Source : http://www.marianne.net
Mercredi 04 Mars 2015 à 5:00
Emmanuel Lévy
Manuel Valls a dévoilé ce mardi les contours de la prime d'activité née de la fusion de la Prime pour l’emploi et du RSA. Mais en y regardant de plus près, derrière ce nouveau dispositif pointe un projet que les conservateurs, même d’obédience libérale, ne renieraient pas : concentrer cette aide sur les plus démunis. Du coup, l’effort consenti vers ces plus pauvres se retrouve porté par ceux qui se situent juste au-dessus !
SIPA
Emmanuel Macron a de la suite dans les idées. Et des idées le ministre de l’économie en a quelques unes. Rapporteur de la Commission Attali pour la Croissance installée par Sarkozy en 2008, il en avait listées 316. Certaines comme le travail du dimanche ont trouvé leur place dans la loi qui porte son nom. D’autres sont sur les rails comme celle qu’a annoncé hier le Premier ministre : la fusion de la Prime pour l’emploi (PPE) et du Revenu de solidarité active (RSA) qui donnera naissance à une prime activité dont le versement sera concentrée sur les moins fortunés des salariés. Cibler la prime pour l'emploi sur les bas salaires ? La proposition figurait, elle aussi, en bonne place dans le rapport Attali, mais avait été abandonnée au profit de la création du revenu de solidarité active (RSA). Voilà donc qui est « corrigé » : le nouveaux dispositif équivaut, dans les faits, à une absorption de la PPE par le RSA.
Avec ce genre d’outil, le diable se niche dans les détails du paramétrage. Ensemble la PPE et le RSA bénéficiaient à près de 8 millions de personnes. Pour un budget identique, la prime d’activité, elle, ne devrait en concerner que la moitié. En plus, le gouvernement se base sur une hypothèse : près de la moitié des personnes éligibles ne se présenteront pas au guichet ! Dans le cas contraire, le coût du dispositif pourrait se monter à 6 milliards d’euros.
Cette prime a tout du « filet garni » de compensation pour les salariés soumis au temps partiel subiQui peut y prétendre ? Ecartés du RSA, les jeunes de 18 à 25 ans pourront désormais en être. Il leur faudra comme tous les autres travailleurs gagner entre 0,5 et 1,2 Smic, soit entre 570 et 1 360 euros net. Le montant de la prime varie en forme de cloche selon le revenu avec un maximum de l’ordre de 215 euros quand on perçoit 0,8 Smic (un peu plus de 800 €). Résultat : si 300 000 jeunes devraient bénéficier du dispositif, des millions de ménages, comme ceux dont les personnes gagnent entre 1,2 et 1,3 Smic, devraient ne plus rien toucher.
L’architecture, comme la philosophie globale du système, diffère peu du RSA. Et comme lui, il porte les mêmes travers, comme l’avait expliqué Thomas Piketty à sa création en 2008 : « L'impact global sur l'offre de travail de cette nouvelle forme de subvention au temps partiel que constitue le RSA - et que ne manqueront pas d'utiliser les employeurs, en proposant davantage d'emplois à temps partiel - serait alors négatif. » L’argument est battu d’un revers de manche par Matignon cité par le Monde : « Il s’agit de ne pas inciter les tout petits contrats à temps partiel. (…) Le dispositif doit fonctionner comme une incitation à travailler davantage. »
On en doute, les chiffres Insee sont cruels. Le paramétrage du dispositif colle quasi point à point à la morphologie du temps partiel : le salaire mensuel net moyen des salariés à temps partiel est de 996 euros (contre 1 997 euros pour des temps complets). Et dans le détail, en moyenne, les salariés à temps partiel « choisi » gagnent l'équivalent d'un Smic mensuel (1 122 €) ; et 746 € pour les salariés à temps partiel « subi ». Ce dernier montant correspond, on l’a vu, au point haut du dispositif. Celui-ci a donc tout du « filet garni » de compensation pour les salariés soumis au temps partiel subi…
Voilà un projet que les conservateurs, même d’obédience libérale, ne renieraient pasRéformes de l’allocation logement, de l’allocation familiale, de l’impôt sur le revenu avec une moindre progressivité, baisse aussi du quotient familial, forfait sécu et autres déremboursements de soin et des médicaments… Et maintenant cette prime d’activité. Tout converge pour que l’essentiel de l’effort consenti vers les plus pauvres soit porté par ceux qui se situent juste au-dessus. C’est donc au travers d’une redistribution au sein des classes populaires et moyennes que se fait le gros de l’ajustement. Mais en concentrant le bénéfice de la redistribution vers le tout bas de l’échelle, la gauche s’éloigne de son projet progressiste et d’Etat providence, pour se rapprocher de celui plus classique de protection des pauvres, que les conservateurs, même d’obédience libérale, ne renieraient pas.
Un des plus proches conseillers du ministre du Budget le concédait : « On n’a pas le choix. Sans recette, c’est la moins pire des décisions ». Problème : le gros des classes populaires se sentant exclues de la redistribution, celles-ci pourraient vite basculer dans la remise en cause du système de protection sociale universelle. Pour son plus grand malheur… La quasi-totalité des études sérieuses montrent en effet que les pauvres gagnent beaucoup grâce aux prestations chômage et aux aides sociales. Mais ce sont les classes populaires qui en retirent plus d’avantages encore via les prestations de santé, d’éducation ou de retraite. Autant de digues de protection qui, toutes, ont été largement ébréchées.
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