Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 15:35

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

Economies d'énergie : le conflit d'intérêts qui menace de tout bloquer

|  Par Jade Lindgaard

 

 

EDF et Engie, ex-GDF-Suez, les plus gros producteurs et fournisseurs d’énergie en France, sont aussi devenus les principaux maîtres d’œuvre des économies de chauffage dans les bâtiments. Peut-on vendre tout et son contraire dans un contrat ? Pour la première fois, des acteurs de la commande publique s'inquiètent des effets de ce double jeu.

 

« Vous fumez ? » La question tombe, impromptue, sur la petite salle qui planche sur les contrats de performance énergétique, à l’étage du palais des congrès de Bordeaux, lors des Assises de l’énergie, en janvier 2015. C’est Pauline Mispoulet, présidente du Gesec, un groupement d’intérêt économique qui réunit des PME spécialisées dans les services énergétiques. Elle poursuit : « Si je vous dis qu’un fabricant de tabac a très envie de vous faire arrêter, qu’est-ce que vous dites ? » Quelques secondes de silence, suivies de sourires et de rires. « Eh bien, dans l’énergie, on a dit que les producteurs étaient vraiment les mieux placés pour vous faire faire des économies d’énergie. Et tout le monde l’a cru. » Pour l’oratrice, c’est un « conflit d’intérêts génétique ».

Un conflit d’intérêts généralisé menace la politique française de lutte contre le changement climatique. Personne n’en discute et beaucoup d’acteurs l’ignorent : EDF et Engie, ex-GDF-Suez, les plus gros producteurs et fournisseurs d’énergie, sont aussi devenus les principaux maîtres d’œuvres des économies d’énergie dans les bâtiments. Or logements, bureaux, hôpitaux et locaux commerciaux constituent le secteur économique le plus énergivore. Ils consomment près de la moitié de toute la demande finale d’énergie du pays et émettent le quart de toutes nos émissions de gaz à effet de serre. C’est notre principal canal de dérèglement du climat.

Depuis 2009, des objectifs très ambitieux ont été votés pour réduire la consommation d’énergie et les rejets de CO2 des bâtiments résidentiels et tertiaires. Mais dans les faits, ils sont souvent contredits par la façon dont ils sont mis en œuvre : contrats d’entretien de chauffage sans objectif d’économie d’énergie, marchés associant la fourniture de chaleur à la maintenance des appareils, appels d’offres parfois attribués sans concurrence, bureaux d’études à la fois juges et parties, opacité généralisée et omerta de règle.
 

Évolution de la consommation d'énergies par secteur en France (SOes, 2014).Évolution de la consommation d'énergies par secteur en France (SOes, 2014).


Janvier 2015. Une fois passés les comptoirs d’hôtesses en uniforme, des nuées de costumes, de tailleurs et de petites valises à roulettes tournent et virevoltent dans les travées du palais des congrès de Bordeaux. Ce sont les 16e Assises de l’énergie des collectivités territoriales, un rendez-vous qui compte car pendant trois jours, les directeurs de services et référents énergie des collectivités locales y retrouvent leurs fournisseurs en électricité, gaz et réseau de chaleur. C’est le moment idéal pour dévoiler un contrat avec une agglomération, une nouvelle offre destinée à la clientèle institutionnelle ou faire visiter un chantier de rénovation thermique. Un pur moment d’activation de réseaux et de lobbying. EDF y dispose d’un stand majestueux. Il n’est pas venu seul : ERDF, sa filiale de distribution, en loue un autre juste en face, équipé d’une micro salle de conférence. RTE, sa filiale transport aussi. Ainsi que Dalkia, sa filiale à 100 %, pour ses activités, en France, de services énergétiques. EDF collectivités sponsorise une conférence sur la précarité énergétique, tandis qu’ERDF soutient le « carrefour des métiers ». Côté gaz, GDF a lui aussi sorti son gros stand, tout comme GRDF, sa filiale de distribution. Le groupe est « partenaire » d’une rencontre sur l’innovation et la transition énergétique.

 

Bruno Léchevin, président de l'Ademe, aux Assises de l'énergie 2015. (DR)
Bruno Léchevin, président de l'Ademe, aux Assises de l'énergie 2015. (DR)
 

À l’entrée, chaque participant reçoit son guide, avec la liste des plénières, ateliers et forums. « T’as pris ton livre de messe ? Y a tous les cantiques », se moque la responsable d’une PME de services énergétiques. La liturgie, c’est la transition énergétique qui donne son nom au cru 2015 des Assises : « Tous concernés, faisons-la ensemble » ! Le mot est sur toutes les lèvres. Il clignote dans le mot de bienvenue du maire, Alain Juppé, dans les piles de rapports déposés chez les exposants, dans les communiqués de presse. Pourtant, qui dit transition vers un système plus écologique, pense réduction de la consommation d’énergie, donc perte de parts de marché pour les fournisseurs de courant électrique et de gaz. Alors pourquoi un tel adoubement ?

La réponse jaillit de l’analyse du marché des services énergétiques. Elle est renversante : EDF et GDF Suez, fournisseurs historiques d’énergie en France, et toujours de très loin les champions nationaux de l’offre, sont à tous les deux les premiers bénéficiaires des marchés de l’efficacité énergétique pour le bâti. Autrement dit, les principaux maîtres d’œuvre de la baisse de la demande. Ils occupent les deux extrémités de la chaîne, en pleine schizophrénie au regard de leurs stratégies commerciales actuelles.

Récente, la notion de services énergétiques désigne les activités conçues pour améliorer l’efficacité énergétique, c’est-à-dire la capacité à consommer le moins possible. Les acteurs sont nombreux, les actions diffuses et souvent couplées à d’autres opérations. Pour le bâtiment, il existe deux grands modes d’intervention : la rénovation des édifices (isolation, combles, fenêtres…), terrain de prédilection des groupes de BTP, et l’amélioration de l’exploitation de leur mode de chauffage. Mais en l’absence d’obligation d’économie d’énergie, chaque bailleur social, chaque collectivité, chaque hôpital organise comme il lui sied son approvisionnement en chaleur. Si bien qu’il est difficile de dresser un tableau synthétique du marché tant les contrats varient, en durée et en objet. Pour y parvenir, il faut recomposer un puzzle aux pièces éparses.  

Selon une étude qu’ont menée des professionnels du secteur sur une centaine d'appels d’offres publics, entre 2012 et 2014, portant sur les marchés de services énergétiques, EDF et Engie, ex GDF-Suez, remportent 78 % des contrats. Ils concernent des collèges, piscines, bâtiments communaux, HLM, maisons de retraite… Même si cette liste n’est pas exhaustive, ils représentent une grosse majorité du marché, et offrent ainsi une bonne indication de sa structure et des effets de la commande publique. Les deux énergéticiens ne se présentent pas en leur nom propre, mais par l’intermédiaire de leurs filiales : Dalkia pour l’électricien, racheté à 100 % pour ses activités en France en 2014 et Cofely, Ineo et Ciec pour le gazier.

Jeu trouble

À la suite de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, les anciens monopoles publics, EDF et GDF, ont adopté une stratégie de concentration verticale de la filière. Après sa fusion avec Suez en 2008, GDF a regroupé sous l’entité Cofely toute une série de PME spécialisées (Elyo, Ineo, Cofatech, Axima, Seitha, Savelys), racheté des acteurs de renouvelables (Clipsol, Panosol, Compagnie du vent), gobé Energia, spécialisée en services aux particuliers. De son côté, EDF, partenaire historique de toutes les collectivités territoriales, a racheté les activités françaises de Dalkia et repris SIIF Énergies, devenu EDF Énergies Nouvelles.

Parallèlement, agglomération, départements et régions ont sorti des appels d’offre de plus en massifs. En 2009, la région Alsace signe un contrat de performance énergétique de 64,6 millions d’euros pour 14 lycées sur 20 ans. En 2013, la région Midi-Pyrénées ouvre un marché de 200 millions d’euros pour les lycées sur dix ans. Jusqu’ici, les contrats d’exploitation de chauffage étaient signés site par site, pour une moyenne de 10 000 à 200 000 euros annuels. Même si ces nouveaux marchés sont divisés en lots, ils sont hors de portée de la plupart des PME.

 

François Hollande à la Conférence environnementale, en 2014. (Reuters)François Hollande à la Conférence environnementale, en 2014. (Reuters)


Et si l’on se concentre sur les seuls réseaux de chaleur, un système de distribution centralisée à partir de gaz, géothermie, biomasse, récupération de chaleur d’incinérateurs…, le tableau est massivement déséquilibré en faveur de Dalkia, comme l’indique le graphique ci-dessous. Les lattes bleues de la filiale d’EDF, et dans une moindre mesure, les bandes rouges de Cofely, apparaissent très clairement majoritaires. C’est logique, puisqu’ils sont les délégataires historiques de ces réseaux.

 

Répartition des réseaux de chaleur et de froid par acteurs et par régions.Répartition des réseaux de chaleur et de froid par acteurs et par régions.

 

Dalkia refuse de communiquer son pourcentage de parts de marché pour les services énergétiques. « C’est très compliqué, chacun a développé son métier différemment », répond Jean-Michel Mazalérat, son PDG. C’est l’ancien directeur adjoint de Dalkia, mais il a effectué l’essentiel de sa carrière chez EDF. Il conteste le conflit d'intérêts énergétique : « Non, car nous ne sommes pas sur la même énergie. Nous faisons très peu de contrats sur l’électricité. » EDF produit en effet du courant électrique, alors que Dalkia vend de la chaleur.

Mais en réalité, c’est un conflit d’intérêts à double niveau. D’abord, Dalkia se trouve lui-même pris par des injonctions économiques contradictoires. Il règne sur les réseaux de chaleur et est en même temps bénéficiaire de contrats d’économie d’énergie, activité qu’il souhaite développer. Peut-on vendre tout et son contraire dans un même contrat ? C’est le grand écart permanent. Mediapart en a découvert plusieurs exemples, détaillés ci-dessous.

Mais le problème est aussi plus indirect, et plus politique. Les visées commerciales d’EDF sur le secteur des économies d’énergie s’opposent au lobbying politique récurent du groupe contre la politique de réduction de la demande. Sous la présidence d’Henri Proglio, EDF n’a cessé de combattre l’idée qu’il fallait diminuer les consommations d’énergie. Quand l’année dernière, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) annonce prévoir une baisse très importante de l’utilisation de l’électricité dans les logements, le tertiaire et l’industrie d’ici 2030, l’électricien continue de tabler sur une hausse de 1 % chaque année. Pendant le débat national sur l’énergie, en 2013, quand GRDF, la filiale de distribution du gazier, propose un scénario prévoyant une chute d’un tiers de la consommation d’énergie primaire d’ici 2050, EDF monte au créneau pour l’écarter (retrouver ici notre article à ce sujet).

Quant à Engie, son PDG Gérard Mestrallet s’illustre par ses attaques répétées contre les renouvelables (tout en étant très présent dans ce secteur), comme dans cet entretien au Monde, où il explique que privilégier l’éolien et le solaire abîme la compétitivité européenne, et surtout, insiste sur l’importance de construire de nouveaux moyens de production.

Le grand public n’a pas saisi la portée concrète de la lutte contre le dérèglement climatique. La France s’est fixée pour but de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Les consommations énergétiques des bâtiments doivent baisser de 38 % d’ici 2020. Cela requiert un effort colossal, un changement drastique d’organisation de l’économie. La réalité est tout autre. La consommation énergétique du secteur résidentiel était en hausse de 0,6 % en 2011 (selon les derniers chiffres exhaustifs disponibles), et progressait de 1,6 % dans le tertiaire. Depuis, la demande d’électricité stagne, et celle de gaz baisse, d’après des estimations provisoires.

 

Évolution des émissions directes liées au résidentiel/tertiaire en millions de tonnes équivalent CO2 (CNUCCC, Citepa, 2013)Évolution des émissions directes liées au résidentiel/tertiaire en millions de tonnes équivalent CO2 (CNUCCC, Citepa, 2013)

 

Pour essayer de mettre en œuvre ces objectifs, et cesser de vider de son sens la politique climatique, il faut un changement de braquet du secteur. Les acteurs de la maîtrise de l’énergie auront besoin de mobiliser toutes les ressources économiques et toute l’ingéniosité professionnelle disponibles. Anciens monopoles publics, EDF et Engie possèdent une légitimité inégalée et des liens anciens avec les collectivités territoriales. Mais leur culture professionnelle est encore entièrement tournée vers la production et la fourniture d’électricité et de gaz, alors que pour transformer les bâtiments en sites d’économie d’énergie, il faudrait être obsédé par la baisse de la demande. Se positionner sur les services énergétiques pourrait être un moyen pour les fournisseurs de s’adapter aux enjeux de la transition vers un modèle moins destructeur du système climatique, en faisant évoluer leurs métiers. Mais dans les faits, le jeu qu’ils mènent est trouble.

« Celui qui fournit l’énergie ne peut pas être celui qui entretient les chaudières »

 

Ségolène Royal à côté de Ban Ki Moon, dans la manif géante pour le climat de New Yok, septembre 2014 (DR).
Ségolène Royal à côté de Ban Ki Moon, dans la manif géante pour le climat de New Yok, septembre 2014 (DR).
 

En septembre 2013, la ville d’Annemasse (Haute-Savoie) signe avec SPIE, pour six bâtiments, un contrat de performance énergétique (CPE), qui oblige le prestataire à réaliser des économies d’énergie. Mais c’est ce qui s’est passé juste avant qui retient l’attention : en réponse à l’appel d’offres, Dalkia refuse de s’engager à la réduire de 23 %, comme le demande la commune, et Cofely propose de ne baisser la consommation de chaleur que de 11 %. Au final, SPIE signe pour 25 %. Résultat ? « On a baissé de 30 %. Nous sommes satisfaits », explique Philippe Pelissier, le directeur énergie de la ville. Le contrat ne concernait pas la fourniture d’énergie.

À Lille, en 2008, deux marchés de chauffage ont été signés pour huit ans avec Dalkia et Cofely, pour les bâtiments municipaux. Sur ses bâtiments en chaufferie gaz autonome, Dalkia a diminué la demande de 12 à 15,3 % alors que sur les lots connectés au réseau de chaleur qu’il opère, et dont il fournit l’énergie, la baisse n’a été que de 6,5 %. Pour Stéphane Baly, conseiller municipal EELV, « il y  a un conflit d’intérêts entre la fourniture de chaleur par le réseau et la fonction de services. Il est clair que le fournisseur d’énergie ne va pas se tirer une balle dans le pied »

De son côté, la région Île-de-France a décidé de récupérer la gestion du marché du chauffage de ses 470 lycées afin de les piloter elle-même et d’obtenir de meilleurs contrats. Pour Corinne Bord, vice-présidente de la région, « celui qui fournit l’énergie ne peut pas être celui qui entretient les chaudières. Ce sont des logiques économiques qui ne sont pas compatibles. On récompense l’un pour qu’il consomme moins que l’autre. C’est une décision de bonne gestion ». Pour réaliser des économies d’énergie, « il faut que les chaudières soient réglées au millimètre et que les gens soient payés sur les économies d’énergie, et que ceux qui sont chargés de l’entretien des chaudières soient correctement rémunérés ». Le conseil régional a donc lancé un marché sur le chauffage de 8 lots de 50 lycées, en distinguant la fourniture de l’entretien des équipements. Il porte sur l’exploitation, l’entretien, le renouvellement de matériel et est assorti d’obligations de résultats. Cinq lots ont été attribués à des PME. « Les grands groupes ont parfois été écartés car leur offre était qualitativement moins bonne. C’est la preuve que les PME ont toutes les qualités requises pour répondre à de telles consultations », explique l’élue francilienne.

Lors de la seconde consultation visant à attribuer les deux derniers lots des lycées parisiens, des représentants de Cofely ont souhaité la rencontrer. Le rendez-vous a eu lieu. « Je n’avais pas en tête le calendrier des commissions d’attribution. Quand j’ai vu les dates, je me suis dit qu’ils ne manquaient pas d’air. » Au départ, « la négociation avec les gestionnaires fut difficile, d’une part, parce qu’ils ne choisissaient plus leur prestataire et d’autre part, parce que la structuration de leur rémunération de comptable est assise sur le montant des factures acquittées par les établissements. Mais aujourd’hui, tout le monde admet que cela fonctionne bien », décrit Corinne Bord.

Robert Gregori, ancien responsable du service Energie de Montreuil (93), a participé à l’élaboration du cahier des charges de ces contrats pour la région. L’objectif était de remettre la technique et les prestations de qualité au centre de l’exploitation des chauffages. Résultat : -20 % d’économies d’énergie dès la première année. « Obtenir -30 voire -40 %  après renouvellement du matériel en chaufferie » devient possible sans trop d’investissements, et bien avant la fin du marché (sur neuf ans), selon lui.

Aujourd’hui en charge de l’éclairage public à Aurillac (Cantal), il considère que le combat est exactement le même vis-à-vis des fournisseurs d’énergie et des prestataires : « Quand on est vendeur d’énergie, faire croire que l’on va vous aider à en économiser est tout simplement malhonnête intellectuellement. Les économies d’énergies ne représentent rien par rapport à leur chiffre d’affaires. Pour les fournisseurs d’énergie, l’argument des économies  ne sert qu’à maintenir captif le client final qu’est la collectivité. » L’éclairage public représente près de la moitié des dépenses d’électricité d’une collectivité. Robert Gregori vise à les diviser par deux dans sa ville : « Cela contribue à assainir les finances d’une ville et surtout à arrêter l’hémorragie sur les budgets de fonctionnement. »

 

Dépenses moyennes énergétiques par ménage en France (SOes, 2014).Dépenses moyennes énergétiques par ménage en France (SOes, 2014).


Les marges des prestataires sont une véritable boîte noire. « C’est opaque. Personne ne maîtrise ce qui se passe. Tout le monde gobe le discours des prestataires », témoigne un responsable d’achat de gaz en collectivité. Dans les contrats de fourniture de gaz ou de chaleur, souvent sur des très gros montants, « tu n’as même pas de droit de regard sur les contrats ». C’est sur la fourniture d’énergie que les prestataires réalisent la plus grande part de leurs marges. Sans surprise, ils poussent donc pour que les contrats d’exploitation de chauffage comportent la fourniture de combustibles.  

Le marché des services énergétiques représente 12 milliards d'euros. Mais les activités de maîtrise de l’énergie à proprement parler (si l’on retire l’exploitation, la maintenance et la fourniture) en représentent moins de 7 %. Et quand on regarde le détail de ces contrats, leur ambition est parfois très faible : moins 6 % de dépenses énergétiques prévues à Valence, moins 12 % à Chassieu, moins 14 % à Saint-Priest, moins 15 % à Toulouse (tous ces marchés ont été remportés par Dalkia). C’est, au mieux, moins de la moitié de l’objectif officiel de baisse de 40 % de la consommation des bâtiments.

 

 

« Ne serait-ce qu’en réglant correctement une chaufferie et son réseau, en effectuant une maintenance correcte, en sensibilisant un peu les acteurs, on peut gagner facilement 10 à 15 % sans aucun investissement, selon Pauline Mispoulet, présidente du Gesec, un groupement de PME spécialisées. Un degré de moins chez soi représente déjà 7 % d’économie. » Elle s’en explique en détail dans un livre appelant à une vraie transition énergétique, en reconnaissant le rôle des PME, Energie et Prospérité - Les entrepreneurs au cœur de la transition (Les Petits matins), préfacé par l’économiste Gaël Giraud (co-écrit avec Raphaële Yon-Araud).

Si l’on reprend l’étude empirique qu’ont menée des professionnels du secteur sur une centaine d' appels d’offres publics entre 2010 et 2014 portant sur les marchés de services énergétiques, un quart des marchés ont été attribués sans concurrence : une seule entreprise a répondu à l’appel d’offre. À Avignon, un marché sur les bâtiments communaux a été conçu par un bureau d’études qui est aussi une filiale d’EDF. Dalkia en a remporté une bonne partie. Ailleurs, lors d’un marché auquel seuls Dalkia et Cofely avaient répondu, l’un des commerciaux en charge de l’appel d’offres lui a confié que les concurrents s’étaient entendus sur les prix. Dalkia et Cofely sont de loin les premiers clients de GDF. Leurs activités sont intrinsèquement liées.

Pour Stéphane Baly, conseiller municipal EELV à Lille : « Il faut impérativement que les collectivités se donnent les moyens de surveiller la bonne exécution de ces marchés et ce avec des moyens à la hauteur des enjeux financiers. C’est très exigeant pour les services des collectivités alors que leurs dotations budgétaires baissent et qu’il n’y a pas assez de monde pour effectuer ce travail. » Selon l’élu, « le conflit d’intérêts est renforcé par le manque de surveillance ».

Pour les responsables des services énergie, la tâche est rude. « Il faut être un très bon technicien, un bon financier et un bon communicant : il faut vendre sa sauce à sa hiérarchie, et c’est très difficile car la direction des services en général ne veut pas de vagues et se montre peu réceptive à l’innovation », décrit Robert Gregori. Surtout que « derrière, les élus sont souvent approchés par les commerciaux des grands groupes, EDF, GDF, Cofely, qui les invitent à des séminaires, des voyages… Vous avez beau batailler, vous n’êtes pas entendu et vous passez pour le vilain petit canard ». Le travail des fonctionnaires municipaux techniciens est peu valorisé. Or tout est dans le pilotage des appareils, explique-t-il : « Ne serait-ce que bien gérer les périodes d’inoccupation, vous faîtes des progrès monstrueux. Quand vous voyez des établissements scolaires vides pendant les vacances de Noël maintenus à 23° 24 heures sur 24… »
 

Pour la Coalition France pour l’efficacité énergétique (CFEE), qui regroupe des entreprises, des associations, des copropriétaires et des consommateurs, il est urgent de séparer la fourniture d’énergie de la prestation d’efficacité énergétique. C’est l’une de ses propositions phares pour mettre en œuvre la rénovation thermique dans le bâtiment. Elle souhaite que les contrats de performance énergétique ne puissent pas comporter de vente d’énergie non renouvelable. Ces professionnels de la maîtrise de l’énergie considèrent que « les cadres législatif, juridique et réglementaire français n’ont globalement pas évolué depuis le dernier choc pétrolier » et restent orientés vers le développement de l’offre.

À ce jour, leur demande est restée lettre morte. La loi de transition énergétique de Ségolène Royal, en cours de vote au Parlement, n’aborde même pas le sujet. Plus grave, la question cruciale de la mise en œuvre des objectifs climatiques de la France n’est jamais abordée par les figures politiques de premier plan. Cette cécité est catastrophique : à quoi cela sert-il de promettre de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre si personne ne vérifie si l’on essaie de le respecter ? Les chaudières, réseaux de chaleur et chaufferies d’hôpitaux n’intéressent personne alors qu’elles sont un lieu d’action contre le dérèglement du climat bien plus important que les estrades des forums estampillés « Cop 21 », du nom du sommet international qui se tiendra à Paris en décembre. Il n’y aura pourtant pas d’avancée réelle pour le climat sans ouvrir les portes des chaufferies et plonger les mains dans le cambouis.

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

Partager cet article
Repost0
18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 15:17

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

En Californie, touche pas à mon eau

|  Par Iris Deroeux

 

 

La Californie est à sec mais aussi à cran depuis que le gouverneur de l’État a fixé un objectif de réduction de la consommation d’eau de 25 %. Citoyens accrochés à leurs piscines, agriculteurs paniqués à l’idée de produire moins, écologistes inquiets… Tout le monde se renvoie la balle et en attendant, la consommation d’eau reste beaucoup trop élevée.

 

De notre correspondante aux Etats-Unis.- Tout a commencé avec une mise en scène parfaite : le gouverneur démocrate de Californie expliquant depuis une station de ski réputée, au nord de San Francisco, que non, définitivement non, on ne pouvait plus continuer ainsi. À l’endroit précis où Jerry Brown donnait sa conférence de presse, début avril, la neige aurait dû atteindre au moins un mètre, voire beaucoup plus. Sauf qu’il avait les pieds parfaitement au sec, sur une herbe brune. L’image devait frapper les esprits et mieux faire passer la pilule : Jerry Brown annonçait à ses concitoyens qu’il leur imposait un objectif ambitieux, celui de réduire de 25 % leur consommation d’eau dans les neuf mois à venir afin de faire face à la sévère sécheresse frappant l’État depuis 2011. Ce rationnement, ne concernant pas le secteur agricole, serait orchestré par les quelque 400 agences en charge de l’approvisionnement en eau des villes californiennes. Il viendrait s’ajouter à d’autres restrictions datant de janvier 2014, lorsque l’État d’urgence a été déclaré par le gouverneur, ainsi qu’à un rationnement de l’eau imposé aux fermiers par les autorités fédérales.

Mais début mai, le résultat n’est pas glorieux. Les Californiens n’ont réduit leur consommation d’eau que de 3,6 % par rapport au mois de mars 2014, selon les derniers chiffres publiés par le State Water Ressources Control Board, le bureau en charge des ressources en eau de l’État. Et sur le terrain, quand ce n’est pas du désintérêt, ce qu’on observe ressemble à un mélange de mauvaise foi, de peur panique à l’idée de devoir changer son mode de vie, et de colère. Le voisin est toujours plus fautif ; l’État en demande trop. Un autre argument souvent entendu est que les Californiens ne devraient être les seuls à fournir de tels efforts puisque les trésors de la Californie profitent à tous, aux États-Unis et ailleurs, que ce soit ses zones touristiques, son agriculture, son eau…

 

Dans la Central Valley.
Dans la Central Valley. © I.D

 

L’État est en effet très riche, c’est le plus riche des États-Unis. Si la Californie était un pays, ce serait ainsi la 7e puissance économique mondiale. C’est aussi le plus peuplé : il compte aujourd’hui 38,8 millions d’habitants, contre moins de 16 millions dans les années 1960. D’où cette question, qui se pose de manière de plus en plus pressante : à quel prix la Californie peut-elle continuer à se développer ainsi ?

« Il est temps de reconnaître que la Californie est dans une situation de pénurie permanente : même dans une année de précipitation "normale", la demande en eau est plus importante que ce que la nature fournit, ce qui mène à des conflits politiques grandissants, une surexploitation des nappes phréatiques insoutenables, la destruction des rivières, ruisseaux et marais de l’État. Le changement climatique causé par l’activité humaine ne fait qu’empirer ce mélange », résume ainsi le scientifique Peter Gleick, spécialiste des questions environnementales, dans un post de blog (à lire ici). En effet, si cette sécheresse n’est pas la première à frapper l’État, il y a cette fois-ci des facteurs aggravants : la Californie est toujours plus peuplée, et l’impact du changement climatique sur les réserves en eau est de plus en plus indéniable.

Ces réserves proviennent de deux sources principales : des eaux de surface d’une part, comme la couverture neigeuse des montagnes et les cours d’eau ; et celle pompée dans les nappes phréatiques d’autre part. « 70 % de l’eau consommée dans l’État est puisée dans des réservoirs alimentés par l’eau de la Sierra Nevada, au nord, et par des rivières. Cette eau est acheminée du nord vers le sud de l’État via un système de canaux, de barrages et d’aqueducs », nous explique David Sedlak, du Centre d’étude de l’eau de l’université de Berkeley. Il précise que ces infrastructures n’ont pas été modernisées depuis des décennies : la gestion des ressources n’est donc plus optimale et l’édifice devient si fragile que l’approvisionnement en eau du sud de l’État pourrait être menacé.

« Les 30 % restants sont puisés dans les nappes phréatiques », poursuit le chercheur. Et ceux qui possèdent un puits peuvent pomper cette eau sans limite à défaut d’une législation claire en la matière. Ce flou juridique est en train de devenir un autre sujet majeur de tensions. S'ajoute à cette équation « le fait que l’eau est historiquement peu chère aux États-Unis, bien moins chère qu’en Europe. Ce qui pousse les Américains à en consommer plus ».

 

Un golf à Palm Springs, dans le désert.
Un golf à Palm Springs, dans le désert. © I.D
 

Face à cette situation, un plan de réforme drastique, sur le long terme, paraît logique et nécessaire. Sauf que pour le moment, rien de tel n’est au programme. Le gouvernement local préfère agir au coup par coup, en adoptant surtout des mesures d’urgence comme celle venant de frapper les citadins californiens. Et cette stratégie des petits pas, bien que jugée très insuffisante par certains, suscite déjà tensions et hystérie… « Vous arrivez en pleine tempête ! » lâche ainsi Jim Beecher, fermier rencontré dans la Central Valley, le cœur agricole de la Californie et le symbole d’une agriculture intensive extrêmement gourmande en eau. 

Planter des cactus

Première étape pour prendre la mesure de la crise : Palm Springs, à deux heures de Los Angeles, dans la vallée de Coachella. Construite en plein désert, sur des terres indiennes, cette ville se veut une destination touristique de premier plan, en particulier pour les golfeurs puisque les alentours comptent pas moins de 125 golfs. Quelque 44 000 habitants à l’année, un chiffre multiplié par trois en saison : c’est un spot de golf très apprécié des stars hollywoodiennes mais aussi de retraités américains, canadiens et même européens, qui viennent passer ici de longs mois d’hiver et barboter dans leurs piscines privées pour mieux supporter la chaleur écrasante. La consommation d’eau par habitant y bat donc tous les records.

 

Palm Springs.
Palm Springs. © I.D
 

L’État a décrété qu’ici, les habitants devraient réduire leur consommation de 36 %, et non de 25 %. Atteindre cet objectif est un véritable casse-tête pour l’agence de l’eau locale, un organisme privé du nom de Desert Water Agency, qui n’a d’autre choix que d’obtempérer. « Sinon, nous devrons payer 10 000 dollars d’amende par jour à Sacramento [la capitale de l’État] », ne cesse de répéter le comité directeur de l’agence, réuni fin avril face à un public très en colère.

Nous sommes dans les locaux de la Desert Water Agency le jour d’une réunion publique au cours de laquelle l’agence énumère la série de restrictions qu’elle compte adopter. Quelque 400 habitants ont fait le déplacement, du jamais vu selon l’agence, et la tension est telle qu’on n'est pas loin du pugilat. La scène pourrait même s’avérer comique si n’étaient pas en jeu les ressources et l’environnement d’un État tout entier.

Partant du principe que 70 % de l’eau consommée à Palm Springs l’est en extérieur, voici ce que contient la résolution de l’agence : il est désormais interdit d’arroser les surfaces en dur et de nettoyer le sol des parkings ; les restaurants doivent servir et resservir de l’eau seulement si les clients le demandent ; des horaires précis et limités sont instaurés pour l’arrosage des jardins ; les gazons sur les ronds-points et bas-côtés ne doivent plus être arrosés ; les fontaines doivent être éteintes « sauf si des poissons ou des tortues y vivent »… Quant aux piscines, il est fortement déconseillé de les vider et remplir entre juin et octobre. Notons que sur ce dernier point, face à la colère de nombreux pisciniers présents, l’agence accepte d’adopter le verbe « déconseiller » plutôt que celui d’« interdire ». Car, c’est un fait, certains habitants n’en reviennent pas qu’on leur demande de tels efforts.

« Sans piscines, Palm Springs ne survivra pas ! Des millions ont été investis dans des publicités présentant cette région comme le paradis pour jouer au golf et plonger dans une piscine… 36 % de réduction de la consommation de l’eau, c’est inatteignable ! » s’emporte Ted, à la tête d’une entreprise de réparation de piscines. « S’il vous plaît, réfléchissez, n’agissez pas à la va-vite, on doit protéger l’eau mais aussi notre économie », implore un autre piscinier. « Et pourquoi les compagnies étrangères ont-elles encore le droit de pomper notre eau allègrement ? » s’enquiert un autre habitant, faisant référence aux entreprises comme Nestlé (qui détient plus de 70 marques d’eaux en bouteille) disposant de permis délivrés par les autorités fédérales leur permettant de puiser l’eau du coin pour ensuite la vendre en bouteilles.

L’agence n’a aucun pouvoir là-dessus, elle le dit, tente de calmer l’assemblée, puis rappelle que la ville n’en serait « peut-être pas là si on avait fait plus attention depuis dix ans ». Elle conclut : « De toutes façons, nous n’avons que 70 employés qui ne sont pas des policiers de l’eau, donc on a beau avoir de nouvelles obligations, nous n’allons pas pouvoir surveiller tout le monde. » Cette déclaration sonne comme un aveu d’impuissance.

Dehors, la discussion se poursuit. « Comprenez que les piscines, ce sont juste des symboles, personne ne va en mourir si elles restent vides bien sûr… Mais cette ville, c’est leur vie. Les gens ont peur que la vallée se dépeuple ! » tient à nous expliquer Brenda, qui partage son temps entre Palm Springs et la côte est des États-Unis. D’autres, assez nombreux, sont excédés par le comportement de leurs concitoyens. « J’en ai entendu certains crier, en tapant du poing sur la table : “Je veux ma pelouse, j’ai droit à ma pelouse” ! Cette histoire de “droits individuels” vire à l’obsession et ça me rend dingue, les gens doivent se réveiller », glisse Victor, bénévole à la mairie.

« Nous avons un vrai problème d’éducation à l’écologie, surtout des plus âgés, surtout de ceux qui viennent d’États américains où l’eau abonde », estime encore Kate Castle. Élue « citoyenne verte de l’année » par la mairie, fan d’Al Gore, elle est la gestionnaire d’un complexe de 299 maisonnettes à Palm Springs, où elle s’est donc lancée dans une véritable mission éducative. Par exemple ? « En convaincant les habitants que les cactus étaient plus jolis que les pelouses, et aussi plus judicieux puisqu’on vit dans le désert. » Ça n’a pas été simple, mais ça a marché. Les espaces communs du lotissement, désormais recouverts de plantes désertiques, en attestent.

 

Kate Castle nous montre les plantes désertiques qui ont remplacé les pelouses.
Kate Castle nous montre les plantes désertiques qui ont remplacé les pelouses. © I.D
 

Cela dit, même Kate a du mal à comprendre « pourquoi ceux qui utilisent le plus d’eau dans l’État [les agriculteurs] ne sont pas eux aussi assis à la table des négociations. Cela m’échappe ».

C’est un fait : l’eau californienne est à 80 % consommée par le secteur agricole, qui ne représente pourtant que 2 % du PIB de l’État. Entre autres solutions pour faire face à la sécheresse, il pourrait donc sembler logique de limiter la consommation d’eau du secteur agricole voire de réformer ce secteur tout entier. « On pourrait décider de produire moins de nourriture par exemple, de se concentrer sur des cultures moins gourmandes en eau. Sauf que c’est un sujet politiquement explosif dans l’État… Ici, on n’impose pas aux fermiers ce qu’ils doivent produire. D’autant qu’ils ont déjà l’impression d’avoir fait des sacrifices ces dernières années », explique David Sedlak, du Centre d’étude de l’eau de l’université de Berkeley.

Puiser l'eau des aquifères…

Pour mieux cerner le problème, direction la Central Valley, le cœur agricole de Californie. 2,5 millions d’hectares de terres y sont cultivées et produisent 25 % de la nourriture consommée par les Américains. La qualité des sols et du climat en a fait le lieu parfait pour exploiter pas moins de 250 cultures différentes, des fruits et légumes au coton en passant par les noix… Des cultures très rentables et particulièrement gourmandes en eau, comme celle des amandes (près de 80 % des amandes produites dans le monde viennent de Californie), des pistaches ou encore de la luzerne (dont le foin permet de nourrir les bœufs), y sont devenues très populaires.

La Central Valley est encore la région qui produit la plus grosse quantité de tomates en conserve au monde et c’est précisément le principal producteur local de tomates qui accepte de nous recevoir pour témoigner de son expérience de la sécheresse. Parmi les fermiers et agro-industriels que nous avons contactés, Farming D est la seule société à nous ouvrir ses portes. « Je veux bien servir de symbole des méchants fermiers qui gaspillent l’eau pour leurs seuls profits », glisse avec cynisme Jim Beecher. « Les gens pensent que leur nourriture pousse dans les épiceries, il faut qu’ils comprennent comment ça marche », ajoute-t-il.

 

 

Jim Beecher, devant un champ de tomates.
Jim Beecher, devant un champ de tomates. © I.D

 

Nous le rencontrons dans les bureaux de Farming D, ferme de 3 900 hectares, « medium large » selon les critères californiens, gigantesque comparée aux exploitations françaises. Ici sont donc produites chaque année des tonnes de tomates ensuite mises en conserves : 70 % de celles vendues sur le marché américain. Mais Farming D produit aussi du blé, des laitues, des amandes et un peu de luzerne.

Si Jim Beecher prend le temps de nous parler, c’est qu’il estime faire de son mieux pour réduire sa consommation en eau depuis quelques années. « La sécheresse, on en souffre depuis plus longtemps et de manière plus prononcée que quiconque dans l’État, commence le fermier. Nous sommes en situation de pénurie d’eau depuis 2011. » Jim Beecher fait ainsi référence au rationnement mis en place par le gouvernement fédéral. Car dans cette région, traditionnellement, les exploitations sont irriguées grâce à des canaux acheminant l’eau des fleuves Sacramento et San Joaquin. Sauf que le niveau de ces fleuves ayant dangereusement baissé, les autorités fédérales ont décidé de couper temporairement cette source alimentation. « On reçoit zéro ! » résume Jim Beecher. Il a donc fallu s’adapter.

« Nous avons mis certaines terres en jachère, nous avons cessé de produire du coton », nous explique-t-il en nous faisant visiter une partie de l’exploitation en voiture. Il nous montre les maisonnettes où logent les cinquante employés à temps plein qui vivent sur les terres, « tous mexicains ». « Ce sont les premiers à souffrir de la sécheresse », note-t-il. En effet, les conséquences sur l’emploi se sont déjà fait sentir. Une étude de l’Université de Californie évalue à 2,2 milliards de dollars les pertes du secteur agricole californien pour l’année 2014, et à 17 000 le nombre d’emplois perdus, saisonniers ou à temps complet.

Jim Beecher s’est aussi mis à aller chercher l’eau là où il y en avait : dans les nappes phréatiques. Sans nous donner de chiffres, il avoue avoir creusé et continuer de faire creuser des puits afin de prélever l’eau dans les aquifères californiens autant qu’il en a besoin. « Je sens qu’on va bientôt être limités, cela dit », note-t-il, inquiet de ce qui se trame à Sacramento. En l’occurrence, des mesures restreignant ces prélèvements sont bel et bien en voie d’adoption, mais rien ne sera mis en œuvre avant… 2020.

Le fermier souligne enfin qu’il a réduit la consommation d’eau de l’exploitation « d’un cinquième depuis 1998 ». « Nous avons investi dans le système d’irrigation le plus performant qui soit », à savoir un système d’irrigation au goutte-à-goutte enterré permettant en effet de limiter le gaspillage d’eau. Nous poursuivons notre discussion sur les méthodes d’agriculture conventionnelles, qu’il défend bec et ongles. « C’est le seul moyen de nourrir tout le monde, juge-t-il. Bien sûr que les tomates organiques sont meilleures que les miennes, mais elles sont beaucoup plus chères. »

 

"Pas d'eau, pas d'emplois", signale une pancarte en bordure d'un champ.
"Pas d'eau, pas d'emplois", signale une pancarte en bordure d'un champ. © I.D

 

Il reconnaît cependant que « les agriculteurs sont loin d’être parfaits dans cette région, notamment si on regarde la façon dont sont traités les travailleurs journaliers » ; que certains « résistent au changement, qu’il sera difficile de réformer quoi que ce soit »… Mais au bout du compte, selon lui, cette crise de l’eau s’avérera salutaire, « en nous obligeant tous à moderniser nos systèmes d’irrigation ».

D’autres se montrent un peu moins optimistes et beaucoup plus radicaux. « C’est tout bonnement impossible de continuer ainsi ! » tranche l’historien Richard White, spécialiste de l’Ouest américain à l’université de Stanford. « Ce qui se trame dans la Central Valley, c’est une crise environnementale mais aussi sanitaire. L’usage des pesticides à outrance provoque une pollution bien plus forte que dans une métropole comme Los Angeles et des maladies en pagaille. C’est une région dont on parle peu finalement, puisqu’elle ne colle pas avec le récit d’une Californie où les gens auraient un mode de vie sain et seraient plus sensibles à l’écologie qu’ailleurs », analyse l’historien.

« L’agro-industrie jouit d’un pouvoir à Sacramento qui dépasse de loin son poids économique réel, c’est une constante et un mystère de la vie politique californienne », poursuit-il. De quoi freiner durablement les réformes d’ampleur nécessaires afin de protéger l’eau et l’environnement de la Californie à long terme ? Peut-être pas, car les organisations écologistes sont aussi très puissantes à Sacramento. Reste à savoir comment réussir à asseoir tout le monde autour d’une table, à réfléchir sereinement au futur de l’État, et à agir. Rapidement.

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 23:05

 

Source : http://www.francetvinfo.fr

 

A Notre-Dame-des-Landes, les "culs de plomb" refusent de partir

Menacée d'expulsion après une décision de justice, la famille Herbin ne veut pas quitter sa maison située sur le site du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Une détermination partagée par les derniers habitants permanents du site.

Claude Herbin, l'habitant du site du projet d'aéroport de Notre-Dames-des-Landes (Loire-Atlantique) menacé d'expulsion, a fait inscrire "Vinci déporte la population" sur le fronton de sa maison.

Claude Herbin, l'habitant du site du projet d'aéroport de Notre-Dames-des-Landes (Loire-Atlantique) menacé d'expulsion, a fait inscrire "Vinci déporte la population" sur le fronton de sa maison. (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

"Il faut que je surveille mes patates." Mercredi 13 mai, le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) a donné dix-huit mois à Claude Herbin et sa famille pour quitter leur maison du Liminbout, un hameau situé au centre de la zone où doit s'installer l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Mais en ce jeudi de l'Ascension, ce cuisinier de profession s'inquiète davantage de la cuisson de ses pommes de terre que de la décision du juge. Ce midi, toute la Zad ("zone d'aménagement différé", rebaptisée "zone à défendre" par les opposants) est invitée à un banquet de soutien à la famille.

"Décision de justice ou pas, on va rester sur place", explique tranquillement le quinquagénaire, dont le pull à capuche réclame "de l'oxygène, pas du kérosène". "Nous ne partirons pas, pour deux raisons très simples : il n'y aura pas d'aéroport et, à moins d'envoyer l'armée, on imagine mal comment l'Etat pourrait nous expulser", lance ce père de deux enfants, installé ici depuis 1996. L'échec, en 2013, de l'opération César contre les occupants du site et le calme plat qui règne sur la zone depuis deux ans le confortent dans cette position. Et pour être sûr que Vinci, propriétaire de la maison et promoteur de l'aéroport, comprenne bien le message, il précise : "On a monté une association qui s'appelle Les culs de plomb. Cela veut bien dire ce que ça veut dire."

Claude Herbin lit une déclaration aux journalistes devant sa maison. Voici le texte

"Il y a une forme de soulagement"

Des "culs de plomb" comme la famille Herbin, Notre-Dame-des-Landes en compte une dizaine, même s’ils ne sont pas tous membres de l’association. Agriculteurs, électriciens ou cuisiniers, ils habitent toute l'année les hameaux éparpillés sur la Zad, et ont bien l'intention d'y rester. L'expulsion de la plupart des habitants expropriés est suspendue grâce à la grève de la faim victorieuse menée en 2012. "Trois ans après, le jugement ne nous a toujours pas été notifié par huissier de justice", sourit Sylvie Thébault, une agricultrice de 49 ans. La famille Herbin ne doit ses poursuites judiciaires qu'à l'ancien propriétaire de sa maison : ce dernier l'a vendue en 2009, sans mentionner la présence de locataires. Une faille dans laquelle Vinci essaie de s'engouffrer.

La décision de justice n'inquiète pas plus ces habitants que Claude Herbin. "Il y a une forme de soulagement, parce que ce n'est pas une expulsion immédiate, explique Sylvie Thébault. C’est un jugement mi-figue mi raisin, qui va dans le sens de donner du temps au temps." "Parler de victoire serait un bien grand mot, mais ce jugement repousse l'expulsion jusqu’à la campagne présidentielle", veut croire Sylvain Fresneau, 55 ans, même si l'élection est dans deux ans. "Les juges ont renvoyé la patate chaude dans les mains du gouvernement", estime cet éleveur de vaches laitières. Vinci réclamait une expulsion sous deux mois, le minimum légal.

"Nous sommes dans une situation d'attente"

Pour Sylvain, la situation de la ZAD "est le reflet du jugement du tribunal". "Nous sommes dans une situation d'attente, d'attente d'une décision qui viendra d'en haut", de François Hollande ou de Manuel Valls, précise-t-il. Aujourd'hui, la construction n'est ni arrêtée, ni entamée. Les recours déposés par les opposants au projet n'ont pas encore été examinés par la justice administrative. "Vinci n'a pas démarré une seule pelleteuse sur la zone, y a pas un début de travaux", constate Sylvain.

L'agenda politique, avec les régionales et la conférence sur le climat en décembre, les rassure. "Hollande va vouloir se peindre en vert, des orteils aux cheveux, je le vois mal tenter un truc ici", lance un "Camille", le prénom générique que se donnent les zadistes pour répondre à la presse.

"Vinci veut tout détruire, nous, on va rénover la grange"

En attendant, les habitants se retrouvent dans un trou noir administratif. Expropriés sans être expulsables, ils ne peuvent pas obtenir de permis de construire. L'exploitation de Sylvain n'est plus aux normes pour le stockage de fumier, mais il n'a pas le droit de réaliser les travaux de mise en conformité. "Pour l'instant, les assurances ont accepté de nous couvrir, explique Dominique Fresneau, coprésident de l'Acipa, la principale association d'opposants. Mais elles peuvent refuser à l'avenir. Imaginez, si une maison brûle…"

Ces blocages n'empêchent cependant pas les zadistes de lancer des chantiers de rénovation un peu partout, comme pour mieux souligner le contraste avec l'état d'avancement des travaux de l'aéroport. "Vinci veut tout détruire, nous, on va rénover la grange", annonce fièrement Claude Herbin. Devant sa maison, un "permis de construire" symbolique, inscrit sur la plaque qui sert d'habitude à découper les poulets, a été installé. Les travaux débuteront en août, avec du bois de charpente coupé et scié sur place par une scierie mobile qui doit être installée cet été.

Pour montrer leur détermination à rester, les Herbin "lancent" aujourd'hui la réfection de leur grange

 
 
 
 
 
 

"Je ne veux pas de cette mort en sursis"

Malgré la décision de justice prise contre la famille Herbin, l'ambiance est donc à la fête entre les tables du banquet, dressées sous un chapiteau en ce jeudi pluvieux. En attendant les patates de Claude, les bouteilles de muscadet passent de main en main et les jeux forains, où les cibles représentent les partisans de l'aéroport, rencontrent un certain succès.

 

"Je suis plus optimiste qu'il y a quelques années, confesse Alain Bretesché, 48 ans, habitant du hameau de la Rolandière. Nous avons beaucoup plus de relais dans l'opinion, dans les associations ou les partis politiques." "On sent qu'il n'y a pas une volonté politique de continuer, mais cela inquiète les partisans du projet que ce symbole tombe dans les mains des opposants", ajoute Dominique Fresneau.

La méfiance reste donc de mise. "Je veux l'abrogation de la déclaration d'utilité publique, martèle Sylvie. Je ne veux pas de cette mort en sursis, je veux l'arrêt du projet." La bataille de Notre-Dame-des-Landes est loin d'être terminée.

 

 

Source : http://www.francetvinfo.fr

 

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 22:59

 

Source : https://www.objectifgard.com

 

FÉRIA D’ALÈS La manifestation couleur sang des anti-corrida

16 mai 2015 à 19:00

 

 

C'est une mise en scène choc que les militants anti-corrida ont choisi de faire cet après-midi. EB/OG

C'est une mise en scène choc que les militants anti-corrida ont choisi de faire cet après-midi. EB/OG

 

Deux heures avant la première corrida de la Féria d'Alès, environ 500 manifestants se sont rassemblés cet après-midi devant la clinique Bonnefon autour d'un "happening sanguinolent".

15 heures. L'avenue Carnot, entre le pont neuf et le rond point de la route d'Uzès, est encerclée par les policiers. Les anti-corridas, munis de leurs banderoles, pancartes et sifflets arrivent par groupe. Jean-Pierre Garrigues, président du Comité radicalement anti-corrida (Crac), concocte un mélange aux allures de sauce tomate dans une bétonnière. Sur le passage piéton, une bâche a été installée pour y déverser la préparation, dans laquelle les manifestantes s'allongeront un peu plus tard. "Nous voulons symboliser la mort des taureaux à travers cette mise en scène", exlique Roger Lahana, vice président du Crac.

 

Environ 500 manifestants ont répondu présents. EB/OG

Environ 500 manifestants ont répondu présents. EB/OG

 

15h30. Environ 500 militants sont réunis et hurlent à tue-tête "Basta, corrida ! Basta, corrida !" Du haut d'un petit échafaudage monté pour l'occasion, Jean-Pierre Garrigues prend la parole : "Merci à tous d'être venus. Aujourd'hui, nous nous sommes rassemblés de manière différente par rapport à l'année dernière car nous voulons marquer les esprits. Nous essayons sans cesse de nous renouveler pour ne pas faire partie du paysage de la Féria. Je comprends que certains puissent être agacés car les choses ne vont pas assez vite. Cette lutte est extrêmement dure et plus nous multiplieront les actions, plus nous aurons de chances d'atteindre notre objectif : abolir cette pourriture de corrida !"

 

La manifestation a duré plus de deux heures. EB/OG

La manifestation a duré plus de deux heures. EB/OG

 

16h. Alors que les premières interventions d'associations de défense d'animaux commencent, un couple d'aficionados tente de franchir les barrières de sécurité en bousculant les militants. Ces derniers ne se laissent pas faire et une brève échauffourée éclate. Les deux personnes sont rapidement maîtrisées par les forces de l'ordre et écartées de la manifestation. C'est un Jean-Pierre Garrigues furibond qui reprend le micro. Il ne mâche pas ses mots : "Un couple d'enfoirés s'est permis de passer par là. Le type, c'est un abruti. Il a cogné un policier", scande t-il. L'incident clos, les prises de paroles reprennent.

 

"Basta, corrida !" crient les militantes. EB/OG

"Basta, corrida !" crient les militantes. EB/OG

 

16h55. La grande corrida démarre dans cinq minutes aux arènes du Tempéras. C'est le moment de marquer les esprits. Une vingtaine de femmes vêtues de noir s'allongent sur la bâche recouverte du mélange couleur sang. Avec des cornes en plastique sur leur tête et une pique sous le bras, elles symbolisent "les taureaux qui sont massacrés pendant les corridas". Les militants se taisent et observent. Caméras et appareils photos immortalisent la scène choc. Puis, des faux billets de 20 euros avec la photo de Max Roustan sont jetés sur elles, en référence à l'indemnisation financière de 15 000 € versée par la ville à l'association Toros Alès Cévennes pour compenser le manque à gagner dû à l'action des anti-corrida en 2014. Au même moment, un taureau devait faire son entrée dans les arènes du Tempéras.

 

Des faux billets de 20 euros avec une photo de Max Roustan ont été jetées sur elles. EB/OG

Des faux billets de 20 euros avec une photo de Max Roustan ont été jetées sur elles. EB/OG

 

Une vingtaine de femmes se sont allongées sur la bâche recouverte de sang pendant plusieurs minutes. EB/OG

Une vingtaine de femmes se sont allongées sur la bâche recouverte de sang pendant plusieurs minutes. EB/OG

Elodie Boschet

 

 

Source : https://www.objectifgard.com

 

 

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 22:21

 

Source : http://www.humanite.fr

 

Révélation. Après la fraude fiscale, Amazon triche sur les accidents du travail
Jean-Baptiste Malet
Dimanche, 17 Mai, 2015
L'Humanité

Photo AFP
 
Lire nos révélations dans l'Humanité ce lundi 18 mai. Alors que la médecine du travail de Saône-et-Loire a rendu un rapport accablant sur les conditions de travail dans les entrepôts logistiques Amazon, la multinationale est prise en flagrant délit d’une fraude qui vise à faire baisser ses statistiques élevées d’accidents du travail.

Amazon, numéro 1 des ventes en ligne, champion de l’optimisation fi scale, est aussi régulièrement épinglé pour ses méthodes de management particulièrement inhumaines. Pressions psychologiques, loi du silence, postures pénibles, répression antisyndicale, sur les trois entrepôts de logistique de Bourgogne, la productivité du travail est poussée à l’extrême… Face au nombre élevé de maladies professionnelles, le groupe semble prêt à tout pour faire baisser les statistiques d’accidents du travail. Même à mentir. Selon les documents que s’est procurés l’Humanité, sur le site de Sevrey, ouvert en 2013 en Saône-et-Loire, la direction a rédigé une déclaration mensongère à la Sécurité sociale après qu’un salarié a fourni un certifi cat de son médecin constatant une maladie professionnelle. Les élus Front de gauche et écologistes de la région demandent le remboursement des aides publiques accordées au moment de l’installation. Lire notre enquête dans l'Humanité ce lundi.

 

Source : http://www.humanite.fr

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 21:52

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Vidéo

Grèce : la BCE outrepasse son mandat et exerce un chantage sur le gouvernement

17 mai par ANAmpaWeb TV , Eric Toussaint

 

 

 

 

Eric Toussaint est interviewé par l’agence de presse d’Athènes à propos de l’intervention de la Banque centrale européenne qui dépasse les limites du légal et est nettement illégitime. De plus elle utilise actuellement le chantage de l’asphyxie du système financier grec afin de faire plier le gouvernement grec. La BCE veut l’amener à trahir les promesses électorales faites par Syriza au cours de sa campagne électorale.

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 21:37

 

 

Entretien
"L’Europe se désagrège et personne ne sait quel sera le premier domino à tomber"

 

Propos recueillis par
Julien Leclerc
 
 
Grèce, Royaume-Uni, l'Union européenne craque de toutes parts. Pour Coralie Delaume, auteur de l'essai "Europe. Les États désunis" (Michalon), l’UE se délite en raison de ses propres règles. Pour l'animatrice du blog "L'Arène nue", ça ne fait en effet aucun doute : la crise que traverse l'UE trouve en effet ses fondements "dans les choix mêmes des pères fondateurs de l’Union européenne".
 
VARELA/SIPA
 

Marianne : La situation actuelle de l’Union européenne était-elle selon vous écrite de longue date ?
Coralie Delaume : La crise que connaît l’Europe actuellement est une crise à la fois économique et démocratique. La première était prévisible au moins depuis la création de l'euro. La seconde trouve son origine très en amont, dans les choix mêmes des pères fondateurs de l’Europe. Ceux-ci ont fait le choix dès le début de mettre sur pied non une Europe politique mais une Europe technique, supposée devoir générer des solidarités de fait.
C’est ce que l’on a appelé la « méthode des petits pas » de Jean Monnet, qui consistait à imbriquer des secteurs précis de plus en plus nombreux, et à mettre les peuples devant le fait accompli. Une sorte de « fédéralisme furtif » si l'on veut. Il n'y a jamais eu de grande ambition démocratique là derrière, au contraire. Une ponction lente des prérogatives des nations pour les transférer à des échelons supranationaux ne pouvait qu'aboutir à terme à un déficit démocratique. Le choix de la supranationalité plutôt que la coopération traditionnelle entre nations européennes — par la voie simple de la diplomatie classique — portait nombre de problèmes en germe.
Pour ce qui est de la crise économique, on trouve l'une de ses sources principales dans la création de la monnaie unique. Le partage d'une même monnaie par des pays aux structures économiques très différentes, la mise en place d'une monnaie fédérale sans Etat fédéral auquel s'adosser, était voué à l'échec. Au lieu de les faire converger, l'euro a contribué à faire diverger les différentes économies, notamment en imposant aux pays d'Europe du Sud un fonctionnement « à l’allemande » fait de rigueur budgétaire et d'inflation quasi nulle, qui ne leur convient pas. 

 

Le vrai risque d’un départ du Royaume-Uni de l’Union européenne ne serait-il pas celui d’une étendue de la domination économique allemande sur le continent européen ?
"On parle encore de “couple franco-allemand” mais on devrait davantage parler d'une servitude volontaire de la France"

Cela renforcerait en effet sa centralité économique, politique, géographique. La relation franco-allemande est désormais très déséquilibrée. On parle encore de « couple » mais on devrait davantage parler d'une servitude volontaire consentie par de la France vis-à-vis de l’Allemagne.
Un départ éventuelle du Royaume-Uni est une chose, mais on voit bien globalement que toute les nations dites « périphériques » sont actuellement la proie de tensions centrifuges. On le voit bien avec la Grèce par exemple. L'Allemagne deviendrait évidemment le pivot d'une Union européenne réduite au noyau central.

 

La crainte de perdre un nouveau pays peut-il amener les institutions européennes à adopter une attitude plus conciliante dans ses négociations avec le gouvernement d’Alexis Tsipras ?
Non, je n'en suis pas convaincue. « Les Européens » pourront tenter de faire des concessions mineures pour se laisser le temps de voir venir. C'est ce que fait d'ailleurs la BCE, contrainte et forcée. Au départ, elle a cru pouvoir faire mettre le gouvernement Tsipras à sa merci en fermant aux banques grecques l'accès au refinancement normal. Du coup, ces banques se refinancement uniquement via l'accès à la liquidité d'urgence (ELA). Mais c'est au tour de la BCE d'être à présent coincée, et elle n'en finit plus de devoir relever le plafond de l'ELA, en attendant mieux.
Il pourrait y avoir éventuellement le déblocage de la dernière tranche de l'actuel plan d’aide, de 7,2 milliards d’euros, ou la négociation d'un troisième plan d'aide à partir de juin. Ou, beaucoup mieux, une restructuration de la dette. Mais là, si la Grèce parvient à obtenir ça, il fait bien voir que ça donnera des idées à d'autres pays. En Espagne par exemple, le parti Podemos de manquerait pas de faire campagne sur l'idée d'obtenir les mêmes concessions que son parti frère Syriza.
En tout cas, il faut bien voir que depuis 2008, les décisions économiques qui sont prises constituent un bricolage. Cela permet d’ « acheter du temps », de faire tenir la zone euro, mais ça ne résout pas les problèmes de structure de celle-ci. Et les problèmes économiques deviennent politiques, avec la montée de l’eurosceptisme dans tous les pays. On sent de nombreuses forces centrifuges à l'œuvre. L’Europe se désagrège, et personne ne sait quel sera le premier domino à tomber…

 

L’Union européenne pourra-t-elle accepter dans les futures négociations les mesures revendiquées par le gouvernement Cameron, comme celle du « carton rouge » (c’est-à-dire la dotation aux chambres parlementaires nationales d’un droit de véto sur les décisions de la Commission européenne ne respectant pas le principe de subsidiarité) ?
"Entre perdre l'Ecosse et sortir de l'UE, le Royaume-Uni va sans doute devoir choisir... "

Je pense que le Royaume-Uni, souhaite surtout obtenir des concessions. Il est intéressé par le libre-échange avec l'UE, mais souhaite couper un à un les fils qui le relient à la bureaucratie bruxelloise. Peut-être utilisera-t-il également le chantage au « Brexit » pour tenter de faire accélérer les négociations dans le cadre du traité transatlantique ?
De toute façon, les Anglais ont de la ressource. Ils sont branchés sur tout le monde anglophone, sur leurs anciennes colonies... Après, reste le problème écossais. Les indépendantistes du SNP dominent désormais très largement l'Ecosse. Or il s'agit d'un parti de gauche européiste. Entre perdre l'Ecosse et sortir de l'UE, il va sans doute falloir choisir…

 

Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, a déclaré récemment que « si le gouvernement grec juge nécessaire un référendum sur la question de la dette, alors qu'il le fasse. » Comment interpréter cette nouvelle provocation ?
Au sein du gouvernement allemand Wolfgang Schäuble semble s'être donné pour rôle de « terroriser » les Grecs. Il fait le « mauvais flic ». Angela Merkel passe derrière pour recoller les morceaux. Elle, c'est le « bon flic ». Un peu comme Varoufakis pour la Grèce, qui va à l’affrontement, avec un Tsipras qui joue ensuite l’apaisement. Mais je pense que si ça ne tenait qu'à Schäuble, tout aurait déjà été fait pour faire obtenir un « Grexit », car il a des convictions ordo-libérales très fortes.
En réalité, les deux camps doivent avoir compris qu'il n'y a guère d'issue à long terme, mais chacun s'efforce de montrer que l'impasse des négociations est imputable à l'autre.
Pour ce qui est de la Grèce, il est très probable que Tsipras soit en train de préparer doucement son opinion à une sortie de l'euro. Il lui faut un peu de temps pour montrer qu'il n'y a pas d'autre issue à une opinion encore rétive. Peu à peu, les Grecs réalisent qu'ils ont un mur en fasse d'eux, et l'idée fait son chemin. Aujourd'hui, près de 20% d'entre eux sont favorable à un retour à la drachme. C'est peu, mais on était à moins de 10% avant l'arrivée au pouvoir de Tsipras.

 

L’agence Eurostat a dévoilé hier sa première estimation du PIB du premier trimestre de l’année 2015, correspondant à une augmentation de 0,4%, couplé à une croissance annuelle de 1% dans la zone euro. Secondé par une croissance en hausse en France, en Italie et en Allemagne, ce rebond signifie-t-il, selon vous, que l’Europe sort la tête de l’eau ?
"La tendance lourde, c'est l'absence de croissance dans toute l'Europe, et un approfondissement des divergences entre les pays"Pas du tout, ce sont des soubresauts conjoncturels, de petits rattrapages ou de petites pauses habituelles qui ne signent en rien un retournement de conjoncture. J'avoue que j'ai presque cessé de m’intéresser à ces chiffres. La tendance lourde, c'est l'absence de croissance dans toute l'Europe, et un approfondissement des divergences entre les pays créditeurs et pays débiteurs. Par exemple, l’excédent commercial allemand n'en finit jamais d'augmenter : 217 milliards d'euros en 2014 soit 11% de plus que l'année précédente. Et le chômage reste à 25% en Espagne et en Grèce. Ça oui, c'est spectaculaire, et ça montre des déséquilibres majeurs. La zone euro est profondément mal foutue ! 

 

La situation en Europe en cas d’un « Grexit » et d’un « Brexit » pourrait-elle placer l’Union sous un angle géopolitique instable, avec un Est sous l’œil avide de la Russie de Vladimir Poutine et un forcing des Chinois sur les accords économiques ?
Je vous avoue que la Russie ne m'inquiète pas, au contraire. Un rapprochement avec la Russie pourrait bénéficier à toute l'Europe, en la rééquilibrant. On ne peut tout de même pas souhaiter une Europe rabougrie, autiste, recroquevillée sur un noyau dur dominé par l'Allemagne. Avec un Royaume-Uni en train de filer en douce et une Russie perçue comme une menace. Le général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe, lui qui appelait de ses vœux une Europe « de l'Atlantique à l'Oural ».
Mais il faut être vigilant. Car le Royaume-Uni est ouvert a des liens privilégié avec les Etats-Unis. La Russie, elle, a manifesté beaucoup de pragmatisme à la suite des sanctions votées contre elle, en allant chercher d'autres partenariats en Asie. Le dindon de la farce in fine.... ce sera nous ! Il faut retrouver un équilibre sain entre les différentes nations d'Europe, Russie comprise.

Article réactualisé le 17 mai à 12h45

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 21:21

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Aberration

En Israël, un village arabe rasé 83 fois doit payer pour sa démolition

par

 

 

 

Le village bédouin de al-Araqib, situé à proximité de la ville israélienne de Beer-Sheva, dans le Néguev, au sud du pays, détient un triste record : celui du village qui a été rasé le plus grand nombre de fois par l’État israélien. La cinquantaine de maisons qui composent le village ont été démolies à 83 reprises ! Pire : l’État israélien vient de réclamer, le 6 mai, à ses habitants, de payer un demi million de dollars (deux millions de shekels) pour couvrir les frais de démolition, d’arrachage d’arbres et de déploiement des forces de l’ordre. L’affaire doit être tranchée devant un tribunal en septembre.

Pourquoi cet acharnement ? Les localité bédouines ne sont pas reconnues par l’État israélien. Ces habitations sont donc considérées comme des constructions illégales. Dans le cas d’al-Araqib, des procédures judiciaires sont en cours. D’un côté, les habitants font valoir des copies de leurs anciens titres de propriété. De l’autre, l’État s’appuie sur l’ancien code de l’empire ottoman – qui contrôlait la région jusqu’à ce qu’elle passe sous « protectorat » britannique après la première guerre mondiale – pour faire valoir que le village et les titres de propriété ne sont pas légaux.

« Alors que par le passé on a fait payer à des propriétaires individuels les frais de démolition d’une maison, c’est la première fois dans l’histoire d’Israël qu’une ville entière est priée de payer pour sa destruction », écrit Allison Deger, journaliste du site Mondoweiss, spécialisé sur la politique au Moyen-Orient (l’article a été traduit par l’Agence Média Palestine). Une inégalité de traitement est également dénoncée : les habitants des quelques colonies juives illégales en Cisjordanie, qui ont été démantelées, n’ont jamais reçu de factures pour payer les frais des déploiements policiers. Depuis 1967, Israël a détruit plus de 27 000 habitations palestiniennes dans les territoires que le pays a envahis et occupés (voir ici). A chaque fois, l’État a demandé aux propriétaires palestiniens de payer ces démolitions.

 

Ministre de la Justice d’extrême droite

A al-Araqib, c’est la même administration qui est juge et partie : c’est elle qui est la plaignante pour récupérer ces terres, et c’est elle qui réclame le coût des démolitions aux habitants qui ont été délogés. « Il n’y a pas de justice dans la gestion de cette affaire par l’État. Nous avons la preuve que cette terre leur appartient [aux bédouins] et que c’est une propriété privée », défend Khaled Sawalhi, un avocat qui représente les habitants du village. 45 autres localités non reconnues sont également menacées de destruction.

Et ce n’est pas la nouvelle ministre de la Justice, nommée par le Premier ministre récemment réélu Benjamin Netanyahu, qui améliorera le sort des bédouins vivant en Israël. Elle se nomme Ayelet Shaked et est membre du parti d’extrême droite HaBayit HaYehudi (le Foyer juif). L’année dernière, elle appelait à une guerre totale contre l’ensemble du « peuple palestinien ». « Qu’y a-t-il de si terrible à comprendre que le peuple palestinien dans son ensemble est l’ennemi ? (…) Ce sont tous des combattants ennemis, et leur sang leur retombera sur la tête. Cela concerne également les mères des martyrs, qui les envoient en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils [dans la mort], cela ne serait que justice. Elles devraient disparaître, tout comme les foyers dans lesquels elles ont élevé les serpents. Sans quoi d’autres petits serpents y seront élevés à leur tour », expliquait-elle sur sa page Facebook. En d’autres lieux, on appelle cela une incitation au génocide.

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 21:03

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Pour la révision du procès Kerviel

|  Par Edwy Plenel

 

 

Le trader n’a été que l’alibi de sa banque. Tel est le sens de nos nouvelles révélations sur l’affaire Jérôme Kerviel, mettant en évidence l’instrumentalisation de l’enquête judiciaire par la Société générale, afin d’échapper à ses propres responsabilités. Ces éléments nouveaux, qui s’ajoutent à d’autres, légitiment la révision d’un procès dont la vérité a été la première victime.

De mémoire de chroniqueur des affaires judiciaires et policières, c’est un événement sans précédent. Voici donc un officier de police judiciaire, toujours en fonction au sein de la police nationale, qui affirme avoir été manipulé, au détriment de la vérité, dans une enquête particulièrement sensible. Il ne s’agit pas d’une confidence volée mais d’une déposition sur procès-verbal, faite dans le cabinet d’un juge d’instruction. Et loin d’être vague et incertain, ce témoignage est ferme et précis, accompagné d’informations vérifiables (lire ici les révélations de Martine Orange).

Chargée de l’enquête au tout début de l’affaire, en 2008, la commandante de police Nathalie Le Roy donne aujourd’hui raison à la version de Jérôme Kerviel, dès sa garde à vue, dont il n’a pas varié depuis. En substance, il reconnaît avoir commis les actes qu’on lui reproche mais dans le cadre d’un système pousse-au-crime, celui de sa banque, et d’une culture incitant au risque, celle de la spéculation. Il n’a pas, il n’a pu engager seul, tel un desperado de la finance, cinquante milliards d’euros – soit plus que les fonds propres de la Société générale !

Ce qu’affirme la policière, ce n’est pas seulement qu’un coupable manque à l’appel – la banque elle-même. C’est aussi que son éventuelle culpabilité pourrait innocenter le seul coupable désigné depuis le premier jour à l’opinion et à la justice par la Société générale, Jérôme Kerviel, que le PDG d’alors n’avait pas hésité à qualifier de « terroriste ». La force de ce témoignage est qu’il émane précisément de celle qui, dans un premier temps, accabla le trader et qui, depuis 2012, s’est mise à douter, puis à revisiter et, enfin, à remettre en cause ses propres conclusion initiales.

De plus, il rejoint d’autres faits ignorés par une justice trop empressée à faire droit au seul point de vue de la banque. Toute enquête est en effet un puzzle, dont les pièces font collectivement sens, se tiennent et s’ajustent. Or, devenue vérité judiciaire avec la condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts, la version officielle de la Société générale est une pièce isolée qui ne se raccorde pas aux autres éléments connus. Bref, qui ne colle pas, comme n’a cessé de le démontrer, depuis deux ans, Martine Orange, égrenant ces vérités ignorées ou délaissées, voire cachées (lire son appel, il y a déjà un an : En défense de Jérôme Kerviel).

Ce fut d’abord (ici) la révélation que les enregistrements des conversations entre Jérôme Kerviel et plusieurs responsables de la banque avaient été non seulement sélectionnés de façon partiale mais de plus tronqués, avec des « blancs » mystérieux. Ce fut ensuite (), documents à l’appui, la démonstration que les alertes sur les risques pris par le trader avaient été ignorées par la banque. Puis ce fut la révélation (ici) des accords transactionnels passés avec les salariés liés à l’affaire Kerviel afin d’acheter à prix fort leur silence. Ce fut enfin la publication () du récit très informé d’un employé du service informatique de la société de courtage de la Société générale, témoin que la justice refusa d’entendre.

Dans la banque, dans la justice, dans la police, d’autres témoins existent que Martine Orange a rencontrés et qu’évoque, dans sa déposition, Nathalie Le Roy. Ils craignent de parler à visage découvert tant les pressions sont fortes. Mais leurs récits vont tous dans la même direction : celle d’une banque dont les dirigeants ont organisé l’innocence, avec tout le poids d’une telle institution auprès des pouvoirs publics. Tout semble s’être passé comme si le sort d’un homme seul était devenu quantité négligeable face à l’avenir d’une banque importante.

Tout comme les zélotes du secret des affaires imitent les intégristes du secret défense, il y a dans le mécanisme de l’affaire Kerviel un ressort semblable à celui de la raison d’État et des injustices que, trop souvent, elle justifie. Que le trader ne puisse être seul coupable est une vérité qui doit être étouffée, au nom d’une raison supérieure à la justice : sauver la banque, sa réputation, ses dirigeants. La culpabilité solitaire du trader doit être proclamée pour sauver l’honneur collectif de la place financière. Or c’est avec de tels raisonnements que se commettent des erreurs judiciaires mettant en jeu l’honneur d’un pays, de sa démocratie et de sa justice.

L’autorité de la chose jugée n’est pas forcément la vérité de la justice véritable. L’erreur judiciaire est inhérente à la fonction de juger, et elle n’est pas obligatoirement fautive : tout jugement n’est que le résultat des éléments fournis à l’appréciation des magistrats, au moment du procès. S’il existe une procédure de révision, récemment renforcée et facilitée (voir ici), c’est pour permettre ce retour en arrière où la justice se grandit, suscitant de la confiance par la reconnaissance de ses tâtonnements et de ses imperfections. Et quel argument plus légitime pour prendre ce chemin de rédemption que le surgissement de faits nouveaux, au cœur de l’enquête elle-même ?

Cette révision et ce réexamen d’une décision pénale définitive peuvent d’abord être demandés par le ministre de la justice, chargé du bon fonctionnement de ce que notre Constitution (voir ici) nomme « l’autorité judiciaire » et qu’elle définit, tout simplement, comme la « gardienne de la liberté individuelle ». Une bonne justice est d’abord une justice qui protège le plus grand nombre, et non pas au service des intérêts d’un petit monde. Cette protection, les pouvoirs publics, et au premier chef la garde des Sceaux, la doivent à celle qui, désormais, a pris un risque immense, en faisant preuve d’un courage qui n’est pas moins grand.

Le témoignage de Nathalie Le Roy ne peut être laissé dans l’isolement d’un cabinet d’instruction. À tous les échelons d’une institution judiciaire encore entravée par l’absence d’indépendance statutaire du parquet, il doit provoquer une remise à plat de l’ensemble du dossier judiciaire. Lanceuse d’alerte de fait, puisque mettant en cause une décision de justice dont sa propre enquête fut le point de départ, la policière doit se sentir confortée afin que son témoignage soit non seulement pris au sérieux mais en libère d’autres, dont nous savons qu’ils sont disponibles, jusqu’au sein du parquet financier de Paris.

C’est enfin la liberté d’un individu, Jérôme Kerviel, qui est ici en jeu. Et la France sait, depuis l’affaire Dreyfus qui l’a grandie à la face du monde, que, parfois, du sort d’un seul, dépendent les droits de tous. Mais c’est aussi notre liberté collective qui se joue face à un univers de puissance et d’arrogance dont nous savons tous, d’expérience vécue, combien il est responsable des désordres et des malheurs du monde actuel. Car nous voulons croire que l’argent n’a pas définitivement détrôné l’homme, et que la France n'est pas encore devenue une banque.

C’est pourquoi l’affaire de la Société générale appelle ce sursaut, au plus haut niveau de l’État : la révision, pour servir la justice, respecter la vérité et honorer la République.

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 20:54

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

Le témoignage d'une commandante de police fait exploser le dossier Kerviel

|  Par martine orange

 

 

 

C’est une déposition sans précédent, qui transforme le dossier Kerviel en un scandale Société générale. La commandante de police chargée de piloter cette affaire à la brigade financière a raconté au juge d’instruction Roger Le Loire les dysfonctionnements rencontrés lors de ses enquêtes, menées entre 2008 et 2012. Son témoignage fait basculer le dossier et ne peut que forcer la justice à rouvrir l’enquête.

 

C’est une déposition sans précédent dans l’histoire judiciaire. Elle met à bas tout le dossier Kerviel et pourrait contraindre la justice à rouvrir l’enquête et à réviser ses jugements. Elle pose aussi la question du rôle du parquet qui, dans cette affaire, semble avoir oublié la notion de justice équitable, en soutenant sans réserve et sans distance la position de la Société générale.

 

Le 9 avril, selon nos informations, le dossier de l’affaire Kerviel a explosé dans les bureaux du juge d’instruction Roger Le Loire. Ce jour-là, le vice-président du tribunal de grande instance de Paris a auditionné un témoin hors norme dans le cadre d’une plainte contre X pour escroquerie au jugement déposée par Jérôme Kerviel : la commandante de police de la brigade financière chargée de l’affaire Kerviel. Celle qui a mené deux fois l’enquête, une première fois en 2008, une seconde en 2012.

 

Daniel Bouton révélant les pertes de la Société générale, le 24 janvier 2008.Daniel Bouton révélant les pertes de la Société générale, le 24 janvier 2008. © Reuters
 

Faisant preuve d'un courage exceptionnel et d’une rare intégrité intellectuelle, Nathalie Le Roy, qui a depuis changé d’affectation, avoue devant le juge les doutes qu’elle nourrit sur son enquête de 2008. Cette enquête qui a amené à la condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts en appel (le montant des dommages et intérêts est en cours de révision à la cour d’appel de Versailles, après l’arrêt de la Cour de cassation annulant le jugement de la partie civile). L'enquêtrice explique devant le juge avoir complètement changé d'avis sur le dossier.

 

Alors qu’elle était convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel en 2008, Nathalie Le Roy a commencé à avoir des interrogations, puis des certitudes, quand elle a repris l’enquête en 2012. « À l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », assure-t-elle devant le juge.

 

Elle détaille les faits troublants et les dysfonctionnements qu’elle a eu à connaître dans le cadre de cette enquête et qui donnent une tout autre dimension à l’affaire. Son récit est stupéfiant et bouscule tout ce qui a été dit jusqu’ici sur ce dossier. À l’issue de cette audition, le juge Le Loire a, semble-t-il, été ébranlé. Car le dossier a basculé. La justice ne peut plus fermer les yeux sur ses errements : ce n’est plus de l’affaire Kerviel qu’il s’agit, mais bien d’une affaire Société générale.

 

Jamais jusqu’alors, cette commandante de police n’avait raconté cette enquête et exprimé ses doutes sur son déroulé. Ce n’est que parce qu’elle a eu à répondre à la convocation du juge Roger Le Loire qu’elle a accepté de briser le silence. Elle s’en explique devant le juge. « Je ne me suis jamais manifestée pour ne pas interférer dans le cours de la justice, mais j’avoue que ma convocation aujourd’hui m’apporte un soulagement. Je me suis très longtemps remise en question », confie-t-elle lors de son audition.

 

Face au juge Le Loire, elle revient en détail sur les différentes procédures qu’elle a eu à mener de 2008 à 2012. Elle raconte une enquête complètement prise en main par la Société générale. La banque impose sa version, choisit les interlocuteurs mais fait aussi pression sur les témoins, refuse de répondre aux réquisitions quand elles dérangent. L'enquêtrice parle aussi de l’étrange attitude du parquet. Malgré les doutes dont elle avait fait part, malgré les témoignages qu’elle avait recueillis, malgré les demandes d’expertise qu’elle avait formulées après avoir repris l’enquête en 2012, le parquet préfère enterrer le dossier et s’en tenir au récit largement développé par la banque, sans aller chercher plus loin.

 

Dès la révélation de l’affaire aux premières heures du 24 janvier 2008, la Société générale a imposé sa version des faits : la banque était victime d’un trader fou, travaillant en solitaire, jouant des milliards à l’insu de sa hiérarchie, de tous les contrôles. Ses positions extravagantes avaient coûté 4,9 milliards d’euros de pertes à la banque, avait alors affirmé son PDG, Daniel Bouton, alors même que toutes les opérations n’étaient pas débouclées, comme l'indique le rapport de la Commission bancaire. Depuis, la Société générale n’a jamais varié ni dans son récit ni sur le montant de ses pertes. Par deux fois, la justice a confirmé la version de la banque et a condamné Jérôme Kerviel pour abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse dans les systèmes informatiques.

 

Tous les témoins qui ont essayé à un moment ou à un autre de contester la ligne de défense de la Société générale, d’expliquer le fonctionnement des marchés et du monde bancaire, de démontrer qu’il était impossible que la banque ignore tout, de suggérer des pistes d’enquête, ont été ignorés, parfois dénigrés. Certains salariés de la Société générale, comme Philippe Houbé, qui travaillait chez Fimat, filiale de la banque chargée des opérations de compensation, ont été licenciés pour avoir osé contredire « l’histoire officielle ».

 

Cette fois, la Société générale et la justice vont-elles pouvoir balayer d’un revers de la main ce nouveau témoin ? Nathalie Le Roy est un personnage respecté à la brigade financière et dans le monde judiciaire. Connue pour sa rigueur et son expertise, elle s’est vu confier des dossiers très lourds et est très appréciée par les juges d’instruction. 

 

Quand Eva Joly a commencé à s’intéresser – très tardivement, a-t-elle regretté – à l’affaire Kerviel, elle a écouté longuement ses proches, notamment Julien Bayou, des connaisseurs du dossier, l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi, lui expliquer l’affaire. Si les arguments des uns et des autres l’ont convaincue, un détail à chaque fois la choquait : l’enquête avait été menée par Nathalie Le Roy. « J’ai eu à travailler avec elle dans de nombreuses enquêtes. Je connais son professionnalisme et sa rigueur », objectait Eva Joly. Pour l’ancienne juge d’instruction, l’enquête ne pouvait avoir été bâclée. Bâclée ? Elle ne l'a certes pas été. Mais orientée, cadrée, détournée de certains sujets qu’il ne fallait pas approcher ? Peut-être.

« J'ai eu le sentiment d'avoir été instrumentalisée »

 

© Reuters
 

Avec le recul, c’est ce doute qu’exprime Nathalie Le Roy lors de son audition, en revenant sur ses premiers moments à la banque. « J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée par la Société générale », confie-t-elle au juge. Une instrumentalisation facilitée par le fait que l’enquêtrice débarque dans un monde financier totalement inconnu. « J’ai été saisie de l’affaire le 24 janvier 2008. Ce dossier m’a été attribué alors que je n’avais aucune connaissance boursière », déclare-t-elle.

 

La Société générale pourvoit à tout, et prend les inspecteurs de la brigade financière en main, les guide dans la jungle de la finance.  « J’ai tout d’abord entendu madame Dumas [adjointe au responsable des opérations à GEDS, le département où travaille Jérôme Kerviel – ndlr], alors que dans un même temps se déroulaient les perquisitions au siège de la Société générale par les collègues de service. L’ordinateur de Jérôme Kerviel était déjà mis à l’écart (…). Il avait peut-être été étudié, mais ça je ne le sais pas. (…) L’ensemble des documents qui ont été requis dans cette enquête auprès de la Société générale nous ont été fournis par cette dernière, car nous n’avions pas le matériel informatique pour l’exploitation. (…) C’est la Société générale elle-même qui m’adresse les personnes qu’elle juge bon d’être entendues. Je n’ai jamais demandé : “Je souhaiterais entendre telle ou telle personne.” C’est la Société générale qui m’a dirigé tous les témoins », raconte-t-elle. « C’était une position assez confortable », reconnaît-elle devant le juge, avec regret semble-t-il.

 

« Consignes générales : restituer les faits négatifs en recherchant leur portée, en les remettant dans leur contexte, en les noyant dans les faits positifs, en utilisant la complexité technique », recommandait la Société générale à ses salariés dans un autre dossier, celui du Sentier. Ce procédé est largement utilisé dans l’enquête sur Kerviel. Les témoignages sont noyés dans la technique et le jargon. Les personnes interrogées y parlent beaucoup de positions « short » et « long », de « put » et de « call », de warrants et d’opérations pending, de système Eliot et d’opérations sur Click options. Mais elles se gardent bien d’indiquer les carrefours importants des opérations financières, d’évoquer les appels de marge ou les effets des positions sur la trésorerie quotidienne, de faire allusion au système Zantaz logé aux États-Unis qui conserve tous les mails, ou même de la chambre de compensation Eurex. Bref, de tout ce qui  peut permettre de retracer les mouvements et les contreparties des opérations réalisées par Jérôme Kerviel.

 

Tous les témoins entendus par la brigade financière accréditent alors la thèse d'un Jérôme Kerviel, trader solitaire, pouvant engager 50 milliards d’euros – plus que les fonds propres de la banque – dans des opérations spéculatives, à l’insu de tous. Ce que conteste Jérôme Kerviel dès sa première audition. « J’ai entendu Jérôme Kerviel qui s’était présenté spontanément pendant 48 heures dans le cadre de sa garde à vue. Déjà à l’époque, il développait la théorie selon laquelle il avait effectivement pris les positions qui lui étaient reprochées, ce en pleine connaissance de la hiérarchie, ce qu’il a toujours maintenu », se rappelle Nathalie Le Roy devant le juge.

 

L’enquête se poursuit dans le cadre de l'information judiciaire confiée aux juges Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset le 28 janvier 2008. Il faut boucler très vite, d’autant que la commission bancaire et surtout le rapport de l’inspection des finances, commandé par la ministre Christine Lagarde, ont déjà tranché le sujet dès mars 2008 : la Société générale est totalement victime des agissements de son trader.

 

En octobre 2008, l’enquête de la justice est à son tour achevée. « Sur la masse de scellés que nous avions réalisés, vu l’urgence, compte tenu du peu d’effectifs dans le groupe et de la masse de travail qu’il y avait à effectuer, certains n’ont pas été exploités », reconnaît l’ancienne enquêtrice de la brigade financière. D’autant qu’il faut parfois des équipements spéciaux pour pouvoir les exploiter. Alors, les enquêteurs s’en tiennent à ce que la Société générale leur fournit. « À titre d’exemple, le fameux entretien qui a eu lieu entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs hiérarchiques à la découverte des faits, ça devait être les 20 et 21 janvier 2008 de mémoire, tous les enregistrements qui ont été faits dans cette salle nous ont été transcrits de manière manuscrite par la Société générale », précise-t-elle.

 

Le juge Van Ruymbeke puis le président du tribunal correctionnel, Dominique Pauthe, ont refusé à plusieurs reprises à la défense de Jérôme Kerviel, alors représentée par l’avocat Olivier Metzner, d’avoir accès à ces scellés. Ce n’est que quelques semaines avant le procès en appel que la présidente, Mireille Filippini, a accepté que la défense puisse y accéder. Trop tard pour pouvoir les exploiter à temps pour le procès.

 

David Koubbi, le nouvel avocat de Jérôme Kerviel, découvrira plus tard que certains scellés, dont l’ordinateur de Jérôme Kerviel ou des contenus de boîtes mails, n’ont jamais été ouverts. Il mettra aussi la main sur ces fameuses bandes – 45 au total – ayant enregistré les conversations entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs. La défense découvrira les propos de Jean-Pierre Mustier, alors numéro deux de la Société générale, reconnaissant avoir perdu un milliard d’euros dans les subprimes. Et elle découvrira surtout des blancs, d’énormes blancs dans les enregistrements, blancs qui ne sont pas signalés dans la transcription manuscrite. Plus de deux heures et quarante-cinq minutes de conversations ont ainsi disparu (lire notre enquête : Les silences des bandes de la Société générale) !

Un mail à tête de mort

« L’enquête étant clôturée, j’ai fait mon rapport de synthèse à charge contre Jérôme Kerviel, tout en mettant en avant les manquements et les dysfonctionnements au sein de la Société générale. Nous sommes en 2008. Je suis convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel et de la véracité des témoignages recueillis », déclare l’ancienne enquêtrice de la brigade financière au juge. Ce dossier l’a passionné, reconnaît l’enquêtrice. Elle se souvient avoir suivi toutes les audiences du procès. D’autant que, à la suite de cette première affaire, elle s’est formée dans les affaires boursières et on lui confie nombre d’enquêtes dans ce domaine, à la brigade financière.

 

Les premiers doutes viendront plus tard, en 2012, quand Jérôme Kerviel dépose deux plaintes, pour faux et usages de faux et escroquerie au jugement. Elle est à nouveau chargée de l’enquête préliminaire. Elle raconte que David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel, lui demande alors si elle est prête à recevoir des documents et des témoins, même si ceux-ci peuvent contredire ses conclusions initiales. « Je ferai mon devoir et entendrai tous les témoins qu’il est nécessaire d’entendre », assure avoir répondu Nathalie Le Roy.

 

Des témoignages, l’avocat de Jérôme Kerviel en a reçu de multiples. Car le procès en première instance puis le procès en appel ont réveillé des consciences, suscité des indignations. Des connaisseurs du monde financier, d’anciens traders ou banquiers, même s’ils n’ont aucun lien avec la Société générale, se sont manifestés pour expliquer que la thèse soutenue par la banque était tout simplement impossible. Les uns et les autres ont fait œuvre de pédagogie pour expliquer le fonctionnement des marchés, les points de contrôle, les contreparties extérieures. Tous aboutissaient aux mêmes conclusions : la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions considérables qu’il avait prises. « C’était visiblement connu sur le marché puisqu’il était surnommé par certains traders “le gros” », raconte Nathalie Le Roy.

 

Jean Veil, avocat de la Société générale, après le verdict de la cour d'appel.
Jean Veil, avocat de la Société générale, après le verdict de la cour d'appel. © Reuters
 

Des salariés ou d’anciens salariés de la Société générale sont aussi intervenus, expliquant que tout le monde connaissait les pratiques de Jérôme Kerviel (lire Les confessions d’un ancien trader). « Certains ont accepté de témoigner sous leur nom, d’autres sous couvert d’anonymat », relève l’ancienne enquêtrice.

 

Celle-ci a en particulier détaillé devant le juge le témoignage de Florent Gras, un ancien salarié de la Société générale. « Il m’a tout de suite dit que l’activité de Jérôme Kerviel était connue, qu’il avait lui-même alerté madame Claire Dumas, qui était dans sa ligne hiérarchique. Il m’a dit avoir envoyé à cette dernière et à d’autres un mail avec une tête de mort pour attirer leur attention », déclare-t-elle. L’avertissement aurait été lancé en avril 2007, soit plus de neuf mois avant le scandale.

 

« J’avais demandé à la Société générale l’extraction des mails de Florent Gras et le mail en question n’y figurait pas. D’où la réquisition judiciaire du 10 octobre 2012 adressée à M. Oudea (PDG de la Société générale) pour obtenir l’extraction de la messagerie de madame Dumas, ciblée avec ses échanges avec Florent Gras et qui est restée lettre morte », poursuit-elle.

La Société générale n’a pas répondu à cette réquisition de la brigade financière. Comme elle n’a pas répondu à la réquisition pour obtenir les boîtes mails de certains supérieurs hiérarchiques, comme elle n’a pas répondu à d’autres demandes. La banque n’a aucune envie en 2012 de rouvrir une enquête, alors que sa position de victime a été reconnue par la justice en première instance et qu’un procès en appel est encore en cours.

 

Mais il n’y a pas que la Société générale qui refuse de revenir sur le dossier Kerviel. Le parquet de Paris a également tout fait pour enterrer définitivement l’affaire. Alors que les éléments et les témoignages s’accumulent, laissant penser que la Société générale n’est peut-être pas qu’une simple victime, l’enquêtrice, déclare-t-elle au juge Le Loire, s’est ouverte de ses doutes et de ses questionnements à sa hiérarchie. Celle-ci tente de la rassurer en disant qu’elle avait mené son enquête « en fonction des éléments qui lui avaient été communiqués ». Elle a également alerté le parquet, insistant sur les zones obscures qui ne cessaient d’apparaître dans ce dossier. Pour permettre d’y voir plus clair, elle demande d’engager de nouveaux actes et de nouvelles expertises portant à la fois sur les bandes et sur la saisie des mails stockés aux États-Unis.

 

Mais tout cela reste aussi lettre morte. Le parquet oppose un refus à tout et décide de classer les deux plaintes sans suite, avant même que l’enquêtrice ait rédigé un rapport de synthèse. « Les deux enquêtes (…) ont fait l’objet d’un retour en l’état à la demande du parquet, deux jours avant l’audience [qui devait prononcer le jugement de la cour d’appel – ndlr], sans synthèse de ma part. J’ai appris le lendemain, soit la veille de l’audience, que les plaintes étaient classées sans suite dans le cadre d’un non-lieu ab initio », dit-elle.

 

« Vous souvenez-vous de la date ? » demande le juge Roger Le Loire. « Il me semble que l’audience avait lieu le 24 octobre 2012 et que j’ai renvoyé le dossier sans synthèse le 22 », déclare-t-elle. Le parquet estimait manifestement qu’il y avait urgence à clore l’enquête, à fermer toutes les portes, avant le verdict de la cour d’appel condamnant définitivement Jérôme Kerviel comme seul responsable des pertes de la Société générale. Pourquoi ? Sur ordre de qui ? Faut-il croire que les intérêts du monde bancaire sont désormais supérieurs à ceux de la justice ?

 

« Cadres séquestrés »

 

Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale
Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale © Reuters
 

Ce classement sans suite ordonné par le parquet perturbe d’autant plus l’enquêtrice qu’à l’occasion de ce procès en appel, auquel elle assistait, elle a rencontré de nombreux traders, outrés par le sort réservé à Jérôme Kerviel.  Un témoignage dans l’assistance l’a alors particulièrement frappée, dit-elle.

 

« Lors du délibéré, dans les couloirs, j’ai assisté à une conversation d’une dame qui se présentait comme étant aux ressources humaines de la Société générale encore actuellement, qui ne pouvait donc se manifester et qui disait qu’elle était ulcérée que Jérôme Kerviel serve de fusible. Ne sachant comment comprendre ses propos, je me suis présentée à elle en tant que commandant de police à la brigade financière. Elle m’a dit se nommer G. C.. (…) Tout en connaissant ma qualité, elle a surenchéri en m’expliquant qu’en janvier 2008, après la découverte des faits, Frédéric Oudéa, à l’époque directeur financier, avait “séquestré” un certain nombre de cadres afin de leur faire signer un engagement de confidentialité de tout ce qu’ils avaient pu apprendre et qu’ils s’engageaient même à ne pas en parler à leur propre conjoint. De ce qu’elle me disait, la plupart des personnes ont signé cet engagement », rapporte Nathalie Le Roy sur le procès-verbal d’audition. Selon nos informations, des témoins extérieurs ont également assisté à cet échange.

 

Après cette conversation, Nathalie Le Roy lui a laissé son numéro de téléphone. « Elle m’a appelée. Nous nous sommes rencontrées et elle m’a dit être dans la réflexion de savoir si elle était disposée à témoigner mais de manière anonyme. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles », dit-elle. La peur, sans aucun doute, l’a dissuadée d’aller au-delà.

 

Ainsi, Frédéric Oudéa, actuel PDG de la Société générale, aurait pu faire pression pour empêcher que certains salariés témoignent devant la justice. Le soupçon avait déjà émergé lors du procès en appel (lire notre article Affaire Kerviel: le prix du silence). Un des responsables hiérarchiques de Jérôme Kerviel, Martial Rouyère, était appelé à témoigner devant le tribunal. Il avait été licencié à la suite du scandale mais en bénéficiant d’une prime de sept années de salaire. Du jamais vu dans l’histoire des prud’hommes.

 

« Est-ce le prix du silence ? » avait alors demandé la présidente du tribunal, Mireille Filippini. « Le fait de signer un accord comme celui-là ne vous lie que si vous ne voulez pas subir les conséquences… », répondit alors Martial Rouyère. « Qu’est-ce qui se passe si vous parlez ? » demanda l’avocat de Jérôme Kerviel. « Je dois rendre l’argent », répliqua Martial Rouyère. La déclaration ne fit même pas sursauter les juges. Plutôt que de pousser plus loin son questionnement, la présidente préféra clore l’audition, sans demander d'autres éclaircissements. Le pouvoir de l’argent peut beaucoup, même faire oublier à la justice quelques principes fondamentaux.

 

Mais pourquoi ces accords de confidentialité, ces compensations hors norme et peut-être ces pressions sur témoins ? Pourquoi la banque refuse-t-elle de délivrer des documents demandés par les enquêteurs, après leur en avoir obligeamment sélectionné d’autres ?  La Société générale aurait-elle quelque chose à cacher ?

 

« Dans le cadre du fonctionnement procédural de cette enquête, je me suis étonnée qu’il n'ait jamais été possible d’obtenir une expertise sur le montant des pertes déclarées par la Société générale », soulève Nathalie Le Roy durant son audition. C’est un des points clés de ce dossier hors norme. Les pertes de la Société générale, reconnues par la justice, l’ont été aux seuls dires de la banque. Même si le montant peut être révisé par la cour d’appel de Versailles, Jérôme Kerviel a tout de même été condamné par deux fois à verser 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts sur la seule parole de son ancien employeur.

 

« Il faudrait solliciter une expertise afin de s’assurer que les pertes annoncées sont bien en totalité liées aux opération de Jérôme Kerviel, chercher à savoir quelles sont les contreparties des opérations de débouclage. Car si la Société générale a perdu les 4,9 milliards, il y a forcément quelqu’un qui en a bénéficié », remarque, en guise de conclusion, l’ancienne enquêtrice de la brigade financière. Une suggestion qui pourrait être retenue par le juge d’instruction Roger Le Loire.

 

Jusqu’à présent, ce mystère reste entier. Officiellement, personne n’a gagné face à la Société générale. Aucun intervenant financier, en tout cas, ne s’est vanté d’avoir réalisé de gains substantiels dans ces opérations. Les 4,9 milliards d’euros perdus par la Société générale se sont évanouis dans la nature.

 

Et encore la banque n'a-t-elle, in fine, pas tout perdu. Car dès mars 2008, sans attendre les décisions de la justice, Bercy, s’appuyant sur le rapport de l’inspection des finances, accordait un avoir fiscal de 1,7 milliard d’euros à la banque, du fait de ses pertes, inclus dans ses comptes 2007, alors que tout s’était passé en 2008. Ce cadeau fiscal a vite servi. Dans l’année, la direction de la SG – banque pourtant très touchée par la crise des subprimes – décidait de verser 420 millions d’euros, soit 45 % de son bénéfice, de dividendes à ses actionnaires et de racheter pour 1,2 milliard d’euros d’actions. À quelques millions près, c’est la somme dont lui ont fait cadeau les contribuables.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes
  • : Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
  • Contact

Texte Libre

INFO IMPORTANTE

 

DEPUIS DEBUT AOÛT 2014

OVERBLOG NOUS IMPOSE ET PLACE DES PUBS

SUR NOTRE BLOG

CELA VA A L'ENCONTRE DE NOTRE ETHIQUE ET DE NOS CHOIX


NE CLIQUEZ PAS SUR CES PUBS !

Recherche

Texte Libre

ter 

Nouvelle-image.JPG

Badge

 

          Depuis le 26 Mai 2011,

        Nous nous réunissons

                 tous les soirs

      devant la maison carrée

 

       A partir du 16 Juillet 2014

            et pendant l'été

                     RV

       chaque mercredi à 18h

                et samedi à 13h

    sur le terrain de Caveirac

                Rejoignez-nous  

et venez partager ce lieu avec nous !



  Th-o indign-(1)

55

9b22