De nouveau, la sortie de la Grèce de la zone euro n’est pas une hypothèse d’école. Chez les bookmakers britanniques, la possibilité d’un « Grexit » est évaluée à une sur deux, contre une sur trois la semaine dernière. Sans attendre, le premier ministre britannique, David Cameron, a annoncé lundi une réunion d’urgence avec les principaux responsables du Trésor et de la Banque d’Angleterre, afin, explique-t-il, que le gouvernement se prépare à toutes les éventualités.
Le bras de fer engagé entre les responsables européens et le gouvernement grec depuis son élection, il y a deux semaines, tétanise tout le monde. À la veille de la réunion exceptionnelle des ministres européens des finances sur la Grèce, mercredi 11 février, les positions paraissent irréconciliables. Les dirigeants européens refusent d’accepter le moindre aménagement du programme d’austérité imposé à la Grèce et de renégocier sa dette. En face, le gouvernement grec entend honorer toutes ses promesses.
L’espoir, entretenu par les responsables européens, de voir le gouvernement de Syriza plier, ou au moins temporiser, a définitivement été douché, dimanche 8 février, après la déclaration de politique générale d’Alexis Tsipras, plus déterminé que jamais à obtenir une renégociation complète du plan d’aide, qui a échoué totalement. « Le temps est venu de dire tout haut ce que les officiels reconnaissent quand les micros sont fermés et parlent ouvertement. (…) À ce stade, quelqu’un a le devoir de dire non, et cette responsabilité est tombée sur nous, la petite Grèce », a répété le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, lundi, devant le Parlement grec, en demandant un crédit relais de 5 milliards d’euros jusqu'en septembre, le temps de remettre sur pied un nouveau programme de réformes.
Sortant de sa réserve pour la deuxième fois en moins d’une semaine, le gouvernement américain, craignant que la situation ne devienne incontrôlable, presse les responsables européens de trouver un compromis avec la Grèce. Le gouvernement canadien lui a emboîté le pas, tout comme les financiers. Timothy Adams, le président de l’Institut de la finance internationale – l’organisme qui avait beaucoup pesé lors de la renégociation de la dette grecque en 2012 –, est sorti lui aussi à nouveau du silence. « Je pense qu’il existe encore une possibilité pour toutes les parties de trouver un compromis, mais je pense qu’elle se réduit très vite. Espérons que nous pourrons trouver une issue », a-t-il prévenu, en marge du sommet du G20 des responsables financiers à Istanbul.
Evolution des PIB européens entre 2008 et 2014. © ING- The telegraph
Les économistes du monde entier multiplient les appels (voir ici, là ou encore là) auprès des responsables européens pour qu'ils acceptent d’offrir une rémission à la Grèce. Tous jugent que le programme d’austérité imposé à la Grèce a lamentablement échoué (voir en Grèce le coût social et humain de l’austérité) et s’est traduit par un écroulement de 27 % du PIB en six ans. Une chute jamais vue depuis la crise de 1929. Tous insistent sur le niveau insoutenable de la dette grecque (177 % du PIB). « Ce n’est pas restructurer la dette mais de ne pas le faire qui est immoral », écrit l’économiste Joseph Stiglitz, qui a pris la tête de la croisade contre la position inflexible de la commission européenne.
Comment la Grèce, qui représente moins de 2,5 % du PIB européen, en est arrivée à menacer l’ensemble de la zone euro ? Pourquoi les responsables européens n’ont-ils pas pu régler une question à moins de 300 milliards d’euros, alors que, depuis la crise financière de 2008, ils ont su mobiliser 4 500 milliards d’euros (37 % du PIB européen) pour sauver leur système financier ? Retour sur six années de gestion calamiteuse du dossier grec par les responsables européens.
2009 : la faute grecque
Lorsque le gouvernement de Georges Papandréou (Pasok) arrive au pouvoir, en octobre 2008, il ne peut que constater l’évidence : la Grèce est en faillite. Les déficits budgétaires explosent, tout comme la dette. Au printemps suivant, il passe aux aveux : le déficit budgétaire ne va pas être de 6 % du PIB mais de 8,3 % (il sera en réalité de plus de 9 %). Dès ces aveux, c’est la curée en Europe. Prenant la tête de la ligue de vertu, l’Allemagne transforme directement le problème en question morale. L’endettement est une faute, le paiement de ses dettes une obligation morale, et les finances de l’État doivent être gérées comme celles d’un ménage.
L’Europe ne se départira plus jamais de cette ligne. D’autant que les problèmes de la Grèce vont faire resurgir des secrets cachés : la Grèce, aidée par la banque Goldman Sachs, a trafiqué ses comptes pour pouvoir entrer dans l’euro. Sans ces maquillages, elle n’aurait jamais pu rejoindre la monnaie unique.
La banque Goldman Sachs – mais faut-il rappeler qu’à l’époque, un certain Mario Draghi était responsable pour la banque des dettes souveraines de l’Europe ? – ne sera jamais inquiétée par la moindre commission d’enquête, par le moindre responsable européen pour ses agissements. La Grèce, en revanche, devient la tête de Turc de l’Europe. En Allemagne, où les responsables ont toujours considéré qu’Athènes était un passager clandestin de la zone euro, la presse populaire se déchaîne. Les Grecs sont des « fainéants, des tricheurs ». Ils doivent vendre leurs îles et le Parthénon. À aucun moment, Angela Merkel ne tente d’endiguer ce mouvement. Au contraire, la chancelière allemande déclare alors que la solidarité européenne ne saurait être mise en œuvre pour un gouvernement qui a failli. La sortie de la Grèce de la zone euro commence à être évoquée comme un scénario possible. En fidèle allié, Nicolas Sarkozy est totalement aligné sur la position allemande et ne dit rien.
Exposition des banques européennes aux dettes © FMI
À l’époque, l’endettement de la Grèce s’élève à 300 milliards d’euros. Le pays s’est beaucoup endetté à partir de son entrée dans la zone euro, qui lui a permis de bénéficier de taux de plus en plus bas. Les gouvernements successifs (un Karamanlis succédant à un Papandréou et ainsi de suite pendant 30 ans) ont utilisé à tour de bras ces facilités pour financer un système politique, où le clientélisme, le népotisme, l’inefficacité, l’évasion fiscale et la corruption règnent en maître.
Mais, comme le rappelle Martin Wolf, chroniqueur du Financial Times, s’il y a des emprunteurs impétrants, il y a aussi des créanciers qui acceptent de leur prêter. Ils sont les deux faces d’une même pièce. « La vérité est que les créanciers ont une responsabilité morale de prêter de façon avisée. S’ils échouent à estimer les risques de leurs emprunteurs, ils méritent ce qui arrive par la suite. Dans le cas de la Grèce, l’ampleur des déficits extérieurs, en particulier, était manifeste », écrit-il. Mais cette face de la pièce sera soigneusement oubliée.
Socialisation des pertes
Pays fournisseurs de la défense grecque © The Guardian
Sur les 300 milliards d’euros de dettes de l’époque, 200 milliards sont portés par les banques et les institutions privées. Les banques françaises, suivies par les banques allemandes, sont les plus exposées. Elles ont prêté à l’État grec, mais ont aussi beaucoup accompagné les grands groupes européens, ravis de voir dans la Grèce un nouveau marché, qui pour construire les grands équipements liés aux Jeux olympiques de 2004 (Siemens), qui pour vendre des armements, des sous-marins, des équipements terrestres (Thales, DCNS, TKMS, DASA) à une armée grecque qui, chaque année, pompe un budget équivalent à 4 % du PIB du pays. À cette date, la Grèce se classe au quatrième rang pour ses dépenses militaires.
Pensant qu’une cure de rigueur et d’austérité suffira à ramener la Grèce dans le droit chemin, les responsables européens imposent les premières mesures drastiques à Athènes, sans lui porter assistance, laissant le pays suffoquer sous les charges financières.
Mai 2010 : l’arrivée de la Troïka
Après la Grèce et l’Irlande, la crise était en train de gagner toute l’Europe du Sud. Les défauts de la construction de la zone euro, masqués quelque temps, apparaissaient tous au grand jour : la zone euro n’est pas une zone de transferts entre les pays riches et les pays pauvres, entre les exportateurs et les importateurs. Privés de la possibilité des ajustements monétaires et des dévaluations, les pays de l’Europe du Sud voient toute leur industrie s’effondrer et leur économie perdre en compétitivité, asphyxiées par une monnaie surévaluée par rapport à leur base économique mais sous-évaluée pour les pays du Nord. La Grèce, sans base industrielle, sans économie développée, est le pays le plus mal en point, au bord de l’effondrement.
« Si le problème de la Grèce avait été pris plus tôt, il n’aurait pas pris ces proportions », déclarera Christine Lagarde, une fois à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Mais les responsables européens tergiversent pendant des mois. L’Allemagne refuse d'abord d’entendre parler de tout plan d’aide pour la Grèce, et puis il y a les élections régionales en Rhénanie-Westphalie. Une fois ces élections d’importance planétaire passées, l’Allemagne, sur l’insistance pressante des États-Unis, accepte le plan d’aide, mais à ses conditions : le programme d’aide européen doit se faire sous l’égide du FMI, expert en pays en détresse.
Dès ce moment, des économistes, y compris au sein du FMI, ont signalé la difficulté du plan de sauvetage de la Grèce. À la différence de tous les autres pays dans la même situation, la Grèce, tenue par la rigidité de la monnaie unique, ne peut pas dévaluer et trouver ainsi un peu d’oxygène pour accompagner son indispensable programme de redressement des comptes publics. Des experts du FMI, mais d’autres aussi, préconisent de contourner l’obstacle de l’impossibilité d’une dévaluation en restructurant la dette grecque. Ce qui aurait pour effet d’alléger la charge et les contraintes financières du pays.
Mais les responsables européens refusent cette solution. Tous les ajustements doivent passer par une dévaluation interne. Une Troïka est formée, associant le FMI, la Banque centrale européenne (BCE) et l’Union européenne (UE), avec pour mission de veiller au respect point par point de l’application des « remèdes » préconisés : diminution des dépenses publiques, réduction des salaires et des retraites, révision du droit social, privatisations, déréglementation. L’essentiel des efforts est demandé aux classes populaires et moyennes. Pas un mot n’est dit sur la lutte contre l’évasion fiscale, sur la taxation des plus riches (armateurs, église orthodoxe, mais aussi professions libérales) qui échappent à l’impôt. Aujourd’hui, les responsables de la Troïka se défendent en soulignant que ce sont les gouvernements grecs qui ont dessiné le plan d’austérité et arrêté les mesures. À les entendre, la mise en œuvre de l’austérité ne relevait pas de leur compétence.
Dans le cadre de ce plan de sauvetage, le FMI apporte 30 milliards d’euros de prêts, la plus grande somme jamais engagée par le fonds international, rappelle-t-il. L’Europe, de son côté, annonce la création d’un fonds européen de stabilité financière de 500 milliards d’euros, afin d’aider les pays de la zone euro en difficulté, et en particulier la Grèce, à se refinancer, en achetant notamment des dettes souveraines sur le marché secondaire. Ce fonds, basé au Luxembourg, est conçu comme un instrument de financement à effet de levier : les pays européens n’apportent que très peu de capital, mais ils se portent garants des sommes levées sur les marchés. Leur garantie, calculée au prorata dans la zone euro, ne sont exigibles que si le pays emprunteur n’honore pas ses échéances.
Avec ce matelas financier de secours et les mesures d’austérité imposées, la Grèce, selon les scénarios dessinés par la Troïka, doit passer le cap sans trop de difficultés. Passé une ou deux années de récession, tout doit rentrer dans l’ordre. L’économie doit rebondir, les finances publiques se redresser, l’endettement diminuer. La Troïka pense alors que la Grèce pourra revenir sur les marchés dès 2012, au pire 2014. Rien ne se passera comme prévu. « Le programme était bâti sur un nombre d’hypothèses ambitieuses, les risques ont été minimisés. Il y a eu des échecs notables », écrivent en 2015 des experts du FMI dans un rapport interne, très critique.
Le grand transfert des créances bancaires vers le public. © FMI
« Cette gestion du flux n'apporte pas de réponse à la question du stock. Or, c'est bien l'ensemble des dettes accumulées dans les pays européens qui pose problème. Comment ces pays vont-ils faire pour honorer les intérêts de leurs dettes et les rembourser dans une conjoncture sans croissance ? Comment vont-ils retrouver une situation financière soutenable sur le long terme ? Prétendre atteindre un niveau très bas d'endettement en un temps record n'est pas réaliste », commente en 2011 l’économiste très orthodoxe, Jean Pisani-Ferry, dans son livre Le Réveil des démons - La crise de l'euro et comment nous en sortir (Éditions Fayard), pointant l’erreur manifeste des responsables européens dans leur approche de la crise.
Le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, ne dit pas autre chose quand il déclare : « On ne résout pas un problème d’insolvabilité, en le traitant comme un problème de liquidité. » Le FMI est encore plus critique sur les erreurs commises par les responsables européens dans cette approche de la crise grecque, pointant les arrière-pensées et les manœuvres en coulisses de l’Europe : le plan de sauvetage ne consistait pas à sauver la Grèce mais à sauver les banques européennes, particulièrement exposées à la dette grecque. « Ce report a donné une fenêtre aux créanciers privés pour réduire leurs expositions et placer la dette dans des mains publiques. Ce transfert a été réalisé à une échelle impressionnante (voir graphique) et a laissé le secteur public en risque », écrit-il.
Alors que la déroute grecque se confirme, les responsables européens mènent un coup d’État rampant lors du sommet de Cannes de 2011 en imposant la démission de Papandréou et son remplacement par un gouvernement technocratique. Mais cela n’endigue pas la crise, qui gagne désormais l’Espagne et l’Italie.
Pour éviter à nouveau l’effondrement de toute la zone euro, le président de la BCE d’alors, Jean-Claude Trichet, tord le cou à tous ses principes et tous les traités, et fait racheter des titres des pays en difficulté sur le marché secondaire. À la fin 2011, la dette grecque s’élève à 350 milliards d’euros. Les créanciers privés n’en détiennent plus que 37 % (130 milliards), les créanciers grecs, essentiellement les banques, que 22 % (80 milliards). Les créanciers publics détiennent tout le reste : le FMI est engagé à hauteur de 30 milliards, la BCE de 55 milliards, le fonds de stabilité européen de 53 milliards.
Février 2012 : une restructuration au service des banques
Cela ne doit pas s’appeler une faillite. Mais cela y ressemble étrangement. En février 2012, après des négociations harassantes avec l’Institut de la finance internationale, une restructuration de la dette grecque est décidée. La BCE refuse d’y participer, car tout effacement de la dette grecque qu’elle détient en portefeuille, reviendrait à financer indirectement un État, ce qui serait contraire aux traités européens, explique-t-elle. Les pays européens refusent également de s’y associer, car leur garantie serait requise, ce qui reviendrait à faire payer leurs contribuables.
Évolution de la dette en % du PIB. © Commission européenne -The Telegraph
La restructuration ne porte donc que sur la dette détenue par les seuls créanciers privés. L’accord stipule que 53 % de cette dette, soit 107 milliards, seront effacés, par le biais d’un échange de titres.
Cette opération est censée être un ballon d’oxygène pour la Grèce, d’autant que l’Europe consent à 130 milliards d’euros d’aides supplémentaires, ce qui porte à 210 milliards d’aides au total. Dans les faits, ce programme est totalement préempté par le système financier : 35,4 milliards d’euros sont versés en compensation aux créanciers qui ont accepté d’échanger leurs titres ; 48,2 milliards sont accordés aux banques grecques, filiales des banques étrangères incluses, qui ont besoin d’être recapitalisées, après la restructuration. Pour racheter les dettes d’origine et payer les intérêts dus aux créanciers, 149,2 milliards d'euros sont dépensés (96 milliards pour le principal, 53,2 milliards pour les intérêts).
Ainsi, seulement 20,3 milliards d’euros, soit moins de 10 % des crédits accordés à la Grèce, seront vraiment utilisés pour soutenir l’économie du pays et sa population. Tout le reste n’a servi qu’au système financier. À la sortie de cette restructuration, le taux d’endettement de la Grèce est toujours à 140 % du PIB. Du jamais vu dans l’histoire économique.
Qui détient la dette grecque aujourd’hui ?
Les paiements de dettes par la Grèce depuis 2010 © Jubilee campaign
Avec un endettement correspondant à 177 % du PIB et une économie en dépression, la Grèce est en état de faillite. Depuis 2010, elle a versé près de 150 milliards d'euros pour rembourser ses dettes et payer les intérêts de la dette en cours. Ces sommes ont été soit apportées dans le cadre du plan de sauvetage, soit extraites directement de l'économie grecque. Car à la différence des autres pays, n'ayant plus accès aux marchés financiers pour se refinancer et faire rouler sa dette, Athènes doit payer le tout. Cettte situation explique les exigences fixées par la Troïka de dégager un excédent budgétaire d'au moins de 4,5 % du PIB. C'est le niveau qu'elle estime nécessaire pour que la Grèce puisse honorer ses échéances. Le gouvernement demande de ramener cet excédent à 1,5 %, de façon à dégager les ressources nécessaires pour atténuer la grave crise sociale et soutenir l'économie.
La plupart des experts jugent qu’un abandon total ou partiel de la dette est inévitable. À peine élu, le gouvernement grec a tout de suite engagé le débat sur le sujet, se heurtant partout à une fin de non-recevoir.
Les créanciers de la Grèce.
Alors que les créanciers privés étaient très actifs et bruyants au début de la crise grecque, ils se montrent très discrets dans les conversations du moment entre le gouvernement grec et les responsables européens. Normal, le tour de passe-passe opéré par l’Europe a fonctionné : ils ne sont pas concernés ou à la marge. 12 % de la dette grecque sont détenus par les créanciers privés. Ceux-ci sont souvent des fonds vautours, des hedge funds qui ont racheté des titres grecs avec une énorme décote – parfois 20 % de la valeur faciale – et empochent de substantiels coupons : les taux des émissions grecques peuvent aller jusqu’à 8 % et plus. Quand l’argent est à taux zéro, c’est un placement mirifique. Fin 2012, un hedge funds new-yorkais déclarait que la dette grecque avait été son meilleur placement de l’année.
Tout le reste est donc entre des mains publiques. Les crédits du FMI s’élèvent à quelque 30 milliards. Mais jamais dans son histoire, le FMI n'a accepté de participer à un abandon de prêts. Cette possibilité semble encore plus improbable que nombre de responsables des pays émergents ont violemment critiqué le soutien du FMI à la Grèce et jugé qu'elle avait bénéficié d’un traitement de faveur.
Dans le passé, le FMI a accepté des rééchelonnements de dettes, passant par des allongements de la durée, des abaissements de taux. Il a notamment participé au plan Brady sur le Mexique en 1990. Surendetté, le Mexique avait alors bénéficié d’un rachat de ses dettes à 50 % de leur valeur. L’opération avait été menée sous l’égide des États-Unis. Mais encore faut-il que les Européens soient d’accord sur le principe.
Les créances détenues par la BCE s’élèvent à une trentaine de milliards (les chiffres varient selon les sources, mais l’ordre de grandeur reste le même). La Banque centrale dit avoir déjà fait beaucoup d’efforts pour aider la Grèce. Les paiements des intérêts qu’elle perçoit sont reversés aux pays européens, au prorata de leur participation dans le capital de la BCE. Ceux-ci doivent normalement reverser ces sommes à la Grèce. De même, les plus-values que la BCE dégage au remboursement des émissions (car elle aussi a acheté avec d’importantes décotes) sont reversées aux pays européens, puis à la Grèce, selon le même mécanisme. C’est à ces sommes que le gouvernement grec fait référence, lorsqu’il réclame à la BCE et aux pays européens 1,8 milliard d’euros qu’il estime lui être dû. Mais les gouvernements européens lient cette restitution au respect par la Grèce du plan de sauvetage et de son échéancier de dettes.
Pour la BCE, la Grèce bénéficie donc d’un taux zéro sur ces emprunts logés dans la Banque centrale. Elle estime ne pas pouvoir aller au-delà. Consentir à un abandon de certaines créances lui semble tout à fait impossible. Ses arguments sont les mêmes qu’en 2012 : tout abandon reviendrait à financer l’État grec, ce qui est contraire aux traités.
Les emprunts de la Grèce auprès des pays européens s’élèvent à quelque 200 milliards d’euros. L’essentiel (environ 140 milliards) est porté par le Fonds européen de stabilité financière, le reste (53 milliards) est lié à des crédits bilatéraux consentis par des pays européens à la Grèce. Les engagements de l’Allemagne auprès de la Grèce s’élèvent, tous prêts confondus, à 55 milliards d’euros (là encore, les chiffres varient selon les sources mais les ordres de grandeur sont toujours les mêmes), ceux de la France à 42 milliards, ceux de l’Italie à 32 milliards, ceux de l’Espagne à 27 milliards d’euros. Ces prêts sont en fait des garanties. Les différents pays se sont portés garants des prêts de la Grèce en y apposant leur signature, mais n’ont jamais apporté d’argent directement.
Les responsables européens disent avoir déjà consenti beaucoup d’aménagements à la Grèce. Ils ont allongé les durées des émissions, diminué les taux – le taux moyen d’emprunt de la Grèce est autour de 2,2 %, et bien moins élevé par exemple que celui du Portugal. Mais ils se refusent à envisager le moindre effacement de dettes. Car leurs garanties seraient sollicitées. « Il ne saurait être question que les contribuables européens paient pour la Grèce. Comment imaginer que les Portugais ou les Espagnols qui ont mené de durs plans d’austérité remboursent pour les Grecs », ont assuré plusieurs responsables européens, de Jean-Claude Juncker à Wolfgang Schäuble, oubliant au passage que cette situation découle de leurs choix politiques antérieurs.
Accepter d’effacer une partie de la dette les condamnerait à avouer ce qu’ils ont réellement fait depuis six ans : toute leur gestion de la crise grecque, de la crise de l’euro a consisté à socialiser les pertes du système bancaire, à reporter sur les populations les risques inconsidérés pris par les banques. Ce serait reconnaître aussi que leur politique d’austérité est un échec patent. Ce serait enfin devoir accorder à d’autres pays européens, en commençant par l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, une remise de peine et une renégociation de leurs dettes. Autant dire que tout changement leur semble impossible. Même si cela peut conduire à l’explosion de la Grèce.
La crise de la Grèce, jusqu’à présent, n’est pas une mauvaise affaire pour tout le monde. La fragmentation de la zone euro a entraîné d'immenses déplacements financiers : les investisseurs ont abandonné les pays de l’Europe du Sud pour se reporter vers les pays jugés les plus sûrs, Allemagne en tête. Ceux-ci peuvent se financer à un coût proche de zéro depuis plusieurs années. Ces derniers jours, les taux allemands à dix ans sont à 0,37 %. Cela représente au moins 10 milliards d’économies sur ses charges financières par an. La France économise, elle aussi, entre 5 et 6 milliards d’euros par an sur son service de la dette. Mais cela n’est jamais évoqué dans les discussions sur la Grèce. Athènes doit rester coupable de tout.
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Source : www.mediapart.fr