« J’aime pas les cochons mal élevés. »
Bernard, la soixantaine, est venu de Sanguinet dans les Landes. La colère en bandoulière, il s’insurge contre « un projet insensé, aberrant ». Il fustige « une société dans laquelle on élève des cochons qui ne verront jamais la lumière du jour dans des cages d’1 m2, et dans laquelle 8 vaches sur 10 n’ont jamais mangé d’herbe de leur vie ».
Avec lui, une centaine de personnes, originaires pour la plupart du Sud-Gironde, des Landes voisines, ou de Bordeaux, se sont réunies ce samedi à la chênaie du Stade de Saint-Symphorien, à l’appel de la Confédération paysanne et de plusieurs associations environnementalistes, comme les Amis de la terre Gironde, Landes environnement attitude, la Sepanso ou encore Coalition Climat 21.
Objectif : exprimer, une fois encore, leur farouche opposition au projet d’extension de l’établissement « Le Lay », un élevage porcin engraisseur-naisseur, situé au lieu-dit La Trougne, à quelques kilomètres du centre bourg.
Sur la route qui y mène, l’odeur précède l’apparition des bâtiments installés sur une grande portion de terres défrichées. A l’intérieur, 7655 bêtes dont 800 truies donnant naissance chaque année à 19 000 porcelets, sont parquées dans une douzaine de structures alignées les unes à côtés des autres.
L’affaire commence en 2013, quand la SAS Le Lay dépose une demande d’autorisation afin de « moderniser ses installations et d’optimiser la performance de l’élevage ». En d’autres termes, l’exploitation escompte pouvoir atteindre les 12 000 têtes et fatalement augmenter ses surfaces d’épandages de lisier.
Pour les opposants rassemblés samedi, « 12 000 porcs enfermés, ce n’est pas une ferme, c’est une usine ! ».
Cité par Sud-Ouest, le 29 mai, Patrick Le Foll, le gérant de la SAS Lelay, depuis 2007, réfute ce terme de ferme-usine :
« Le chiffre de 12 000 porcs sort du chapeau. » Et invoque la nécessité de mise aux normes et d’extension des bâtiments pour un meilleur confort des animaux : « Nous voulons faire un site pilote en matière de respect de l’environnement, de renforcement des protocoles d’analyses et de suivi de la qualité de l’eau. »
Contacté par Rue89 Bordeaux, il n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
Les militants écologistes ne sont pas seuls à contester le projet. Bernard Jaymes, le commissaire responsable de l’enquête publique (obligatoire pour tous projets de cette envergure) rend en mars 2014 un avis défavorable, dans un rapport qui se concluait par ces mots :
« Pour terminer l’analyse de ce dossier d’enquête publique, le commissaire enquêteur estime que le projet d’extension de l’élevage et du plan d’épandage n’est pas compatible avec les enjeux prioritaires de ce territoire en matière de qualité de la ressource en eau et de protection des milieux aquatiques. »
Malgré cela, le 6 novembre 2014, le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) de la Gironde émet de son côté, à une faible majorité, un avis favorable au projet.
Depuis, le ton monte et les prises de position demandant que ce projet d’extension soit stoppé se multiplient. Le maire de Saint-Symphorien, Guy Dupiol et avec lui son conseil municipal ont également rendu public leur crainte et leur refus de voir un tel projet être autorisé. De même que de nombreuses instances locales, comme celles du Parc naturel régional des Landes de Gascogne – dans lequel se trouve l’entreprise Le Lay –, celles du syndicat du bassin-versant de la Leyre et plus récemment celles du Parc marin du Bassin d’Arcachon.
Jean-Luc Gleyze, le nouveau président du Conseil général de Gironde s’est lui aussi dit défavorable à un tel projet. Et une pétition en ligne a déjà recueilli près de 47 000 signatures.
Comme le rappelle la Confédération paysanne de Gironde, « la majorité des parcelles des plans d’épandage du lisier et du compost se situent en zones vulnérables (bassin versant de la Hure, affluent du Ciron et bassin versant de la Leyre) or des mesures de nitrates mettent déjà en évidence des concentrations élevées, dans la Hure (voisine de 30 mg/L, voire même pour certaines, proches de 40 mg/L et en augmentation régulière), ainsi que dans la nappe phréatique.
Ces concentrations supérieures à celles relevées dans d’autres cours d’eau du même bassin versant et leur évolution à la hausse sont clairement dues à l’impact des activités humaines et devraient donc être réduites. De plus, les épandages réalisés dans le bassin de la Leyre sur des sols très perméables ne vont pas, quant à eux, améliorer la qualité des eaux du Bassin d’Arcachon déjà préoccupante. »
Des craintes pour l’environnement que le comportement de l’entreprise Le Lay durant ces dernières années ne fait que renforcer.
« L’examen de l’historique de l’exploitation fait apparaître un certain nombre de faits montrant que la réglementation environnementale et les engagements n’ont pas été respectés par le passé, explique Philippe Barbedienne, le directeur de la fédération Sepanso Aquitaine. Notamment en ce qui concerne les engagements de 2004 pris par l’exploitant pour améliorer les conditions d’élevage et de gestion des effluents avec compostage de l’ensemble du lisier avant fin 2009. »
En ce samedi ensoleillé, la centaine de militants et de riverains, venus dire leur opposition au projet espèrent que leur « tapage » sera entendu. Pour tous, l’opposition à la ferme-usine de Saint-Symphorien est aussi l’expression d’un ras-le-bol croissant contre une dérive lourde de l’agriculture d’aujourd’hui :
« L’élevage intensif ça suffit », s’agace Stéphanie. Habitante de Préchac à une quinzaine de kilomètres de Saint-Symphorien, elle déplore « la tendance à la concentration et à l’hyper-spécialisation qui touche tous les types d’élevages, mais aussi les cultures maraîchères ». Avec comme conséquence, « la souffrance animale et la malbouffe ».
Selon le Collectif Plein Air, les porcs de Saint-Symphorien disposeraient d’à peine 1 m2 chacun, sans accès permanent à l’eau ni lumière naturelle. Cette association avait sollicité l’IGP (indication géographique protégée) Jambon de Bayonne, ainsi que la DGCCRF (direction de la répression des fraudes), l’INAO (institut des appellations d’origine) et la DGAL (direction de l’alimentation) sur la conformité de l’élevage girondin avec le cahier des charges de l’IGP en matière de bien-être animal. Elle a obtenu une modification de la publicité de l’IGP, mais pas de réponse satisfaisantes sur les conditions de vie des bêtes.
« En tant qu’éleveuse, ce qui me gêne en premier dans ces porcheries, c’est la question de la santé et du bien-être animal, abonde Laure Tite, co-secrétaire de la confédération paysanne de Gironde et éleveuse à Coutras. Mais l’aspect économique est également pour moi très important : ce genre de super-structures ne crée pas d’emploi. Aujourd’hui la ferme Le Lay fonctionne avec moins de 10 salariés et aucune création de postes n’est prévue en parallèle de la demande d’extension. Dans l’agriculture paysanne, nous comptons 3 salariés pour 150 porcs. Faites le ratio, ces fermes-usines tuent le monde paysan. »
« Tout le monde est contre », résume Guy Dupiol, venu témoigner de son soutien.
« On a rarement vu un dossier faisant une telle unanimité », poursuit l’édile, qui espère que le préfet tiendra compte de tous ces éléments.
Dans le cas contraire, il envisage de donner des suites juridiques à l’affaire.
Aller plus loin
La carte de l’industrialisation de l’agriculture éditée par la Confédération paysanne
Le rapport de la Sepanso sur le projet de Saint-Symphorien
Le rapport de la commission d’enquête publique