Emmanuel Macron a bouclé la première étape de son parcours parlementaire. Devant une quarantaine de députés réunis en commission spéciale depuis le lundi 12 janvier, le ministre de l'économie a défendu, douze heures par jour, 7 jours sur 7, son projet de loi fourre-tout « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ». Au total, 106 articles et 1 743 amendements ont été examinés (495 adoptés), dont certains particulièrement attendus concernant les professions réglementées, la libéralisation des cars (voir notre article ici), la réforme du permis de conduire, le travail dominical ou encore la possibilité de modifier par ordonnance le code de l'environnement en ce qui concerne les projets d'urbanisme.
Phase de négociation en marge des travaux de la commission spéciale. © Yannick Sanchez
Travail dominical
Sur le travail dominical, Emmanuel Macron se savait particulièrement attendu. Hasard du calendrier, c'est à 00 h 20 le dimanche 18 janvier que les discussions ont débuté, par l'introduction du ministre de l'économie: « Je voudrais vous remercier pour votre esprit d’à propos de commencer la discussion sur le travail du dimanche dans les premières minutes d’un dimanche, a ironisé ce dernier. Même si cette réforme devait être votée, nous sommes au-delà des critères proposés en zone touristique internationale pour le travail de soirée (prévu de 21 heures à minuit – ndlr). »
Trois pans ont été examinés par les députés. En premier lieu, la loi permet aux maires de disposer du pouvoir d’autoriser le travail non plus cinq mais douze dimanches dans les commerces, payés double. La commission a adopté un amendement du rapporteur Stéphane Travert (PS) supprimant les cinq dimanches obligatoires, laissant donc aux élus un choix allant de 0 à 12 dimanches. « Dans la grande majorité des communes, les besoins commerciaux sont souvent inférieurs à cinq par an », a-t-il affirmé pour justifier son amendement. Mais pour la députée Karine Berger (PS), si une commune ouvre « 12 dimanches sur 52, le travail le dimanche ne sera plus une exception, mais une habitude ».
En deuxième lieu, les parlementaires ont voté une réforme du système d’ouverture dans les zones commerciales « disposant d’un potentiel d’activité ». Ces zones commerciales (ZC) et zones touristiques (ZT) vont remplacer les PUCE (Périmètres d'usage de consommation exceptionnel, dans les agglomérations de plus d'un million d'habitants). Ces zones, qui pourront ouvrir tous les dimanches, seront tracées par décret et incluront « les zones frontalières où il y a une forte concurrence » comme les a qualifiées le ministre de l'économie.
Enfin, des zones touristiques internationales (ZTI) seront créées avec la possibilité d'ouvrir 52 dimanches par an et comprenant l'extension du travail de soirée de 21 heures à minuit. Certains quartiers parisiens (le boulevard Haussmann et les Champs-Élysées) et la Riviera méditerranéenne seront inclus. La loi prévoit qu’un décret détermine les critères de ces zones, et qu’un arrêté des ministres compétents prenne l’initiative de les créer après concertation avec les élus.
La création de ces zones a suscité des craintes à gauche. Jacqueline Fraysse (Front de gauche) ou encore Sandrine Mazetier et Karine Berger (PS) se sont inquiétées du flou sur la définition de ces espaces et sur les compensations envers les salariés, et ont appelé à des « critères de précision, chiffrés ». Elles ont échoué à faire flancher le ministre, qui s'est montré défavorable à l'inscription dans la loi d'un plancher de compensations, observant que certains commerces de zones touristiques ne peuvent pas payer double.
« Dans votre argumentaire, a affirmé le ministre, il y a d’une part la volonté de ne pas pénaliser les petits commerces et d’autre part d’être juste socialement. Nous voulons protéger les salariés tout en aidant les petits commerces qui n’ont pas la possibilité de bien compenser, c’est pour ça que nous n’avons pas retenu la décision unilatérale du doublement des salaires », a-t-il ajouté, précisant qu'il n'y aurait pas d'ouverture sans accord de branche, d'entreprise ou de territoire.
La privatisation des aéroports de Nice et Lyon
Entre la réforme sur les professions réglementées et le travail du dimanche, a été débattu l’article 49, relatif au projet de privatisation des sociétés Aéroports de la Côte d’Azur et Aéroports de Lyon. La députée Front de gauche, Jacqueline Fraysse, s'est insurgée contre cette « logique de court terme » aboutissant selon elle à « prendre une décision grave au seul prétexte d’éponger une dette ». La rapporteure thématique Clotilde Valter (PS) a souhaité davantage encadrer les conditions de la privatisation : « L’exemple de l'aéroport de Toulouse (voir notre article ici) a montré que le processus de privatisation comporte un certain nombre d’insuffisances avérées. »
« Tirons les expériences de Toulouse, a répondu le ministre. La sensibilité d’un des investisseurs a créé beaucoup d’émoi, cet émoi eût été différent si une autorisation préalable du Parlement avait été donnée. Cet amendement me paraît donc de bon aloi », a-t-il conclu. Les députés ont obtenu qu'en cas de transfert de participation majoritaire, il y ait systématiquement une autorisation du Parlement.
Professions réglementées
À fronts renversés, l'article visant à déverrouiller les tarifs des notaires et huissiers a fait l'objet de vifs débats entre les défenseurs des « professions stigmatisées », ancrés à droite, et les artisans de la dérégulation, plutôt à gauche. « Un monde à l'envers », a reconnu Julien Aubert (UMP), qui s'est évertué à défendre les notaires face au « libéralisme sauvage ». « Ça fait froid dans le dos de voir à quel point on va mettre ces professions dans l’économie de marché », a jugé le député (UMP) du Val-d'Oise, Philippe Houillon, quand Éric Woerth a souligné le « risque de marchandisation ».
L'article en question prévoit que les nouveaux tarifs se rapprochent « des coûts réels », tout en préservant l'existence d'une « marge raisonnable ». Le concept, relativement flou, sera « défini par des critères objectifs », a rassuré Emmanuel Macron, à l'intérieur d'une fourchette comportant un maximum et un minimum dont l’amplitude sera limitée par voie réglementaire.
Mettant en doute les arguments du groupe UMP, le rapporteur général Richard Ferrand a vilipendé « les nombreuses actions de lobbying auprès des parlementaires ». À trente minutes de la fin du troisième jour des débats, il est 00h 30 lorsqu'il lit à haute voix le mail qu'il affirme avoir reçu, « sans doute par accident », du président du groupe du notariat, Pierre-Luc Vogel : « Je tiens à vous remercier très sincèrement pour les nombreuses actions de lobbying auprès des parlementaires que vous avez su mener dans un délai très bref en période des fêtes de fin d'année et nous en constatons d'ailleurs l'impact positif », s'étonne-t-il avant de poursuivre : «Je ne sais à qui est adressé cet hommage, mais chacun se reconnaîtra. »
Le rapporteur général Richard Ferrand aux côtés du ministre de l'économie. © Yannick Sanchez
« Une profession qui s’est sentie attaquée se défend », a rétorqué Sébastien Huyghe (UMP), député du Nord et par ailleurs notaire de formation. « Il n’y a pas ici ceux qui défendraient les professions juridiques et ceux qui ne les défendraient pas », a tranché la député (PS) du Nord Audrey Linkenheld, proche de Martine Aubry, avant de saluer la transparence du nouveau système de tarification. Autre élément de discorde, l'absence de la garde des Sceaux. Une situation jugée « surréaliste » par Marc Dolez (Gauche démocrate et républicaine) et reprise à l'unisson par la quasi-totalité des membres de la commission spéciale.
Le projet de loi Macron visait aussi à faciliter l'installation des jeunes notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires. En faisant voler en éclats la loi du 25 ventôse an XI, instaurée en 1803, c'est désormais chose faite. Une carte des régions, proposée par l'Autorité de la concurrence et établie par le gouvernement, déterminera l'implantation de ces professions « pour renforcer la proximité et l'offre de services ». Les professions juridiques s'en sortent tout de même à bon compte puisque comme le stipule un amendement du rapporteur général, la ministre de la justice devra donner son aval dans les zones qui pourront « porter atteinte à la continuité de l'exploitation des offices existants ou la qualité du service rendu ». La liberté d'installation est donc toute relative.
Une limite d'âge d'activité des notaires a aussi été fixée à 70 ans et un nouvel amendement prévoit l'existence d'un fonds pour compenser les actes effectués à perte et pour financer l’aide juridictionnelle. Quant aux six milliards d'économie qu'Arnaud Montebourg voulait reprendre aux « rentiers », Emmanuel Macron s'en est tenu à la prudence : « Mon prédécesseur avait fourni des chiffres, la rigueur nous oblige à dire qu’il y aura du pouvoir d’achat. »
Le secret des affaires
Un amendement du rapporteur général Richard Ferrand, particulièrement attendu, s'est glissé après l'article 64. Directement inspiré d'une proposition de loi du président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas et du président du groupe socialiste Bruno Le Roux, cet amendement définit le secret des affaires. Il prévoit notamment de punir quiconque prend connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée au titre du secret des affaires d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende. La peine pourra être portée à sept ans d’emprisonnement et 750.000 euros d’amende en cas d’atteinte à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France. La tentative de ce délit doit être passible des mêmes peines.
C'est justement ce qui inquiète la presse et pourrait mettre en péril (nous l'avons raconté ici et là) de futures révélations sur des scandales économiques, telles l’enquête sur le scandale Adidas/Crédit lyonnais ou celles sur les ramifications luxembourgeoises du groupe Bolloré, pour ne citer que celles-ci. Hormis la députée (PS) Karine Berger, personne n'a soulevé la question de la protection des lanceurs d'alerte. « Le secret des affaires doit être protégé dans 99 % des situations, mais nous avons aussi quelques cas retentissants où si l'on n'avait pas eu, de fait, une violation du secret des affaires, on n'aurait jamais rien su », a-t-elle pointé, prenant pour exemple les récentes révélations « Luxleaks » sur les accords secrets entre le fisc luxembourgeois et 300 entreprises.
Le rapporteur général lui a répondu que cet article « n’est pas applicable dans le cas où la loi autorise la révélation du secret à celui qui informe ou signale aux autorités compétentes. Les lanceurs d’alerte sont protégés », a-t-il assuré. On pourra lui objecter que la menace d'être sujet à une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende pourra refroidir les ardeurs de quelques journalistes d'investigation économique.
Jean-Frédéric Poisson s'est dit en faveur du texte au nom du groupe UMP, tout en prônant l'abstention pour prendre le temps d'expertiser l'amendement. Le centriste Francis Vercamer a appelé à voter l'amendement, tout comme Jean-Yves Le Bouillonec (PS).
Les députés ont par ailleurs adopté un amendement qui vise à autoriser les sociétés à demander la non-publicité de leurs comptes annuels « afin de protéger les entreprises françaises, ces contraintes de publications n’existant pas dans de nombreux pays ». Cet amendement de la socialiste Bernadette Laclais a été adopté contre l’avis du gouvernement et du rapporteur socialiste, qui ont notamment mis en avant un risque de contradiction avec le droit européen sur ce sujet.
La réforme du permis de conduire
Dès le premier jour des débats, la commission a voté une légère réforme du permis de conduire. Les étudiants pourront désormais passer le code de la route au lycée. Un amendement du président de la commission, François Brottes (PS), a rendu possible la préparation et la présentation à l'examen du code dans les locaux des lycées, en dehors du temps scolaire, pour les élèves volontaires.
Les députés présents ont aussi rendue obligatoire, au moins une fois par an, la publication par les auto-écoles des taux de réussite de leurs candidats aux épreuves du code de la route et de conduite. L'idée étant de favoriser « la concurrence entre les auto-écoles sur une base objective » et la « baisse des tarifs pratiqués », a expliqué le rapporteur général.
Très remontée, l'ancienne ministre du logement Cécile Duflot a débarqué en commission jeudi 15 janvier, en plein débat sur les ventes d'immeubles à la découpe (vente lot par lot). Ne pouvant voter sur les amendements puisqu'elle n'est pas membre de la commission, mais libre de donner son avis, elle a vivement critiqué la remise en cause des protections qu'elle avait mises en place dans le cadre de la loi ALUR, qu'elle ne pensait « pas vivre avant juin 2017 ». « La vente à la découpe, c'est de la rentabilité de barbouze », a lancé la députée écologiste. Emmanuel Macron, tout en saluant sa « vraie sincérité » et son « courage face aux lobbies » lorsqu'elle était au gouvernement, a pointé « un peu de posture » dans ses propos, affirmant « ne revenir en rien à la situation avant ALUR ».
Réformer le code de l'environnement par ordonnance
Cécile Duflot est montée au créneau une seconde fois le vendredi matin, lorsqu'a été évoquée la possibilité de modifier le code de l'environnement pour « accélérer l’instruction et la délivrance de l’autorisation des projets de construction », comme le prévoit l'article 28. « Pourquoi le besoin de réformer le droit de l’environnement par ordonnance ? » a-t-elle questionné. Elle en a profité pour dénoncer l'omniprésence de Bercy dans ces réformes : « C'est pour ça que c’est vous, ministre de l’économie, et non pas Ségolène Royal, qui venez nous parler de la réforme du droit de l’environnement. »
L'écologiste pro-gouvernement Denis Baupin a quant à lui réaffirmé que « c’était une bonne idée de procéder par ordonnance sur un sujet comme celui-là », tout en regrettant ne pas avoir obtenu davantage de garanties de l'exécutif. « Si la volonté économique doit l’emporter sur le reste, il y a fort à parier pour que l’environnement en pâtisse », a-t-il conclu à l'issue des débats.
Dimanche 18 janvier, les députés ont simplifié la réforme procédurale des conseils de prud'hommes, qui vise à raccourcir les délais et à favoriser l'intervention de juges professionnels, en précisant et limitant les cas de renvoi devant la formation de jugement présidée par le juge départiteur ou la formation de jugement restreinte. L'article 83, qui fait près de huit pages et qui modifie substantiellement le code du travail mériterait à lui-seul un projet de loi. C'est pourquoi Mediapart a choisi de le traiter dans un article distinct.
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Performance d' @EmmanuelMacron présent dps lundi en #commission spéciale #LoiMacron : précis, rigoureux soucieux de co-construire son PLoi
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Malgré plusieurs désaccords, la plupart des députés en commission se sont réjouis de la bonne tenue des débats, tels le rapporteur thématique Christophe Castaner qui, à la fin de la semaine, écrit dans un tweet sa fierté d'avoir co-construit cette nouvelle loi ; ou encore la députée (PS) des Pyrénées-Atlantiques Colette Capdevielle, qui souligne la précision et la rigueur du jeune ministre. Même les députés (UMP) de l'opposition Jean-Frédéric Poisson et Philippe Houillon ont souligné les avancées portées par ce texte au fil des débats.
Difficile pourtant d'y voir clair, entre les réformes sur les professions réglementées, le permis de conduire, les privatisations d'aéroports, la réforme du code de la santé publique, l'ouverture du transport en car à la concurrence, l'autorisation d'opérations sur le capital de sociétés à participation publique et même un amendement qui statue sur les labels dans le commerce équitable… En réussissant à faire voter une loi fourre-tout sans la présence des ministres de tutelle, Emmanuel Macron vient de réaliser un sacré numéro d'équilibriste dans l'art du compromis libéral.
Boîte noire :
Ajout du mardi 20 janvier à 13h sur la réforme de la justice prud'homale :
« Dimanche 18 janvier, les députés ont simplifié la réforme procédurale des conseils de prud'hommes, qui vise à raccourcir les délais et à favoriser l'intervention de juges professionnels, en précisant et limitant les cas de renvoi devant la formation de jugement présidée par le juge départiteur ou la formation de jugement restreinte. L'article 83, qui fait près de huit pages et qui modifie substantiellement le code du travail mériterait à lui-seul un projet de loi. C'est pourquoi Mediapart a choisi de le traiter dans un article distinct. »
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Source :
www.mediapart.fr