silence, organisée le 9 janvier en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo.
Marie, enseignante en Seine-Saint-Denis : « Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
Pas d’amalgame, dit-on. Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne. Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées. » (Pour mes élèves de Seine Saint-Denis, 10 janvier 2015).
Démocratie. Certains commentateurs soulignent l’importance de continuer à débattre. A dire qu’on peut ne pas être d’accord avec les positions de Charlie, à trouver certaines caricatures malvenues. Car la démocratie, c’est cela : la possibilité de la critique, du débat, de l’engueulade, du désaccord.
Abdelkrim Branine, rédacteur en chef de Beur FM : « Pour la petite minorité de crapules qui disent que Charlie Hebdo a pu mériter ce qui est arrivé, je laisse faire la justice. Ceux qui disent « Je ne suis pas Charlie » le font parfois de façon maladroite, mais il faut les écouter. Il ne faut pas faire de chantage intellectuel et dire comme le président George W. Bush : « Vous êtes avec nous ou contre nous ». Ils veulent simplement dire qu’ils n’étaient pas d’accord avec Charlie Hebdo, sa manière de traiter l’islam et les musulmans. Plus que le fait, réputé sacrilège, de caricaturer le prophète Mahomet, c’est un dessin le montrant avec une bombe dans son turban qui a choqué [en fait un dessin du quotidien danois Jyllands-Posten, republié en 2006]. Il s’apparentait à de l’islamophobie en liant islam et terrorisme. Mais ces désaccords, dans le cas de la tuerie qui a touché Charlie Hebdo, ne comptent pas. Et on n’a pas besoin de dire « Je suis Charlie » pour partager la peine des familles. » [3]
Solidarité internationale. Afghanistan, Algérie, Égypte, Irak, Kurdistan, Mali, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie… Les fronts où la bataille politique se mène contre le totalitarisme islamiste sont nombreux. Des mouvements sociaux y luttent de manière non violente pour les droits et l’émancipation. Et leurs ennemis sont multiples : les groupes armés se réclamant du djihad et de l’islam fondamentaliste mais aussi des dictatures, des régimes autoritaires, des lois répressives, des troupes d’occupation militaire. Il n’y a qu’à constater la périlleuse situation des médias et blogs indépendants du Moyen Orient qui tentent, malgré les risques d’assassinats, d’emprisonnements, de tortures, de châtiments corporels, d’informer – lumières vacillantes en faveur de la liberté d’expression.
Nombre de ces mouvements sont en contact avec des associations et des ONG françaises et européennes. Et ont besoin de leur soutien, comme l’a montré le rôle important qu’a joué l’organisation du Forum social mondial à Tunis en 2013 (lire notamment ici), après le renversement de la dictature Ben Ali, et qui se tiendra à nouveau dans la capitale tunisienne fin mars 2015. Mais ce combat, ces engagements, ces solidarités concrètes ne sont pas suffisamment visibles. Ni la bataille contre le totalitarisme fondamentaliste qui doit être érigé en priorité au même titre que d’autres indispensables combats, y compris sur le sol européen.
Vivre-ensemble. Lorsque l’émotion sera retombée, que les esprits seront un peu apaisés, il faudra prendre le temps de l’analyse de ce qui nous a amenés à ça. Une auto-critique lucide et sans complaisance, le bilan de ces années de démission politique. Pourquoi des gamins paumés aujourd’hui en France se font embrigader ? Pourquoi des jeunes partent faire le djihad en Syrie ? Faire le bilan de ces corps intermédiaires qui se délitent, des associations qui n’ont plus les moyens de faire leur travail sur le terrain. Se demander pourquoi, parfois, nous ne sommes plus capables de penser le vivre-ensemble, de manière sereine. Il ne s’agit pas seulement d’embrigadement religieux, mais aussi comprendre pourquoi tant de jeunes choisissent de se fourvoyer dans des idéologies basées sur la négation de l’autre et le rejet de son humanité, notamment à l’extrême-droite.
Catherine Robert, Isabelle Richer, Valérie Louys et Damien Boussard, professeurs en Seine-Saint-Denis : « Si les crimes perpétrés par ces assassins sont odieux, ce qui est terrible, c’est qu’ils parlent français, avec l’accent des jeunes de banlieue. Ces deux assassins sont comme nos élèves. Le traumatisme, pour nous, c’est aussi d’entendre cette voix, cet accent, ces mots. Voilà ce qui nous a fait nous sentir responsables. Évidemment, pas nous, personnellement : voilà ce que diront nos amis qui admirent notre engagement quotidien. Mais que personne, ici, ne vienne nous dire qu’avec tout ce que nous faisons, nous sommes dédouanés de cette responsabilité. Nous, c’est-à-dire les fonctionnaires d’un État défaillant, nous, les professeurs d’une école qui a laissé ces deux-là et tant d’autres sur le bord du chemin des valeurs républicaines, nous, citoyens français qui passons notre temps à nous plaindre de l’augmentation des impôts, nous contribuables qui profitons des niches fiscales quand nous le pouvons, nous qui avons laissé l’individu l’emporter sur le collectif, nous qui ne faisons pas de politique ou raillons ceux qui en font, etc. : nous sommes responsables de cette situation. Ceux de Charlie Hebdo étaient nos frères : nous les pleurons comme tels. Leurs assassins étaient orphelins, placés en foyer : pupilles de la nation, enfants de France. Nos enfants ont donc tué nos frères. Tragédie. Dans quelque culture que ce soit, cela provoque ce sentiment qui n’est jamais évoqué depuis quelques jours : la honte. » (...)
« Personne, dans les médias, ne dit cette honte. Personne ne semble vouloir en assumer la responsabilité. Celle d’un État qui laisse des imbéciles et des psychotiques croupir en prison et devenir le jouet des pervers manipulateurs, celle d’une école qu’on prive de moyens et de soutien, celle d’une politique de la ville qui parque les esclaves (sans papiers, sans carte d’électeur, sans nom, sans dents) dans des cloaques de banlieue. Celle d’une classe politique qui n’a pas compris que la vertu ne s’enseigne que par l’exemple. » [4]
Récupérations. Nous ne sommes pas tous Charlie. Certains aimeraient se convaincre qu’ils le sont. En témoigne la présence dans la manifestation dimanche de dictateurs venus défiler au nom de ce qu’ils bafouent chaque jour. Reporters sans frontières « s’indigne de la présence à la “marche républicaine” à Paris de dirigeants de pays dans lesquels les journalistes et les blogueurs sont systématiquement brimés, tels l’Egypte, la Russie, la Turquie, l’Algérie et les Émirats arabes unis. Au classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respectivement 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180 ». Willem, un des dessinateurs de Charlie Hebdo, ironisait dans un journal néerlandais : « Ça me fait bien rien rire. Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis. »
Hypocrisie. Le communiqué absurde du ministère des affaires étrangères du Maroc, annonçant sa présence à la manifestation, qui précise : « Au cas où des caricatures du Prophète — prière et salut sur Lui —, seraient représentées pendant cette marche, le ministre des affaires étrangères et de la coopération ou tout autre officiel marocain ne pourraient y participer ». L’Arabie Saoudite, qui dénonce la « couardise » de ces assassinats, alors que débute la flagellation du blogueur libéral Raïf Badawi, condamné à 1000 coups de fouet pour avoir critiqué le clergé wahhabite.
Karim Émile Bitar, directeur de rechercher à l’IRIS : « Il est pour le moins ironique de voir une cinquantaine de chefs d’État, dont une belle brochette de chantres de l’autoritarisme, venir honorer des journalistes issus pour la plupart d’un courant de pensée de la gauche radicale, anarchiste et libertaire, hostile à toutes les formes d’État et d’autorités. Tristement ironique également d’assister depuis quelques jours à ce festival de tartufferies, qui aurait donné la nausée, ou peut-être aussi amusé, les victimes de la tuerie. »
Efforts. Non, tous les médias ne sont pas Charlie. Beaucoup de médias proclament qu’ils n’arrêteront pas le combat. Mais quel combat ? Celui pour la liberté de la presse ? Le combat pour faire vivre des médias indépendants des pouvoirs économiques et politiques ? Comment être à la hauteur de l’insolence de Charlie, de sa liberté de ton, de son irrévérence ? Alors que défilent des millions de personnes pour défendre la liberté de la presse, les médias sauront-ils se saisir de cet attachement renouvelé pour s’interroger, loin de la course au scoop, de la priorité à l’émotion et au spectaculaire, des commentaires stériles sur l’actualité ? Sauront-ils demain être à la hauteur de l’attente aujourd’hui suscitée ? A quoi sert la liberté de la presse si elle est mal utilisée ?
Conscience. Si nous sommes Charlie, citoyens debout pour la défense des libertés, nous ne pouvons rester indifférents à ce qui se joue dans le monde. Notamment au Nigeria, là où les massacres perpétrés par le groupe Boko Haram se sont multipliés ces derniers jours et ont plongé le pays dans l’horreur. Une quinzaine de villages ont été attaqués en quelques jours, « des centaines de corps jonchant le sol », décrivent les rares survivants. Si nous sommes Charlie, en conscience, nous ne pouvons pas fermer les yeux. Et faire comme si rien, ici, n’avait changé. Notre indignation, notre colère, notre mobilisation, ne peuvent pas être sélectives.
Agnès Rousseaux et Ivan du Roy
Photos : CC Roel Wijnants (une) / CC Emilien Etienne (11 janvier à Paris) / CC Gwenaël Piaser (11 janvier à Paris) / CC Valentina Media (7 janvier à Bruxelles)