Dans les Repair cafés, les bénévoles tentent de donner une deuxième vie aux amplis, housses de guitare, vêtements ou ordinateurs abîmés. Pour lutter contre le gaspillage et l’obsolescence programmée.
L’atelier électronique au Repair café d’Ixelles, en avril 2015 (Perrine Signoret)
(De Bruxelles) Le mois dernier, mon ordinateur portable a décidé qu’il était temps pour lui de rendre l’âme. Quand je l’ai ouvert, le cadran qui entoure l’écran s’est fissuré, des vis sorties de nulle part se sont répandues un peu partout, et je n’ai plus jamais pu le refermer.
Après avoir tapé « charnière cassée » sur Google, j’ai envoyé un e-mail au fabricant. Un certain Anchev m’a répondu. Il m’a transmis « toutes ses excuses » et m’a annoncé que l’appareil n’était plus couvert par la « garantie standard ».
On me conseille d’en acheter un neuf
Sur ses conseils, j’ai fait une demande de devis, par téléphone. Une conseillère m’a demandé quel était mon problème, une fois, deux, trois fois.
« Alors ça fera 186 euros. Je prépare la commande ? »
Je lui ai dit que j’allais réfléchir encore un peu. Elle a alors évoqué des « promotions » que l’on m’accorderait si je rachetais un ordinateur de la marque au lieu de faire réparer le mien.
J’ai alors contacté le magasin où j’avais acheté mon ordinateur, pour obtenir un second devis.
« Ah mademoiselle, le problème c’est que ça va prendre du temps, et que ça va vous coûter cher… 200, 300 euros, en général c’est ce qu’on facture pour des charnières cassées. »
C’est plus de la moitié du prix de mon appareil neuf. On m’a conseillé là encore, d’en acheter un neuf.
Fidèle à mon vieux PC, je suis allée chez l’opticien du coin, qui m’a gentiment donné quelques vis, et j’ai fixé la charnière comme je le pouvais. Mais mon ordinateur, malgré ce bricolage bancal et quelques bouts de scotch, ne fermait toujours pas.
Imprimante, étui à guitare : tout y passe
C’est alors que j’ai entendu parler des Repair cafés. Des endroits où des bénévoles peuvent redonner vie à vos objets gratuitement, et où l’on pouvait manger des tartes et boire du thé. J’ai patienté, et le jour de la session est arrivé.
Devant moi, dans le hall du Repair café d’Ixelles, tout près de Bruxelles, il y a un homme d’une quarantaine d’années, puis une jeune femme, foulard noué dans les cheveux. Elle ne tarde pas à être rejointe par son copain et leur imprimante.
Frédux, Olivier et Clara (Perrine Signoret)
Clara et Olivier viennent ici régulièrement. La fermeture (en Belgique, on dit « tirette ») d’un blouson, un étui à guitare, un lecteur CD, une ampli, tout y passe.
Souvent, c’est une réussite, mais il arrive aussi qu’on ne puisse plus réparer l’objet qu’ils amènent. « Ils ne peuvent pas non plus faire de miracles », me dit Clara. « En général, quand ce sont des échecs, c’est parce que le matériel de base est de mauvaise qualité ». Dans ce cas, même les recettes de grand-mère ne peuvent plus grand-chose.
Ce que ces deux comédiens trentenaires aiment par dessus tout, c’est regarder les bénévoles tenter de résoudre le problème. Olivier explique :
« C’est comme une enquête policière, tu vois vraiment tout le processus qui est fait pour trouver d’où vient la panne. »
En tentant de comprendre comment fonctionnent les objets de son quotidien, le jeune homme se sent « dans un nouveau rapport à l’objet, qui est beaucoup moins dans la consommation ».
On attend André, un « vrai magicien »
Aujourd’hui, Clara et lui sont venus avec un ordinateur qui est devenu un peu trop lent au fil des années et, donc, une imprimante. Pour cette dernière, ils espèrent qu’André, qu’on me décrit comme un « vrai magicien », sera là. On me dit qu’il connaît un code pour remettre la machine à zéro, et faire en sorte qu’elle fonctionne même quand un logiciel lui demande de s’arrêter.
« On nous a expliqué qu’il ne serait pas là avant 16 heures mais on va attendre. »
On me glisse dans la main un petit papier bleu. Je suis le numéro 207.
Le planning de Post-it (Perrine Signoret)
Mon ordinateur passe d’abord entre les mains de Bernard Fox, cogestionnaire du lieu, qui pose un premier diagnostic. Il soulève l’appareil, le scrute, m’interroge sur les circonstances du drame :
« Quand on voit arriver un fer à repasser avec le fil effiloché, on sait tout de suite qu’il y a de fortes chances pour qu’on puisse le réparer. Là, c’est plus compliqué, je ne suis pas tranquille, je ne vous promets rien. »
Je passe alors entre les mains d’une autre bénévole, qui me fait remplir un formulaire, signer le règlement, qui stipule, entre autres, que la réussite n’est pas garantie, et me tend un Post-it de couleur, avec, cette fois, mon prénom.
Des pâtisseries revendues à prix doux
La salle d’attente du Repair café (Perrine Signoret)
Avec son parquet qui grince, ses moulures d’époque et ses grandes baies vitrées, la salle d’attente où je patiente ensuite (car on se presse au stand informatique) ressemble aux salons de nos grands-mères.
D’un côté, il y a des fauteuils depuis lesquels on peut regarder de petits reportages, de l’autre, une grande table où traînent différents magazines traitant de l’économie collaborative ou des modes de consommation alternatifs. Et puis il y a le coin café, avec Cristilla. Les gourmands s’y agglutinent, autour des gâteaux à la noix de coco, quiche lorraine et autres tartes aux canneberges.
Cristilla est là « depuis le début », et elle ne manque jamais une session, « sauf en cas de force majeure ». Ancienne animatrice cuisine, le Repair café, c’est son « action citoyenne » du mois. Ce qu’elle cuisine est revendu à prix doux, tout juste assez pour acheter un peu de matériel et renouveler les outils de l’association.
Cristilla et ses pâtisseries (Perrine Signoret)
Bernard se souvient de ses débuts au Repair café d’Ixelles. Il se déroulait alors dans la même rue, mais dans une salle bien plus petite.
« Il y avait tellement de monde autour de moi quand je réparais que je ne pouvais même plus me lever. »
Chacun peut lancer son propre Repair café
En quelques années, les Repair cafés ont connu, ici et partout dans le monde, une forte expansion. Martine Postma, la Néerlandaise à l’origine du concept, ne s’attendait pas à un tel succès. Ancienne journaliste, elle a toujours tenté, à travers ses articles, de sensibiliser les autres à la réduction des déchets :
« Je trouvais ça honteux que l’on jette autant d’objets alors que certains pourraient être réparés. Le neuf, c’est devenu tellement bon marché... Les gens, eux, sont constamment incités à céder, à cause de la publicité, des magazines aussi. »
Pour ceux qui lui demandent comment ouvrir leur propre Repair café, elle crée un manuel, un kit de démarrage, et bientôt une fondation. Aujourd’hui, il existe aux Pays-Bas environ 275 de ces lieux. Dans le monde, on en compterait plus de 700, répartis en Europe mais aussi au Canada, au Brésil, au Chili, au Japon, aux Etats-Unis...
En Belgique, celui d’Ixelles fut le premier. Bernard s’est lui aussi laissé surprendre par le succès.
« C’était amusant, parce que dès le début, des gens sont venus en disant : “On veut faire la même chose dans notre quartier.” »
« Je sais réparer, je peux vous aider ? »
Les bénévoles affluent également. Ce sont d’abord « les amis des amis », puis des personnes attirées là par le bouche-à-oreille, qui viennent un jour armées de leurs outils, et disent à Bernard : « Je sais réparer, je peux vous aider ? ».
Une voix appelle :
« Perrine ? C’est vous ? C’est votre tour. Là-bas, côté informatique, la table tout au fond. »
J’y retrouve Django, cheveux grisonnants et sweat-shirt à moustache. Sur sa table, il a étalé ses quelques tournevis, il n’attend plus que mon ordinateur, qu’il regarde d’un coin de l’œil. Non sans inquiétude. J’ai à peine le temps de lui expliquer les raisons de ma venue qu’il a déjà démonté le cadran :
« Oh là là ! Ben oui, tout est sorti là, et puis ça, c’est tordu. Là, vous voyez, ça s’est désolidarisé de l’arrière. Ah ! Mais c’est cassé aussi. Bon sang, ça va être la merde, parce que ça veut dire qu’on va devoir tout démonter. »
A la vue des minuscules vis qu’il va falloir manipuler, Django s’exclame :
« Non mais attends, tu as vu mes doigts, tu as vu les écrous ? Non seulement j’ai une mauvaise vue, mais j’ai aussi de trop grosses mains ! Bonjour les dégâts... »
« Ils méritent une deuxième chance »
Il aura fallu très exactement 3 minutes et 32 secondes pour que l’on se tutoie. Une bénévole vient proposer une part de tarte au réparateur. « T’aurais pas plutôt un calmant très fort ? », lui demande ce dernier.
Il continue de démonter mon ordinateur, pièce par pièce. L’appareil, son constructeur, les tournevis, chacun en prend un peu pour son grade. Qu’à cela ne tienne, Django part s’équiper. Rien ne lui résiste. Une loupe lumineuse et une petite pause cigarette plus tard, il revient s’asseoir plus déterminé que jamais. Je tiens les charnières, il visse. J’attrape les écrous, il se charge de les remettre à leur place.
Django (Perrine Signoret)
Entre deux pièces assemblées, Django, ancien professeur de droit et d’économie, m’explique que la réparation, chez lui, c’est une affaire de famille.
« Je tiens ça de mon père, quand il bricolait, il récupérait tout, comme les clous : il les arrachait, les redressait au marteau, puis il les réemployait sur autre chose. »
Sa sœur, qui n’est qu’à quelques mètres de nous, et son frère, gérant de plusieurs Repair cafés en France, ont été piqués par la même fièvre. Django dit :
« Ça me paraît évident de faire ça, parce que je trouve qu’il y a beaucoup de choses qui méritent une deuxième chance. »
Cela fait dix ans, depuis sa retraite, qu’il s’est mis à ouvrir des ordinateurs. Son constat sur ces appareils est sans appel :
« Au bout de quatre ans, ou avant si vous avez des animaux domestiques, ils s’encrassent. Comme la ventilation ne fonctionne plus correctement à cause de la poussière accumulée, le processeur se protège et diminue sa vitesse : ils se mettent alors à fonctionner au ralenti. »
Des appareils durs à réparer
Il me désigne d’un signe de la tête Clara et Olivier. C’est exactement le problème qu’ils rencontrent avec leur ordinateur. Apparemment, ce serait l’un des plus courants au Repair café. Django m’explique qu’il suffit pourtant de souffler sur la poussière pour régler le problème :
« Mais pour aller là où se trouve le ventilateur, il faut démonter toute la machine. Ça, c’est un truc qui est fait pour t’emmerder. »
Il constate le même problème avec les fiches d’alimentation, qui se cassent souvent à l’intérieur de l’ordinateur en cas de chute. La pièce détachée pour remédier à cela ne coûterait que quelques dizaines de centimes. Mais le plus souvent, la fiche est soudée à la carte mère. Une soudure si précise qu’elle est impossible à réaliser à la main. Django explique :
« Il existe bien quelques solutions alternatives, mais la plupart du temps, tu es obligé de racheter une carte mère. »
Dans la série des appareils difficiles voire impossibles à réparer, il y a un nom qui revient souvent : Apple.
A l’image de l’iPod Shuffle, ou de « leur dernier ordinateur ultra-plat », certains produits de la marque n’ont pas de vis apparentes. « Les techniciens sont unanimes », me dit-on, « on ne peut pas les ouvrir, c’est impossible ».
D’après Django, les entreprises ne sont pas les seules à devoir être blamées. Ce serait aussi un peu de la faute du consommateur, celui qui veut des produits toujours plus petits, toujours plus plats, mais toujours plus performants.
Bernard vient d’ailleurs nous demander comment se porte mon treize pouces : « Eh bien, pour l’instant, ça va, on espère que ça puisse durer », répond mon sauveur.
A défaut de trouver une tirelire en forme de cochon sur la table, je glisse toute ma monnaie dans le faux lingot d’or qui y trône.
Bernard et Philippe Van Nieuwerburgh, cogestionnaires du Repair café d’Ixelles (Perrine Signoret)
Lutter contre l’obsolescence programmée
A la table d’à côté, je trouve un autre bénévole, qui se fait appeler Frédux, et Yannick, dont l’ordinateur affiche ses premiers signes de faiblesse.
« Vous interrompez un moment très intime », me dit Yannick en souriant. Lui et le réparateur en sont persuadés : le fait que les objets sont promis à une mort certaine et précoce, ce n’est pas une invention, mais une réalité. C’est ce qu’on appelle l’obsolescence programmée, l’hypothèse selon laquelle les fabricants cherchent à réduire la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement.
Frédux me parle notamment de ce fameux « code » contenu dans les imprimantes :
« Il y a un programme, un logiciel dans ces appareils qui va comptabiliser le nombre de copies qui sont faites. Quand tu vas arriver à un certain nombre de copies, il va dire stop à la machine. Certains ont trouvé ça abusif, et ont mis au point des parades, au point de développer qui programmes qui peuvent discuter avec la partie logiciel de l’imprimante, et la remettre à zéro. »
Près de chez vous ?
Sur le site RepairCafe.org, vous pouvez localiser les Repair cafés près de chez vous, et trouver toutes les infos pour ouvrir le vôtre.
Au Repair café d’Ixelles, on ne s’inquiète pas que de la fabrication du matériel high-tech. Marie-Odette, la sœur de Django, me confie ses craintes à l’atelier couture. Cela fait 53 ans qu’elle redonne vie aux tissus de ses petits doigts de fée.
Parmi les vêtements qu’on lui apporte, elle voit toujours un peu les mêmes problèmes, des poches cassées, ou des fermetures qui se rebellent. A chaque session, elle répare celles de quatre ou cinq personnes, parfois un peu plus. Entre deux explications sur les machines à coudre, elle m’avoue trouver les vêtements actuels « très mal faits ».
Source : http://rue89.nouvelobs.com