Source : www.reporterre.net
Ecologie
Pour sauver le climat, ils s’attaquent à la finance
Emilie Massemin (Reporterre)
jeudi 12 février 2015
Vendredi et samedi auront lieu les premières journées mondiales de désinvestissement. L’objectif : faire pression sur les institutions publiques et les banques, pour qu’elles cessent de financer l’industrie des combustibles fossiles.
Banques, universités, collectivités locales et même Églises, les institutions sont nombreuses à financer le changement climatique en investissant leurs fonds dans l’industrie des combustibles fossiles. Pour les pousser à désinvestir et à placer leur argent dans les énergies renouvelables, le mouvement Fossil Free organise les « Global Divestment Days » (journées mondiales de désinvestissement), vendredi 13 et samedi 14 février.
Plusieurs centaines d’événements sont prévus, sur six continents : sit-in et flashmobs d’étudiants aux États-Unis et au Royaume-Uni, retraits massifs dans les banques finançant le projet charbonnier Alpha Coal en Australie, rassemblement et bougies au Vatican...
Cette mobilisation mondiale est portée par le mouvement 350.org. Ce dernier est fondé en mars 2008 aux États-Unis, par le journaliste et auteur écologiste Bill McKibben et une poignée d’étudiants ayant suivi ses cours. Pourquoi 350 ? « Parce que les scientifiques ont établi que la concentration de CO2 dans l’atmosphère ne devait pas dépasser 350 parties par million si nous voulons rester dans une zone ’sécurité climatique’ », explique Emma Biermann, coordinatrice européenne à 350.
- Bill McKibben -
Laisser 80 % des réserves fossiles sous terre
Mais en 2012, c’est un autre chiffre qui lance la campagne mondiale de désinvestissement de 350. « Nous avons cinq fois plus de pétrole, de charbon et de gaz en réserve, que ce que les scientifiques pensent qu’il est sûr de brûler. Nous devrions garder 80 % de ces réserves sous terre pour échapper à ce destin », écrit Bill McKibben dans un article fondateur publié cette année-là par le magazine Rolling Stones. Il entame ensuite une tournée de sensibilisation dans vingt-deux villes américaines.
De nombreux étudiants se mobilisent alors pour « purger » les universités de leurs investissements carbonés. A Stanford, Sophie Harrisson et ses amis entament une campagne Fossil Free Standford dès 2012. « Nous avons commencé par organiser une manifestation étudiante, puis nous avons proposé un référendum : 75 % des étudiants ont dit oui au désinvestissement, se souvient la jeune femme. Nous avons également travaillé avec nos professeurs. Trois-cents d’entre eux ont envoyé une lettre à l’université l’appelant à retirer ses investissements de l’industrie fossile. »
L’université qui vivait de la destruction de la planète
Ses condisciples se montrent sensibles à la cause : « Les étudiants savent que le changement climatique est une crise grave, ils essaient de faire du vélo, de moins utiliser la voiture, mais veulent aussi mener une action plus politique. Ils trouvent horrible que leur éducation soit financée par des investissements qui détruisent l’avenir et la planète. »
L’administration de Stanford est plus lente à réagir mais accepte finalement d’arrêter d’investir dans le charbon, en mai 2014. « C’est une excellente première étape, se réjouit Sophie Harrisson. Mais nous continuons la mobilisation pour que l’université se désinvestisse aussi du pétrole et du gaz. »
L’Université de Concordia, à Montréal au Canada, saute également le pas. Actuellement, 10 à 15 % de ses 100 millions de dollars d’investissements sont placés dans le secteur des combustibles fossiles, mais elle a entamé un désinvestissement partiel.
« Il y a environ 18 mois, des leaders étudiants m’ont approché pour entamer une discussion sur le désinvestissement, raconte Bram Freedman, président de la fondation de l’Université Concordia. Nous avons convenu de former un groupe de travail mixte composé de représentants de la Fondation et de leaders étudiants. Nous y avons échangé au sujet des préoccupations des étudiants ainsi que des obligations de la Fondation en tant que fiduciaire. Celle-ci doit en effet maximiser le rendement du capital investi pour être en mesure de financer des bourses d’études et de subsistance, de même que la recherche à Concordia. »
L’Université convient finalement d’allouer 5 millions de dollars de son fonds de dotation à la création d’un fonds de placement durable. « Il s’agit d’un projet pilote, et nous surveillerons le rendement du capital avant de prendre d’autres décisions, précise le président de la fondation. Concordia suit depuis quelques années les débats et les discussions entourant les combustibles fossiles. Nous avons donc jugé qu’il fallait joindre le geste à la parole. »
La campagne fait lentement bouger les mentalités. En août dernier, le Conseil oecuménique des Églises décide de se défaire de ses titres dans les combustibles fossiles. Puis c’est au tour de la Fondation des frères Rockefeller de retirer ses actions de ce secteur et de rejoindre la coalition Global Divest-Invest, un groupe d’investisseurs désireux de lutter contre le changement climatique - alors même que le groupe avait bâti sa fortune sur le pétrole. Des villes entières suivent le mouvement, comme Seattle et San Francisco.
180 institutions sur la voie du désinvestissement
En tout, ce sont quelque 650 personnes et 180 institutions qui ont détourné leurs investissements de l’industrie des combustibles fossiles. « Cela représente environ cinquante milliards de dollars », calcule Nicolas Haeringer, chargé de mission en France pour 350. La somme est considérable. Mais pèse-t-elle réellement sur les finances des géants de l’industrie fossile ?
« Si l’ensemble des réserves identifiées en gaz, pétrole et charbon étaient exploitées au cours actuel, cela représenterait un profit potentiel de 27 trillions de dollars pour les différentes sociétés, poursuit Nicolas Haeringer. Le désinvestissement est donc une goutte d’eau dans l’océan... »
L’objectif de la campagne Fossil Free n’est pas de s’attaquer directement au poids et à la santé économiques du secteur fossile. C’est plutôt sa réputation qui est visée : « Nous essayons de reproduire ce qui s’est passé avec l’industrie du tabac, précise le salarié de 350. Le tabac est toxique pour la santé, c’est une évidence, et il est assez rapidement devenu politiquement et socialement toxique d’investir dans cette industrie. Nous voulons que grâce à cette campagne, il devienne également politiquement, socialement et moralement aberrant d’investir dans le secteur fossile. »
« Un secteur voué à disparaître »
Si les investissements dans le secteur fossile devenaient à ce point décriés, ils seraient forcément moins rentables, estime Nicolas Heringer : « D’une part, ils seraient néfastes pour l’image des banques, des fonds de pension et des institutions. D’autre part, il est aberrant d’investir dans un secteur voué à disparaître, puisque la seule solution à terme est de renoncer à l’exploitation de ces matières premières. »
Pour Yannick Jadot, eurodéputé Europe Écologie – Les Verts, les élus ont également leur rôle à jouer dans cette mobilisation : « Ils doivent mettre en œuvre des politiques qui permettent de limiter le réchauffement climatique à 2°C, en purgeant les marchés carbone et en adoptant des normes d’efficacité énergétique par exemple. Il faut également favoriser la transparence dans l’épargne et les placements. » Les élus écologistes européens ont rencontré des acteurs de 350 la semaine dernière, « pour coordonner leurs actions au niveau européen ».
Pas encore de changement structurel...
Mais Yannick Jadot est lucide sur le chemin qu’il reste à parcourir : « Les investissements dans le secteur des énergies fossiles représentent deux mille milliards d’euros en Europe. Une partie des acteurs, banques et fonds de pension, se retirent des projets les plus polluants pour des raisons d’image. Mais il n’y a pas encore de changement structurel. Les banques continuent à jouer la rentabilité à court terme en réinvestissant dans l’économie existante, en grande partie basée sur les énergies fossiles. »
La baisse des prix du pétrole pourrait cependant renforcer la dynamique du mouvement. Qui n’entend pas s’arrêter là. « Il ne s’agit pas d’être dans l’autosatisfaction mais de saisir cette opportunité, prévient Nicolas Haeringer. Il faut montrer qu’il existe d’autres investissements plus porteurs d’avenir, le solaire et l’éolien par exemple. Notre revendication est double : qu’il y ait désinvestissement, et que l’argent soit réinvesti dans les énergies renouvelables. Nous ne voulons pas de fausses solutions, donc nous essayons aussi de peser sur la question du réinvestissement. »
Qu’en est-il en France ?
En mai 2014, l’association basque Bizi !, les Amis de la Terre et Attac lancent une campagne contre la Société générale, impliquée dans le financement du projet Alpha Coal. Embarrassée par cette mobilisation, la banque française se retire du projet en décembre 2014.
Le début d’une prise de conscience ? Il semblerait, puisqu’en novembre 2014, dans son discours inaugural de la Conférence environnementale, François Hollande annonce que la France supprimera « tous les crédits à l’export accordés aux pays en développement dès lors qu’il y a utilisation du charbon (…) et [fera] en sorte que les subventions aux énergies fossiles soient supprimées à terme ».
Les 13 et 14 février, journées mondiales du désinvestissement, 350, Attac et les Amis de la Terre lanceront en France leur campagne visant le retrait des énergies fossiles du Fonds de réserve pour les retraites et des banques françaises...
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