La solution était là, sous nos yeux ! Pour expliquer la perte de compétitivité-prix des produits français, certains économistes, bien relayés par une partie du patronat, Medef en tête, ont longtemps expliqué qu'elle trouvait son origine dans le niveau trop élevé du coût du travail. Un coût qui a sans conteste augmenté rapidement au cours des années 2000, progressant bien plus vite qu'en Allemagne, le principal partenaire et concurrent de la France.
Selon les données d'Eurostat compilées par COE-Rexecode, le coût du travail horaire dans l'industrie et les services marchands s'élevait à 24,42 euros en France et à 26,34 euros en Allemagne en 2000. En 2004, il est passé à 28,67 euros en France et a reculé à 27,76 euros en Allemagne. Les efforts de modération salariale réclamés aux salariés allemands depuis le début 2003 commençaient à produire leurs effets, renforçant la compétitivité prix des produits allemands, produits qui bénéficiaient depuis longtemps d'une compétitivité hors-prix redoutable. Depuis, le coût du travail horaire en France a toujours dépassé celui observé en Allemagne. C'est toujours le cas, sauf dans l'industrie manufacturière. A la fin 2014, il s'élevait à 37,10 euros en France contre 38,43 euros outre-Rhin !
Avec l'entrée en vigueur du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la France a donc résolu en partie son désavantage concurrentiel avec son principal rival sur les marchés étrangers. Après l'Allemagne et sa stratégie de désinflation compétitive, c'est au tour de la France de mettre en place une politique permettant à ses entreprises de tailler des croupières à leurs voisines, notamment européennes et allemandes en particulier. La solidarité économique au sein de l'Union européenne est encore à construire...
Un avantage très récent
Certes, l'avantage pris par les entreprises françaises est très récent. Il faudra donc attendre quelques semestres, voire quelques années avant qu'elles regagnent les parts de marché perdus depuis 2000. Néanmoins, au regard des commentaires de certains économistes et du patronat sur le niveau du coût du travail en France, on aurait pu s'attendre à une petite augmentation des exportations tricolores, d'autant plus que le coût du travail s'est à nouveau réduit depuis le 1er janvier avec l'entrée en vigueur d'allégements de cotisations patronales et la passage de 4% à 6% du taux du CICE.
Et pourtant. Au premier trimestre, les exportations ont reculé de 0,9%, en dépit de l'avantage compétitif hors zone offert par la dépréciation de l'euro face au dollar et le repli des cours du brut. En 2014, les exportations ont certes augmenté de 2,4%. Mais cette progression est inférieure à celle du commerce mondial qui, selon l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a avancé de 2,8%. La France a donc encore perdu des parts de marché l'année dernière. Son déficit commercial s'est élevé à 53,8 milliards d'euros quand l'Allemagne affichait un excédent de 217 milliards d'euros, en hausse de 11%.
Pas une seule explication
Comment ? Le niveau jugé trop élevé du coût du travail ne serait donc pas la seule explication aux résultats catastrophiques du commerce extérieur français, en déficit chronique depuis 2003 ? Il n'expliquerait pourquoi la part de marché de l'Allemagne dans le commerce mondial s'est stabilisée aux alentours de 10% quand celle de la France n'a cessé de reculer pour passer sous les 3% !
Sans nul doute, les déboires du commerce extérieur français trouvent en partie leur explication dans le niveau du coût du travail mais ce n'est pas la seule cause. Ils trouvent en effet leurs origines dans un ensemble de facteurs. La structure du tissu productif et exportateur doit être évoquée. La France ne compte que 121.000 entreprises exportatrices selon les Douanes et l'Allemagne 310.000.
Sachant que la France compte 3,6 millions d'entreprises, ce sont donc seulement 4% d'entre elles qui ont exporté l'année dernière. Sur ce nombre, une sur deux exporte régulièrement... En Allemagne, 80% des entreprises exportatrices sont des PME, des ETI et des grands groupes. En France, 95% des exportateurs sont des microentreprises et des PME.
La taille moyenne des entreprises est également un élément à prendre en compte. Si le nombre d'entreprises est à peu près égal - un peu moins de 3,6 millions en France, un peu plus en Allemagne - 94,3% des entreprises tricolores ont moins de 10 salariés, contre 80,3% en Allemagne. Cette différence est visible quelque soit la taille des entreprises, comme en témoigne les données compilées par Natixis.
La France, un nain industriel
La puissance allemande repose également sur la structure de son appareil exportateur. En 2014, la valeur des exportations allemandes s'est élevée à 1.133,6 milliards d'euros, dont 60% ont pris la direction de l'Union européenne. C'est également le cas des exportations françaises. Mais la valeur de celles-ci s'est élevée à 437 milliards d'euros seulement l'année dernière. Autre symbole de la puissance industrielle allemande, notre voisin est l'un des rares pays industrialisés à avoir réussi à augmenter la part de la valeur ajoutée de son industrie par rapport au PIB. Selon la Banque mondiale, elle s'élevait à 30,7% en 2013, contre 30% en 2001. Elle atteignait 22,9% en 2001 en France et 19,8% en 2013. Les errements de la stratégie industrielle de la France - le ministère de l'Industrie a un temps été supprimé lors du quinquennat précédent - laisse notamment des traces.
Repenser le soutien public à l'export
Le soutien public à l'export doit-il être repensé ? Sans nul doute. En attendant que Business France, produit de la fusion entre Ubifrance et l'Agence française des investissements internationaux (AFII) monte en puissance, l'efficacité des dispositifs publics est largement sujette à caution. Publiée en 2013, un sondage réalisé par l'IFOP pour les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) est particulièrement éclairant. Seuls 39% des dirigeants d'entreprises considéraient alors le système comme efficace, un tiers seulement le jugeait clair, compréhensible et adapté au contexte économique actuel. Ils étaient 42% à le juger mal articulé entre opérateurs publics et privés. Résultat, 78% des chefs d'entreprise se chargaient eux même de la commercialisation de leurs produits à l'exportation. " La construction d'un système français qui a mobilisé des moyens publics importants par tous les gouvernements successifs n'a pas répondu à l'attente des entreprises ", notait alors l'OSCI qui constatait le paradoxe suivant: plus l'entreprise a de l'ancienneté à l'export et plus sa taille augmente, plus elle recourt à des prestations d'appui. " Ce sont donc les entreprises les plus expérimentées et les plus performantes à l'export qui font le plus appel aux dispositifs de soutien, par opposition aux primo-exportateurs et exportateurs irréguliers ", observait l'OSCI. La situation s'est-elle améliorée depuis ? Personne n'a la réponse.
Dans ce contexte, quelles sont les solutions pour que le commerce extérieur se redresse ? Un jour - mais quand ? - les réformes, les dispositifs et les programmes régulièrement annoncés et lancés par le gouvernement produiront probablement leurs effets. Citons le Grand emprunt, le crédit impôt-recherche, le CICE, les pôles de la compétitivité, la création de Bpifrance et de Business France, la Nouvelle France industrielle dont Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie lancera la seconde phase lundi à Nantes... La liste est longue. En attendant, réduire le coût du travail reste la seule solution...
Source : http://www.latribune.fr