La chaîne de vêtements et de textile Primark ouvre de plus en plus de boutiques en France. La marque est réputée pour le bas coût de ses produits. Elle a aussi été sous le feux des projecteurs lors de l’effondrement de l’usine textile du Rana Plaza, au Bangladesh, qui a fait plus d’un millier de morts. Moins connues sont les conditions de travail de ces vendeurs, ici, en France. Le magazine professionnel du secteur Boutique2Mode a récolté les témoignages d’employés à travers le pays. Constat : entre cadences, pression constante, brimades, et peur de licenciements non justifiés, ici aussi, les salariés de Primark sont mis à mal.
Cet article a initialement été publié, dans une version plus longue, dans le magazine professionnel Boutique2Mode.
À chaque ouverture d’un magasin de la marque irlandaise, l’histoire se répète : une file d’attente interminable et des clients qui repartent les bras chargés de grands sacs en kraft brun recyclé, frappé du logo turquoise Primark. L’enseigne a de quoi séduire le grand public : des prix cassés toute l’année (en moyenne de 4 à 6 euros par article), un large choix de produits allant du prêt-à-porter à l’accessoire en passant par la chaussure et la literie, ou encore des emplacements premium en centre commerciaux.
Des prix tellement bas qu’ils ont poussé le député belge (socialiste) au Parlement européen Marc Tarabella à poser l’année dernière une question écrite à la Commission Européenne, afin que cette dernière enquête « sur les pratiques de la marque ». Une démarche jamais entreprise. « J’ai fait cette demande car les prix pratiqués par cette enseigne défient toute concurrence, d’où mon interrogation. Surtout lorsque l’on connaît les problèmes de conditions de travail dans certains pays d’Asie. Malheureusement, la Commission Européenne ne réalise que trop peu rarement d’enquête » nous explique-t-il.
Dans les pays producteurs, salaires de misère et catastrophes
D’après les témoignages que nous avons récoltés, l’envers du décor Primark fait en effet peu rêver. Tout commence en amont, dans les usines de confection d’Asie du sud-est notamment, au Bangladesh ou au Cambodge par exemple, où les salariés perçoivent entre 50 et 100 euros par mois seulement ! En attendant peut-être de voir l’entreprise investir prochainement l’Éthiopie, qui se démarque aussi par ses coûts de main d’œuvre excessivement faibles.
Les conditions d’emplois exécrables de ces grandes marques textiles ont été exposées aux yeux du monde entier lors de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait provoqué la mort de 1138 ouvriers en avril 2013. Primark, qui faisait partie des clients de l’usine, se défend en affirmant avoir versé des compensations aux familles des victimes. Mais le mal est fait et la politique de fabrication n’a pas fondamentalement évolué. Car pour mettre en vente un jeans à neuf euros, au moins un acteur de la chaîne n’y trouve pas son compte. Et dans le cas de Primark, ils sont nombreux à ne pas s’y retrouver (voir notre dossier sur l’industrie textile).
Dans les boutiques : « Nos droits sont mis de côté, comme si l’on était au Bangladesh… »
En France également, les conditions de travail sont difficiles. Rupture abusive des contrats lors des périodes d’essais, arrêts maladie non payés, ambiance de travail stressante… les retours d’expériences de salariés laissent peu de place au doute. « Vous êtes épiés et surveillés comme le lait sur le feu en permanence, relate ainsi Aymeric, ex-salarié à Lyon. Les chefs ne se gênent pas pour mal vous parler et vous rabaisser devant les clients. J’y ai eu le droit plus d’une fois. C’est humiliant. » Une situation que connaît bien Anna, du Primark de Dijon. « Mes supérieurs se moquent de moi à cause de mon accent car je ne suis pas française, ils s’amusent même à m’imiter. Cela fait maintenant trois ans que ça dure alors que je leur ai dit plusieurs fois d’arrêter », se désole-t-elle.
Pour Estelle, qui a finalement remis sa démission au mois de mars 2016 après huit mois passés dans le magasin de Lyon, Primark constitue la « pire expérience professionnelle » de sa vie. « Aujourd’hui encore, j’ai des problèmes de sommeil hérités de mon expérience chez Primark. Vous êtes constamment mis sous pression par les managers pour que le magasin soit bien rangé. Lorsque je leur ai finalement dit que je commençais à prendre des antidépresseurs, la superviseuse m’a ri au nez ! » Dégoûtée, Estelle a même décidé qu’elle ne travaillerait plus dans le commerce. Cathy, employée à Créteil, a de son côté l’impression « d’avoir vieilli de dix ans après deux années passées chez Primark. Les jeunes, particulièrement, ont beaucoup de mal à supporter le rythme très soutenu de travail, dès 6 h du matin une semaine sur deux, particulièrement à Créteil où entre trois et cinq camions viennent livrer des pièces chaque jour. »
Ces retours d’expériences catastrophiques sont loin d’être des cas isolés. À l’image d’Élodie, toujours en poste à Lyon, qui n’a désormais plus le courage de se rendre sur son lieu de travail. « J’ai travaillé plus de six ans dans diverses enseignes de prêt-à-porter, mais ici c’est l’horreur, raconte-t-elle désespérée. Les managers nous parlent comme des moins que rien, on est juste des matricules pour eux. En réalité, lorsque l’on signe chez Primark, on a l’impression que nos droits sont mis de côté, comme si l’on était au Bangladesh… » Des problèmes récurrents concernant les paiements des salaires, les fiches de paie et les arrêts maladies ont aussi été observés.
Une salariée handicapée : « Les managers m’ont fait comprendre que je ralentissais le rythme »
Dans ce climat délétère, les langues commencent progressivement à se délier. Une page Facebook intitulée “Primark la Valette des employés scandalisés“ a même été créée pour partager les expériences individuelles désastreuses. À ce jour, elle regroupe plus de 4000 membres ! Là aussi, les témoignages sont parfois effarants : « À force de nous empêcher de boire et d’aller aux toilettes, je me suis tellement retenue que cela a provoqué une cystite que je traîne depuis cinq jours déjà... Cette entreprise est inhumaine ! », relate ainsi une vendeuse en poste.
Une cadence de travail très soutenue qui aurait même conduit à la mise à l’écart de certains travailleurs handicapés, selon Coralie, ex salariée à Lyon. « Primark m’a recrutée lors de l’ouverture du magasin dans le cadre de Cap Emploi (un organisme chargé des relations entre des travailleurs handicapés et des employeurs), témoigne Coralie, atteinte de sclérose en plaque. Selon les prescriptions du médecin du travail, je ne dois pas travailler plus de quatre heures par jour en position debout. Cela a très vite posé problème puisqu’au moment où j’étais en poste, il n’y avait pas de siège pour s’asseoir en caisse. Les managers m’ont alors fait comprendre que je ralentissais le rythme et ont décidé de mettre fin à ma période d’essai », certifie-t-elle. Elle ne serait pas la seule à avoir été remercié à cause de son handicap.
Peur de parler, méconnaissance des droits
Du stress à tous les niveaux, pire que dans les autres enseignes ? Il semblerait que la cadence et l’ambiance de travail pèsent aussi sur les managers. « Je me souviens d’un manager littéralement effondré sur sa table, se frottant les yeux, avec une attitude qui démontrait une réelle fatigue physique et mentale », assure Sophie Duray, ex-salariée de la Valette, dans le Var. « Si certains managers ont un comportement horrible avec les vendeurs, d’autres s’investissent pleinement pour créer une bonne ambiance dans leur équipe, renchérit Karine. J’en ai vu quelques-uns fondre en larme après avoir appris qu’ils n’étaient pas retenus au dernier jour de leur période d’essai. » Un système où le stress se répand à tous les échelons, telle une cascade, de la direction aux managers, des managers aux vendeurs, et parfois même jusqu’aux clients !
Malgré ces conditions déplorables, la contestation peine encore à prendre de l’ampleur. En cause notamment, la faiblesse des syndicats dans les points de vente, encore trop peu représentatifs, voire inexistants. À cela s’ajoute une réelle méconnaissance des salariés, jeunes pour la plupart, sur l’étendue de leurs droits. Beaucoup redoutent de se plaindre par peur des représailles. Comme en janvier 2016, lorsque près d’une centaine de vendeurs du magasin de Créteil s’était mobilisée. « Nos revendications portaient principalement sur une réelle augmentation des salaires, ainsi que sur la mise en place d’un 13ème mois dès 2016 et non sur trois ans jusqu’en 2019, comme cela nous a été présenté, se rappelle Cathy, déléguée syndicale CGT. Malheureusement, la mobilisation était trop faible pour que nos réclamations soient entendues, surtout à cause des managers qui mettaient une grosse pression sur les vendeurs, notamment les plus jeunes, afin qu’ils ne rejoignent pas le mouvement », se désole-t-elle.
Une peur de perdre son poste observée également au moment de cette enquête, certains salariés redoutant même qu’un témoignage à l’encontre de leur condition d’emploi puisse leur porter préjudice. Une salariée assure par exemple que « le groupe Facebook regroupant certains salariés du magasin est surveillé par des cadres, c’est pour cela que nous ne voulons pas dire du mal de l’enseigne, afin de préserver notre sécurité ».
« Vous êtes constamment surveillés »
Certains d’entre eux ont pourtant réussi à franchir le pas, à l’image de Meriam à Marseille, qui a décidé de recourir à la justice prud’homale. Son arrêt maladie n’était pas transmis à la sécurité sociale, et elle n’était donc pas indemnisée. Primark a finalement été condamné, le 22 septembre 2016, à lui verser la somme de 1000 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice financier.
Mais le combat qui fait aujourd’hui le plus de bruit est celui mené par les ex-salariés de La Valette du Var, à côté de Toulon. Pour préparer l’ouverture du magasin de l’enseigne irlandaise dans le Var, en 2016, Primark a décidé à l’époque de recruter massivement des salariés pour n’en conserver au final qu’une partie d’entre eux. La direction a toutefois refusé de nous en communiquer le nombre. Sophie Duray, qui fait partie de ceux qui n’ont pas été retenus, estime pour sa part qu’ils sont au moins une centaine dans le même cas qu’elle, pour 350 personnes recrutées au départ. Les remerciés ont bien entendu tous quitté l’entreprise avant la fin de leur période d’essai…
« Nous sommes juste des robots interchangeables à la moindre occasion »
Face à cette injustice, Sophie Duray a décidé de saisir les Prud’hommes pour rupture abusive de sa période d’essai. « C’est grâce à la page Facebook “Primark la Valette des employés scandalisés“ que j’ai décidé de me lancer dans cette procédure, voyant que je n’étais pas la seule à m’insurger contre le cynisme de cette entreprise. » « Le fait que près de la moitié des employés ait été remerciée avant la fin de leur période d’essai démontre une volonté de contourner la loi pour ne pas à avoir à recourir à des CDD ou des contrats d’intérims, qui impliquent le paiement de primes de précarité », explique maître Fréderic Casanova, avocat au barreau de Toulon, qui représente les intérêts de Sophie Duray. En cas de jugement favorable, les victimes pourraient percevoir jusqu’à six mois de salaires bruts. « Pour avoir une chance de l’emporter, il est indispensable que les personnes qui ont été flouées par Primark rejoignent notre démarche », encourage ainsi maître Casanova, qui a déjà convaincu une cinquantaine d’ex-salariés.
Interrogé sur cette affaire, Primark s’est contenté de répondre par l’intermédiaire de son service de presse : « Dans le cadre de la préparation d’une ouverture de magasin, nous devons faire face à un surcroît d’activité temporaire sur de très courtes périodes. Pour y faire face et comme le prévoit le code du travail, nous renforçons alors nos équipes en recrutant des collaborateurs en contrats à durée déterminée. » Ce qui n’a donc manifestement pas été le cas pour le point de vente de la Valette.
« Le vendeur ne doit pas parler au client »
Mais au-delà des conditions de travail en elle-même, c’est aussi le cœur du travail lui-même qui semble peser. Nicolas, qui travaille à Marseille depuis un peu moins d’un an, raconte une journée de travail typique : « La plupart des vendeurs ici sont des jeunes avec des contrats de 25 heures. Soit on reste cinq heures à la caisse soit cinq heures à plier les vêtements. » La répétition monotone des tâches semble particulièrement difficile à supporter. « Cette expérience chez Primark ne m’a rien apporté sur le plan professionnel. Avec un peu de recul, je peux même affirmer que je n’ai strictement rien appris », juge Mathilde.
Philippe, ancien gérant d’un atelier de confection, qui a dû fermer ses portes à cause de la concurrence à bas coût, a lui aussi été choqué par l’inutilité du travail proposé. « Je n’ai jamais vu autant de personnel improductif, c’était ahurissant, on pouvait replier cinq à six fois le même t-shirt dans la journée, et les managers nous hurlaient dessus en permanence », relate-t-il. Pour Cathy, qui a pu échanger avec la direction, son impression générale est que le sort des vendeurs est loin d’être une priorité pour eux. « Sur notre contrat de travail, il est écrit que nous sommes des vendeurs, mais en réalité ce que nous faisons est uniquement de la manutention », affirme-t-elle. « Quand un client vient nous voir pour un renseignement, il faut que l’on s’en débarrasse au plus vite. Sinon, notre rayon ne sera plus tenu et les ennuis commenceront avec les managers », renchérit Sofiane. « Chez Primark, le vendeur ne doit pas parler au client si ce n’est seulement de dire “bonjour“, on ne doit pas perdre notre temps à le conseiller ! », confirme Élodie.
Réponse de la direction : « 74% des salariés sont fiers de travailler chez Primark »
Face à l’ensemble de ces témoignages, la direction de Primark est restée fermée à nos sollicitations. La seule réponse que nous avons pu obtenir est un communiqué transmis par son agence de presse, mettant en avant leur politique de fabrication dans les pays d’Asie du Sud-Est. Ce communiqué mentionne également un sondage effectué en interne, selon lequel, « 74% des salariés sont fiers de travailler chez Primark ». Sans apporter plus de précision sur la véracité et la manière dont elle a été menée. Un chiffre étonnant qui n’a pas manqué de faire réagir les personnes que nous avons interviewées. « Je ne sais pas ce qu’il en est des autres magasins, mais ce que je peux vous certifier c’est que nous sommes très loin de ce pourcentage à Marseille. Et je sais de quoi je parle puisque cela fait trois ans que j’y travaille », assure Myriam.
Du côté des managers et superviseurs, obtenir des réponses est là aussi compliqué. Si nombre d’entre eux confirment les témoignages des vendeurs, rejetant la faute sur la pression exercée par la direction, aucun n’a voulu témoigner concrètement, même de manière anonyme. Et les quelques directeurs de magasins que nous avons contactés ne nous ont jamais répondu. Quand il s’agit de conditions de travail, le silence prime.
* Certains prénoms et lieux de magasins ont pu être changés pour des raisons de confidentialité.
Laurent Maurel (Boutique2Mode)
Vous êtes salarié(e) ou ex-salarié(e) de Primark et vous souhaitez partager votre expérience ? Vous pouvez témoigner à redaction@boutique2mode.com.
A lire également : cet article de la Voix du Nord et celui-ci de BFM sur une proposition de l’enseigne de revalorisation salariale de 1 centime de l’heure !
Consulter notre dossier sur l’industrie textile
Lire notre reportage : Au Bangladesh, des ouvrières rescapées du Rana Plaza créent leur propre coopérative textile
Photo de Une : CC Cyril Wermers
Photo à l’intérieur de l’article : CC César
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Source : http://www.bastamag.net