De notre envoyé spécial à Bruxelles –. C'est un deuxième fiasco en l'espace de cinq jours. Les ministres des finances de la zone euro se sont séparés sur un nouveau constat d'échec sur la Grèce, plus retentissant encore que celui de mercredi dernier. Cette fois, le camp d'Alexis Tsipras a qualifié d'« absurde et inacceptable » la proposition avancée par ses partenaires européens dans l'après-midi du lundi 16 février, ce qui a provoqué la fin de la réunion. Il n'y a toujours « pas de terrain d'entente solide », a reconnu le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, en début de soirée.
Le temps presse pour trouver un accord alors que le « plan d'aide » de la Troïka (commission, BCE, FMI) à la Grèce, enclenché en 2012 pour une enveloppe de 130 milliards d'euros, prend fin le 28 février. Les Européens veulent l'« extension » du programme actuel, en y ajoutant des garanties de « flexibilité » pour se montrer conciliants. Mais Athènes ne veut pas en entendre parler, Syriza ayant promis d'en finir avec la Troïka pendant sa campagne électorale. Les Grecs préfèrent négocier dès à présent un « prêt relais » à partir d'un « contrat entre égaux », qui courrait « jusqu'à août », selon le souhait de Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec.
Les Européens ont durci leurs positions lundi. Ils ont même fixé un ultimatum à Athènes : le nouvel exécutif grec a jusqu'à vendredi, pour demander officiellement l'extension pour six mois du « programme actuel » d'aide à la Grèce. C'est une condition pour, dans la foulée, ouvrir des négociations de fond pour restructurer la dette. « Il n'y a pas d'alternative à la demande d'extension du programme », a martelé Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, répétant à plusieurs reprises à destination de Syriza, qu'« il faut faire preuve de logique, pas d'idéologie ».
Le ton était presque aussi catégorique pour Christine Lagarde, qui participait elle aussi à cet Eurogroupe : « Ma grande préférence va à l'extension du programme, et je pense que c'est faisable », a jugé la patronne du FMI. « Au sein de l'Eurogroupe, la plupart jugent qu'il revient aux Grecs de faire un geste », a insisté Dijsselbloem, qui n'a pas exclu la tenue d'une nouvelle réunion ce vendredi. En cas d'accord ce jour-là, il resterait une petite semaine aux exécutifs de certains pays, comme l'Allemagne ou la Finlande, pour faire valider, devant leur parlement, ce programme d'aide avant la date-limite du 28. Le calendrier est de plus en plus serré. Les rumeurs sur une dégradation de la situation financière du pays depuis janvier ne cessent de se renforcer.
Pour les Grecs, cette option est une provocation. « Dans l'histoire de l'Union européenne, rien de bon n'est jamais venu d'un ultimatum, a déclaré Varoufakis lors de sa conférence de presse bruxelloise lundi soir. J'espère que toute notion d'ultimatum sera suspendue. » Il s'est toutefois dit confiant pour trouver un accord « dans les 48 heures », ce qui serait compatible avec la tenue d'une énième réunion « de la dernière chance », vendredi prochain à Bruxelles.
Yanis Varoufakis à Bruxelles, lundi.
D'après Varoufakis, il existe une tension entre deux principes : d'un côté, la continuité de l'État grec, qui fait que le gouvernement grec doit respecter ses engagements passés, et de l'autre, les règles de la démocratie et du scrutin populaire. « Décréter des ultimatums, donner la priorité à un principe (celui de la continuité de l'État grec – ndlr) par rapport à un autre (celui de la démocratie – ndlr) ne manquerait pas d'avoir des répercussions négatives sur l'ensemble du projet européen », a-t-il menacé.
C'est tout le casse-tête auquel les Européens sont confrontés : peut-on à la fois respecter le scrutin grec du 25 janvier et laisser Syriza appliquer ses promesses électorales, tout en respectant les règles et traités européens, censés garantir le fonctionnement de la monnaie commune ? En clair, la zone euro peut-elle faire preuve de souplesse, pour intégrer des politiques économiques différentes ? Les négociations n'ont véritablement commencé que depuis une semaine à Bruxelles, mais il est, jusqu'à présent, permis d'en douter.
Après tout, la proposition d'une extension du programme de la Troïka, que viennent de faire les Européens, ressemble très fort à celle que les mêmes avaient déjà faite à l'automne dernier à Athènes. Et le gouvernement d'alors, celui du conservateur Antonis Samaras, avait déjà refusé cette extension, soucieux de sortir du programme au plus vite… Quelle est la différence entre les deux offres de Bruxelles, celle de l'automne à Samaras, et celle de lundi à Tsipras ?
Réponse de Pierre Moscovici lors de la conférence de presse : les Européens sont prêts, cette fois, à discuter pour modifier les 30 % de mesures du mémorandum de la Troïka que Varoufakis considère comme « toxiques » – tout en conservant les 70 % restants. « Il y a donc de la place pour faire de la politique », a conclu le commissaire européen, qui se dit soucieux de « trouver un équilibre entre l'inflexion des politiques (…) parce que quand un peuple s'exprime on ne peut pas y être sourd (…) et les principes et engagements qui fondent la communauté de l'euro ».
De son côté, Michel Sapin est sur la même ligne : « Nous avons, me semble-t-il, une voie, qui est une voie raisonnable, une voie qui tient compte du vote du peuple grec, que l'on appelle une extension technique, avec des flexibilités, et donc la possibilité de changer des éléments du programme précédent justement pour tenir compte du vote grec », a commenté le ministre français des finances à la sortie de la réunion.
Lundi soir, Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec, ne s'est pas démonté. Il a regretté ce qu'il considère comme un retour en arrière des Européens dans les négociations. En marge d'un conseil européen jeudi dernier à Bruxelles, Alexis Tsipras et Jeroen Dijsselbloem, le patron de l'Eurogroupe, s'étaient entendus pour « explorer un terrain d'entente situé entre le programme actuel et les projets du gouvernement grec », ce qui avait été considéré par Athènes comme une avancée décisive.
Mais si l'on s'en tient à la proposition de communiqué rédigée par la présidence de l'Eurogroupe lundi, que Mediapart a pu lire (photo ci-contre), il est question de faire « un usage optimal des règles existantes de flexibilité au sein de l'actuel programme ». Il est même écrit explicitement : « Les autorités grecques ont exprimé leur intention de demander une extension technique de six mois du programme actuel. » D'où l'agacement des Grecs qui ont claqué la porte des négociations.
Selon la version de Varoufakis, cette affaire est d'autant plus pénible que Pierre Moscovici lui avait présenté, lundi en amont de la réunion, un autre projet d'accord, qui lui paraissait bien plus acceptable, sans qu'il ne dise clairement pourquoi. Mais cette version, toujours selon Varaoufakis, a été remaniée au début de l'Eurogroupe.
Interrogé, une nouvelle fois, par des journalistes soucieux de savoir jusqu'où est prêt à aller Varoufakis, le ministre, ex-universitaire spécialiste de la théorie des jeux, a répondu : « Ce n'est pas du bluff. C'est la seule option que l'on a sur la table. Il n'y a pas plus de plan B qu'un plan A. Donc, aucun bluff de ma part. »
Impossible de savoir comment le feuilleton grec va finir. Lors de sa conférence de presse jeudi soir à Bruxelles, François Hollande y était allé de son analyse, pas franchement réjouissante pour la suite. Il s'exprimait alors que Tsipras venait de participer à son premier sommet bruxellois : « Chaque fois qu'il y a un nouveau membre du conseil, on le regarde, on se demande s'il va changer les règles, les rites. Généralement, il n'y parvient pas, sur les rites. Sur les règles, il peut essayer d'y travailler quand même… À Alexis Tsipras d'engager le dialogue. À lui aussi de comprendre que des règles existent, et qu'elles doivent être respectées. »
Et le chef d'État français de poursuivre : « S'il n'y avait pas de changement lié à une alternance, pourquoi les électeurs continueraient à voter ? L'Europe ne peut pas être une contrainte, une obligation de faire une seule politique. Mais il y a une obligation et la France s'y soumet, parce que c'est la vie commune, parce qu'il faut respecter les règles. »
Lire aussi
Source : www.mediapart.fr