Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juillet 2015 7 19 /07 /juillet /2015 20:26

 

Source : http://blog.mondediplo.net

 

La gauche et l’euro : liquider, reconstruire

samedi 18 juillet 2015, par Frédéric Lordon

 

 

 

1. L’euro interdit radicalement toute politique progressiste possible.

2. S’il en était encore besoin, le traitement criminel infligé à la Grèce en six mois de brutalisation (rebaptisée « négociation ») prouve que l’entreprise de « transformer l’euro », ou l’hypothèse d’un « autre euro possible », sont des chimères qui, par désillusions successives, ne mènent qu’à l’impasse et à la désespérance politiques.

3. Abandonner aux extrêmes droites (qui au demeurant n’en feront rien [1]…) toute perspective politique d’en finir avec l’euro et ses institutions est une faute politique qui condamne les gauches européennes à l’impuissance indéfinie.

4. Sauf à continuer de soupirer après ce qui n’arrivera pas — un « autre euro » et l’« Europe sociale » qui va avec — le réarmement des gauches européennes passe donc impérativement par l’imagination de l’après-euro.

L’avenir de la gauche se joue entre ces quatre propositions.

Les refus « internationalistes » de penser Retour à la table des matières

A ceux qui, sincèrement de gauche, se sont refusés si longtemps à voir l’impasse de l’euro, pour entretenir l’illusion d’un improbable « rapport de force » qui permettrait d’en changer la configuration, à ceux à qui il aura fallu le calvaire grec pour (commencer à) mesurer la radicalité idéologique des institutions européennes, il faut dire qu’après que cette erreur aura assommé les Grecs de Syriza, elle assommera les Espagnols de Podemos, et puis que nous y passerons tous.

Depuis tant d’années, certains secteurs de la gauche, par un mélange d’internationalisme postural et de reddition sans combattre face aux menées récupératrices du Front national, ont refusé de voir ce qui était pourtant sous leurs yeux : un despotisme économique irréductible. Despotisme, puisqu’on ne peut nommer autrement une entreprise aussi résolue de négation de la souveraineté démocratique, et ceci, d’ailleurs, indépendamment de toute considération d’échelle territoriale : soustraire la politique économique à la délibération parlementaire ordinaire pour en inscrire les orientations fondamentales dans un texte constitutionnel, en l’occurrence celui des traités, est un acte d’une telle portée qu’on s’est toujours demandé comment il pouvait se trouver des personnes pour qualifier l’Europe de « démocratique » sans aussitôt sombrer dans le ridicule. Irréductible, car c’est un despotisme sous influence, l’influence d’un pays qui joue ce qu’il se représente comme ses intérêts vitaux dans un agencement institutionnel entièrement fait à sa mesure : l’Allemagne.

On ne compte plus les intellectuels qui, sous l’emprise de leurs terreurs nocturnes, ont fini par renoncer à penser quoi que ce soit qui aille au cœur de la situation européenne, et se retrouvent au comble du dénuement face à l’extrême, mais trop prévisible, violence faite à la Grèce. Il fallait vraiment avoir perdu toute colonne vertébrale pour s’interdire de penser à ce point, de peur d’avoir l’air de penser comme le Front national, et (surtout) sans être capable de penser ce qu’il y avait à penser autrement que le Front national : penser la souveraineté en général, penser les conditions de possibilité de son redéploiement international, penser l’idiosyncrasie allemande et ses inévitables effets dans toute construction monétaire européenne.

On se demande encore en quelles interdictions ces gens-là ont pu s’enfermer pour en arriver à oublier que la souveraineté, dans son concept, c’est-à-dire comme « décider en commun », n’est pas autre chose que la démocratie même, qu’il y faut un peu plus que quelques bons sentiments universalistes pour constituer un peuple de peuples [2], ou que questionner le rapport de la société allemande à la chose monétaire n’est pas plus germanophobe que questionner le rapport de la société américaine aux armes à feu n’est américanophobe. Et plus généralement pour en arriver à un degré de cécité volontaire tel qu’il aura rendu impossible toute analyse des données réelles des compatibilités — ou des incompatibilités — qui déterminent la viabilité d’une construction monétaire et politique commune.

Il aura fallu en particulier atteindre ce niveau de brutalisation d’un pays par un autre, sans précédent en temps de paix, pour qu’enfin la question de l’Allemagne commence à échapper aux censures qui ont jusqu’ici prononcé leurs interdictions enveloppées de vertu. On reconnaît l’indigence d’une pensée à son incapacité à traiter aucun problème autrement que dans des coordonnées morales. Mais la manie de passer toute question au filtre d’une interrogation préalable de vertu est le plus sûr moyen de passer à côté de ce qu’il y a à comprendre, de toute saisie positive du réel, indépendamment de tout jugement, qui viendra à son heure. On peut, par exemple, s’interroger sur les mécanismes sociaux et les héritages historiques qui soutiennent la passion américaine pour les armes sans avoir fait connaître son opinion sur la question, ni lui soumettre entièrement l’analyse. Faute d’avoir envisagé de penser le rapport tout à fait singulier de l’Allemagne à la monnaie autrement que sous le crible débile de la germanophobie ou de la germanophilie, le refus de penser se retrouve logiquement percuté par la violence d’un fait, et reconduit à son incapacité de comprendre.

Encore un pilote enfermé dans le cockpit Retour à la table des matières

Au moins les dénégations du pharisaïsme sont-elles maintenant devenues intenables, quitte d’ailleurs à se donner des formulations néo-éclairées d’une naïveté touchante : l’Allemagne est « le nouveau problème de l’Europe », écrit ainsi François Bonnet [3]. Le nouveau problème… C’est juste le problème constitutionnel de la monnaie unique, et il est consigné depuis 1991 dans le texte des traités. Un pays, l’Allemagne, a imposé ses obsessions monétaires à tous les autres. Tous les pays vivent avec les obsessions de leur roman national, c’est bien leur droit, en tout cas à court et même moyen terme il n’y a rien à y faire. C’est qu’un pays exige d’autres qu’ils vivent sous ses propres manies, quand ces manies-là ne sont pas les leurs, qui est le commencement des problèmes. Contrairement à ceux qui ne peuvent pas penser l’hégémonie allemande sans des images de Panzer ou de casque à pointe, il faut redire que l’Allemagne dans cette affaire n’a jamais poursuivi de projet positif de domination, et que ses comportements n’ont jamais été gouvernés que par la peur panique de souffrir, dans le partage communautaire, l’altération de principes qui lui sont plus chers que tout [4]. Or il ne faut pas s’y tromper : une angoisse collective, surtout quand elle est de cette intensité, ne détermine pas moins à la violence que les menées conquérantes de l’hégémonie positive. Peut-être même au contraire. C’est qu’il y a dans les projets hégémoniques un reliquat de rationalité auquel les paniques monétaires allemandes sont devenues totalement étrangères.

Lire Wolfgang Streeck, « Allemagne, une hégémonie fortuite », Le Monde diplomatique, mai 2015. En témoigne la brutalité aveugle avec laquelle l’Allemagne a décidé de châtier la Grèce, mais plus encore son inaccessibilité à toute argumentation rationnelle. Quand la presse française, collée au cul de Sapin et de Moscovici, se contente pour tout récit des négociations de leur version, avec le consciencieux d’un bureau de propagande d’Etat et le label de la « presse libre » [5]), faisant à peu de choses près passer les négociateurs grecs pour des clodos égarés, des paysans du Danube ignorants des usages et des codes — pensez donc, ils n’ont même pas de cravate —, bref incapables de se tenir dans la bonne société européenne, et avec lesquels il est tout simplement impossible de discuter, Varoufakis [6] et Tsakalotos [7] ont, eux, découvert, stupéfaits, un club de l’eurozone semblable à un hôpital de jour, une réunion de grands autistes à qui il est impossible de faire entendre la moindre argumentation économique, et dont la psychorigidité terminale ne connaît plus que la conformité aux règles, fussent-elles de la dernière absurdité, et le continent entier dût-il en périr.

Que désormais la majorité des économistes, ceux du FMI en tête, et Prix Nobel compris, n’hésitent plus à hurler au fou en découvrant les dernières trouvailles de l’Eurogroupe — rajouter une dose massive de ce qui a déjà méthodiquement détruit l’économie grecque —, n’est plus d’aucun effet. On peut déjà dire, à la louche, mais sans grand risque de se tromper de beaucoup, qu’en étant certain de précipiter la Grèce dans une récession carabinée pour 2015, le « plan » supposément fait pour réduire le ratio de dette lui fera passer les 200 % de PIB, ainsi que le taux de chômage les 30 %, à horizon d’un an ou deux. Mais peu importe, l’essentiel est de les passer dans les règles. À ce moment, vient immanquablement à l’esprit l’image du cinglé enfermé dans le cockpit de l’Airbus, toutes manettes bloquées en mode descente (l’avion était un modèle européen, et le pilote allemand, on ne le fait pas exprès, c’est comme ça) ; le monde entier tambourine au-dehors (« ouvre cette putain de porte ! ») — mais comme on sait la conséquence annoncée n’était pas de nature à entamer la détermination de l’intéressé.

Comme toute métaphore, celle-ci a sa limite : l’Allemagne n’a pas le projet de pulvériser l’union monétaire. Elle est juste obsédée par l’idée de continuer à y maintenir les principes qui lui ont réussi quand elle était seule, dont elle a fait une identité nationale de substitution, et dont rien au monde ne pourra la détacher — et certainement pas le renvoi d’un peuple entier, ou de plusieurs, au dernier degré de la misère. Qu’une frange de gauche radicale en Allemagne se déclare scandalisée et se lève contre son propre gouvernement, d’ailleurs en une démonstration de ce qu’est vraiment l’internationalisme — ne pas endosser aveuglément les faits et gestes de son pays parce que c’est son pays —, demeure un fait minoritaire et n’ôte rien à la massivité du consensus social — et non politique —, transpartisan, dont la croyance monétaire allemande se soutient : pour autant qu’on puisse lui accorder quelque confiance, un sondage publié par Stern indique que la position d’Angela Merkel à l’Eurogroupe du 12 juillet est approuvé par 77 % des Verts, et 53 % des sympathisants de Die Linke — 53 % de Die Linke…

François Hollande, le « grand frère de Tsipras » ? Retour à la table des matières

Mais le vrai mystère européen n’est pas en Allemagne — à laquelle, finalement, on ne saurait reprocher de vouloir vivre la monnaie selon l’idée qu’elle s’en fait, et d’après les traumas de son histoire. Il est dans d’autres pays, la France tout particulièrement, qui se sont appropriés la manie allemande hors de tout contexte propre, alors que rien dans leur histoire ne les vouait à épouser une telle particularité — alors que tout les vouait plutôt à ne pas l’épouser —, et sur un mode proprement idéologique, jusqu’à finir par y voir une forme désirable de rationalité économique — évidemment une « rationalité » assez spéciale, puisqu’elle est étrangère à toute discussion rationnelle —, un peu à la manière d’athées qui, non contents de s’être convertis au dogme de l’Immaculée conception, entreprendraient de s’y tenir par ce qu’ils croiraient être une décision de la raison. A ce stade, et l’on y verra un indice du degré de dinguerie de la chose, on ne peut même plus dire qu’il s’agit simplement de la « rationalité » du capital : le capital n’est pas fou au point de désirer la strangulation définitive, à laquelle lui-même ne peut pas survivre — et les forces capitalistes américaines, par exemple, assistent, interloquées, à l’autodestruction européenne. Mais ces considérations n’entrent pas dans la haute pensée des élites françaises, qui cultivent l’aveuglement des convertis de fraîche date à titre transpartisan, comme l’Allemagne la croyance de première main.

On reconnaît en effet le fin fond de la bêtise à ce que, non contente de se donner libre cours, elle se vante de ses propres accomplissements. François Hollande, précocement parti dans la chasse aux gogos, est désormais occupé à faire croire qu’il est de gauche, ou plutôt à faire oublier à quel point il est de droite. Aussi, avec un art du pointillisme qui fait plutôt penser à la peinture au rouleau, le voilà qui pense se refaire la cerise « à gauche » en « venant au secours de Tsipras ». Il n’en faut pas plus pour que l’éditorialisme de service, spécialement celui qui s’est donné pour vocation de ne jamais rien faire qui puisse contrarier la droite complexée en situation électorale, fait bruyamment chorus : « Hollande est devenu une sorte de grand frère européen de Tsipras », s’extasie Libération [8]…

S’il y avait la moindre lueur de vitalité dans le regard de Hollande, on pourrait à la rigueur le songer en Caïn comme grand frère tabasseur. Mais même pas : il n’y a rien d’autre à y voir que la combinaison de l’abrutissement idéologique le plus compact et de l’opportunisme électoral le plus crasse — non sans se souvenir qu’il n’y a de manœuvres opportunistes réussies que s’il y a des relais d’opinion suffisamment veules pour les proclamer réussies. Dans le cas présent cependant, les chefferies rédactionnelles n’ont pas fini de mouiller la chemise : c’est qu’il va falloir de l’imagination à la hauteur du lyrisme pour faire avaler comme épopée de gauche d’avoir si bien « aidé » Tsipras à se raccrocher à la corde du pendu. Quand se feront connaître les splendides résultats de l’équarrissage économique auquel Hollande, en grand frère, aura conduit Tsipras par la main, il nous sera donné une nouvelle occasion, plus fiable peut-être, d’évaluer la teneur réelle de « gauche » de cette forme toute particulière de la sollicitude social-démocrate.

Syriza (Tsipras), Podemos (Iglesias) :
prendre ses pertes dès maintenant Retour à la table des matières

Et ailleurs en Europe, du côté de la vraie gauche ? Les traders emportés dans une glissade de marché connaissent bien l’obstacle principal à la décision rationnelle, il est psychologique : la répugnance à « prendre ses pertes » (dans le langage de la finance, « prendre ses pertes » signifie accepter que ses actifs ne retrouveront pas leur valeur perdue, et consentir à les vendre à perte, sachant que toute attente supplémentaire les verra se déprécier davantage encore), et l’entêtement à vouloir se refaire. Après Syriza, ou disons plus justement après le Syriza de Tsipras, et avant Podemos, les gauches européennes en sont là.

Le souvenir est encore frais de l’« accueil » qu’avait reçu en janvier, en pleine montée électorale de Syriza, c’est-à-dire à un moment où l’emballement des espoirs ne veut plus connaître aucune contrariété, l’anticipation d’une rude alternative — la « table » [9] — dont on suggérait d’ailleurs que le terme le moins avantageux — « passer dessous » — était aussi le plus probable. De ce point de vue, on aimerait assez connaître l’avis que portent rétrospectivement certains sur leurs propres puissantes analyses, on pense en particulier à Michel Husson qui à l’époque n’avait pas manqué de critiquer « le syllogisme de la défaite », « l’absence totale de sens stratégique », « l’ânerie stratégique majeure de la sortie de l’euro », avec des arguments qui, en effet, nous font voir aujourd’hui que la stratégie est bien son affaire. En réalité, il faut voir tout son texte [10] comme un symptôme car, là où sur les autres sujets de ses interventions, le travail de Michel Husson est indispensable et d’une grande qualité, les questions de l’euro et de la souveraineté ont l’effet de lui mettre, mais comme à tant d’autres, l’entendement en erreur système, avec tout le compteur intellectuel qui disjoncte : l’analyse de l’idiosyncrasie allemande n’est qu’« essentialisation », la sortie de l’euro du « nationalisme », et tous les pont-aux-ânes de l’internationalisme-réflexe y passent les uns après les autres [11].

Podemos, le prochain prisonnier de la « croyance de l’euro » Retour à la table des matières

On laissera à d’autres le soin de se prononcer sur les convolutions de l’esprit d’Alexis Tsipras, dont les divers mouvements, spécialement celui du référendum, ont parfois pu donner à espérer [12] que, réticent à la sortie de l’euro, il pouvait cependant être capable de briser ses propres limites, après avoir achevé de parcourir, comme par acquit de conscience, toutes les (im)possibilités de la « négociation ». Mais non.

On reconnaît la servitude volontaire, ou comme dirait Bourdieu la violence symbolique, à ceci que les dominés épousent fondamentalement la croyance des dominants, même si c’est la croyance constitutive d’un ordre qui les voue à la domination, parfois à l’écrasement.

Tsipras aura donc été incapable de s’extraire de la « croyance de l’euro », à laquelle, l’expérience maintenant le prouve irréfutablement, il aura été disposé à tout sacrifier : la souveraineté de son pays, l’état de son économie, et peut-être bien, à titre plus personnel, sa grandeur politique. Car la chose est désormais écrite, quelle que soit la suite des événements : il y a des places dans l’histoire politique auxquelles on ne peut plus prétendre après avoir à ce point renié les engagements qui ont porté tout un peuple — c’est qu’on voit mal derrière quelles indulgences on pourrait accommoder d’avoir consenti à un memorandum plus catastrophique que le précédent quand on a fait serment de rompre avec les memoranda, et pire encore de ne plus hésiter à aller chercher loin à droite des majorités de rechange pour le faire voter. Il est donc avéré que Tsipras était mentalement prisonnier de l’euro, et l’on sait désormais où conduit ce type d’enfermement volontaire. Disons les choses tout de suite, quitte à ce que ce soit avec rudesse : le Podemos d’Iglesias le rejoindra dans la même cellule.

Lire Pablo Iglesias, « Podemos, “notre stratégie” », Le Monde diplomatique, juillet 2015.Il y aurait beaucoup à dire sur Podemos, sur ses prémisses — justes — d’une perte d’efficacité du langage « classique », on pourrait même dire d’une certaine phraséologie de gauche, mais aussi sur les conclusions qu’il en tire, et qui le conduisent malheureusement, non pas à chercher les voies d’une nouvelle adresse, mais, le bébé filant avec l’eau du bain, à l’évacuation même de la catégorie de gauche, pour ne rien dire de celle de classe, si bien que ce qui devait n’être que (souhaitable) rectification de forme aboutit à une inquiétante déperdition de substance : ne plus vouloir parler, fût-ce dans des termes renouvelés, du capital parce que ça fait old school, pour livrer une vision du monde à base de « la caste contre le peuple », aller jusqu’à revendiquer la péremption de la catégorie de gauche, sont des partis pris fondamentaux, en l’occurrence tout à fait explicites, qu’il y a lieu de regarder avec quelques appréhensions, pour ne pas dire une légitime suspicion — dont se fait déjà l’écho, par exemple, la New Left Review quand elle interroge Iglesias [13].

On ne s’étendra pas non plus (il le faudrait pourtant) sur la mutation radicale de Podemos en parti pour le coup lui des plus classiques, et de son personnage principal en un leader charismatique qui, classique, ne l’est pas moins, au prix d’une trahison manifeste de l’esprit du mouvement des places, dont Podemos est pourtant issu — et qu’on n’aille pas faire porter à la présente analyse l’excès polémique typiquement gauchiste de la « trahison » : c’est Jorge Lago, membre de la direction de Podemos, qui assume lui-même le terme avec une déconcertante tranquillité d’âme [14].

Très logiquement, le réarmement de Podemos en machine électorale entièrement tendue vers la conquête du pouvoir est voué à l’abandon en cours de route de quelques principes et de quelques espérances… On en est presque à se demander s’il faudra mettre au compte de ses prévisibles « délestages » une déception (de plus) sur l’euro et l’Europe, déception qui en réalité n’a presque pas lieu d’être. Car au moins les choses sont claires dès le départ, elles feront même la différence, si c’est possible, entre Syriza et Podemos : là où Tsipras doit indiscutablement être crédité de s’être battu, Iglesias n’essaiera même pas. Il ne s’agit pas là d’anticipation mais de simple lecture : « Nous n’aimons pas la façon dont l’euro s’est construit, ni comment ont été mis en place les accords de Maastricht, mais nous pensons que l’euro est actuellement incontournable. Il faut certes améliorer la façon dont est gérée la monnaie unique, et nous pensons qu’il devrait y avoir à ce sujet un contrôle démocratique, mais nous ne sommes pas partisans de la sortie de l’euro pour notre pays. (…) Même si nous n’aimons pas la façon dont fonctionne la BCE, nous assumons d’être dans la zone euro » [15]. Comme toujours dans un propos politique, il y a le creux et il y a le plein. Le creux : nous n’aimons pas les choses comme elles sont, et d’ailleurs nous disons qu’il faut les changer ! Le plein : nous assumons d’être dans l’euro et nous pensons qu’il est incontournable. C’est-à-dire que ce qui précède n’est pas sérieux, car la réalité est que nous ne changerons rien. On ne devrait donc pas être davantage étonné qu’Iglesias « n’aime pas l’accord (de l’Eurogroupe), mais que c’était soit l’accord, soit la sortie de l’euro » [16].

On peut sans doute compter encore sur quelques bonnes volontés alter-européistes pour reprendre à leur compte l’argument répété en boucle par Podemos — qui en réalité n’en a pas d’autre : à 2 % de PIB européen, la Grèce n’avait pas sa chance, à 14 % l’Espagne a la masse pour tout faire basculer. Mais, supposé qu’on puisse lui prêter vraiment le projet de faire basculer quoi que ce soit, Iglesias ne fera rien basculer du tout. Ou plutôt il ferait basculer tout autre chose que ce qu’il croit. C’est bien en ce point d’ailleurs que se tient l’erreur presque « logique » des croyants de « l’autre euro possible ». Car s’il s’avérait que se crée effectivement un mouvement consistant de plusieurs pays rendant plausible une révision significative des principes de l’euro… c’est l’Allemagne, sans doute accompagnée de quelques satellites, qui prendrait le large. Si bien qu’au moment même où il serait sur le point d’être changé… l’euro serait détruit ! Il n’y aura pas d’« autre euro » dans son périmètre actuel — avec l’Allemagne —, car tout autre euro possible sera inadmissible pour elle, et se fera sans elle.

Ce n’est pas nous qui devons compter sur Podemos,
c’est Podemos qui doit compter sur nous ! Retour à la table des matières

Aucun risque : Podemos ne veut rien de tout ça. On verra bien comment il s’arrange de ses propres contradictions : en finir avec l’austérité sans changer l’euro de l’austérité est une performance logique dont on peine toujours autant à discerner les voies, une de celles auxquelles les gauches européennes s’abonnent avec une désarmante compulsion de répétition. En tout cas, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. Comment tout ça se terminera, la chose n’est que trop claire, elle est comme déjà écrite. Il ne faudra pas venir pleurer une fois de plus sur les normalisations douloureuses et les espérances (encore) déçues.

Voilà donc le drame actuel des gauches européennes. Du fin fond de la déveine où elles se trouvent, Syriza et Podemos leur ont été de puissantes raisons d’espérer, l’aliment d’un désir de croire à un possible renouveau au travers du continent — et comment ne pas le comprendre, avouons-le : comment ne pas avoir soi-même éprouvé la tentation de se laisser gagner par ce sentiment. Les stratégies politiques « de l’espoir », cependant, font fausse route quand elles prennent le parti de tout accorder à leurs affects et plus rien à la raison analytique si elle risque de venir les contredire. Malheureusement, et si douloureuse la chose soit-elle parfois, on gagne rarement à ne pas regarder les situations en face. Une vraie stratégie politique, reconnaissable à ce qu’elle fait aussi bien la part de la lucidité que celle de l’espoir, devrait tenir et l’indiscutable énergie politique que, pour toutes leurs failles, ces mouvements ont fait naître, et la claire conscience des impasses où ils s’engagent, et ce faisant nous engagent, lorsqu’ils refusent à ce point de poser la question de l’euro — dont il ne faut pas se lasser de répéter qu’elle est le verrou radical de notre temps.

S’il doit être autre chose qu’un nouveau motif de dépression, le naufrage de Tsipras doit être intellectuellement rentabilisé, et nous aider, pour enfin faire mouvement, à passer une bonne fois la paille de fer. C’est-à-dire, en l’occurrence, à d’ores et déjà « passer dans les comptes » les pertes Podemos telles qu’on peut raisonnablement les anticiper. Sauf si… Sauf si, au lieu de compter sur la défectuosité Podemos pour réanimer (défectueusement) les gauches européennes, on compte plutôt sur les gauches européennes pour réorienter Podemos — et pourquoi pas Syriza s’il en reste quelque chose (ce qu’on espère le plus au monde, faut-il le dire). Cette réorientation, où la gauche en Europe engage son sort en la possibilité d’échapper enfin à l’inanité, se joue entièrement sur la ligne de la rupture avec l’euro et ses institutions, une fois intégré — il est vraiment temps… – qu’un autre euro n’est pas possible.

Lucidité pour tout le monde Retour à la table des matières

Il est bien certain que la désynchronisation des conjonctures politiques voue le plus probablement cette rupture à prendre les formes du retour à des monnaies nationales — dont trois décennies de fordisme (comme d’ailleurs la situation présente des quelque 180 nations qui n’ont pas l’immense bonheur d’appartenir à l’eurozone) devraient normalement convaincre tout esprit ayant résisté à la croyance européiste qu’elles ne sont pas la guerre.

La lucidité valant pour tout le monde, il serait irresponsable de présenter la sortie de l’euro comme l’entrée immédiate dans la lumière. Quand il s’agit de la Grèce, on peut, on doit même, dire les choses plus carrément encore : la (les ?) première année de cette sortie serait très éprouvante. C’est qu’après cinq années d’austérité ayant méthodiquement détruit la base économique du pays, sans même parler des effets de dislocation produits par la criminelle asphyxie monétaire pilotée par la BCE ces dernières semaines, n’importe laquelle des options de politique économique disponibles est vouée à commencer par d’immenses difficultés — et certaines de ces options, celles de la Troïka, à y demeurer. Tragique ironie du diktat du 12 juillet : là où la sortie de l’euro se serait immanquablement vu opposer son « échec » au bout de cinq mois (ou même cinq semaines…) — les politiques néolibérales, elles, ont le droit de durer cinq ans, ou même trois décennies sans qu’on n’en tire jamais le bilan —, là où, donc, la sortie de l’euro aurait été aussitôt agonie, c’est la politique d’austérité continuée qui portera la responsabilité du surplus de désastre que l’économie grecque va connaître immanquablement — et ça n’est que justice : c’est bien cette politique-là qui a fait un corps mort de l’économie d’un pays tout entier.

On répète ad nauseam que le peuple grec ne veut pas quitter l’euro et que, dans ces conditions, Tsipras a joué la seule carte qui était à sa disposition. Mais ceci est irrecevable. L’opinion grecque a déjà commencé à se déplacer sur cette question, et comme l’a fait justement remarquer Stathis Kouvelakis [17], le vrai sens du « non » au référendum du 5 juillet incluait évidemment l’acceptation d’une rupture avec l’eurozone : les partisans du « non » se sont entendu matraquer pendant une semaine que leur vote était synonyme de Grexit, et il est peu douteux que bon nombre d’entre eux aient persisté dans leur intention de vote en y incorporant pleinement cette possibilité, donc en l’assumant comme telle.

Il y a aussi, et surtout, que la politique est un corps-à-corps avec l’opinion. C’est entendre l’opinion et aussi lui parler. Parler à l’opinion, contre ses réticences premières, pour y faire « prendre » l’idée de la sortie de l’euro, de ses difficultés et bien sûr de ses perspectives, c’est ce que Tsipras, en cela cohérent avec lui-même — il n’y croyait pas et ne le voulait pas —, n’a (donc) jamais essayé de faire. Y compris lorsque la force propulsive du « non » lui en apportait la possibilité. Or il était bien des choses à dire pour entraîner l’opinion grecque là où elle commençait d’elle-même à se rendre. Les métaphores valent ce qu’elles valent et il faut se méfier de certaines qui sont parfois scabreuses, mais sans pousser trop loin l’analogie de la domination par les « tanks » et de la domination par les « banks » [18], il est une idée à laquelle l’opinion grecque, au point où elle en est arrivée, pourrait être sensible : de même qu’en cas d’occupation étrangère, les luttes de libération acceptent bien le supplément de destruction qui vient de se battre sur son sol, et qu’elles l’acceptent car il y va de la reconquête de la liberté, de même le surplus de difficulté qui accompagnerait immanquablement la sortie de l’euro est, dans l’impasse présente, le tribut de la reconstruction politique.

Lexit ! Retour à la table des matières

Or c’est peu dire qu’il y a à reconquérir et à reconstruire — par la gauche. La souveraineté, non comme talisman, mais comme condition de possibilité de toute politique progressiste — car répétons-le : la sortie de l’euro n’est jamais qu’une condition nécessaire, et certainement pas suffisante. On peut sortir de l’euro de bien des manières, et par bien des côtés — qui ne se valent pas du tout. Dans une sorte de syndrome d’autoréalisation inconsciente, la gauche européiste semble mettre tous ses efforts à ne laisser ouvert que le côté de la droite extrême, comme pour mieux se donner raison à elle-même et mieux pouvoir dire ensuite que la sortie de l’euro, « c’est le nationalisme ». Si c’est ça, ça n’est pas exactement un service qu’elle se rend, ni à tous ceux qui remettent leurs espoirs en elle. La vérité, c’est que depuis qu’elle a décidé de camper obstinément sur la ligne de l’« autre euro », elle ne rend plus service à grand monde. Comme les pouvoirs de l’analyse sont faibles — il n’y a pas de force intrinsèque des idées vraies, disait Bourdieu —, et que la lucidité du réalisme n’est pas le fort de cette gauche, il aura fallu en arriver aux extrémités du spectacle en vraie grandeur, celui d’une illusion fracassée, d’une impossibilité radicale désormais établie, du rôle spécifique qu’y joue un Etat-membre, enfin de tout un peuple sacrifié, il aura fallu en arriver à ces extrémités, donc, pour que quelques vacillements commencent à se faire connaître. Mais que de temps perdu…

Comme il n’est jamais très utile de pleurer sur le lait renversé, il vaut mieux oublier le temps perdu et songer plutôt à faire quelque chose du temps à venir. Même si elle ne le sait pas encore, la construction européenne est morte. On ne peut pas survivre à une telle infamie. Le destin de l’Union européenne est maintenant celui des entreprises devenues haïssables : elle n’est plus qu’en attente de son renversement. Faudra-t-il patienter de nouveau jusqu’à la ruine complète pour que la gauche européiste s’interroge sérieusement sur l’obstination qui l’aura conduite à se lier à une erreur historique de ce format, même sous la clause « alter » dont il est maintenant établi qu’elle n’altérera plus rien ? Ça n’est pas une autre version du même qu’il s’agit de penser, c’est de « l’autre » tout court, et pour de bon. Voilà à quoi devrait servir le temps à venir des gauches européennes : à lever enfin l’hypothèque de l’euro, à penser de concert ce qu’elles s’aideront mutuellement à faire : les unes soutiendront telle autre à qui sa conjoncture permettra de se mettre en marche indépendamment, et celle-ci les aidera en retour à accélérer leurs propres évolutions — solidarités concrètes dans un mouvement d’ensemble nécessairement mal synchronisé, mais où les effets d’entraînement par émulation jouent réellement, à l’inverse des grandes coordinations fantasmatiques de l’internationalisme abstrait.

Voilà ce qu’est un internationalisme bien compris, c’est-à-dire qui ne soit pas totalement confit en postures ni oublieux du réel, un internationalisme qui pourrait même, si l’on veut, trouver son compte dans le retour aux monnaies nationales, comme base d’un nouveau départ vers la reconstruction d’une monnaie, non plus unique, mais commune [19], un internationalisme auquel il faudrait quand même expliquer que, sauf à avoir complètement succombé à l’économicisme, il pourrait lui venir à l’idée de trouver ses réalisations ailleurs que dans l’ordre de la monnaie, fût-elle européenne…

Plaidant depuis sa situation à lui, celle d’un citoyen du Royaume-Uni, où l’on est confronté plus carrément à la question de l’appartenance non à l’eurozone mais à l’Union européenne elle-même, Owen Jones, dans un article du Guardian [20], lance une idée qui pourrait bien avoir un certain avenir : l’idée du Lexit (Left-Exit). Ça n’est plus tel ou tel pays qu’il faut faire sortir de l’euro : c’est la gauche elle-même.

Notes

[1] Voir sur ce sujet « Les tâches aveugles de l’“autre euro possible” », 1er juin 2015.

[2] Voir à ce sujet « Un peuple européen est-il possible ? », Le Monde diplomatique, avril 2015.

[3] François Bonnet, « L’Allemagne, le nouveau problème de l’Europe », Mediapart, 12 juillet 2015.

[4] Lire « De la domination allemande (ce qu’elle est, et ce qu’elle n’est pas) », 18 juin 2013.

[5] À cet égard il faut considérer comme un sommet de ce journalisme embedded le récit fait par Jean Quatremer de l’accord du 21 février, « Grèce vs. Eurozone : histoire secrète d’un bras de fer », Libération, 10 mars 2015.

[6] Yanis Varoufakis, « Our battle to save Greece », New Statesman, 13 juillet 2015.

[7] Voir le témoignage de Stathis Kouvelakis, « Greece, the struggle continues », entretien avec Sebastian Budgen, Jacobin, 14 juillet 2015. Lire aussi son texte, « Sortie de l’euro, une occasion historique » dans Le Monde diplomatique de juillet 2015, en kiosques.

[8] Grégoire Biseau, « François Hollande en coach politique », Libération, 10 juillet 2015.

[9] « L’alternative de Syriza : passer sous la table ou la renverser », 19 janvier 2015.

[10] Michel Husson, « Lordon, ou le syllogisme de la défaite », Alencontre, 21 janvier 2015.

[11] Comme il n’est pas possible ici de se défaire exhaustivement toutes les contrevérités ou de toutes les caricatures qui peuvent être dites sur ce sujet, je me contente de renvoyer au texte « Leçon de Grèce à l’usage d’un internationalisme imaginaire (et en vue d’un internationalisme réel) », 6 avril 2015.

[12] Moi y compris. Lire « L’euro, ou la haine de la démocratie », 29 juin 2015.

[13] Pablo Iglesias, « Spain on Edge », entretien, New Left Review, n° 93, mai-juin 2015. De cet entretien, Le Monde diplomatique a tiré un texte, publié dans le numéro de juillet 2015, en kiosques, « Podemos, “notre stratégie” ».

[14] Jorge Lago, « Après Syriza, jusqu’où ira Podemos ? », « Contre-courant », Mediapart, 1er juillet 2015.

[15] L’Obs, entretien avec Aude Lancelin, 17 juin 2015.

[16] Cité par Ludovic Lamant, « En Espagne, Podemos s’adapte à l’onde de choc grecque », Mediapart, 17 juillet 2015.

[17] Stathis Kouvelakis, art.cit.

[18] Une demi-plaisanterie qui fait fureur en Grèce en ce moment et qu’on a même vu Varoufakis reprendre à son compte : « On the Eurosummit statement on Greece, first thought », blog de Yanis Varoufakis, 14 juillet 2015.

[19] Voir La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les Liens qui Libèrent, 2014, chapitre 7, ou bien « Pour une monnaie commune sans l’Allemagne (ou avec, mais pas à la francfortoise) », 25 mai 2013.

[20] Owen Jones, « The Left must put Britain’s EU withdrawal on the agenda », The Guardian, 14 juillet 2015.

 

 

Source : http://blog.mondediplo.net

 

 

 

Partager cet article
Repost0
19 juillet 2015 7 19 /07 /juillet /2015 19:30

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Notre-Dame-des-Landes : la justice renvoie le gouvernement à ses responsabilités

|  Par Jade Lindgaard

 

 

 

 

Après le rejet par la justice des recours contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le gouvernement va-t-il expulser la ZAD et démarrer les travaux ? Il existe quatre scénarios d’action, du plus démocratique au plus brutal.

 

La réaction de Manuel Valls est tombée comme un couperet, quelques minutes à peine après le rejet par la justice des recours des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, vendredi midi : « Le Premier ministre prend acte de cette décision qui doit entraîner la reprise des travaux. La réalisation du projet est ainsi à nouveau engagée après avoir été suspendue depuis fin 2012. » Pour Matignon, « le projet va donc pouvoir se poursuivre ». L’ancien chef du gouvernement, Jean-Marc Ayrault, si discret habituellement, n’a pas boudé son plaisir, et tweeté : « La décision du TA confirme une nouvelle fois la validité de ce projet d'intérêt général. L'Etat de droit doit désormais être respecté #NDDL. »

 

Stéphane Mahé/Reuters.
Stéphane Mahé/Reuters.

Et le président de la région Pays de la Loire, Jacques Auxiette, s’est aussitôt réjoui de la communication de Matignon, « qui annonce que cette décision doit entraîner la reprise des travaux, marquant ainsi la fin de la période de suspension décidée par l’État ». Pour l’élu, l’un des plus fervents partisans du transfert de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique vers la zone d’aménagement différé autour du village de Notre-Dame-des-Landes, « aucune procédure en cours ne peut désormais empêcher la réalisation de l’aéroport, tant au niveau national qu’au niveau européen ».

 

 

Tout n’est pourtant pas si simple. Pendant sa campagne présidentielle, en 2012, François Hollande avait promis à des agriculteurs en grève de la faim contre le projet de nouvel aéroport (voir ici notre reportage à l'époque) qu’aucuns travaux ne commenceraient avant la fin des recours juridiques. En janvier dernier, sur France Inter, il confirmait que « quand les recours seront épuisés, le projet de Notre-Dame-des-Landes sera lancé ».

Les recours expirent-ils avec les jugement du 17 juillet (voir les décisions sous l'onglet Prolonger) ? Pas selon Thomas Dubreuil, avocat des requérants (plusieurs associations dont l’Acipa, le collectif historique d’opposants, le CéDpA regroupant des élus et EELV) : « Nous allons saisir la cour administrative d’appel car nous ne sommes pas satisfaits des jugements du tribunal administratif qui a évacué des sujets centraux comme celui de la compensation. Si le juge d’appel nous semble mal appliquer le droit, nous saisirons le Conseil d’État. Les recours ne sont pas épuisés. L’accord sur le moratoire est toujours en vigueur. Nous nous appuyons sur la parole présidentielle. Cela rajoute au moins trois ans de procédure. Nous sommes sereins. » L’Acipa et le CéDpA, dans un communiqué commun, rappellent que « le projet d’extension du port de Nantes-Saint-Nazaire, à l’est de Donges, a été abandonné en 2009, suite à l’annulation du jugement en cour administrative d’appel »Et qu’il est donc encore possible à la justice d’arrêter le projet d’aéroport.

Pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, « il n’y aura jamais épuisement des recours ». Par ailleurs, le litige avec la commission européenne n’est toujours pas levé, Raphaël Romi, professeur de droit public, explique ainsi que la France n’a toujours pas répondu à la mise en demeure de Bruxelles sur le pré-contentieux portant sur l’absence de certaines évaluations d’impact environnemental dans le dossier de l’aéroport nantais.

Sollicités vendredi matin, ni l’Élysée, ni le ministère de l’écologie n’ont accepté de se positionner sur la fin ou non du moratoire présidentiel. Tous deux ont renvoyé vers Matignon. La préfecture de Loire-Atlantique n’a pas plus donné suite à nos demandes de précisions. En début de mois, le nouveau préfet, Henri-Michel Comet, avait pourtant déclaré devant le conseil départemental : « Nous attendons encore quelques décisions de justice. Nous n’attendrons pas les épuisements. Le gouvernement prendra une décision sur la façon de progresser après les décisions de justice cet été » (c’est le site Reporterre qui l’avait signalé).

Les travaux de construction de l’aéroport ne peuvent pas démarrer dès cet été en raison de plusieurs obstacles juridiques. La préfecture n’a pas publié l’arrêté autorisant la destruction du campagnol amphibie, petit rongeur menacé au niveau mondial et donc protégé par la loi, et présent un peu partout sur la zone concernée par le projet d’aéroport. Elle n’a pas non plus autorisé le défrichement du bois de Rohanne, occupé par des opposants qui y vivent en cabanes dans les arbres, qui s’étend sur une grande partie de la ZAD, à l’emplacement prévu de la piste du projet d’aéroport.

Autre problème : impossible de déplacer des espèces animales en été, explique François de Beaulieu, membre des Naturalistes en lutte qui ont expertisé la biodiversité de la ZAD. Il faut attendre l’automne et pour certaines, la fin de l’hiver pour y être autorisé par le droit de l’environnement. Or ces transferts sont obligatoires dans le but de préserver un peu de la faune et de la flore condamnées par le bétonnage du bocage. Pour autant, l’appel du jugement du tribunal administratif de Nantes n’est pas suspensif. Concrètement, le rendu de ces jugements clôt une importante séquence juridique et renvoie le gouvernement à ses responsabilités politiques, alors que Ségolène Royal a plusieurs fois déclaré ne pas être favorable au projet.

Plusieurs scénarios semblent possibles.

  • La non-décision

Il ne se passe rien sur le terrain : pas de retour des gendarmes sur les routes, pas de tentative d’expulsion, mais l’État reprend l’instruction des procédures administratives gelées depuis deux ans, à commencer par le permis de construire de l’aérogare, déposé par AGO, la filiale de Vinci concessionnaire du projet, mais pas examiné par la préfecture. Il publie les arrêtés sur le défrichement de la forêt de Rohanne et le campagnol amphibie. Celui-ci devrait être attaqué par les opposants, qui s’appuient sur l’avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN), instance consultative du ministère de l’environnement, qui a rendu à l’unanimité un avis défavorable à la demande de dérogation pour la destruction de cette espèce protégée.

Le gouvernement laisse passer le sommet sur le climat, ce qui lui évite le ridicule de présider la COP 21 et, en même temps, de construire un aéroport qui émettra des centaines de milliers de tonnes de CO2. Contradiction dénoncée vendredi par Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace, sur Twitter : « S'entêter sur un nouvel aéroport à #NDDL l'année du climat en dit long sur la santé mentale du gouvernement. » Laisser passer les élections régionales et espérer une alliance de second tour avec EELV, alors que, rappelle le sénateur écologiste du cru Ronan Dantec, « on ne peut pas rassembler la gauche et faire l’aéroport ». Laisser passer les élections présidentielles, et laisser le dossier sur les bras de la prochaine majorité présidentielle. La déclaration d’utilité publique de l’aéroport expire en 2018 et l’on sait désormais que l’indemnisation à verser à Vinci en cas d’arrêt du projet ne serait pas faramineuse.

 

 
  • La consultation locale

La commission d’Alain Richard sur le dialogue environnemental propose d’organiser des consultations locales d’électeurs sur les projets litigieux d’aménagement du territoire. Une idée reprise dans l’article 28 de la loi Macron. « Cette procédure nous a été présentée comme une possible voie de sortie des projets enkystés et bloqués par des occupations de type ZAD », explique Arnaud Gossement, membre de la commission Richard. Les ordonnances de l’article seraient en préparation et pourraient sortir dans les semaines qui viennent. Une consultation locale serait possible à la fin de l’année ou en début d’année prochaine. Dans ce type de système, tous les électeurs du département, ou d’un autre périmètre géographique, sont appelés à se prononcer pour ou contre le projet de Notre-Dame-des-Landes. C’est une forme de référendum local. Difficile de prévoir quel en serait le résultat, dans une région où des habitants se disent lassés de la bataille autour d’un aéroport imaginé dans les années 60.

  • Les petits pas

Le gouvernement attend l’automne et commence, discrètement, sans des légions de gendarmes et de CRS, à déplacer des espèces et à préparer le terrain pour les travaux en 2016. C’est le scénario le plus improbable. La mobilisation reste forte autour de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Le week-end des 11 et 12 juillet, un rassemblement d’opposants a réuni 10 000 personnes, selon l’Acipa. À la moindre alerte, en quelques heures, des centaines de personnes pourraient y converger pour protéger la zone. Difficile dans ces conditions d’imaginer qu’une intervention préparatoire aux travaux se déroule dans le calme.

  • L’opération casques à pointe

Le gouvernement choisit la manière forte et publie un arrêté d’évacuation de la ZAD. Comme en 2012, lors de l’opération César, il mobilise des centaines de gendarmes et de policiers pour vider la zone de ses occupants. C’est le scénario de la tension et de l’affirmation de la raison supérieure du maintien de l’ordre. C’est aussi un message envoyé aux militants pratiquant la désobéissance civile qui préparent des actions pendant la COP 21, afin de les décourager d’entreprendre des actions trop radicales. C’est le scénario catastrophe, avec le risque de faire des blessés et de causer la mort d’une nouvelle personne, près d’un an après la mort de Rémi Fraisse à Sivens. C’est aussi la division assurée de la gauche avec les écologistes pour la présidentielle de 2017.
 

À Notre-Dame-des-Landes, dans la nuit du 11 au 12 juillet 2015. (©DR)
À Notre-Dame-des-Landes, dans la nuit du 11 au 12 juillet 2015. (©DR)
 

Le jugement du tribunal administratif de Nantes porte sur 17 recours concernant l’application de la loi sur l’eau et de celle sur les espèces protégées. Une procédure proche de celle concernant le projet de Center Parcs à Roybon dans l’Isère, pourtant bloqué, lui,  jeudi 16 juillet, par la justice, qui a annulé un arrêté préfectoral autorisant la destruction de zones humides dans la forêt de Chambaran, préalable au démarrage du chantier de construction de ce centre de loisirs. La différence de traitement est flagrante. Pour François de Beaulieu, des Naturalistes en lutte, « c’est paradoxal car l’enjeu de l’eau est beaucoup plus important à Notre-Dame-des-Landes, dont la zone humide est bien plus étendue que dans l’Isère ». Raphaël Romi, professeur de droit, souligne l’absence de prise en compte des enjeux de la compensation dans le dossier de l’aéroport alors que « 80 % des agriculteurs qui avaient été pressentis pour signer une convention de compensation avec le maître d’ouvrage, la refusent et que donc concrètement la compensation ne peut pas se faire ». Il s’étonne aussi de la non prise en compte d’un récent arrêt du Conseil d’État qui annule le décret des Autorités environnementales, ces instances consultatives du ministère de l’écologie.

Pour le Conseil, elles ne sont pas assez autonomes dans leur fonctionnement et leur budget. Or il leur incombe notamment de rendre un avis sur les arrêtés concernant l’application de la loi sur l’eau. Si bien que pour le juriste, cela aurait dû motiver l’annulation de cet arrêt pour le projet d’aéroport.

Le week-end dernier, sur un champ de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une fois la nuit tombée, des dizaines de personnes regardaient s’élever dans le ciel une petite montgolfière traînant derrière elle une banderole lumineuse : « Ciel LIBRE. » Ce n’est pas encore fait.

 

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

 

Partager cet article
Repost0
19 juillet 2015 7 19 /07 /juillet /2015 17:48

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Grèce : des propositions alternatives face à la capitulation de la nuit du 15 au 16 juillet 2015

16 juillet par Eric Toussaint

 

 

CC - wikimedia

Suite à la capitulation des autorités grecques, j’ai largement amendé le texte que j’avais rédigé le 13 juillet 2015 à un moment où l’accord avec les créanciers n’avait pas encore été ratifié par le parlement grec. Je vais par ailleurs écrire un autre texte pour donner ma vision de ce qui est arrivé ces derniers mois.

Dans la nuit du 15 au 16 juillet, à la demande du premier ministre, le parlement grec a capitulé devant les exigences des créanciers et a foulé au pied la volonté populaire exprimée par le peuple grec le 5 juillet. 32 députés de Syriza ont sauvé l’honneur en votant contre (s’y ajoutent 7 députés Syriza qui se sont abstenus). En s’opposant à la capitulation, ces députés de Syriza ont respecté le mandat populaire et le programme de leur parti sans céder au chantage. Le premier ministre a obtenu une majorité grâce aux partis de droite, Nouvelle démocratie, Pasok (qui n’a plus rien de socialiste), Potami et Grecs indépendants. Cela change radicalement la situation.

Le 5 juillet 2015, à l’issue du référendum initié par le gouvernement d’Alexis Tsipras et le parlement hellène, le peuple grec a rejeté massivement la poursuite de l’austérité que voulaient lui imposer les institutions qui auparavant agissaient sous le nom de Troïka. C’est une splendide victoire de la démocratie.

L’accord intervenu le lundi 13 juillet au matin et adopté par le parlement grec dans la nuit du 15 au 16 juillet signifie la poursuite de l’austérité dans le cadre d’un nouvel accord pluriannuel. Ce qui est en totale contradiction avec le résultat du référendum. Le parlement a adopté cet accord sous la menace des créanciers (chantage à la faillite des banques et au Grexit) qui ont exercé délibérément une coercition sur les autorités grecques.

Cet accord inclut l’abandon d’une série très importante d’engagements pris par Syriza lors de la campagne électorale qui lui ont permis d’obtenir une victoire d’une portée historique le 25 janvier 2015. Syriza a engagé sa responsabilité devant le peuple grec et il est tragique qu’une majorité de ses députés et de ses ministres ne l’ait pas respecté, d’autant que le peuple a apporté un appui très clair à Syriza tant le 25 janvier que le 5 juillet 2015.

Les concessions faites aux créanciers par le gouvernement et le parlement grecs portent sur les retraites, avec une nouvelle diminution de leur montant (alors que Syriza s’était engagé à rétablir le 13e mois pour les retraites inférieures à 700 euros par mois) et un allongement de l’âge de départ, les salaires qui resteront comprimés, les relations de travail qui seront encore plus précarisées, l’augmentation des impôts indirects y compris ceux supportés par les bas revenus, la poursuite et l’accélération des privatisations, l’accumulation de nouvelles dettes illégitimes (au moins 80 milliards supplémentaires) afin de rembourser les précédentes et de continuer à recapitaliser les banques tout en les laissant aux mains du secteur privé responsable de la crise, le transfert des actifs grecs de valeur dans un fonds indépendant, la poursuite de l’abandon d’éléments importants du droit à l’autodétermination, la limitation du pouvoir législatif au profit de celui des créanciers...

Contrairement à ceux qui affirment qu’en échange de ces concessions néfastes, la Grèce obtiendra trois ans de répit et pourra relancer de manière importante l’activité économique, la réalité montrera qu’avec le maintien de la compression de la demande des ménages et de la dépense publique, il sera impossible de dégager l’excédent budgétaire primaire annoncé dans le plan.

Les conséquences néfastes sont inéluctables : dans quelques mois ou au début de l’année prochaine au plus tard, les créanciers attaqueront les autorités grecques pour non-respect de leurs engagements en termes d’excédent budgétaire primaire et avanceront de nouvelles exigences. Il n’y aura pas de répit pour le peuple et pour le gouvernement grecs. Les créanciers menaceront de ne pas débourser les sommes prévues si de nouvelles mesures d’austérité ne sont pas adoptées. Les autorités grecques seront prises dans l’engrenage des concessions |1|.

La Commission pour la Vérité sur la Dette publique instituée par la présidente du Parlement grec a établi dans son rapport préliminaire rendu public les 17 et 18 juin 2015 que la dette réclamée par les actuels créanciers doit être considérée comme illégitime, illégale et odieuse. La Commission a également démontré que son remboursement est insoutenable. Sur la base d’arguments fondés sur le droit international et le droit interne, le gouvernement grec aurait dû suspendre de manière souveraine le paiement de la dette afin que l’audit des dettes soit conduit à son terme. Une telle suspension de paiement était et est tout à fait possible. Depuis février 2015, la Grèce a remboursé 7 milliards d’euros aux créanciers sans que ceux-ci versent les 7,2 milliards qui devaient l’être dans le cadre du programme qui a pris fin au 30 juin 2015. D’autres sommes auraient dû être versées à la Grèce et ne l’ont pas été : les intérêts perçus par la BCE sur les titres grecs, le solde prévu pour la recapitalisation des banques, etc. Si la Grèce avait suspendu le paiement de la dette à l’égard des créanciers internationaux, elle aurait économisé près de 12 milliards d’euros qu’elle est supposée leur rembourser d’ici la fin de l’année 2015 |2|. En suspendant le paiement de la dette, les autorités grecques aurait pu amener les créanciers à faire des concessions. Une réduction radicale du montant de la dette aurait pu en découler soit par la voie de la négociation, soit par celle de la répudiation unilatérale en cas d’échec de la négociation. En appliquant l’accord du 13 juillet, le gouvernement va se rendre directement complice de la violation des droits humains afin de rembourser une dette illégitime, illégale, odieuse et insoutenable.

Chacun a pu faire le constat qu’il est impossible de convaincre par la simple discussion la Commission européenne, le FMI, la BCE et les gouvernements néolibéraux au pouvoir dans les autres pays européens de prendre des mesures qui respectent les droits des citoyens grecs ainsi que ceux des peuples en général. Le référendum du 5 juillet qu’ils ont combattu ne les a pas convaincus. Au contraire, bafouant les droits démocratiques fondamentaux, ils ont radicalisé leurs exigences. Sans prendre des mesures souveraines fortes d’autodéfense, les autorités et le peuple grecs ne pourront pas mettre fin à la violation des droits humains perpétrés à la demande des créanciers. Toute une série de mesures devraient être prises à l’échelle européenne pour rétablir la justice sociale et une authentique démocratie. Techniquement, il n’est pas compliqué de les prendre mais il faut bien constater que dans le contexte politique et avec les rapports de force qui prévalent dans l’Union européenne, les pays avec un gouvernement progressiste ne peuvent pas espérer être entendus ni soutenus par la Commission européenne, la BCE, le Mécanisme européen de stabilité. Au contraire, tant ces institutions que le FMI et les gouvernements néolibéraux en place dans les autres pays combattent activement l’expérience en cours en Grèce afin de démontrer à tous les peuples d’Europe qu’il n’y a pas d’alternatives au modèle néolibéral. En revanche, par des mesures fortes, les autorités grecques auraient pu leur arracher de véritables concessions ou simplement les obliger à prendre acte des décisions prises. A tort, le gouvernement d’Alexis Tsipras a pris la voie de la négociation permanente dans le seul but de renouveler un accord avec les créanciers alors qu’il fallait y mettre fin.

Il était fondamental également de fonder une stratégie alternative en suscitant des mobilisations populaires massives en Grèce et dans les autres pays d’Europe. Les autorités grecques auraient pu s’appuyer dessus pour empêcher les tentatives d’isolement que n’ont pas manqué d’organiser toutes les forces opposées aux changements en faveur de la justice sociale. En retour, une telle démarche du gouvernement grec aurait renforcé les mobilisations populaires et la confiance en leurs propres forces des citoyens mobilisés. La réalisation du référendum du 5 juillet aurait pu constituer un élément clé de cette mobilisation mais la victoire du non (précédé d’une grande mobilisation de rue) n’a pas été respectée puisque dès le lendemain le gouvernement se réunissait avec la droite pour préparer une proposition qui faisait des concessions inacceptables aux créanciers.

A côté de la suspension du paiement de la dette illégitime, illégale, odieuse et insoutenable, voici quelques propositions à soumettre d’urgence au débat démocratique car elles sont de nature à aider la Grèce à se relever. Evidemment, ce n’est pas le gouvernement actuel qui voudra appliquer ces mesures.

1. Les pouvoirs publics grecs constituent de loin l’actionnaire majoritaire des grandes banques grecques (représentant plus de 80% du marché bancaire grec) et devraient donc exercer pleinement le contrôle des banques afin de protéger l’épargne des citoyens et relancer le crédit interne pour soutenir la consommation. D’une part, il conviendrait de tirer les conséquences de la participation majoritaire de l’Etat dans les banques en leur conférant un statut d’entreprise publique. L’Etat devrait organiser une faillite ordonnée de ces banques en veillant à protéger les petits actionnaires et les épargnants (dépôts totalement protégés jusque 100 000 €). Il s’agit de récupérer le coût de l’assainissement des banques sur le patrimoine global des gros actionnaires privés car ce sont eux qui ont provoqué la crise et ont ensuite abusé du soutien public. Une bad bank serait créée pour isoler les actifs toxiques en vue d’une gestion extinctive. Il faut une fois pour toutes faire payer les responsables de la crise bancaire, assainir en profondeur le secteur financier et le mettre au service de la population et de l’économie réelle.

2. Les autorités grecques doivent réquisitionner la banque centrale. A sa tête se trouve aujourd’hui Yannis Stournaras (placé à ce poste par le gouvernement d’Antonis Samaras) qui met toute son énergie à empêcher le changement voulu par la population. C’est un véritable cheval de Troie qui sert les intérêts des grandes banques privées et des autorités européennes néolibérales. La banque centrale de Grèce doit être mise au service des intérêts de la population grecque.

3. Les autorités grecques ont également la possibilité de créer une monnaie électronique (libellée en euro) à usage interne au pays. Les pouvoirs publics pourraient augmenter les retraites ainsi que les salaires de la fonction publique, payer les aides humanitaires aux personnes en leur ouvrant un crédit en monnaie électronique qui pourrait être utilisé pour de multiples paiements : facture d’électricité, d’eau, paiement des transports en commun, paiement des impôts, achats d’aliments et de biens de première nécessité dans les commerces, etc. Contrairement à un préjugé infondé, même les commerces privés auraient tout intérêt à accepter volontairement ce moyen de paiement électronique car cela leur permettra à la fois d’écouler leurs marchandises et de régler des paiements à l’égard des administrations publiques (paiement des impôts et de différents services publics qu’ils utilisent). La création de cette monnaie électronique complémentaire permettrait de diminuer les besoins du pays en euros. Les transactions dans cette monnaie électronique pourraient être réalisées par les téléphones portables comme c’est le cas aujourd’hui en Equateur.

4. Le contrôle sur les mouvements de capitaux doit être maintenu de même que doit être mis en place un contrôle des prix à la consommation.

5. L’organisme chargé des privatisations doit être dissout et doit être remplacé par une structure publique de gestion des biens nationaux (avec arrêt immédiat des privatisations) chargée de protéger le patrimoine public tout en générant des revenus.

6. De nouvelles mesures doivent être adoptées dans un souci de justice fiscale en vue de renforcer très nettement celles déjà prises, notamment en décidant de taxer très fortement les 10 % les plus riches (et en particulier le 1% le plus riche) tant sur leurs revenus que sur leur patrimoine. De même, il convient d’augmenter fortement l’impôt sur les bénéfices des grandes entreprises privées et de mettre fin à l’exemption fiscale des armateurs. Il faut aussi taxer plus fortement l’Eglise orthodoxe qui n’a versé que quelques millions d’euros d’impôts en 2014.

7. Une réduction radicale des impôts sur les bas revenus et les petits patrimoines doit être décidée, ce qui bénéficierait à la majorité de la population. Les taxes sur les produits et services de première nécessité doivent baisser radicalement. Une série de services de première nécessité doivent être gratuits (électricité et eau limitées à une certaine consommation, transports publics, etc.). Ces mesures de justice sociale relanceront la consommation.

8. La lutte contre la fraude fiscale doit être intensifiée avec la mise en place de mesures très dissuasives contre la grande fraude fiscale. Des sommes importantes peuvent être récupérées.

9. Un vaste plan public de création d’emplois doit être mis en œuvre pour reconstruire des services publics dévastés par des années d’austérité (par exemple, en matière de santé et d’éducation) et pour poser les premiers jalons de la nécessaire transition écologique.

10. Ce soutien au secteur public doit être accompagné de mesures visant à apporter un soutien actif à la petite initiative privée qui joue un rôle essentiel aujourd’hui en Grèce à travers les micro-entreprises.

11. Réaliser une politique d’emprunt public interne via l’émission de titres de la dette publique à l’intérieur des frontières nationales. En effet, l’État doit pouvoir emprunter afin d’améliorer les conditions de vie des populations, par exemple en réalisant des travaux d’utilité publique. Certains de ces travaux peuvent être financés par le budget courant grâce à des choix politiques affirmés, mais des emprunts publics peuvent en rendre possibles d’autres de plus grande envergure, par exemple pour passer du « tout automobile » à un développement massif des transports collectifs, développer le recours aux énergies renouvelables respectueuses de l’environnement, créer ou rouvrir des voies ferrées de proximité sur tout le territoire en commençant par le territoire urbain et semi-urbain, ou encore rénover, réhabiliter ou construire des bâtiments publics et des logements sociaux en réduisant leur consommation d’énergie et en leur adjoignant des commodités de qualité. Il s’agit aussi de financer le vaste plan de création d’emplois proposé plus haut.

Il faut définir de toute urgence une politique transparente d’emprunt public. La proposition que nous avançons est la suivante : 1. la destination de l’emprunt public doit garantir une amélioration des conditions de vie, rompant avec la logique de destruction environnementale ; 2. le recours à l’emprunt public doit contribuer à une volonté redistributive afin de réduire les inégalités. C’est pourquoi nous proposons que les institutions financières, les grandes entreprises privées et les ménages riches soient contraints par voie légale d’acheter, pour un montant proportionnel à leur patrimoine et à leurs revenus, des obligations d’État à 0 % d’intérêt et non indexées sur linflation, le reste de la population pourra acquérir de manière volontaire des obligations publiques qui garantiront un rendement réel positif (par exemple, 3%) supérieur à l’inflation. Ainsi si l’inflation annuelle s’élève à 2%, le taux d’intérêt effectivement payé par l’Etat pour l’année correspondante sera de 5%. Une telle mesure de discrimination positive (comparable à celles adoptées pour lutter contre l’oppression raciale aux États-Unis, les castes en Inde ou les inégalités hommes-femmes) permettra d’avancer vers davantage de justice fiscale et vers une répartition moins inégalitaire des richesses.
Enfin, les autorités grecques doivent veiller à la poursuite du travail de la commission d’audit et des autres commissions qui travaillent sur les mémorandums et les dommages de guerre.

D’autres mesures complémentaires, discutées et décidées d’urgence démocratiquement, sont bien sûr susceptibles de venir compléter ce premier dispositif d’urgence qui peut être résumé avec les cinq piliers suivants :
-  la prise de contrôle par l’Etat des banques et d’une partie de la création monétaire,
-  la lutte contre la fraude fiscale et la mise en place d’une réforme fiscale juste apportant à l’Etat les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de sa politique,
-  la protection du patrimoine public et sa mise au service de l’ensemble de la collectivité,
-  la réhabilitation et le développement des services publics,
-  le soutien à une initiative privée de proximité.

Il est également important d’engager la Grèce dans un processus constituant avec participation citoyenne active afin de permettre des changements démocratiques structurels. Pour réaliser ce processus constituant, il faut convoquer, via une consultation au suffrage universel, l’élection d’une assemblée constituante chargée d’élaborer un projet de nouvelle Constitution. Une fois le projet adopté par l’assemblée constituante qui devra fonctionner en recevant les cahiers de doléances et les propositions émanant du peuple, il sera soumis au suffrage universel.

Sortie de la zone euro. Vu l’acceptation de l’accord du 13 juillet par le parlement grec, la perspective de la sortie volontaire de l’euro est une option à mettre clairement en avant. De plus en plus de Grecs et de citoyens d’autres pays d’Europe comprennent qu’il n’y a pas de solution favorable aux peuples à l’intérieur de la zone euro. En cas de sortie de la zone euro, les mesures indiquées plus haut sont également adaptées, en particulier la socialisation des banques à l’instar de la nationalisation du système bancaire mis en France à la Libération. Ces mesures devraient être combinées avec une importante réforme monétaire redistributive pouvant s’inspirer de la réforme monétaire réalisée après la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement belge. Cette réforme vise à opérer une ponction notamment sur les revenus de ceux qui se sont enrichis sur le dos des autres. Le principe est simple : il s’agit, lors d’un changement de monnaie, de ne garantir la parité automatique entre l’ancienne et la nouvelle monnaie (un ancien euro contre une nouvelle drachme par exemple) que jusqu’à un certain plafond.

Au-dessus de ce plafond, la somme excédentaire doit être placée sur un compte bloqué, et son origine justifiée et authentifiée. En principe, ce qui excède le plafond fixé est changé à un taux moins favorable (par exemple, deux anciens euros contre une nouvelle drachme) ; en cas d’origine délictueuse avérée, la somme peut être saisie. Une telle réforme monétaire permet de répartir une partie de la richesse de manière plus juste socialement. Un autre objectif de la réforme est de diminuer la masse monétaire en circulation de manière à lutter contre des tendances inflationnistes. Pour qu’elle soit efficace, il faut avoir établi un contrôle strict sur les mouvements de capitaux et sur les changes.
Voici un exemple (bien sûr, les barèmes indiqués peuvent être modifiés après étude de la répartition de l’épargne liquide des ménages et adoption de critères rigoureux) :

1€ s’échangerait contre 1 nouvelle Drachme (n.D.) jusque 200.000 euros
1€ = 0,7 n.D. entre 200.000 et 500.000 euros
1€ = 0,4 n.D. entre 500.000 et 1 million d’euros
1€ = 0,2 n.D. au dessus de 1 million d’euros

Si un foyer a 200.000 euros en liquide, il obtient en échange 200.000 n.D.
S’il a 400.000 euros, il obtient 200.000 + 140.000 = 340.000 n.D.
S’il a 800.000 euros, il obtient 200.000 + 210.000 + 120.000 = 530.000 n.D.
S’il a 2 millions d’euros, il obtient 200.000 + 210.000 + 200.000 + 200.000 = 810.000 n.D.

Une vraie logique alternative peut être enclenchée. Et la Grèce peut enfin cesser d’être sous la coupe de ses créanciers. Les peuples d’Europe pourraient retrouver l’espoir dans le changement en faveur de la justice. Pour contribuer à cela il faut renforcer les efforts de mobilisation populaire tant en Grèce qu’en Europe.

 

 

 
Notes

|1| L’auteur remercie Stavros Tombazos, Daniel Munevar, Patrick Saurin, Michel Husson et Damien Millet pour leurs conseils dans la rédaction de ce document. L’auteur porte néanmoins l’entière responsabilité du contenu de ce texte.

|2| 6,64 milliards d’euros et 5,25 milliards d’euros doivent être respectivement payés à la BCE et au FMI d’ici le 31 décembre 2015. Source : Wall Street Journal, http://graphics.wsj.com/greece-debt-timeline/ consulté le 12 juillet 2015

Auteur

Eric Toussaint

est maître de conférence à l’université de Liège, préside le CADTM Belgique et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Procès d’un homme exemplaire, Editions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet du livre AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège Dernier livre : Bancocratie ADEN, Brussels, 2014. Il est coordonnateur de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

 

Partager cet article
Repost0
19 juillet 2015 7 19 /07 /juillet /2015 16:51

 

Source : http://www.marianne.net

 

Grèce : les "jours d'après" sentent le souffre

Panagiotis Grigoriou
 
 
 
Sur son blog "Greek crisis", Panagiotis Grigoriou nous décrit dans le détail les jours d'après le référendum. Et ils sont guère réjouissants : "Chez Syriza, c’est l’instance de divorce entre l’aile gauche et l’aile droite." Et il poursuit : "Cet été grec sera brûlant. La déstabilisation du pays (et pas seulement de son gouvernement) a commencé." Il évoque les "heurts" entre la police et des membres de la jeunesse Syriza", de possibles "législatives anticipées à l’automne" et "les incendies du jour qui ont déjà fait leurs premiers morts". "La partie se termine, écrit-il, La prochaine sera encore plus dure mais cette fois-ci, elle le sera pour tout le monde. Les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Français... voire les Allemands."
 
La banlieue Est d'Athènes - Petros Karadjias/AP/SIPA
 

La fin du jeu, c’est pour bientôt. Plus exactement, nous arrivons au bout d’une partie, changement de niveau. En Grèce, cette montée de niveau dans le jeu prétotalitaire du logiciel européiste ne fait guère de toute. Athènes, devient Guernica de ce si piètre siècle d’après et d’emblée, ville jadis bombardée par les avions de la Légion Condor allemande nazie en 1937. En 2015, la bancocratie et la dite « monnaie européenne », sont les armes de destruction massive aux mains des élites ordolibérales, celles de l’Allemagne d’abord pour ce qui nous concerne.

Le traitement infligé à la Grèce tient de l’avant-goût de ce qui se produira en Italie, en Espagne, ou en France. Nous avons ici, certainement cinq ans d’avance sur l’avenir de l’Europe, le vrai Futuroscope est plutôt visitable... à Athènes.

 

Lire la suite sur Greek crisis

 

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2015 4 16 /07 /juillet /2015 21:24

 

Source : https://www.youtube.com

 

 

Inculture(s) 1 : La culture - Franck Lepage - Scop Le Pave - Conférence gesticulée

 

rabatakeu

 

Ajoutée le 5 mars 2012
 

Inculture(s) 1 - La culture : « L'éducation populaire, monsieur, ils n'en ont pas voulu » ou « Une autre histoire de la culture ».
Conférence gesticulée par Franck Lepage de la Scop « Le Pavé » (Coopérative d'éducation populaire).
Petits contes politiques et autres récits non autorisés enregistrés le 21 mai 2007 à l'espace Jemmapes de Paris.

« ... Avant j'étais prophète... Prophète salarié. Mon travail consistait à dire la vérité (la vérité officielle). Et puis un jour, je me suis mis à mentir, et ils ont adoré. On me faisait venir de plus en plus souvent. On me disait que cela mettait de l'animation et de la démocratie. Quand ils ont trouvé que j'allais trop loin, ils m'ont viré. Depuis je suis clown... Clown-consultant » F.L.

Le Pavé est une coopérative d'éducation populaire qui vise à réintroduire du politique dans le débat public. Cela suppose d'avoir du temps, des techniques, des méthodes pour permettre le témoignage, le récit, l'expression « libérée » et authentique.
Site officiel : http://www.scoplepave.org

-----

Les autres conférences incultures :
Inculture(s) 1 : La culture - http://www.youtube.com/watch?v=9MCU7A...
Inculture(s) 2 : L'éducation - http://www.youtube.com/watch?v=ACxRSS...
Inculture(s) 2 : L'éducation - Version alternative - http://www.youtube.com/watch?v=96-8F7...
Inculture(s) 4 : Faim de pétrole - http://www.youtube.com/watch?v=SpDAoO...
Inculture(s) 5 : Le travail - http://www.youtube.com/watch?v=cqIcOa...
Inculture(s) 8 : L'eau, ça chie - http://www.youtube.com/watch?v=hijW2y...
Inculture(s) 9 : Le Management - http://www.youtube.com/watch?v=F0pTUK...
----
Hélicoïdée : Conception et développement en électronique (systèmes autonomes à microcontrôleurs, banc d'essais industriels...), optique (systèmes à lentilles, réducteurs de Speckle, mesure infra-rouge, lasers visibles et Nir, à fibres optiques télécom...) et télécommunication hautes fréquences (Wifi, Bluetooth, Rfid, antennes...).
http://www.helicoidee.com

 

 

Source : https://www.youtube.com/watch?v=9MCU7ALAq0Q

 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2015 4 16 /07 /juillet /2015 20:09

 

Source ; http://www.reporterre.net

 

 

Face à la dictature du néo-libéralisme, les communs sont de retour

15 juillet 2015 / Barnabé Binctin (Reporterre)
 


 

Alors qu’en Grèce, le néo-libéralisme impose sa loi inflexible, donnant tout au marché et prônant la privatisation intégrale des biens publics, la théorie des biens communs grandit et propose un autre chemin.


Quel est le point commun entre le « Boléro » de Ravel, la Cordillère des Andes et Wikipedia ? La réponse est dans la question : le commun. Le Boléro de Ravel, en tant qu’œuvre qui reviendra au domaine public en 2016, la Cordillère des Andes, en tant que ressource naturelle et patrimoine culturel à préserver, et Wikipedia, en tant que plateforme encyclopédique libre et participative, sont trois avatars distincts de ce qu’on appelle les biens communs – ou simplement les « communs ».

L’idée n’est pas tout à fait nouvelle. Dans son livre d’entretiens intitulé Le bien commun, Noam Chomsky rappelle que cette philosophie puise sa source dans la Politique d’Aristote : « Pour Aristote, la démocratie doit nécessairement être participative (…) et viser le bien commun ». D’autres évoquent la magna carta, dont on célébrait le 15 juin, les 800 ans d’existence. Ce texte fondateur du droit anglo-saxon, considéré comme un « prémice de l’invention de la démocratie », s’accompagnait d’une Charte de la forêt, première à instituer les biens communs avec l’idée d’un accès partagé aux ressources naturelles.

Ce sont les travaux plus récents d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, qui ont relancé l’intérêt pour ce concept. Or, alors que la question de la gestion des ressources naturelles se pose chaque jour avec plus d’acuité, Mme Ostrom s’est attachée à démontrer que, depuis longtemps et presque partout dans le monde, des communautés ont su s’organiser de manière collective et autonome pour gérer ensemble des biens communs.

Une définition incertaine

Mais qu’est-ce donc exactement qu’un bien commun ? Le terme recoupe aujourd’hui un ensemble très varié : des ressources naturelles, à l’image de la terre ou des semences, les logiciels libres, une bibliothèque ou l’information que vous lisez sur Reporterre peuvent être assimilés à des biens communs… tout comme le langage lui-même : « Une ressource que tout le monde peut utiliser librement, mais dont les mots et les lettres font de plus en plus souvent l’objet de marques déposées », souligne David Bollier dans l’introduction de La renaissance des communs.

Le bien commun peut donc être matériel (l’œuvre d’art) et immatériel (la connaissance), il peut s’agir d’une ressource (l’eau) ou du service associé (l’accès à l’énergie), embrasser le cadre global de la planète terre (la biodiversité mondiale) ou localisé sur un territoire (les forêts tropicales) : le terme est riche d’une grande diversité d’aspects tout autant que d’interprétations. « Lâcher le terme de bien commun dans une salle fait l’effet d’une petite bombe… qui explose différemment dans la tête de chaque personne » écrit de son côté Pablo Servigne.

 

Ni Etat, ni marché

Si historiquement, le commun évoque d’abord ce qui appartient à tous et donc à personne – autrement dit, ce qui n’est pas appropriable – le travail de réflexion autour de la définition des biens communs intègre de nouvelles dimensions. « Il ne s’agit plus tant de la ressource elle-même que du processus de travail qui vise à partager cette ressource », analyse Hervé le Crosnier, enseignant-chercheur spécialisé sur les biens communs. Les communs deviennent la troisième voie, un système de gestion intermédiaire entre le marché et l’Etat.

Car si la voie de la privatisation totale des ressources, gérées par le marché, ne fonctionne pas, Pablo Servigne rappelle que « les cas où la ressource est gérée par une institution centralisée unique (souvent l’Etat) mènent aussi à des désastres ». La théorie des biens communs s’offre comme la solution alternative, grâce à « la clarté d’un nouveau paradigme qui répond à plein de questions que l’on se pose sur l’absence de l’Etat, la force excessive du marché, la place du citoyen et de la société civile, etc. », explique Philippe Cacciabue, fondateur de la foncière Terres de lien, outil de mutualisation du foncier agricole pour les paysans.

« De plus en plus de gens se rendent compte que les gouvernements et les marchés ne peuvent pas, et ne veulent pas, résoudre leurs problèmes. Tous deux sont structurellement limités dans leurs capacités », poursuit David Bollier. « Les communs séduisent de nombreuses personnes parce qu’ils leur fournissent les moyens de définir collectivement leurs propres règles et de concevoir leurs propres solutions pratiques. Le sens fondamental des communs est précisément celui-là : agir et coopérer avec ses pairs, de manière auto-organisée, pour satisfaire ses besoins essentiels. »

Les « commoneurs » défrichent un nouvel imaginaire

De fait, ils sont de plus en plus nombreux à se revendiquer de la philosophie des biens communs, au fur et à mesure que l’approche s’impose dans le paysage. « Je me suis senti comme Monsieur Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme : j’ai réalisé que cela faisait trente ans que je faisais des communs sans le savoir », raconte Etienne Le Roy, juriste et anthropologue.

Un néologisme incertain les désigne même, désormais : les « commoneurs », que le journaliste Olivier Petitjean définit comme les « acteurs d’un système de production, de relations sociales et de gouvernance alternatif au néolibéralisme ». Silvère Mercier, co-fondateur du collectif Savoirs Com1 et communeur assumé, y voit par exemple « une brèche, un nouvel imaginaire qui s’ouvre et qui permet de réinterroger notre rapport au politique, au droit et à l’économie ».

S’il peine encore à se rendre visible, ce vaste mouvement tend à se structurer autour de quelques plateformes qui rassemblent des acteurs très hétéroclites. OpenStreetmap (projet de cartographie mondiale librement modifiable), le Festival du domaine public (festival consacré aux œuvres libres de droit), les Petits débrouillards (réseau d’éducation populaire à la science) ou bien encore...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source ; http://www.reporterre.net

 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2015 4 16 /07 /juillet /2015 18:29

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Que s’est-il passé de positif en juin 2015 ?

16 juillet par Bonnes nouvelles

 

La célèbre expression de Margaret Thatcher « TINA » (There Is No Alternative) est tout sauf vraie. Partout sur la planète, des alternatives sociales, économiques, démocratiques et écologiques se mettent en place. Partout dans le monde, des hommes et des femmes refusent et combattent l’injustice. Certains de ces combats mènent à des victoires…

 

Voir les bonnes nouvelles

Le courage politique, ça existe ! Lire

  • Borgerhout, première zone hors TTIP de Flandre
  • La proposition de loi contre les fonds « vautour » adoptée
  • Allocation universelle : la Finlande fait le test !
  • Le « non » largement en tête du référendum grec
  • Cuba, premier pays à éliminer la transmission du Sida et de la syphilis de la mère à l’enfant
  • Utrecht, la ville où la pauvreté n’existera (peut-être) plus

C’est la lutte sociale qui paie Lire

  • Les « indignés » prennent les mairies de Madrid et Barcelone
  • Après 2 ans d’arrêt, la radio-télé publique ERT émet à nouveau en Grèce
  • En Espagne, les citoyens font plier les banques...
  • Victoire pour les travailleurs de la Deustche Post !

Le droit comme instrument de lutte Lire

  • La Cour constitutionnelle abroge la loi sur la conservation des données des communications électroniques
  • Grèce : les coupes dans les retraites jugées inconstitutionnelles

Reconnaître ses erreurs Lire

  • Barack Obama sur le mariage gay : « Une victoire pour l’Amérique »

 

 
Auteur
 
Bonnes nouvelles

La célèbre expression de Margaret Thatcher « TINA » (There Is No Alternative) est tout sauf vraie. Partout sur la planète, des alternatives sociales, économiques, démocratiques et écologiques se mettent en place. Partout dans le monde, des hommes et des femmes refusent et combattent l’injustice.
www.bonnes-nouvelles.be

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2015 4 16 /07 /juillet /2015 16:06

 

Source : http://www.lemonde.fr

 

 

Center Parcs de Roybon : une décision de justice en forme de coup d’arrêt

Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le

 
 
Sur le terrain, le bras de fer se poursuit. Quarante hectares de forêt sur les quatre-vingts prévus ont été défrichés depuis le 20 octobre, mais les travaux sont bloqués par des militants qui ont investi le chantier au début de décembre, et installé une zone à défendre (ZAD). Le préfet de l’Isère avait annoncé que les zadistes pourraient être expulsés au mois de juillet.
 
C’est un coup d’arrêt porté au projet controversé de Center Parcs à Roybon, en Isère. Le tribunal administratif de Grenoble a décidé, jeudi 16 juillet, d’annuler un arrêté préfectoral indispensable à la construction du village vacances — un projet de 990 habitations de 54 mètres carrés à 170 mètres carrés autour d’une « bulle tropicale » de 200 hectares, au cœur de la forêt de Chambaran.
 
« Nous avons eu connaissance du sens de la décision : l’arrêté [relatif à la] loi sur l’eau est annulé. Mais on ne sait pas quels moyens le tribunal a retenus. On est en attente du jugement complet », a toutefois pris soin de présicer à l’Agence France-Presse Emmanuel Wormser, porte-parole juridique de la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature), qui avait déposé deux recours contre le projet.
 
Le jugement complet doit être rendu public dans l’après-midi par le tribunal. Le groupe Pierre & Vacances, porteur du projet, a immédiatement annoncé son intention de faire appel, en se disant « convaincu du bien-fondé économique et environnemental du projet sur lequel il est engagé depuis sept ans ».
 
Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement, a également réagi :
 
« Au-delà du jugement, c’est le modèle des Center Parcs qui est remis en question. Est-il nécessaire d’artificialiser la nature pour la faire aimer ? N’est-ce pas trop anticiper le réchauffement climatique que de fabriquer des bulles tropicales ? Préférons l’écotourisme qui valorise le patrimoine naturel et culturel de France sans le détruire. »
 

Lire aussi notre reportage : A Roybon, la guerre d'usure entre les partisans et les opposants au projet de Center Parcs

Nombreux rebondissements judiciaires

La juridiction administrative va donc dans le sens des conclusions du rapporteur public, qui avait recommandé, le 2 juillet, au tribunal « l’annulation totale », immédiate et rétroactive, de l’arrêté du 3 octobre 2014 autorisant le projet porté par le groupe Pierre & Vacances, au titre de la loi sur l’eau.

Le magistrat avait expliqué que cet arrêté était illégal en raison de l’absence de saisine de la Commission nationale du débat public et du fait de l’insuffisance des mesures compensant la destruction de zones humides.

Ces arguments sur la loi sur l’eau avaient déjà été retenus par le juge des référés qui avait suspendu ce même arrêté le 23 décembre. Mais le Conseil d’Etat avait ensuite invalidé son jugement à la mi-juin. La plus haute juridiction administrative française a considéré que les mesures prises pour compenser la destruction des zones humides sur le chantier étaient suffisantes, contrairement à ce qu’avançaient les opposants au projet.

Deux arrêtés contestés

Ces derniers contestent la légalité des deux arrêtés pris par le préfet de l’Isère, les 3 et 16 octobre 2014, qui ont fait office de blanc-seing au démarrage des travaux, à l’automne.

Le premier — celui qui est invalidé aujourd’hui — autorise le projet au titre de la loi sur l’eau ; le second permet la destruction de l’habitat d’une cinquantaine d’espèces protégées (amphibiens, reptiles, écureuils, écrevisses…). Sur le second arrêté qu’ils contestent, les opposants n’ont donc pas été entendus par le tribunal administratif de Grenoble.

Malgré le sentiment de victoire qui semblait prévaloir parmi les opposants au projet jeudi, les militants zadistes qui occupent une maison forestière à proximité du chantier depuis décembre, bloquant ainsi l’avancement des travaux, ont appelé à maintenir leur occupation « aujourd’hui et ce jusqu’à l’abandon définitif des projets de construction ». Le préfet de l’Isère avait annoncé que les zadistes pourraient être expulsés au mois de juillet en cas de validation du projet.

Lire le portrait : Moi, Martin, 20 ans, zadiste à visage découvert

Quarante hectares de forêt sur les quatre-vingts prévus doivent encore être défrichés avant d'attaquer les constructions de ce complexe de mille cottages. De nombreux riverains sont pour leur part favorable à ce projet, souvent pour des motifs économiques.

 

 

Source : http://www.lemonde.fr

 

 


*Pour en savoir plus : http://www.mediapart.fr/journal/economie/100715/center-parcs-enquete-sur-une-aberration-faite-de-beton-et-de-niches-fiscales?onglet=full

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2015 4 16 /07 /juillet /2015 15:59

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Center Parcs: enquête sur une aberration faite de béton et de niches fiscales

|  Par Jade Lindgaard

 

 

 

Roi du bétonnage, le groupe Pierre et Vacances bénéficie d’un soutien financier inédit des pouvoirs publics, à coups de gigantesques niches fiscales, pour une offre de tourisme stéréotypée et déficitaire. C’est aussi un gros émetteur de gaz à effet de serre. Son dernier Center Parcs, à Roybon, est pour l'instant suspendu.

Vendredi 10 juillet, à 9 heures, Laurent Fabius avait inscrit un important rendez-vous à son agenda de ministre des affaires étrangères, l’inauguration d’un nouveau Center Parcs à Morton, dans la Vienne : 264 hectares de surface arborée, 800 cottages, une bulle d’air tropical avec piscine et toboggans. La veille, il a finalement annulé sa venue. Le nouveau site de vacances du groupe Pierre et Vacances appâte les dirigeants politiques. Ségolène Royal – encore présidente de la région Poitou-Charentes – est venue lancer le chantier en avril 2014 avec Jean-Pierre Raffarin, sénateur du cru.

 

Ségolène Royal, lors de l'inauguration du chantier du Center Parcs de Morton, dans un reportage de F3.
Ségolène Royal, lors de l'inauguration du chantier du Center Parcs de Morton, dans un reportage de F3.
 

Ce ne sont pas que de simples mondanités institutionnelles. C’est la marque d’un soutien officiel et répété des pouvoirs publics à un groupe qui bétonne des dizaines d’hectares chaque année, détruisant espaces naturels et paysages à grands renforts d’argent public et de subsides des particuliers, au service d’une offre de tourisme stéréotypée et gravement déficitaire.

Au premier semestre, le groupe Pierre et Vacances a perdu 87 millions d’euros, après en avoir consumé 110 l’an précédent sur la même période. Sur les trois dernières années, en exercice complet, il a perdu près de 102 millions d’euros (en résultat net). La construction puis l’exploitation des Center Parcs et autres résidences de villégiature émettent des dizaines de milliers de tonnes de CO2. Ce désastreux bilan carbone rend surréelle la présence du ministre de la COP 21, le sommet du climat, lors de la cérémonie d’ouverture à Morton.

En Isère, des dizaines de personnes occupent la forêt de Chambaran pour bloquer les travaux d’un autre Center Parcs, celui de Roybon. Et l'occupation pourrait bien durer, le tribunal administratif de Grenoble ayant décidé jeudi 16 juillet d'annuler un arrêté préfectoral indispensable à la construction du centre. « Cela n’a aucun rapport, Laurent Fabius vient avec sa casquette de soutien au tourisme », assurait le Quai d’Orsay avant d'annuler sa visite. C’est pourtant bien l’absence de lien fait entre la lutte contre le dérèglement climatique et la promotion de ce type de tourisme qui pose problème. 


La puissance publique ne ménage pas sa peine pour aider le groupe de Gérard Brémond, qui développe depuis la fin des années 60 un empire dans l’industrie du tourisme autour du principe de la location de résidences de vacances et de « temps partagé ». Son coup d’éclat initial fut la création de la station de ski d’Avoriaz. Pour « le Domaine du bois aux daims », nom du nouveau Center Parcs de la Vienne, c’est un partenariat public-privé qui finance les 138 millions d’euros d’investissement, sans aucune mise de fonds de Pierre et Vacances. Tous les coûts sont assumés par les collectivités locales et la Caisse des dépôts, dont un emprunt de 68 millions d’euros sur 22 ans, complétés par 5 millions de subventions de l’État. Les actionnaires de la société d’économie mixte locale toucheront un loyer versé par l’exploitant. Plus de la moitié des cottages ont été achetés par des investisseurs institutionnels. Bref : le promoteur du parc ne débourse quasiment rien.

 

Plan du Center Parcs à Morton dans la Vienne (DR PVCP).Plan du Center Parcs à Morton dans la Vienne (DR PVCP).
 

Des opposants au Center Parcs de Roybon ont calculé que le total des avantages publics pour le site, y compris le financement de voiries et les allégements fiscaux, s’élève à 112 millions d’euros. En mars dernier, le conseil économique, social et environnemental régional (CESER) d’Aquitaine a rendu un avis très réservé sur un projet de Center Parcs dans le Lot-et-Garonne (170 millions d’euros d’investissement) : « Il convient de s’étonner de la nécessité d’une telle mobilisation de fonds publics pour assurer le financement d’un projet privé à vocation purement commerciale. » Ses auteurs critiquent notamment le rôle de la Caisse des dépôts : « On peut s’interroger sur la mobilisation d’une partie de l’épargne destinée au financement de projets d’intérêt général, par exemple le logement social, au profit d’un projet bénéficiant à un groupe privé. Il y aurait captation indirecte de fonds d’intérêt public. »

 

 

Ce flot d’aides est à mettre en perspective avec l’effondrement du cours de l’action de Pierre et Vacances, divisé par trois entre 2000 et 2015.

"C’est une fuite en avant"

L’argent public n’est pas la seule béquille du groupe de tourisme. Piégé par ses difficultés, Pierre et Vacances est pris dans une course contre la montre financière : il a besoin d’ouvrir toujours plus de centres et de résidences, car c’est dans la promotion immobilière qu’il réalise ses marges. Ce n’est pas seulement une logique de développement, c’est un enjeu de survie économique. Pour le chercheur Sylvain Zeghni, spécialiste en économie du tourisme et de l’environnement, c’est comparable à un « système de Ponzi » légal : « Plus ils construisent, plus ils gagnent de l’argent, alors qu’il y a une certaine tension sur la fréquentation. Le montage financier repose sur la rentabilisation de la construction qui renfloue la branche tourisme. C’est une fuite en avant. »

 

Manifestation contre le Center Parcs de Roybon (Isère), 20 octobre 2014 (Pcscp).Manifestation contre le Center Parcs de Roybon (Isère), 20 octobre 2014 (Pcscp).
 

Interrogé par Mediapart, le groupe réfute cette comparaison (voir leur réponse complète en Prolonger) : « Le modèle économique du groupe ne saurait être être comparé à un "système de Ponzi", notre stratégie étant construite autour d’un objectif clair : la combinaison de chaque activité (tourisme et immobilier) opérationnellement profitable doit générer une croissance accélérée des résultats. »

Plus précisément, le groupe explique que « l’origine de ce déficit est connue et le retournement de situation est désormais maîtrisé. La dégradation des résultats touristiques, qui concerne un nombre limité de résidences exploitées par le Groupe, résulte en effet de la forte dé-corrélation observée sur plusieurs années, et en particulier à partir de 2007/08, année de début de crise économique, entre la hausse de l’indexation des loyers versés par le groupe aux propriétaires particuliers et celle de l’indice des prix à la consommation (influant sur l’évolution des prix des séjours touristiques) ». Il compte économiser 67 millions d’euros entre 2012/13 et 2018 et affirme viser un retour à la profitabilité opérationnelle à partir de 2018. Au 30 septembre 2015, il s’attend à un retour à la profitabilité opérationnelle de ses activités touristiques et vise une marge opérationnelle tourisme de 5 % à horizon 2017.

Résultats du groupe Pierre et Vacances 2013/2014 (Rapport financier).Résultats du groupe Pierre et Vacances 2013/2014 (Rapport financier).
 

Mais la crise économique de 2008 n’explique pas tout. Leur activité de gestion d’équipement touristique (promotion d’un site résidentiel, location d’appartements et de cottages) reste déficitaire au fil des ans, alors que le développement immobilier (achat de terrains, construction, ventes d’appartements et de cottages) est bénéficiaire. Ainsi, au premier semestre 2014/2015, leur activité de tourisme accuse un déficit de 90 millions d’euros, alors que leur activité d’immobilier est bénéficiaire de près de 11 millions d’euros. L’année précédente, sur la même période, même schéma : plus de 100 millions de pertes pour le tourisme, près de 5 millions de gains pour l’immobilier.

Le rapport financier 2014/2015 indique bien que l’activité immobilière du groupe est principalement tirée par la construction du Center Parcs de la Vienne (96 millions d’euros) et, dans une moindre mesure, celui de Bostalsee (en Allemagne), ainsi que le programme Village Nature, développé avec Euro Disney. En 2011/2012, c’est l’extension de la station d’Avoriaz et du Center Parcs des Trois Forêts en Moselle qui a soutenu leur activité. Les Center Parcs représente près de la moitié du chiffre d’affaires du groupe. Dans les prochaines années, Pierre et Vacances pourrait tripler son nombre de lits. Un pari risqué alors que, selon le ministère du tourisme, la demande pour ce type de produit s’affaisse.

Les bénéfices engrangés sur la construction abondent en partie les loyers que l’exploitant verse aux particuliers et investisseurs institutionnels (Caisse des dépôts, fonds de retraites de fonctionnaires…) qui achètent ses résidences, qui sont à leur tour louées à des clients pour des séjours de quelques jours à quelques semaines. Le génie de ce système est de permettre à Pierre et Vacances de fonctionner avec très peu de fonds propres – le capital est dilué entre ces nombreux acteurs. C’est aussi sa fragilité, puisque le promoteur et exploitant ne possède qu’une petite partie de son parc. Il bénéficie par ailleurs de l’achat de terrains très bon marché, qu’il revend bien plus cher. Un mémoire de l’université de Lyon 2 indique qu’à Roybon, le groupe a acheté les terres de son futur Center Parcs 30 centimes le mètre carré, alors qu’il les a revendus 18 euros le mètre carré. Jolie culbute.

Mais la clef de voûte de ce système, c’est la défiscalisation. La loi Censi-Bouvard permet à l’acheteur d’une résidence de tourisme de bénéficier d’une réduction d’impôt de 11 % du prix d’acquisition d’un bien immobilier étalé sur neuf ans (plafonné à 300 000 €), et de récupérer la totalité de TVA. En 2014, cette niche fiscale a coûté 180 millions d’euros selon le rapporteur de la loi ALUR, le sénateur aujourd’hui décédé Claude Dilain. Ce dispositif devait s’éteindre en 2012 mais a été sauvegardé in extremis par Jérôme Cahuzac, alors ministre du  budget, sans aucune évaluation de son coût et de ses effets, comme le rappelle le site « enquêteouverte.info ». Quinze jours plus tôt, il avait rencontré Gérard Brémont, le PDG de Pierre et Vacances, ainsi que son directeur général. Ce qui fit alors s’interroger les Verts de l’Isère : « Le gouvernement est-il rentré à la niche ? »

 

Extrait de l'agenda de Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget.Extrait de l'agenda de Jérôme Cahuzac, alors ministre du budget.

 


À Roybon, dans l’Isère, Pierre et Vacances bénéficie en outre du classement de la commune en zone de revitalisation rural (ZRR) qui peut l’exempter d’impôts sur les bénéfices, de taxe foncière, de cotisations sociales et de contribution économique territoriale (CET), qui a remplacé la défunte taxe professionnelle.

Pour Sylvain Zeghni, « Le modèle de Pierre et Vacances a très bien marché car les défiscalisations ont été fortes. Les collectivités locales y trouvaient un gain en recettes fiscales et en promotion touristique de leur territoire. Le modèle avait du succès pour ceux qui achetaient et pour ceux qui venaient y séjourner. Mais les comportements des vacanciers changent, attirés par de nouvelles offres comme AirBnB, et au bout de 10 à 15 ans, les charges de rénovation, élevées, sont imputées aux propriétaires ». Selon un rapport de mastère de l’université de Lyon 2, la niche fiscale totale du Center Parcs de Roybon s’élève à 27,5 millions d’euros.

Manuel Valls lors de la pose de la première pierre du chantier de Village Nature, de Pierre et Vacances/EuroDisney (©P Granier) Manuel Valls lors de la pose de la première pierre du chantier de Village Nature, de Pierre et Vacances/EuroDisney (©P Granier)
 

Sur les forums de discussion d’investisseurs immobiliers, on trouve de nombreux commentaires de propriétaires mécontents :

Emy74 : « P&V me renouvelle le bail avec une baisse de 80 % sur le dernier loyer que j'ai touché. »
Ritxi64 : « Après une longue hésitation et bcp de réflexion j’ai choisi P et V pour investir dans le cadre du LMP afin de m assurer des revenus complémentaires pour compenser un retraite insuffisante. Reçu nouveau bail sur un beau papier : au total 70% de baisse des loyers garantis + un 20% sur CA net non contrôlable et plus de 20.000 € de travaux me privant de 2 ans de ces maigres revenus. J'en suis malade de m’être fait rouler comme cela venant d’un groupe a priori respectable et solide financièrement mais c’était il y a 10 ans. De plus je suis chargé de crédit pour cet investissement qui se termine dans 7 mois ».
Titof82988 : « Propriétaire de deux appartements à Moliets je viens de recevoir mes deux baux. Surprise tout à été divisé par deux! Et en plus pour la rénovation on me demande 11 000€ soit 22 000 € pour les deux ! Je précise que ce sont juste deux t2 de 30m2. A ce prix la le sol des murs au plafond sont en or!!! »

Jusqu’ici, les loyers versés par le groupe étaient indexés sur l’indice des coûts à la construction, qui a augmenté de 40 % en 10 ans, grevant les comptes de l’exploitant. « Il n’est pas compliqué de comprendre que nous n’étions pas dans un modèle économique tenable », déclare Dominique Menigault, directeur général adjoint de Pierre et Vacances pour les conseils immobiliers au site spécialisé « enquête ouverte ». Selon lui, « on voit bien que nous sommes dans une conjoncture beaucoup plus difficile pour le tourisme qu’il y a dix ans ». Désormais, ils sont alignés sur l’indice des loyers, plafonnés à 2 % par an.

Depuis la signature de ces premiers contrats, « la situation économique s’est dégradée, en particulier depuis 2009. La plupart des produits financiers ont vu depuis leur rendement régulièrement ajusté à la baisse », répond le groupe Pierre et Vacances, qui affirme avoir tenu ses engagements.

Des propriétaires de time share, ces formules de « temps partagé » où l’on achète l’usage de nuitées mais pas de biens physiques, commercialisées par une marque du groupe Pierre et Vacances, Maeva, se pourvoient en justice pour sortir de contrats qui les étranglent. À l’exemple de Mme Lorderau, propriétaire de trois périodes de time shares à Tenerife, aux îles Canaries, qui s’est vu exiger plusieurs milliers d’euros de charges pour l’entretien d’un bien qu’elle ne possède pas. Après la perte de sa procédure judiciaire, l’argent a été saisi sur son compte en banque, explique son beau-fils, joint par Mediapart.

Avocate de l’association APAF-VTP dédiée aux dangers du time share, Lise Nicole explique que le litige avec Maeva, la filiale de Pierre et Vacances, sont les seuls à ne pas trouver d’issue. « Plus de 80 % des porteurs de parts sont satisfaits de la formule, parce qu’ils l’utilisent, répond le groupe. Pour les 20 % des clients non utilisateurs, désireux de sortir du système, plusieurs alternatives existent. »

Ces déboires locatifs ont en partie été recouverts par la bonne image du groupe, ses publicités mettant en scène des familles resplendissantes dans un cadre de vie végétal et luxuriant. Pourtant, en contradiction avec cet apparent amour de la nature, les Center Parcs sont de très gros émetteurs nets de gaz à effet de serre et donc de très gros contributeurs au dérèglement climatique. Pour le site prévu au Rousset, en Saône-et-Loire, l’étude réalisée dans le cadre du débat public estime son bilan carbone à 10 500 tonnes équivalent CO2, pour sa construction, sa consommation d’énergie lors de l’exploitation, les déplacements des clients…

À titre de comparaison, un aller-retour en avion Paris-Tokyo n’émet « que » deux tonnes de CO2. Pour le Center Parcs des Trois Forêts en Moselle, c’est encore pire : plus de 20 000 tonnes de CO2. L’affichage naturaliste de ces sites de vacances, les photos de daims et de forêts, et les normes HQE pour les cottages sont un leurre mensonger. La bulle tropical de bassins aquatiques et de toboggans sinueux, aussi décorées soit-elles de faux rochers et de cascades artificielles, n’a pas le pouvoir d’extraire ses clients des chaos du monde.

 

Répartition des émissions de gaz à effet de serre du projet de Center Parcs au Rousset, Saône et Loire (cabinet Elan).Répartition des émissions de gaz à effet de serre du projet de Center Parcs au Rousset, Saône et Loire (cabinet Elan).


À ces arguments, on oppose en général la création d’emplois. « L’ouverture du Center Parcs du Bois aux Daims va être un formidable amplificateur de cette attractivité touristique dont bénéficie aujourd’hui la Vienne », veut croire Bruno Belin, nouveau président (LR) du département. Des emplois : les élus cherchent à en créer par tous les moyens. Mais avec quels effets ? À Morton, 80 % des 600 emplois seront en CDI mais 35 % à temps partiel. Si bien qu’en réalité, seuls 390 équivalents temps plein verront le jour.

En général, les contrats précaires des Center Parcs portent sur neuf heures hebdomadaires et rapportent aux employés 280 euros par mois, un quart de Smic. En Moselle, sur 700 emplois au total, on ne décompte que 470 équivalents temps plein. À Roybon, des opposants ont calculé que chaque équivalent temps plein promis par Center Parcs coûterait près de 240 000 euros au contribuable. Dans le Lot-et-Garonne, Center Parcs promet entre 250 et 500 emplois en phase de travaux, et 300 emplois en phase d’exploitation.

Ce n’est pas rien, dans un bassin de vie où le taux de chômage global oscille entre 13 % et 14 % et dépasse 30 % pour les jeunes. Mais en prenant en compte le ratio aides publiques/emplois créés, soit environ 130 000 euros par emploi, le même niveau d’investissement au profit d’acteurs locaux « pourrait certainement générer une autre dynamique de développement porteuse d’un nombre d’emplois plus conséquent », analyse le Ceser Aquitaine dans son avis de mars dernier.

Toutes ces failles économiques, sociales, climatiques et environnementales restent invisibles aux yeux des responsables politiques. Arnaud Montebourg, ancien ministre du redressement productif, fait l’éloge du Center Parcs en projet en Saône-et-Loire. Manuel Valls a posé la première pierre du Village Nature en projet en Ile-de-France en association avec Euro Disney. En visite à Toulouse début juillet, le premier ministre chinois Li Keqiang a signé en présence de Manuel Valls un accord pour développer les Center Parcs en Chine. Le chef du gouvernement vient de signer en catimini, avec Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, le prolongement de l’autorisation de défrichement de la zone où veut se construire le Center Parcs de Roybon, comme l’a révélé Reporterre.

Aucune de ces informations n’est secrète. Il faut les chercher dans les bilans financiers, les notes des organes consultatifs, les mémoires scientifiques. Mais tout est public. Et pourtant, rien n’altère à ce jour le cours du soutien systématique et dispendieux des pouvoirs publics à ce groupe industriel bâti sur un modèle du passé.

 

 

Boîte noire :

Cet article est le premier d'une série consacrée au grand bétonnage de la France. Merci au chercheur Sylvain Zeghni et au journaliste Erwan Seznec pour leur aide. Le week-end des 11-12 juillet se tient le rassemblement annuel des opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes où le projet de Center Parc à Roybon sera notamment discuté.

Cet article a été mis à jour le 16 juillet, après la décision du tribunal administratif de Grenoble d'annuler un arrêté préfectoral indispensable à la construction du Center Parcs de Roybon.

 

 

 

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2015 4 16 /07 /juillet /2015 15:31

 

 

 

A l'appel du comité de soutien Nimois au peuple grec
 
 
 

En solidarité avec le peuple Grec,

Rassemblement à la maison carrée à Nimes

jeudi à 19h

 
Non a l' austérité
 
Non aux exigences de la  troïka
 
Solidarité avec le peuple Grec
 
 
 
 
 
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes
  • : Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
  • Contact

Texte Libre

INFO IMPORTANTE

 

DEPUIS DEBUT AOÛT 2014

OVERBLOG NOUS IMPOSE ET PLACE DES PUBS

SUR NOTRE BLOG

CELA VA A L'ENCONTRE DE NOTRE ETHIQUE ET DE NOS CHOIX


NE CLIQUEZ PAS SUR CES PUBS !

Recherche

Texte Libre

ter 

Nouvelle-image.JPG

Badge

 

          Depuis le 26 Mai 2011,

        Nous nous réunissons

                 tous les soirs

      devant la maison carrée

 

       A partir du 16 Juillet 2014

            et pendant l'été

                     RV

       chaque mercredi à 18h

                et samedi à 13h

    sur le terrain de Caveirac

                Rejoignez-nous  

et venez partager ce lieu avec nous !



  Th-o indign-(1)

55

9b22