« Une fois rentré en Algérie, je crains qu’on m’arrête ». Les craintes de Mouhad Gasmi, opposant farouche à l’exploitation de gaz de schiste, étaient fondées. Le 13 mai, il a été convoqué avec trente autres militants, par la police d’Adrar, la ville algérienne où il vit, suite à une plainte déposée cinq mois plus tôt par le directeur d’un hôpital pour « insulte et saccages de biens » [1]. Des accusations réfutées par Mouhad. « Nous avons organisé un sit-in devant l’hôpital pour revendiquer de meilleures conditions d’accueil et nous avons exprimé notre soutien aux médecins qui travaillent dans des conditions pénibles », indique t-il au site d’informations Impact 24. Nous n’avons insulté personne et nous n’avons jamais cassé le moindre objet. » Le militant a pour l’instant été relâché, mais sera traduit en justice.
Cette pression policière est-elle en lien avec les activités militantes connexes de Mouhad ? Cet activiste infatigable pour le droit au travail et les chômeurs algériens est pleinement engagé depuis fin décembre dans une mobilisation citoyenne inédite contre l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. C’est à Tunis, à l’occasion du Forum social mondial fin mars, que Basta ! a pu le rencontrer. Sa famille habite à In Salah, une ville de 50 000 habitants au cœur du Sahara, proche des sites de forage qui menacent de précieuses ressources en eau [2]. Dès 2013, son implication dans la ligue de défense de droits des chômeurs l’amène à participer à des conférences sur les risques liés à l’exploitation des gaz de schiste. D’emblée, les préoccupations liées à la préservation de l’eau et l’impact sur la santé des populations l’interpellent. Adepte des réseaux sociaux et réalisateur amateur de petites vidéos, il commence à diffuser des informations à ce sujet sur le web.
Mouhad refuse d’être qualifié de leader de la contestation. « Le mouvement est de la base, comme moi, insiste t-il. Je ne fais que contribuer à l’organisation d’une contestation. » Durant des mois, il parcourt les villes et oasis du Sud de l’Algérie pour informer et aider à la constitution de groupes de citoyens. Une tâche compliquée quand il s’agit de populations très éloignées des unes des autres, ne disposant pas forcément d’un accès aux technologies modernes d’informations et de communication. L’annonce officielle en décembre 2014 par le gouvernement algérien du forage d’un premier puits près d’In Salah va donner un coup d’accélérateur à la mobilisation.
Pour passer à la vitesse supérieure, rien de mieux qu’un campus universitaire, où étudiants et enseignants commencent à rallier la lutte. Des cadres de la compagnie pétrolière publique Sonatrach apportent même leur expertise. Les premières assemblées générales s’organisent. Les femmes vont alors jouer un rôle déterminant dans la prise de conscience : elles font du porte-à-porte pour exposer les dangers des gaz de schiste. Le 29 décembre, un premier rassemblement attire plusieurs milliers de personnes dans une ville qui compte 50 000 habitants.
Le manque de transparence entourant les opérations pétrolières et gazières renforce la ténacité des opposants. « Il y a une grande opacité dans les produits chimiques utilisés, c’est le secret gardé des multinationales, affirme Mouhad. Ce dont on est sûr c’est que les produits toxiques utilisés pour la fracturation hydraulique sont toxiques et déversés ensuite dans la nature. » Si la pollution remonte à l’exploitation du gaz et du pétrole conventionnel débutée il y a plus d’un demi siècle, l’absence de réglementation en la matière a soulevé la colère. Dans la région saharienne, les dégâts environnementaux sont déjà perceptibles (lire notre enquête, notamment l’absence de traitement des eaux et boues de forage). « Les multinationales polluent depuis des décennies en toute impunité », fustige l’activiste.
Des mobilisations émergent dans d’autres régions du Sahara. « Nous demandons l’arrêt immédiat du fracking, la réparation immédiate des dégâts dans les eaux usées, et un rapport qui justifie l’exploitation du gaz de schiste. » La demande officielle de moratoire sur le gaz de schiste, envoyée le 21 février par le collectif d’In Salah et cosignée par des experts algériens, n’a reçu pour l’heure aucune réponse du président Abdelaziz Bouteflika et du Premier ministre. Le président algérien a en revanche réaffirmé fin février sa volonté de faire « fructifier » et de « tirer profit » de tous les hydrocarbures, dont les gaz de schiste qualifiés de « dons de Dieu »...
« Les citoyens d’In Salah prennent de plus en plus conscience que ce problème de gaz de schiste est intimement lié à la nature du pouvoir algérien. Soit cette question sera enterrée et l’on ne gagnera pas, soit elle peut faire vaciller le régime », analyse Mouhad. Son rôle dans le mouvement d’opposition aux gaz de schiste en Algérie est incontestable. Et connu des autorités algériennes qui n’hésitent pas à l’occasion d’un débat à Tunis où Mouhad intervient, à le qualifier publiquement d’ « agent du Mossad », le service secret israélien honni... Tous les moyens sont bons semble t-il, pour tenter de disqualifier le mouvement.
Mouhad est très attaché à l’autonomie du mouvement et à son caractère non partisan. « Il va y avoir tôt ou tard une convergence des luttes, prédit-il, et je suis convaincu que, si le gouvernement continue à camper sur ses positions, cela le mettra en grandes difficultés. » A ses yeux, la médiatisation de la lutte peut contribuer à faire pression sur le pouvoir. Pour lui comme pour ses camarades, elle peut aussi permettre « d’éviter une répression violente et sanglante dans la région. »
Le 20 avril, relève Mediapart, le caricaturiste Tahar Djehiche a été convoqué par la police, accusé d’avoir partagé des dessins sur Facebook autour de la problématique de l’exploitation du gaz de schiste [3]. La récente convocation de Mouhad par la police à Adrar devrait, elle, déboucher sur un procès. Le militant l’assure : « Quelles que soient les provocations du pouvoir, notre mobilisation restera pacifique ».
Sophie Chapelle
@Sophie_Chapelle sur twitter
Photos de une : mobilisation à In Salah, CC Desert Boys
Photo de Mouhad Gasmi à Tunis, en mars 2015 : © Olivier Tétard
Pour aller plus loin : le rapport de Basta ! et l’Observatoire des multinationales sur Total et les gaz de schiste en Algérie (à télécharger ici)