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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 16:03

 

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/laurent-chemla

 

 

Rien à cacher

Quand on est, comme moi, un vieil activiste désabusé, il y a des lieux et des moments où on s’attend à déposer les armes.

Se reposer l’esprit en assistant à un débat réunissant des gens qui partagent nos idées. Écouter tranquillement sans avoir à repérer les pièges et les non-dits. Lâcher prise.

Et puis, paf le chien.

La question – l’éternelle question quand on parle de défense de la vie privée – était « mais que dire à ceux qui n’ont rien à cacher ? ».

La réponse m’a laissé sur ma faim.

 

La grande question

 

Non qu’elle fut mauvaise: il s’agissait d’expliquer qu’on a toujours besoin d’un espace privé pour s’interroger, pour plonger en soi-même, pour se forger une intime conviction hors de la pression du regard de l’autre. Il est toujours utile de le rappeler.

Il s’agissait, aussi, de rappeler qu’on ne vivra pas dans la même société quand, par exemple, nos assurances et nos banques sauront tout de nos questions en ligne sur le cancer. Nous y sommes presque.

En tout état de cause, c’était une bonne réponse. Elle aurait même été excellente jusqu’aux révélations d’Edward Snowden.

Mais aujourd’hui ?

Si les révélations d’Edward Snowden nous ont appris une chose, ce n’est pas que les états nous espionnent.

Ils l’ont toujours fait.

Ce n’est pas non plus que nos communications électroniques sont écoutées: cela nous le savions au moins depuis 1999 et la description par Duncan Campbell du programme Echelon dans un rapport au Parlement Européen.

Tout au plus avons nous eu confirmation de ce que beaucoup supposaient, et pris conscience de l’ampleur des écoutes et de la complicité des grands opérateurs américains dans la surveillance massive organisée par la NSA.

Mais ce qui constitue la vraie nouveauté, l’information principale du programme PRISM et de ses suites, c’est que l’information recherchée n’est pas ce que nous disons, mais à qui nous le disons. Le contenu de nos conversations reste intéressant bien sûr (surtout pour les entreprises qui ont intérêt à tout savoir de nos vies), mais pas tellement pour les états. Ce que veulent les états, c’est tout savoir de nos réseaux.

Ce sont nos « metadatas » qu’ils stockent, pour ensuite pouvoir, quand bon leur semble, décider qui surveiller plus spécifiquement.

 

Les contenants, pas les contenus

 

Le 18 décembre dernier, j’entendais un auditeur dire à Jean-Jacques Urvoas, sur France Inter, qu’il « doutait que les américains s’intéressent au contenu de son smartphone ». Et il a bien raison: le contenu de son smartphone, les américains s’en cognent.

Par contre, savoir où se trouve ce smartphone, avec qui il communique, et quand, ça c’est quelque chose qui, même pour un américain, a pas mal de valeur.

Parce que, qui sait, il est utilisé pour publier un « selfie » sur Facebook, pris devant une « personne d’intérêt » qui ne se doute de rien et qu’on pourra ensuite localiser précisément, à tel lieu et à tel instant, via la reconnaissance faciale (ou même – plus moderne – la reconnaissance par réflexion cornéenne). C’est devenu automatisable.

Parce que, allez savoir, le vieux pote devenu haut fonctionnaire, qui reprend contact après des années, est sous surveillance active, et que le simple fait que notre auditeur en ait été proche un jour pourra permettre de déterrer des informations compromettantes.

Ou bien encore, si notre auditeur est journaliste, parce que la source qu’il croit si bien protéger n’avait pas non plus désactivé son téléphone lors de leur rencontre et qu’il suffira de croiser les informations des deux appareils pour savoir qui était présent lors de l’interview secrète.

Ou même tout simplement pour comprommettre notre auditeur innocent, le jour où il sera lui-même devenu, par les aléas de la vie et de l’évolution normale de sa carrière, une personne d’intérêt: ce jour là, il aura sans doute des choses de son passé à cacher, qu’il pensait innofensives sur le moment mais qui pourront toujours servir un jour. Du genre « vous étiez à ce moment à cet endroit en compagnie de telle et telle autres personnes, qui depuis ont commis un attentat ». Qui sait ?

 

La bonne question

 

C’est pour cette raison que j’ai beaucoup de mal à supporter les réponses habituelles à La Grande Question du Je N’ai Rien À Cacher. Parce que la question n’est plus « pourquoi doit-on se protéger », mais bien « pourquoi doit-on protéger ceux avec qui on échange ».

Parce que, le jour où notre auditeur sera devenu « intéressant », il sera bien content de savoir que ceux avec qui il échangeait en toute innocence des années plus tôt avaient sécurisé leurs communications, désactivé la géolocalisation de leurs smartphones et évité de le prendre en photo bourré pour se foutre de sa gueule sur Facebook.

Ou pas.

Si je me bats – depuis bientôt 18 mois – pour faire exister un projet comme Caliopen, ce n’est pas (contrairement à ce que beaucoup croient, hélas et par manque d’explications assez claires de ma part) pour permettre à chacun de mieux se protéger.

Eh non.

C’est pour mieux protéger les autres.

 

Don’t shoot the rhino

 

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Une image, peut-être plus parlante que mes histoires de selfies piégés et d’attentats futurs, est celle qui demande aux visiteurs de cette réserve – où vivent des rhinocéros – de ne pas diffuser les photos qu’ils prennent sur les réseaux sociaux, ou sinon de désactiver la géolocalisation de leurs appareils.

Parce que celles-ci pourront, sinon, servir à indiquer aux braconiers où et quand vont les animaux qu’ils vont abattre pour leurs cornes.

C’est pour cette raison que, quelles que soient leurs qualités, je ne prête que peu d’intérêts à la majorité des initiatives de messageries sécurisées « post-snowden ». Non qu’elles soient inutiles, loin de là, mais simplement parce qu’elles répondent à un problème du siècle dernier.

Oui, se protéger soi-même est utile. Mais quand l’énorme majorité de nos correspondants ne le sont pas, alors nous sommes autant à l’abri de la surveillance que nos amis rhinocéros. Or – et même si c’est triste il faut se rendre à l’évidence – l’énorme majorité de nos contemporains ne va pas quitter Gmail, ne va pas cesser de publier des photos sur Facebook, ne va pas désactiver la géolocalisation de ses smartphones, ni rien de tout ça.

Parce que l’énorme majorité de nos contemporains n’a « rien à cacher » et qu’à ce jour personne ne lui explique que ce qu’elle a à cacher, c’est nous.

Vous avez un compte sur Fastmail ou Protonmail ? Grand bien vous fasse: vous faites partie de la minuscule minorité qui, quand elle s’envoie des emails à elle-même, protège sa vie privée (mais qui la dévoile dès lors qu’elle échange avec ses proches restés chez Google, ou via Facebook ou Twitter). Votre réseau de connaissance est tout aussi public que celui du reste du monde surveillé. Et le pire, peut-être, c’est que vous vous croyez à l’abri.

Protéger son email alors qu’on continue de dialoguer par SMS, IRC, Jabber, Facebook et Twitter ? Sérieusement, qui peut croire que ça va géner les NSA de ce monde ?

Si Caliopen est utile un jour, ce ne sera pas parce qu’il protègera ses utilisateurs, mais parce qu’il leur fera prendre conscience de la portée de leurs actes quand ils échangent avec des proches peu ou pas protégés. Mais ce ne doit pas être une fin en soi.

 

Vie privée SGDG

 

Dans son dernier article sur Rue89, Amaelle Guiton rappelle superbement que la sécurité informatique n’a pas besoin d’être parfaite pour être utile. Un point manque, cependant, dans son texte, et que je voudrais rappeler à mon tour: la surveillance de masse n’est pas qu’une question technique. C’est aussi une question économique.

Quelles que soient les capacités de déchiffrement de la NSA, il lui en coûtera toujours plus pour réunir des informations sur chacun d’entre nous si nous augmentons notre niveau de protection que si nous ne le faisons pas.

Si – un jour – suffisamment de monde utilise des outils de cryptographie. Si – rêvons un peu – un projet comme Caliopen permet un jour de faire prendre conscience à un nombre assez important d’utilisateurs que leur protection passe par la protection de leurs proches, alors peut-être peut-on espérer que ce coût augmentera assez pour que les bailleurs de fonds des grandes oreilles jettent l’éponge et qu’elles retournent à des pratiques d’espionnage plus ciblées (parce que – et là cessons de rêver – nul ne sera jamais à l’abri d’une surveillance ciblée).

Et si, au passage, nous réapprenons, tous, la valeur de notre vie privée et les risques que sa perte fait peser sur nos sociétés, alors, qui sait, peut-être que notre futur n’est pas si sombre.

 

Posté dans: Non classé

 

 

Source : blogs.mediapart.fr/blog/laurent-chemla

 

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:54

 

Source : www.bastamag.net

 

 

 

Le jour d’après

Après l’émotion et la mobilisation, quels défis pour la société française et la défense des libertés dans le monde ?

par Agnès Rousseaux, Ivan du Roy 13 janvier 2015

 

 

 

 

 

 

Difficile de trouver les mots après les événements tragiques des derniers jours et l’immense mobilisation citoyenne. La solidarité, l’émotion collective, la détermination, succèdent à l’horreur. L’agacement aussi parfois, la peur, les amalgames, les hypocrisies, les tentatives de récupération. Face à la complexité de la situation et de ses implications, l’analyse n’est pas simple : nous avons donc choisi quelques thèmes pour tenter de comprendre ce qui se joue ici. Pour tenter d’extraire du sens de cette avalanche de commentaires, d’analyses, d’expressions, de polémiques en devenir. Pour jouer aussi notre rôle de veilleurs, vigilants sur les conséquences de ces événements, sur ce que sera la France, le jour d’après.

Plus de trois millions de Français sont descendus dans la rue dimanche. Une mobilisation sans précédent. A Paris, deux millions de personnes ont marché en hommage aux victimes des attaques terroristes. Ils étaient 300 000 à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 110 000 à Grenoble, 70 000 à Clermont-Ferrand, 115 000 à Rennes, et un nombre impressionnant aussi dans les petites villes et villages… Une cinquantaine de chefs d’État étaient présents aux côtés de François Hollande dans les rues de Paris [1].

Une mobilisation inédite, où l’on aura vu la foule applaudir au passage des fourgons de police. Où l’on aura défilé contre le terrorisme, pour la liberté de la presse, la liberté d’expression, en hommage à des journalistes, à des policiers, à la mémoire des victimes d’un crime antisémite. En pensant aussi à tous ceux qui demain devront supporter les conséquences de ces événements. En premier lieu les musulmans, qui, dans le grand bazar des amalgames, sont déjà la cible de plusieurs actes islamophobes un peu partout sur le territoire (lire notre article). Difficile de trouver les mots pour décrire cette mobilisation. Entre émotion face aux événements tragiques et à ce réveil citoyen, et agacement face à un unanimisme construit par nos dirigeants. Entre un événement qui laisse sans voix, et qui suscite pourtant une avalanche de commentaires, le besoin de parler, discuter, échanger, analyser.

Une question est sur toutes les lèvres : « Et demain ? ». Que sera la France, le jour d’après ? Voici quelques mots pour tenter de comprendre. Et pour inviter à la vigilance.

Peur. Une phrase circule, reprise un peu partout. Celle de Fabian Stang, maire d’Oslo, après la tuerie de l’île Utøya perpétrée par le néo-nazi Anders Breivik en 2011, qui a fait 69 morts : « Nous allons punir le coupable. La punition, ce sera plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie. » Dimanche, dans les mobilisations, un message fort : « Nous n’avons pas peur », la peur ne passera pas. Saurons-nous transformer cela en une exigence de plus de démocratie et de tolérance en France ? Ou verrons-nous une énième loi liberticide être votée au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme ?

Terrorisme. Certains comparent cet évènement au 11 septembre 2001, une raison de plus pour s’interroger sur la façon dont les États-Unis ont répondu à cet événement en instaurant le Patriot Act. Évitons de reproduire les mêmes erreurs.

Patrick Viveret, philosophe : « L’extension du terrorisme alimenté par le fanatisme qu’exprime aujourd’hui Daesh est en effet une conséquence directe de la politique conduite par l’administration Bush en réponse aux attentats du 11 septembre. Le désastre de cette politique est patent tant à l’extérieur des États-Unis qu’à l’intérieur. D’un côté c’est le double échec de l’intervention militaire en Afghanistan qui conduit aujourd’hui au retour en force des talibans, et, plus encore, en Irak dont la désagrégation a permis la création d’un État terroriste qui instrumente l’Islam pour habiller ses crimes d’une justification prétendument religieuse.

De l’autre, à l’intérieur, ce sont les atteintes majeures aux libertés organisées par le Patriot Act, les crimes contre l’humanité commis dans les camps de torture organisés par la CIA, les logiques de peur et de repli identitaires qui conduisent aux régressions racistes malgré la présence historique d’un président noir à la maison blanche. Autant dire que ce sont les valeurs fondamentales de l’Amérique qui sont aujourd’hui menacées beaucoup plus efficacement par les conséquences de la politique de Bush que par l’attentat organisé par Ben Laden. Il en serait de même si, par malheur, une France saisie par ce que Wilhem Reich nommait "la peste émotionnelle", se laissait embarquer dans une double logique de guerre extérieure et intérieure, la première alimentant d’autant plus la seconde. » (…) « une logique de peur et de repli identitaire faciliterait encore davantage la lepénisation des esprits. Ce serait pour nos amis de Charlie une seconde mort » [2].

Alors que le gouvernement annonce déjà vouloir étudier de nouvelles mesures législatives, La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, avertit : « Depuis 1986 chaque acte terroriste a été suivi d’une loi antiterroriste, lesquelles entraînent systématiquement un recul des libertés fondamentales au prétexte de la sécurité. Aujourd’hui, la dernière loi votée en novembre n’est même pas encore entrée en application que le gouvernement en annonce déjà de nouvelles, sans prendre le moindre temps de réflexion ou de mise à l’épreuve de la réalité, des effets ou de l’efficacité de ces lois. »

Guerre. Si la portée d’un acte terroriste se mesure à la réaction de la victime, par ces mobilisations, nous donnons aussi de la puissance à cet acte. Mais il ne s’agit pas de tomber dans les délires de ceux qui y voient une déclaration de guerre. Ceux qui voudraient nous entrainer sur le terrain de la guerre de civilisation. Ceux qui emploient des formules toute faites pour empêcher de penser, « renvoyant de manière calamiteuse aux déclarations de George Bush et des faucons américains au lendemain du 11-Septembre » (Médiapart). Un attentat perpétré par des fous au nom de la religion, par quelques individus au nom d’une idéologie, ne peut être assimilé à une guerre. « Les frères Kouachi, Coulibaly, comme Merah, ne sont pas plus musulmans qu’islamistes. Ils sont des Français, passés par la délinquance et la case prison avant de s’enfermer dans une radicalisation terroriste habillée de quelques minables oripeaux idéologiques », analysent François Bonnet et Edwy Plenel.

 

 

Prisons. Chérif et Saïd Kouachi, Amédy Coulibaly, mais aussi Mohamed Merah – qui a assassiné sept personnes, dont trois enfants de confession juive et trois militaires (dont deux de confession musulmane) –, Mehdi Nemmouche – auteur présumé de l’attaque contre le Musée juif de Belgique qui a tué quatre personnes le 24 mai 2014 à Bruxelles – et Khaled Kelkal – membre du Groupe islamique armé (GIA) algérien et impliqué dans la vague d’attentats qui touche la France en 1995 et fait dix morts (huit victimes lors de l’attentat à la bombe du RER B à Saint-Michel, un imam et son assistant assassinés dans le 18ème arrondissement) et 200 blessés – se sont tous radicalisés en prison, au contact de militants islamistes, après avoir sombré ou flirté avec la petite délinquance.

Cela pose crûment la question du rôle de l’institution carcérale dans la société française. La prison est considérée comme la réponse pénale prioritaire face à la petite délinquance, à ceux qui récidivent. Fin décembre, 67 105 personnes étaient incarcérées en France, dont une sur quatre n’ont pas encore été jugées (17 526 prévenus). Pourquoi est-elle le lieu privilégié de la radicalisation menant à de dramatiques passages à l’acte ? Comment l’éviter ? Comment ouvrir d’autres horizons que cette radicalisation à des jeunes gens condamnés pour des délits de droit commun, alors que les actions de prévention et de luttes contre la récidive, autre que l’emprisonnement, ont été décriées depuis tant d’années ?

Désolidarisation. Le jour même de l’attentat contre Charlie Hebdo, certains enjoignent les Français de confession musulmane à réaffirmer leur attachement aux valeurs de la République. Comment ne pas voir la violence de cette injonction à la désolidarisation ? Comme si, parce qu’on est musulman, on pouvait être a priori solidaire de cet attentat. Demande-t-on aux Français de confession chrétienne, à tous les Français, de se désolidariser des actes islamophobes perpétrés depuis quelques jours ? Sans compter l’absurdité qu’il y a à renvoyer publiquement des citoyens français à leur islamité, alors qu’on leur demande chaque jour de mettre cette part de leur identité en sourdine, de ne l’exprimer que dans l’intimité. Une telle injonction à la désolidarisation fait bien sûr le jeu de l’extrême droite, mais aussi de l’islamisme, par les amalgames qu’il génère, la souffrance ou l’exaspération légitime qu’il provoque chez ceux qui sont visés, sommés de donner des gages de leur appartenance à la communauté française, de leur citoyenneté.

« Comment les musulmans pourraient-ils se dissocier d’actes auxquels ils ne se sont jamais associés ? Pourquoi les musulmans auraient-ils à se dissocier de leurs bourreaux ? », écrivent des responsables de collectifs et réseaux citoyens des quartiers populaires et de lutte contre les discriminations. Le fait que plusieurs victimes soient de confession musulmane renforce l’absurdité de cette injonction.

« Peut-être que la plupart des musulmans sont pacifiques, mais jusqu’à ce qu’ils reconnaissent et détruisent leur cancer djihadiste, ils doivent être tenus pour responsables », ose affirmer le milliardaire états-unien Rupert Murdoch le 10 janvier sur Twitter. En réponse à ces propos islamophobes, J.K. Rowling, auteur de la série Harry Potter, rétorque : « Je suis née chrétienne. Si cela me rend responsable de ce que dit Murdoch, je m’auto-excommunie. »

Amalgame. Tout cela nourrit l’amalgame. En témoigne la stigmatisation que subissent les jeunes de Seine-Saint-Denis, pointés du doigt lors de quelques perturbations de la minute de silence, organisée le 9 janvier en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Marie, enseignante en Seine-Saint-Denis : « Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
Pas d’amalgame, dit-on. Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne. Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées. »
(Pour mes élèves de Seine Saint-Denis, 10 janvier 2015).

Démocratie. Certains commentateurs soulignent l’importance de continuer à débattre. A dire qu’on peut ne pas être d’accord avec les positions de Charlie, à trouver certaines caricatures malvenues. Car la démocratie, c’est cela : la possibilité de la critique, du débat, de l’engueulade, du désaccord.

 

 

Abdelkrim Branine, rédacteur en chef de Beur FM : « Pour la petite minorité de crapules qui disent que Charlie Hebdo a pu mériter ce qui est arrivé, je laisse faire la justice. Ceux qui disent « Je ne suis pas Charlie » le font parfois de façon maladroite, mais il faut les écouter. Il ne faut pas faire de chantage intellectuel et dire comme le président George W. Bush : « Vous êtes avec nous ou contre nous ». Ils veulent simplement dire qu’ils n’étaient pas d’accord avec Charlie Hebdo, sa manière de traiter l’islam et les musulmans. Plus que le fait, réputé sacrilège, de caricaturer le prophète Mahomet, c’est un dessin le montrant avec une bombe dans son turban qui a choqué [en fait un dessin du quotidien danois Jyllands-Posten, republié en 2006]. Il s’apparentait à de l’islamophobie en liant islam et terrorisme. Mais ces désaccords, dans le cas de la tuerie qui a touché Charlie Hebdo, ne comptent pas. Et on n’a pas besoin de dire « Je suis Charlie » pour partager la peine des familles. » [3]

Solidarité internationale. Afghanistan, Algérie, Égypte, Irak, Kurdistan, Mali, Maroc, Palestine, Syrie, Tunisie… Les fronts où la bataille politique se mène contre le totalitarisme islamiste sont nombreux. Des mouvements sociaux y luttent de manière non violente pour les droits et l’émancipation. Et leurs ennemis sont multiples : les groupes armés se réclamant du djihad et de l’islam fondamentaliste mais aussi des dictatures, des régimes autoritaires, des lois répressives, des troupes d’occupation militaire. Il n’y a qu’à constater la périlleuse situation des médias et blogs indépendants du Moyen Orient qui tentent, malgré les risques d’assassinats, d’emprisonnements, de tortures, de châtiments corporels, d’informer – lumières vacillantes en faveur de la liberté d’expression.

Nombre de ces mouvements sont en contact avec des associations et des ONG françaises et européennes. Et ont besoin de leur soutien, comme l’a montré le rôle important qu’a joué l’organisation du Forum social mondial à Tunis en 2013 (lire notamment ici), après le renversement de la dictature Ben Ali, et qui se tiendra à nouveau dans la capitale tunisienne fin mars 2015. Mais ce combat, ces engagements, ces solidarités concrètes ne sont pas suffisamment visibles. Ni la bataille contre le totalitarisme fondamentaliste qui doit être érigé en priorité au même titre que d’autres indispensables combats, y compris sur le sol européen.

Vivre-ensemble. Lorsque l’émotion sera retombée, que les esprits seront un peu apaisés, il faudra prendre le temps de l’analyse de ce qui nous a amenés à ça. Une auto-critique lucide et sans complaisance, le bilan de ces années de démission politique. Pourquoi des gamins paumés aujourd’hui en France se font embrigader ? Pourquoi des jeunes partent faire le djihad en Syrie ? Faire le bilan de ces corps intermédiaires qui se délitent, des associations qui n’ont plus les moyens de faire leur travail sur le terrain. Se demander pourquoi, parfois, nous ne sommes plus capables de penser le vivre-ensemble, de manière sereine. Il ne s’agit pas seulement d’embrigadement religieux, mais aussi comprendre pourquoi tant de jeunes choisissent de se fourvoyer dans des idéologies basées sur la négation de l’autre et le rejet de son humanité, notamment à l’extrême-droite.

Catherine Robert, Isabelle Richer, Valérie Louys et Damien Boussard, professeurs en Seine-Saint-Denis : « Si les crimes perpétrés par ces assassins sont odieux, ce qui est terrible, c’est qu’ils parlent français, avec l’accent des jeunes de banlieue. Ces deux assassins sont comme nos élèves. Le traumatisme, pour nous, c’est aussi d’entendre cette voix, cet accent, ces mots. Voilà ce qui nous a fait nous sentir responsables. Évidemment, pas nous, personnellement : voilà ce que diront nos amis qui admirent notre engagement quotidien. Mais que personne, ici, ne vienne nous dire qu’avec tout ce que nous faisons, nous sommes dédouanés de cette responsabilité. Nous, c’est-à-dire les fonctionnaires d’un État défaillant, nous, les professeurs d’une école qui a laissé ces deux-là et tant d’autres sur le bord du chemin des valeurs républicaines, nous, citoyens français qui passons notre temps à nous plaindre de l’augmentation des impôts, nous contribuables qui profitons des niches fiscales quand nous le pouvons, nous qui avons laissé l’individu l’emporter sur le collectif, nous qui ne faisons pas de politique ou raillons ceux qui en font, etc. : nous sommes responsables de cette situation. Ceux de Charlie Hebdo étaient nos frères : nous les pleurons comme tels. Leurs assassins étaient orphelins, placés en foyer : pupilles de la nation, enfants de France. Nos enfants ont donc tué nos frères. Tragédie. Dans quelque culture que ce soit, cela provoque ce sentiment qui n’est jamais évoqué depuis quelques jours : la honte. » (...)

« Personne, dans les médias, ne dit cette honte. Personne ne semble vouloir en assumer la responsabilité. Celle d’un État qui laisse des imbéciles et des psychotiques croupir en prison et devenir le jouet des pervers manipulateurs, celle d’une école qu’on prive de moyens et de soutien, celle d’une politique de la ville qui parque les esclaves (sans papiers, sans carte d’électeur, sans nom, sans dents) dans des cloaques de banlieue. Celle d’une classe politique qui n’a pas compris que la vertu ne s’enseigne que par l’exemple. »  [4]

Récupérations. Nous ne sommes pas tous Charlie. Certains aimeraient se convaincre qu’ils le sont. En témoigne la présence dans la manifestation dimanche de dictateurs venus défiler au nom de ce qu’ils bafouent chaque jour. Reporters sans frontières « s’indigne de la présence à la “marche républicaine” à Paris de dirigeants de pays dans lesquels les journalistes et les blogueurs sont systématiquement brimés, tels l’Egypte, la Russie, la Turquie, l’Algérie et les Émirats arabes unis. Au classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respectivement 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180 ». Willem, un des dessinateurs de Charlie Hebdo, ironisait dans un journal néerlandais : « Ça me fait bien rien rire. Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, disent être nos amis. »


 

Hypocrisie. Le communiqué absurde du ministère des affaires étrangères du Maroc, annonçant sa présence à la manifestation, qui précise : « Au cas où des caricatures du Prophète — prière et salut sur Lui —, seraient représentées pendant cette marche, le ministre des affaires étrangères et de la coopération ou tout autre officiel marocain ne pourraient y participer ». L’Arabie Saoudite, qui dénonce la « couardise » de ces assassinats, alors que débute la flagellation du blogueur libéral Raïf Badawi, condamné à 1000 coups de fouet pour avoir critiqué le clergé wahhabite.

Karim Émile Bitar, directeur de rechercher à l’IRIS : « Il est pour le moins ironique de voir une cinquantaine de chefs d’État, dont une belle brochette de chantres de l’autoritarisme, venir honorer des journalistes issus pour la plupart d’un courant de pensée de la gauche radicale, anarchiste et libertaire, hostile à toutes les formes d’État et d’autorités. Tristement ironique également d’assister depuis quelques jours à ce festival de tartufferies, qui aurait donné la nausée, ou peut-être aussi amusé, les victimes de la tuerie. »

Efforts. Non, tous les médias ne sont pas Charlie. Beaucoup de médias proclament qu’ils n’arrêteront pas le combat. Mais quel combat ? Celui pour la liberté de la presse ? Le combat pour faire vivre des médias indépendants des pouvoirs économiques et politiques ? Comment être à la hauteur de l’insolence de Charlie, de sa liberté de ton, de son irrévérence ? Alors que défilent des millions de personnes pour défendre la liberté de la presse, les médias sauront-ils se saisir de cet attachement renouvelé pour s’interroger, loin de la course au scoop, de la priorité à l’émotion et au spectaculaire, des commentaires stériles sur l’actualité ? Sauront-ils demain être à la hauteur de l’attente aujourd’hui suscitée ? A quoi sert la liberté de la presse si elle est mal utilisée ?

Conscience. Si nous sommes Charlie, citoyens debout pour la défense des libertés, nous ne pouvons rester indifférents à ce qui se joue dans le monde. Notamment au Nigeria, là où les massacres perpétrés par le groupe Boko Haram se sont multipliés ces derniers jours et ont plongé le pays dans l’horreur. Une quinzaine de villages ont été attaqués en quelques jours, « des centaines de corps jonchant le sol », décrivent les rares survivants. Si nous sommes Charlie, en conscience, nous ne pouvons pas fermer les yeux. Et faire comme si rien, ici, n’avait changé. Notre indignation, notre colère, notre mobilisation, ne peuvent pas être sélectives.

Agnès Rousseaux et Ivan du Roy

@AgnèsRousseaux
@IvanduRoy

Photos : CC Roel Wijnants (une) / CC Emilien Etienne (11 janvier à Paris) / CC Gwenaël Piaser (11 janvier à Paris) / CC Valentina Media (7 janvier à Bruxelles)

 

Notes

[1La chancelière Angela Merkel, le Britannique David Cameron, l’Espagnol Mariano Rajoy, l’Italien Matteo Renzi, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita...

[2Source, Libération, 11 janvier 2015.

[3Source : « Il faut écouter ceux qui disent “Je ne suis pas Charlie” », Le Monde.

[4Source.


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Source : www.bastamag.net

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:40

 

Source : www.bastamag.net


 

 

Libre-échange

Traité commercial Tafta : Bruxelles consulte mais n’écoute pas

par Sophie Chapelle 14 janvier 2015

 

 

 

 

C’est une consultation au succès inespéré. Mais son résultat est qualifié aujourd’hui de « parodie de la démocratie » par les opposants au Tafta, l’accord commercial en cours de négociations entre les États Unis et l’Europe (notre dossier). Entre mars et juillet dernier, la Commission européenne avait ouvert une consultation, accessible aux citoyens, sur le « mécanisme de règlement des différends investisseurs - États » (« ISDS » pour l’acronyme anglais) prévu dans le traité de libre-échange. Le dispositif ISDS permet aux entreprises de porter plainte contre un État ou une collectivité territoriale, dès lors qu’une loi ou une réglementation jugée trop contraignante entrave leurs investissements, y compris leurs prévisions de bénéfices futurs (voir notamment comment s’en sert l’industrie du tabac).

Dans un rapport publié le 13 janvier, la Commission européenne rend compte des premiers résultats de la consultation publique sur le volet Investissement du projet transatlantique [1]. Sur les 150 000 personnes qui y ont participé, la Commission reconnaît qu’une grande majorité – au moins 97 % – fait part de leur préoccupation ou de leur opposition à l’ISDS, ou au traité Tafta de manière plus générale. Avant de préciser que cette avalanche de réponses critiques serait liée aux organisations de la société civile qui ont donné au grand public, via des modules électroniques pré-remplis, la possibilité de participer au processus consultatif.

 

Une contestation minorée

Si la Commission reconnait que « la consultation montre clairement l’existence d’un énorme scepticisme par rapport à l’instrument ISDS », elle classe néanmoins les réponses en différentes catégories. Selon Les Echos, « seules les réponses de 3 000 citoyens individuels et celles des organisations professionnelles, des syndicats et des cabinet d’avocats (450) ont été utiles au débat », le reste étant « hors sujet ». Ignorer ces voix constitue une bien étrange conception de la démocratie... Pour justifier cette discrimination, la Commission européenne a rappelé lors de sa conférence de presse que les États membres lui ont demandé à l’unanimité de négocier un tel mécanisme. A l’issue de cette consultation, elle projette donc de travailler sur l’instauration d’un mécanisme d’appel de ces décisions d’arbitrage, et la manière d’éviter les recours abusifs de certaines entreprises.

Pour le réseau Seattle to Brussels (S2B), spécialiste des questions commerciales, cette consultation est une « parodie de la démocratie ». « La Commission européenne fait preuve d’un mépris total pour la voix des peuples qui se sont mobilisés en masse pour exprimer leur opposition au traitement VIP des investisseurs dans les négociations UE-EU », affirme Paul de Clerck des Amis de la Terre Europe, membre de S2B. En France, le collectif Stop Tafta rappelle que « c’est un rejet que les populations attendent ». Les organisations du collectif appellent les citoyens à accroitre leur pression sur le gouvernement français qui doit se prononcer sur ce mécanisme, ainsi que sur la Commission et le Parlement européens, « afin que l’arbitrage d’investissement soit enterré une bonne fois pour toutes ». Des mobilisations sont prévues à Bruxelles, à l’occasion du prochain cycle de négociations du 2 au 6 février.

@Sophie_Chapelle

 


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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:27

 

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Témoignages Alternative

Forêt comestible, tourisme solidaire et école alternative : une oasis d’utopies concrètes ouverte sur le monde

par Jessica Bonvoisin, Samuel Bonvoisin 14 janvier 2015

 

 

 

 

 

Et si on arrêtait d’être « contre », pour proposer des solutions concrètes ? Pour transformer l’agriculture et inventer d’autres manières d’apprendre. Et changer notre regard sur nous-même et sur le monde. C’est à ces défis que Jessica et Samuel ont voulu répondre. Ces deux trentenaires, installés dans la Drôme, se lancent dans la création d’un « Oasis en tout lieu » – un concept initié par l’agriculteur et écrivain Pierre Rabhi – qui allie ferme en permaculture, espace d’apprentissage basé sur des pédagogies alternatives et lieu d’accueil pour tourisme solidaire. Objectif : créer leur emploi et construire leur projet de vie, en lien avec un territoire et ses habitants, tout en réinventant les modes de production et d’échange. Témoignage d’un cheminement vers la construction d’une utopie concrète.

Trentenaires engagés, parents de trois jeunes enfants, nous avons quitté il y a 18 mois la ville de Lille avec cette question en tête : et si on arrêtait d’être « contre » ? Nous sentions le besoin de tourner le dos à « l’ère des problèmes » et le désir de poser notre pierre dans « le champ des solutions ». C’est ainsi qu’est né le projet de l’Oasis de Serendip.

Nous sommes ingénieurs agronomes, avec deux parcours très différents : Jessica est le rat des villes et Samuel celui des champs. Pendant sept ans, Jessica a travaillé au sein d’une association régionale de producteurs biologiques. Elle y a notamment mené un projet visant à rendre les produits bio plus accessibles à tous, et notamment aux familles à petit budget. Samuel a vécu des expériences riches dans des mouvements d’éducation populaire, il a contribué à la création de l’association Terre de Liens dans le Nord-Pas de Calais (association qui vise à faciliter l’accès au foncier agricole pour de nouvelles installations paysannes). Ces dernières années, c’est à RECit, le Réseau des Écoles de Citoyens, qu’il a pu expérimenter divers outils d’intelligence collective et découvrir des expériences liées aux pédagogies alternatives.

Inventer le modèle agricole de demain

Jusqu’à récemment, nous avons beaucoup été « contre » : la guerre en Irak, les OGM, la réforme des retraites,… C’est en lisant et en rencontrant des personnalités comme Marc Dufumier, Pierre Rabhi, Antonella Verdiani, Caroline Soost, Isabelle Peloux que nous avons réalisé qu’il est possible d’utiliser notre énergie autrement, en nous mettant au service du respect de l’humain, de la terre, et d’un partage plus équitable des ressources. Qu’il est possible de produire efficacement et en quantité sur de petites surfaces agricoles. Que chaque école devrait avoir accès à un carré de terre et à des outils d’artisanat pour permettre aux enfants d’expérimenter le jardinage, l’agriculture, la création. Que la communication non-violente et la bienveillance sont indispensables pour que l’enfant se construise sur des bases solides. Que tous peuvent apprendre dans la joie, si chacun avance à son rythme et avec les outils qui lui conviennent. Qu’il est précieux – et sans doute plus encore dans les années qui viennent – de connaître les fruits et légumes de saison et les plantes comestibles, de savoir les cultiver, et les cuisiner. Que chacun peut faire sa part pour construire un monde plus juste, sans attendre que le changement vienne d’en haut.

La création d’une ferme nous a semblé le projet le plus urgent et le plus judicieux. Mais quel modèle agricole choisir ? Les systèmes agricoles alternatifs donnent parfois peu envie : temps de travail très conséquent, faible revenu, difficulté à faire reconnaître la profession… Nous en sommes arrivés à cette conclusion : le modèle agricole de demain n’existe pas ! A l’image de ce que réalisent Charles et Perrine à la ferme du Bec Hellouin (lire le reportage de Basta !), nous croyons que c’est par la redécouverte des savoir-faire anciens – comme l’utilisation de l’arbre dans les systèmes agricoles – et en les combinant avec des techniques plus récentes, comme la forêt comestible, que nous contribuerons à inventer l’agriculture de demain.

L’éducation : une présence bienveillante pour que chacun puisse découvrir et libérer ses potentialités

Nous avons également eu la chance de visiter plusieurs classes animées avec des pédagogies dites alternatives, et avons vu les résultats sur les élèves. Nous ne parlons pas (seulement) de résultats scolaires, mais plutôt d’élèves bien dans leurs baskets, respectueux des autres et de la planète sur laquelle ils vivent. Dans une classe où chaque enfant se sent accueilli tel qu’il est, a le droit à la parole et peut s’impliquer dans ses apprentissages, les résultats académiques suivent ! Des instituteurs, des profs – comme Céline Alvarez, Caroline Sost, Isabelle Peloux – en font la démonstration dans leurs classes.

« Nous venons au monde avec le meilleur, le plus adapté et le plus incroyable des dispositifs d’apprentissage jamais inventés : le jeu. Et avec une qualité invincible : l’enthousiasme, analyse André Stern, musicien, auteur et journaliste, qui n’est jamais allé à l’école. Beaucoup croient, de nos jours encore, qu’il existe des gens bêtes et des gens intelligents et que cela est génétique, atavique et/ou fixé à la naissance. Cette croyance obsolète est bien pratique, car elle permet de répartir les uns et les autres en catégories définitives. Or, la neurobiologie moderne a démontré que le processus est aussi simple que limpide : l’enthousiasme agit comme un engrais. Là où nous nous enthousiasmons, notre cerveau se développe de manière rapide et spontanée. (…) En état d’enthousiasme, plus rien n’est inaccessible, et apprendre se "fait tout seul". »

Nos chemins mènent à l’Oasis

A partir de ces découvertes, de ces rencontres, nous avons souhaité utiliser nos compétences et connaissances pour construire un projet qui nous ressemble. Cette étape a été complexe, car il nous semblait impossible de construire un projet agricole sans y inclure un volet éducatif. Et comment envisager de transmettre des savoirs et savoir-faire sans utiliser des supports vivants ? Créer une ferme qui soit la plus autonome possible, oui, mais comment l’intégrer au territoire, et comment impliquer les habitants des environs ? Ce décloisonnement indispensable des activités et le souhait de vivre et travailler avec des individus de tous âges, nous ont vite amenés à répondre avec enthousiasme à l’appel de Pierre Rabhi pour la création d’Oasis en tous lieux. Ce manifeste, diffusé en 1997, incitait les citoyens à lutter contre la désertification économique, culturelle et sociale et des campagnes. De petits groupes locaux ont ainsi créé leur Oasis, et y expérimentent des techniques respectueuses de l’homme et de l’environnement dans des domaines aussi variés que l’habitat, l’énergie, l’alimentation, la culture…

Savez-vous qu’il existe un nom correspondant au fait de « trouver autre chose que ce qu’on cherchait » ? C’est la « sérendipité ». Un concept qui fait écho au conte des trois princes de Serendip (un ancien nom du Sri Lanka), dans lequel trois princes partis découvrir le monde se retrouvent en mauvaise posture. Leur curiosité et leur ouverture au monde qui les entoure les sauvent d’un mauvais pas. Comme dans le conte des trois princes de Serendip, nous mettons à profit la multitude de nos expériences personnelles et professionnelles pour créer l’Oasis de Serendip. Implanté selon les principes de la permaculture, c’est un lieu où l’on pourra venir apprendre à tout âge, observer, partager. Où les familles pourront venir vivre des moments de partage autour d’activités de découverte de la nature.

Lier agriculture, éducation et accueil touristique

Cet Oasis aura trois pôles d’activité interdépendants : agricole, éducatif, touristique. Une production agricole d’abord, avec la plantation d’une forêt comestible, et l’application des principes de la permaculture pour utiliser au mieux les ressources. Le concept de forêt comestible ou forêt jardin est encore peu connu en France, mais il s’agit de cultiver sur un espace restreint le plus possible d’espèces générales comestibles ou utiles à l’homme, en favorisant les synergies. On veille ainsi à mêler des grands arbres (comme des châtaigniers), des arbres fruitiers classiques des vergers (cerisiers, abricotiers), des arbustes (la plupart des petits fruits rouges), des rhizomes (carottes, betteraves), des herbacées (chou, artichaut), des plantes rampantes (fraisiers), grimpantes (vigne, haricots), et des champignons. Ce système devient stable au bout d’une quinzaine d’années. Il est autonome – pas d’intrants extérieurs, pas d’arrosage – et résilient.

Deuxième volet, nous prévoyons l’installation d’hébergements touristiques accessibles à toutes les bourses – camping autogéré, chambres d’hôtes, gîtes. Et enfin, d’une
« école » de 7 à 117 ans, pour permettre à chacun d’apprendre à son rythme et à sa manière. Les pédagogies alternatives (Montessori, Steiner, Freinet) auront leur place dans cette école, et des stages permettront d’approfondir ses connaissances en permaculture, en cuisine des produits de saison, en jardinage – pour les enfants et les adultes, pendant les vacances, et plus tard sur le temps scolaire.

Cultiver les « effets de lisière »

Nous voulons favoriser les interactions entre les différents publics – habitants, travailleurs, vacanciers, enfants, adolescents, adultes… Nous croyons que chacun peut contribuer avec ses compétences et son enthousiasme, et s’enrichir des autres. Afin de maintenir la complexité du système et cultiver cette richesse, nous misons sur ce qu’en permaculture on appelle les « effets de lisière » : des phénomènes qui ne se produisent qu’à l’interface de deux milieux différents.

Ainsi, on sait qu’une végétation spécifique se développe en zone côtière, à l’interface entre la terre et la mer. Dans l’Oasis, les élèves de l’école pourront utiliser la forêt comme un formidable terrain de jeu et d’apprentissage, plus ou moins guidé. Les vacanciers pourront contribuer à l’entretien du lieu, en apprendre plus sur la permaculture, et aller récolter les ingrédients de leur déjeuner dans la forêt. Deux exemples parmi tous les possibles que permettrait un tel lieu. Nous sommes convaincus qu’une fois l’Oasis implantée, une grande variété de nouvelles interactions se révèleront.

L’Oasis de Serendip, un « cocon » pour privilégiés ?

Nous souhaitons construire cette oasis en lien avec le territoire sur lequel nous vivons, celui de la vallée de la Drôme, la si jolie Biovallée. Nous voulons associer les habitants de cette vallée à la plantation et à l’entretien de la forêt comestible, pour qu’ils se l’approprient, et en récoltent les fruits le moment venu. Notre objectif est que chaque arbre planté ait un parrain ou une marraine, du village d’à côté ou d’un peu plus loin, pour que cette forêt comestible soit une aventure collective.

Cette ouverture de l’Oasis au monde est capitale. Nous ne voulons pas créer un lieu de vie et d’expérimentation qui resterait un cocon pour privilégiés, « protégé » du reste du monde. Toutes les bonnes volontés y seront bienvenues pour aménager le lieu, planter la forêt comestible, construire des bâtiments d’accueil… Mais aussi pour mesurer, étudier, calculer tout ce qui peut l’être, pour ensuite pouvoir partager nos résultats agricoles, énergétiques, éducatifs.

L’utopie au service du réel

Notre projet peut évidemment paraître naïf. Et de ce fait, difficilement réalisable. Mais nous croyons en la capacité collective à construire plutôt que de détruire. Les réactions chaleureuses et les propositions d’aide au montage du projet, de coups de main, de chantiers collectifs, et même d’aide au financement nous arrivent de plusieurs coins de France. Notre communication, tantôt sérieuse, tantôt humoristique – comme la campagne #adopteunarbre – nous permet de toucher des personnes plus ou moins sensibilisées à la permaculture, ou à l’écologie.

Nous avons identifié des lieux qui peuvent accueillir notre Oasis et espérons pouvoir nous y installer dans les mois à venir. Une campagne de récolte de fonds (sur KissKissBankBank) est en cours pour quelques jours encore. Quelle que soit son issue, l’aventure de l’Oasis ne fait que démarrer.

Jessica et Samuel Bonvoisin

- Pour en savoir plus et pour rester informés de la construction du projet (via une newsletter), le site de l’Oasis de Serendip : www.oasisdeserendip.net

 


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Source : www.bastamag.net

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:18

 

 

  Source : www.mediapart.fr

 

Dialogue social : le droit du travail est en péril

|  Par Laurent Mauduit

 

 

À l'occasion d'une ultime séance de négociations avec les syndicats, les 15 et 16 janvier, le Medef aimerait faire entériner un projet qui démantèlerait le système actuel de représentation des salariés au sein des entreprises, comme le suggérait dès 2008 le rapport Attali-Macron, largement repris par le projet Macron examiné au Parlement.

Si d’aventure le Medef parvient à ses fins, ce qui est loin d’être improbable, compte tenu du soutien dont il profite actuellement jusqu'au sommet de l’État, ce sera une régression sociale majeure : dans le cadre de ses négociations avec les syndicats sur la modernisation du dialogue social, qui reprennent les jeudi 15 et vendredi 16 janvier, le patronat défend un projet qui vise à mettre à bas tout le système actuel de représentation des salariés au sein des entreprises, organisé autour des délégués du personnel, des comités d’entreprise (CE) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), pour y substituer une instance unique, le conseil d’entreprise. La réforme, si elle aboutit, aurait des incidences majeures sur la démocratie sociale au sein des entreprises, sur le droit des salariés et de leurs représentants, mais bafouerait aussi certains des principes fondateurs de la République.

Pour l’heure, il est encore impossible de savoir si cette ultime séance de négociation entre les partenaires sociaux a des chances d’aboutir. Car même si certaines confédérations, dont la CFDT, semblent disposées à avaliser cette régression sociale majeure, en contrepartie de modestes compensations, le mouvement syndical est divisé sur la question. Et au sein même du patronat, toutes les organisations ou fédérations ne parlent pas d’une même voix. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réunion, qui devait initialement se tenir les 18 et 19 décembre, a été reportée aux 15 et 16 janvier, le temps pour le patronat de mettre de l’ordre dans ses rangs et de trouver un consensus, notamment sur la question de la représentation des salariés dans les entreprises de moins de 11 salariés, qui est l’une des pommes de discorde.

Mais enfin ! Le Medef sait qu’avec ce gouvernement socialiste – qui conduit une politique économique et sociale par bien des aspects beaucoup plus à droite encore que celle impulsée par Nicolas Sarkozy sous le précédent quinquennat –, il profite de circonstances politiques exceptionnelles pour dynamiter les règles anciennes du dialogue social au sein des entreprises. Car ce projet de refonte du dialogue social s’intègre à une politique d’ensemble, qui vise à démanteler, sous le faux prétexte d’une meilleure compétitivité des entreprises, des pans entiers du Code du travail.

Avant d’examiner les coups de boutoirs successifs qui ont été portés depuis 2012 au Code du travail, voyons ce que contient ce projet du Medef. Voici sa dernière mouture, en date du 11 décembre 2014. On peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :

 

 

À la lecture de ce document, on comprend d'emblée que le projet du Medef contient effectivement une disposition majeure, affichée en son article 2 : « Le conseil d’entreprise est l’instance unique de représentation du personnel. » En clair, cette nouvelle instance unique reprend « les prérogatives et moyens des délégués du personnel » dans les entreprises qui comprennent entre 11 et 490 salariés, comme le précise l’article 2.1.3.

Et pour les entreprises qui comprennent plus de 50 salariés et sont actuellement soumises, dès qu’elles franchissent ce seuil des 50, à l’obligation de créer un comité d’entreprise et un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ce serait un véritable big bang. Ce conseil d’entreprise se substituerait aux trois institutions actuelles de représentation du personnel que sont les délégués du personnel, les CE et les CHSCT. Et si ce projet devait aboutir, il s’agirait d’une révolution majeure. Ou plutôt d’une contre-révolution sociale sans précédent dans l’histoire contemporaine du mouvement social en France.

L’intitulé même de cette nouvelle institution, le « conseil d’entreprise », résume la philosophie du projet. Il s’agit de remettre purement et simplement en cause le principe démocratique selon lequel les salariés peuvent disposer d’institutions qui les représentent au sein des entreprises pour reléguer ces institutions à une simple fonction de « conseil ». C’est ce qu’explique très bien un avocat spécialiste du droit du travail, Me Samuel Gaillard, dans un remarquable point de vue, publié par Miroir social. On peut le consulter ici : Enjeu des négociations sur la modernisation du dialogue social : une déflagration sans précédent.

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 remis en cause

Dans le cas des comités d’entreprise, qui seraient donc supprimés, la loi actuelle définit de manière très précise les fonctions qu'ils doivent assumer. Le Code du travail, notamment dans son article L2323, alinéas 1 à 5, stipule en particulier que le comité d’entreprise a donc non pas une fonction de conseil, mais, dans une logique radicalement opposée, qu'il « a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ».

En somme, le Code du travail entérine le fait qu’employeurs et salariés n’ont pas nécessairement des intérêts communs, et que ces derniers, les salariés, ont en tout cas des intérêts spécifiques, sinon même opposés – et qu'ils peuvent donc légitimement avoir des institutions propres qui les représentent. D’où tous les pouvoirs qui sont conférés par le Code du travail aux comités d’entreprise, et qui sont présentés de manière didactique sur Service public, le site internet officiel de l’administration française. Lisons ce que rappelle ce site : « Le CE assure l'expression collective des salariés. Il permet la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la vie dans l'entreprise. » Le Code du travail codifie aussi de manière très stricte les obligations auxquelles sont soumis les employeurs en matière d’information et de consultation des CE, lesquels peuvent aussi, en cas de situation de difficultés de l’entreprise, exercer un droit d’alerte et demander des explications à l’employeur – qui est obligé de les fournir –, une expertise auprès des tribunaux, ou encore la récusation des commissaires aux comptes, sans parler des missions sociales et culturelles des mêmes CE.

Avec le projet du Medef, c’est donc la philosophie même du Code du travail qui serait bouleversée. Et tous ces droits attachés aux comités d’entreprise seraient anéantis. Me Gaillard en conclut donc, et il a malheureusement raison, que ce sont les valeurs mêmes de la République qui seraient mises en cause : « C’est ainsi que tout l’esprit du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 vole en éclats et que l’on assiste à un retour en arrière à la IIIe République », déplore-t-il. Les articles du Code du travail qui sont directement menacés par le projet patronal ne sont en effet que la retranscription de l’article 8 de ce préambule de la Constitution du 27 septembre 1946, qui édicte ce principe qui a valeur constitutionnelle : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »

On pourrait d’ailleurs tout autant observer que ce projet patronal constituerait aussi une remise en cause de nombreux autres textes fondateurs. À l’évidence, il est ainsi également en contradiction avec l’article 21 et plus encore avec l’article 22 de la Charte sociale européenne (que l’on peut consulter ici), qui garantit « l'exercice effectif du droit des travailleurs de prendre part à la détermination et à l'amélioration des conditions de travail et du milieu du travail dans l'entreprise ». Comme il constituerait une remise en cause d’une importante directive européenne, celle du 11 mars 2002, que l’on peut consulter ici.

En quelque sorte, ce projet vise à nier que les salariés puissent avoir des intérêts spécifiques à défendre – et profiter de garanties légales pour pouvoir le faire. Vieux projet réactionnaire qui fleure bon l’association capital-travail qui, depuis des lustres, a ses défenseurs dans les milieux patronaux – et pas seulement !

Une autre disposition du projet vient confirmer qu’il s’agirait bel et bien d’une régression sociale majeure, si le Medef parvenait à ses fins. Il s’agit de la disposition qui conduit à la quasi-disparition des CHSCT. Comme le rappelle le site internet du ministère de l’emploi (on peut le consulter ici), la constitution d’un CHSCT est une obligation légale dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Ce sont les lois Auroux, en 1982, qui ont apporté ces nouveaux droits aux salariés. Une haut fonctionnaire y avait à l’époque beaucoup contribué : il s’agissait de la directrice du travail de l’époque, une dénommée… Martine Aubry.

La mise à mort programmée des CHSCT

Or, dans le projet du Medef, les CHSCT ne résulteraient plus d’une obligation légale dans les entreprises de plus de 50 salariés mais seraient seulement facultatifs et ne disposeraient pas de leurs prérogatives actuelles. C’est consigné à l’article 2.1.4.1 du projet du Medef : « Le conseil d’entreprise ou d’établissement peut constituer en son sein une commission chargée de l’assister pour l’exercice de ses attributions liées aux questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Dans les établissements entre 50 et 500 salariés, cette commission est mise en place par accord d’établissement ou d’entreprise. Dans les établissements de 500 salariés et plus, la commission est constituée si plus de la moitié des membres du conseil le demande. »

La formule utilisée dit bien ce qu’elle veut dire. Si une telle commission est mise en place dans les établissements qui comptent entre 50 et 500 salariés « par accord d’établissement ou d’entreprise », cela veut dire clairement que l’existence d’une telle commission dépendrait de la volonté de l’employeur d’approuver un tel accord. Disons les choses de manière plus abrupte : si l’employeur ne veut pas d’une telle commission, elle n’a aucune possibilité de voir le jour.

Or il faut bien mesurer que les CHSCT jouent depuis plus de trente ans un rôle social majeur et que leur disparition aurait des répercussions gravissimes. Au fil des ans, les CHSCT sont devenus au sein des entreprises l’acteur majeur de prévention des risques professionnels et doivent être obligatoirement consultés, notamment, comme le rappelle le site du ministère du travail, « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, par exemple : avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail ; avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; sur le plan d’adaptation lors de la mise en œuvre de mutations technologiques importantes et rapides ; sur le projet d’introduction et lors de l’introduction de nouvelles technologies sur les conséquences de ce projet ou de cette introduction sur la santé et la sécurité des travailleurs ».

Les CHSCT peuvent aussi « recourir, aux frais de l’employeur, à un expert agréé : 1-lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; 2- en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8 du Code du travail, c’est-à-dire, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ».

La mise à mort des CHSCT, voulue par le Medef, serait donc socialement très préoccupante. « Faut-il rappeler l’explosion des cas de harcèlements, d'épuisement professionnel, d’astreintes jour et nuit et de sous-traitance ? Faut-il rappeler les problématiques récurrentes de TMS, de produits cancérigènes, d’incendies, de bruits, d’agressions physiques, d’accidents de transports, de déménagements effectués pour dégraisser à bon compte les effectifs ? » s’inquiète l’avocat.

L’utilité sociale des CHSCT est méticuleusement décrite par un autre professeur de droit de renom, Pierre-Yves Verkindt (Paris I – Sorbonne) qui, à la demande du ministre du travail, a réalisé un long rapport sur le sujet, rendu public en février 2014. Ce rapport, on peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :

 

 

Dans ce rapport, le professeur de droit formulait 33 propositions pour rendre l’institution des CHSCT plus démocratique, pour améliorer leur fonctionnement ou la formation de ses membres ou encore mieux encadrer les expertises qu’ils peuvent commanditer. Mais s’il fait toutes ces propositions, qui résonnent comme autant de critiques, c’est précisément parce qu’il juge très précieuse leur existence même. L'ambition du rapport était donc de renforcer les CHSCT et surtout pas de les… supprimer ! Pour comprendre l'importance des CHSCT, on peut également se référer au point de vue récent du directeur général du cabinet Technologia, Jean-Claude Delgènes, publié également par Miroir social : Coup de torchon magistral sur les CHSCT.

Alors, pourquoi le Medef veut-il leur disparition ? La bonne explication, c’est Me Samuel Gaillard qui la donne : « C’est l’arrêt Snecma du 5 mars 2008, la bête noire des employeurs, qui est à l’origine de la volonté du Medef de faire disparaître le CHSCT. » Et il explique : « Par cet arrêt, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel le juge pouvait suspendre la mise en œuvre d’une réorganisation lorsqu’elle était de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés, obligation dite de résultat. Il s’agit là d’une jurisprudence essentielle qui, pour la première fois, posait le principe selon lequel le pouvoir de direction de l’employeur, jusqu’ici sans aucune limite, était désormais subordonné au principe d’ordre public de la santé et de la sécurité des salariés. Les décisions d’annulation sont en réalité fort rares, mais il est certain que le CHSCT dispose ainsi, par cet arrêt, d’un réel pouvoir de contrainte vis-à-vis des employeurs, afin d'obliger ceux-ci à respecter leurs obligations de santé et de sécurité des salariés qui sont issues du droit européen. »

L'onde de choc de l'arrêt Snecma

Et l’avocat ajoute : « Le droit européen étant apparemment difficile à changer pour le Medef et les magistrats de la Chambre sociale de la Cour de cassation, il fallait alors supprimer le CHSCT et c’est ce que ce texte vise, d’abord et de manière explicite pour les entreprises de 50 à 500 salariés. Pour les établissements de plus de 500 salariés, c’est une simple commission du conseil d’entreprise qui est prévue par le texte du Medef, mais qui est cantonnée à un rôle croupion “d’assistance” au conseil d'entreprise. Au passage, toutes les prérogatives du CHSCT en matière notamment d’enquête et de danger grave et imminent, qui constituent l'un des socles essentiels de contrôle par le CHSCT de l’activité de l’employeur, sont balayées d’un trait de plume. Désormais, en matière de danger grave et imminent, la procédure n’est pas enclenchée d’office au seul constat d’un danger grave et imminent par un membre du CHSCT. Il faut que le conseil d’entreprise se réunisse et qu’il charge la commission d’effectuer une enquête dans un tel cas. »

Pour quiconque veut comprendre plus avant la grande importance de cet « arrêt Snecma » qu’évoque Me Gaillard, on peut se référer au décryptage qu’il en avait fait à l’époque dans Miroir social (et que l’on peut télécharger ici). L’arrêt lui-même peut être téléchargé ici ou être consulté ci-dessous :

La volonté du patronat de reléguer la représentation des personnels à une fonction purement supplétive est confirmée par une dernière suggestion de son projet, celle qui vise à remettre en cause la possibilité ouverte actuellement aux CE ou CHSCT de recourir à des expertises indépendantes, financières ou sociales. Cette régression est consignée à l’article 4.3.5.2 du projet : « Le choix de l’expert, ainsi que la nature, l’étendue de sa mission et le montant de ses honoraires se font d’un commun accord entre l’employeur et les membres élus du conseil, le cas échéant après un appel d’offres si les délais dans lesquels le conseil doit rendre son avis le permettent. »

Dans cette formulation, chaque mot à son importance. Si le choix se fait « d’un commun accord » entre l’employeur et les membres du conseil d’entreprise, cela veut donc dire là encore, c’est une lapalissade, que l’accord… de l’employeur est nécessaire. En clair, c’est la remise en cause des expertises indépendantes. Plus de rapports indépendants pointant des jongleries financières ! Plus de rapports indépendants pointant des souffrances sociales que l’employeur ne veut pas reconnaître ! Ce serait effectivement une régression sociale considérable.

Et puis, ce projet aurait une autre grave conséquence potentielle. Le remplacement des trois institutions actuelles (DP, CE et CHSCT) par une seule, le conseil d’entreprise, aurait pour conséquence mécanique de réduire de manière spectaculaire le nombre des personnes qui, au sein des entreprises, bénéficient du statut de salarié protégé, un statut très protecteur qui est méticuleusement encadré par le Code du travail.

Alors qu’adviendrait-il de tous les salariés qui ont actuellement une fonction de représentation des salariés dans les entreprises et qui pourraient perdre leur statut de salarié protégé ? Qu’adviendrait-il de tous ceux qui, du fait de ces fonctions, se sont opposés dans le passé, parfois âprement, à leurs patrons ? Il n’est guère besoin d’être grand clerc pour deviner que le projet a aussi ce dessein caché : permettre, dans la foulée, une purge syndicale…

Reste donc une question majeure : comment serait-il concevable qu’un tel nouveau coup de boutoir contre le droit du travail puisse voir le jour ? En fait, il y a deux réponses. La première est que le front syndical ne sera pas forcément uni pour faire capoter le projet patronal. La CFDT, pour ne pas la nommer, pourrait-elle par exemple accepter la philosophie du projet patronal, en contrepartie de garanties, même mineures, sinon illusoires, pour améliorer la représentation des salariés dans les très petites entreprises ?

Mais surtout, le Medef sait sans doute qu’il peut une nouvelle fois compter sur le gouvernement pour qu’il appuie, ouvertement ou en sous-main, son projet. Depuis plusieurs mois, celui-ci ne s’est en effet pas privé de faire valoir que la remise en cause, au moins provisoire, des obligations sociales liées au franchissement des seuils légaux n’était plus pour lui un tabou. À peine installé au ministère du travail, François Rebsamen avait, le premier, donné le ton, à l’occasion d’un entretien avec Le Bien public, le 28 mai 2014 : « Gardons le principe des seuils, à 10 pour créer des délégués du personnel, et à 50 pour le comité d’entreprise, mais suspendons leur enclenchement pendant trois ans (…) Si cela crée de l’emploi, tant mieux, sinon, on remettra les seuils en vigueur et on n’entendra plus l’argument patronal. » Manuel Valls, puis François Hollande, lui avaient emboîté le pas. Dans une interview au Monde, le 20 août, le chef de l’État insistait : « Chacun doit admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuil » (lire : Supprimer les seuils sociaux n’aura « aucun effet sur l’emploi »).

Ce projet visant à créer des conseils d'entreprise n'est d'ailleurs pas une lubie récente du patronat : il s'inscrit dans une histoire ancienne qu'il faut connaître pour comprendre pourquoi le Medef semble si sûr de son fait. C'est qu'en fait, le projet était l'une des mesures phares du rapport rédigé en janvier 2008 pour Nicolas Sarkozy par Jacques Attali et son rapporteur… Emmanuel Macron (lire Aux origines de la loi Marcron: un projet néolibéral concocté pour Sarkozy). Dans ce rapport (que l'on peut télécharger ici), il était fait ce commentaire, dans un sous-chapitre intitulé « Assouplir les seuils sociaux » : « Les seuils sociaux constituent aujourd’hui un frein à la croissance et à la création d’emploi. À titre d’exemple, le passage de 49 à 50 salariés entraîne actuellement l’application de 34 législations et réglementations supplémentaires dont le coût représente 4 % de la masse salariale. » Suivait aussitôt la proposition 37 du rapport, ainsi énoncée : « Mettre en place une représentation unique dans toutes les PME de moins de 250 salariés, sous la forme d’un conseil d’entreprise exerçant les fonctions du comité d’entreprise, des délégués du personnel, des délégués syndicaux et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce conseil d’entreprise serait le lieu privilégié de la négociation. »

Le projet du Medef n'est donc que le décalque de cette proposition du rapport Attali-Macron.

Le projet de loi Macron conforte le projet du Medef

Cette stupéfiante convergence de vue n’est pourtant pas pour surprendre. Car voilà maintenant longtemps que le gouvernement fait valoir que les droits sociaux des salariés sont un frein à la compétitivité des entreprises. C’est la raison pour laquelle il a déjà lourdement pesé pour que les partenaires sociaux entérinent le fameux accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 « sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi » (on peut le télécharger ici). Cet accord avait déjà porté de très violents coups de boutoir contre le Code du travail en facilitant grandement les procédures de licenciement, en échange de contreparties dérisoires.

À l’époque, cet accord dit de flexi-sécurité avait mis en émoi une bonne partie de la gauche, y compris dans les rangs socialistes. C’est dire si le nouveau projet qui se profile, beaucoup plus grave encore que le précédent, risque de faire des vagues, car il accélère brutalement la déréglementation sociale déjà engagée par le gouvernement depuis 2013.

D’autres signes attestent d’ailleurs que le gouvernement travaille dans le même direction. Complétant le projet du Medef qui veut limiter les droits de recours des salariés, François Hollande a ainsi donné son accord à une mesure de très grande importance, la dépénalisation du délit d’entrave. Lors du dernier « Conseil stratégique de l'attractivité », qui se tenait dimanche 19 octobre 2014 à l'Élysée, et auquel avait été conviée une ribambelle de grands patrons étrangers, François Hollande a annoncé la suppression de la peine de prison en cas de délit d'entrave. Actuellement, le Code du travail, en son article L483-1, prévoit une peine de prison pouvant aller jusqu’à deux ans pour « toute entrave apportée, soit à la constitution d'un comité d'entreprise, d'un comité d'établissement ou d'un comité central d'entreprise, soit à la libre désignation de leurs membres, soit à leur fonctionnement régulier ».

La disposition visant à remplacer les peines d’emprisonnement par de simples sanctions financières a donc été instillée dans le projet de loi concocté par le ministre l’économie, Emmanuel Macron, dont le Parlement va dans les prochains jours commencer l’examen.

Et puis, dans ce même projet de loi Macron, si controversé, qui arrive devant les députés, a aussi été instillé une autre disposition visant à faciliter encore un peu plus les licenciements collectifs, dans le prolongement des premières dispositions de déréglementation prises exactement dans le même domaine par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, accord qui avait abouti à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (lire Dans la foulée de l'ANI, la loi Macron veut faciliter les licenciements collectifs).

En somme, il y a une grande cohérence entre les plans du Medef et ceux du gouvernement. Ils s’emboîtent les uns dans les autres et s’inscrivent dans une seule et même philosophie sociale : démanteler le Code du travail au nom de la recherche d’une compétitivité accrue. Le seul problème, pour la gauche, c’est que cette philosophie est à l’exact opposé de celle qu’elle a le plus souvent défendue tout au long de sa longue histoire, comme l’a souligné avec force Pierre Joxe, à l’occasion d’une émission récente « en direct de Mediapart » (lire Pierre Joxe : « Je suis éberlué par cette politique qui va contre notre histoire »).

  Source : www.mediapart.fr

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 15:05

 

Source : www.informaction.info

 

 

Point de vue de Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, sur les évènements de Charlie Hebdo.

 

 

 

 

Source : www.informaction.info

 

 

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 14:59

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 14:07

 

Source : blog.mondediplo.net

 

 

Charlie à tout prix ?

mardi 13 janvier 2015, par Frédéric Lordon

Ce texte est tiré d’une intervention à la soirée « La dissidence, pas le silence ! », organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail à Paris le 12 janvier 2015.

Lorsque le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus, se joint à la puissance d’une émotion commune à l’échelle de la société tout entière, il est à craindre que ce soit la clarté des idées qui passe un mauvais moment. Il faut sans doute en prendre son parti, car il y a un temps social pour chaque chose, et chaque chose a son heure sociale sous le ciel : un temps pour se recueillir, un temps pour tout dire à nouveau.

Mais qu’on se doive d’abord à la mémoire de ceux qui sont morts n’implique pas, même au plus fort du traumatisme, que toute parole nous soit interdite. Et notamment pour tenter de mettre quelque clarification dans l’inextricable confusion intellectuelle et politique qu’un événement si extrême ne pouvait manquer, en soi, de produire, à plus forte raison sous la direction éclairée de médias qui ne louperont pas une occasion de se refaire la cerise sur le dos de la « liberté d’expression », et de politiques experts en l’art de la récupération.

Disons tout de suite que l’essentiel de cette confusion se sera concentré en une seule phrase, « Je suis Charlie », qui semble avoir tout d’une limpide évidence, quand tant d’implicites à problème s’y trouvent repliés.

« Je suis Charlie ». Que peut bien vouloir dire une phrase pareille, même si elle est en apparence d’une parfaite simplicité ? On appelle métonymie la figure de rhétorique qui consiste à donner une chose pour une autre, avec laquelle elle est dans un certain rapport : l’effet pour la cause, le contenu pour le contenant, ou la partie pour le tout. Dans « Je suis Charlie », le problème du mot « Charlie » vient du fait qu’il renvoie à une multitude de choses différentes, mais liées entre elles sous un rapport de métonymie. Or ces choses différentes appellent de notre part des devoirs différents, là où, précisément, leurs rapports de métonymie tendent à les confondre et à tout plonger dans l’indistinction.

Charlie, ce sont d’abord des personnes humaines, privées – par bonheur, on s’est aperçu rapidement que dire simplement « Charlie » pour les rassembler faisait bon marché de deux policiers, un agent de maintenance, un malheureux visiteur de ce jour là, et puis aussi de cinq autres personnes, dont quatre juives, tuées les deux jours d’après. Sauf à avoir rompu avec toute humanité en soi, on ne pouvait qu’être frappé de stupeur et d’effroi à la nouvelle de ces assassinats.

Mais l’émotion n’a été si considérable que parce qu’il était perceptible à tous que ce qui venait d’être attaqué excédait évidemment les personnes privées. Et voici donc le deuxième sens possible de « Charlie » : Charlie comme métonymie des principes de liberté d’expression, des droits à exprimer sans craindre pour sa sécurité, tels qu’ils sont au cœur de notre forme de vie.

On pouvait donc sans doute se sentir Charlie pour l’hommage aux personnes tuées – à la condition toutefois de se souvenir que, des personnes tuées, il y en a régulièrement, Zied et Bouna il y a quelque temps, Rémi Fraisse il y a peu, et que la compassion publique se distribue parfois d’une manière étrange, je veux dire étrangement inégale.

On pouvait aussi se sentir Charlie au nom de l’idée générale, sinon d’une certaine manière de vivre en société, du moins d’y organiser la parole, c’est-à-dire au nom du désir de ne pas s’en laisser conter par les agressions qui entreprennent de la nier radicalement. Et l’on pouvait trouver qu’une communauté, qui sait retourner ainsi à l’un de ses dénominateurs communs les plus puissants, fait une démonstration de sa vitalité.

Mais les choses deviennent moins simples quand « Charlie » désigne – et c’est bien sûr cette lecture immédiate qui avait tout chance d’imposer sa force d’évidence – quand « Charlie », donc, désigne non plus des personnes privées, ni des principes généraux, mais des personnes publiques rassemblées dans un journal. On peut sans la moindre contradiction avoir été accablé par la tragédie humaine et n’avoir pas varié quant à l’avis que ce journal nous inspirait – pour ma part il était un objet de violent désaccord politique. Si, comme il était assez logique de l’entendre, « Je suis Charlie » était une injonction à s’assimiler au journal Charlie, cette injonction-là m’était impossible. Je ne suis pas Charlie, et je ne pouvais pas l’être, à aucun moment.

Je le pouvais d’autant moins que cette formule a aussi fonctionné comme une sommation. Et nous avons en quelques heures basculé dans un régime de commandement inséparablement émotionnel et politique. Dès ses premiers moments, la diffusion comme traînée de poudre du « Je suis Charlie » a fait irrésistiblement penser au « Nous sommes tous américains » du journal Le Monde du 12 septembre 2001. Il n’a pas fallu une demi-journée pour que cette réminiscence se confirme, et c’est Libération qui s’est chargé de faire passer le mot d’ordre à la première personne du pluriel : « Nous sommes tous Charlie » — bienvenue dans le monde de l’unanimité décrétée, et malheur aux réfractaires. Et puis surtout célébrons la liberté de penser sous l’écrasement de tout dissensus, en mélangeant subrepticement l’émotion de la tragédie et l’adhésion politique implicite à une ligne éditoriale. Ceci d’ailleurs au point de faire à la presse anglo-saxonne le procès de se montrer hypocrite et insuffisamment solidaire (obéissante) quand elle refuse de republier les caricatures. Il fallait donc traverser au moins une mer pour avoir quelque chance de retrouver des têtes froides, et entendre cet argument normalement élémentaire que défendre la liberté d’expression n’implique pas d’endosser les expressions de ceux dont on défend la liberté.

Mais cette unanimité sous injonction était surtout bien faite pour que s’y engouffrent toutes sortes de récupérateurs. Les médias d’abord, dont on pouvait être sûr que, dans un réflexe opportuniste somme toute très semblable à celui des pouvoirs politiques dont ils partagent le discrédit, ils ne manqueraient pas pareille occasion de s’envelopper dans la « liberté de la presse », cet asile de leur turpitude. A l’image par exemple de Libération, qui organise avec une publicité aussi ostentatoire que possible l’hébergement de Charlie Hebdo. Libération, ce rafiot, vendu à tous les pouvoirs temporels, auto-institué dernière demeure de la liberté d’expression ! — peut-être en tous les sens du terme d’ailleurs. Et combien de la même farine derrière Libé pour faire de la surenchère dans le Charlisme ?

« Si cet homme qui, dit-on, riait de tout revenait en ce siècle, il mourrait de rire assurément », écrit Spinoza dans une de ses lettres. Et c’est vrai qu’il y a de quoi rire longtemps à voir ainsi les organes de la soumission à l’ordre social entonner avec autant de sincérité l’air de l’anticonformisme et de la subversion radicale. Rire longtemps... enfin pas trop quand même, car il faudra bien songer un jour à sortir de cette imposture.

Ce sera sans l’aide du pouvoir politique, qui n’a jamais intérêt au dessillement, et à qui l’union nationale a toujours été la plus fidèle des ressources. Union nationale, et même internationale en l’occurrence, dont une version carabinée nous aura été administrée. Fallait-il qu’elle soit incoercible la pulsion récupératrice de François Hollande de se faire reluire à la tête de Paris « capitale du monde » pour convier, de proche en proche, jusqu’à Orban, Porochenko, et puis Netanyahu, Lieberman, etc. de hautes figures morales, connues pour se partager entre défenseurs de la liberté de la presse et amis du dialogue interconfessionnel [1].

Par bonheur, il s’est déjà trouvé suffisamment de voix pour s’inquiéter des usages, ou plutôt des mésusages, que ce pouvoir ne manquera pas de faire d’une mobilisation de masse qu’il s’empressera de considérer comme un mandat.

Espérons qu’il s’en trouvera également pour recommander à quelques éditorialistes un court séjour en cellule de dégrisement, et pour leur apporter le café salé. Dans la concurrence pour être à la hauteur de l’Histoire, et même – pente aussi fatale que grotesque de l’information en continu – pour être les premiers à « annoncer » l’Histoire, il était logique que tous criassent à l’Histoire et à l’Historique à propos de la manifestation d’hier. S’il est permis d’en rire, on dira que, historique, elle l’a sans doute été sous quelque rapport, au moins pour être la première du genre où le comptage de la police avait une chance d’être supérieur à celui des organisateurs. On ne sache pas cependant qu’il soit resté grand-chose des manifestations monstres de Carpentras et du 1er mai 2002, effusions collectives qui avaient déjà hystérisé le commentariat, mais dont on doit bien reconnaître que la productivité politique aura été rigoureusement nulle.

On aimerait beaucoup qu’il en aille autrement cette fois-ci, mais on ne peut pas s’empêcher de poser en toute généralité la question de savoir s’il n’y a pas un effet de substitution entre le degré de l’unanimité et sa teneur politique possible. Par construction, arasant toute la conflictualité qui est la matière même de la politique, la masse unie est tendanciellement a-politique. Ou alors, c’est que c’est la Révolution – mais il n’est pas certain que nous soyons dans ce cas de figure…

Il y aurait enfin matière à questionner la réalité de l’« union nationale » qu’on célèbre en tous sens. Tout porte à croire que le cortège parisien, si immense qu’il ait été, s’est montré d’une remarquable homogénéité sociologique : blanc, urbain, éduqué. C’est que le nombre brut n’est pas en soi un indicateur de représentativité : il suffit que soit exceptionnellement élevé le taux de mobilisation d’un certain sous-ensemble de la population pour produire un résultat pareil.

Alors « union nationale » ? « Peuple en marche » ? « France debout » ? Il s’agirait peut-être d’y regarder à deux fois, et notamment pour savoir si cette manière de clamer la résolution du problème par la levée en masse n’est pas une manière spécialement insidieuse de reconduire le problème, ou d’en faire la dénégation. A l’image des dominants, toujours portés à prendre leur particularité pour de l’universel, et à croire que leur être au monde social épuise tout ce qu’il y a à dire sur le monde social, il se pourrait que les cortèges d’hier aient surtout vu la bourgeoisie éduquée contempler ses propres puissances et s’abandonner au ravissement d’elle-même. Il n’est pas certain cependant que ceci fasse un « pays », ou même un « peuple », comme nous pourrions avoir bientôt l’occasion de nous en ressouvenir.

Il y a une façon aveuglée de s’extasier de l’histoire imaginaire qui est le plus sûr moyen de laisser échapper l’histoire réelle — celle qui s’accomplit hors de toute fantasmagorie, et le plus souvent dans notre dos. Or, l’histoire réelle qui s’annonce a vraiment une sale gueule. Si nous voulons avoir quelque chance de nous la réapproprier, passé le temps du deuil, il faudra songer à sortir de l’hébétude et à refaire de la politique. Mais pour de bon.

Notes

[1] Lire Alain Gresh, « D’étranges défenseurs de la liberté de la presse à la manifestation pour “Charlie Hebdo” », Nouvelles d’Orient, 12 janvier 2015.

 

L’existence de notre journal ne peut pas uniquement dépendre du travail de la petite équipe qui le produit, aussi enthousiaste soit-elle. Nous savons que nous pouvons compter sur vous.

 

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13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 18:07

 

Source : cadtm.org

 

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Avec le peuple grec, vers le renversement en Europe

12 janvier par Por el Cambio en Grecia

 


Les prochaines élections grecs peuvent signifier un point de bouleversement dans le scenario européen. La Grèce a été transformé dans un laboratoire politique et économique des élites européennes, qui ont semé de misère et rassasiement tous les coins du sud de l’Europe. Les recettes économiques basé sur les coupes et l’austérité, qui consiste à payer la dette au prix des droits des citoyens et citoyennes, ont laissé seulement une trace de chômage, pauvreté infantile, désespoir et barbarie. En addition, la menace du retour du fascisme incarné par Aube Dorée, qui ensemble ont emmené des disgrâces et problèmes qui était en apparence dépassé en Europe.

Mais le peuple grec ne c’est pas résigné à être le cobaye de la Troika. Manifestations, grèves, coopératives de travailleurs et solidarité, ont été les réponses à la dictature du capital financier et du marché.

Maintenant une opportunité unique existe pour balancer les responsables politiques du pillage.
Justement quand l’annonce des élections a eu lieu, le Fond Monétaire International a suspendu l’aide (aide qui a été uniquement livré au prix des droits du peuple) jusqu’à savoir qui va être en tête du prochain gouvernement grec. Ceci montre que ceux qui ont profité de la crise aux dépens de la majorité de la population se méfient de la démocratie, et leur respect aux urnes est conditionnée a l’élection de ceux qui défendent ses privilèges. Personne ne vote les marchés, mais eux décident tous les jours sur nos vies et notre futur.

Mais c’est claire qu’il y a des alternatives a leur politiques. La situation du peuple grec n’est pas le produit de lois immuables mais par contre des décisions et intérêts très concrets. La montée de SYRIZA est la preuve qu’une vaste majorité sociale a dit ’ça suffit !’ à la corruption et au pillage qui a eu lieu pendant les dernières années. Une force politique qui a était en contact avec les luttes dans les rues et qui se montre prêt à emmener le bouleversement politique aux institutions. Une transformation qui sera seulement possible si le peuple grec maintient les mobilisations dans les rues, et s’organise dans tous les espaces de la société en même temps qu’il compte avec la solidarité internationale de la citoyenneté européen.

Nous sommes convaincus que le peuple grec va virer les bandits à travers les urnes. Dans ce cas, les difficultés et chantages seront énormes et notre obligation comme citoyens européens est - et sera - de se solidariser avec la démocratie et la volonté de renversement du peuple grec. Leur victoire sera la nôtre, mais leur défaite aussi. Par conséquent nous, les signataires de ce manifeste, faisons un appel a toute la citoyenneté à se solidariser avec le peuple grec et à ne pas permettre que la démocratie soit vaincu par les marchés  ; impulsant ainsi des actions qui ne laisse pas les Grecs et Grecques seuls dans leur chemin vers la conquête de leur souveraineté et leur droits.

Signer l’appel

 

 

 

Source : cadtm.org

 

 

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13 janvier 2015 2 13 /01 /janvier /2015 17:53

 

Source : cadtm.org

 

CADTM

 

Charlie Hebdo : l’indécence du 1er ministre Antonis Samaras en Grèce

12 janvier par Antonis Samaras

 

 


Le Premier ministre grec Antonis Samaras en campagne pour les législatives a opéré mercredi un rapprochement entre l’attentat contre Charlie Hebdo et les propositions sur la politique migratoire de la gauche grecque Syriza qui « encourage l’immigration illégale ».

 

 

 

 

Source : cadtm.org

 

 

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