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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 21:03

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

 

L'économie a une histoire 2/6
1773 : les Anglais inventent la propriété privée

 
 
Cette année-là, le Parlement prend acte d'une révolution légale. En autorisant les propriétaires à clore leurs champs, la Chambre des communes inaugurait la possibilité d'utiliser, d'user et de disposer d'un bien. La propriété exclusive était née.
 
John Locke - MARY EVANS/SIPA
 

>>> Article paru dans Marianne daté du 24 juillet 2015

« Le Parlement anglais peut tout faire sauf changer une femme en homme », professait au XVIIIe siècle un juriste calviniste et rousseauiste du nom de Jean-Louis de Lolme. Sans doute notre Genevois fut-il impressionné lorsque, en 1773, le Parlement de Sa Gracieuse Majesté réussit une véritable révolution légale. Par le vote de l'Inclosure Act (1), la Chambre des communes autorisa les propriétaires à entreprendre une action tout à fait inouïe : clore leurs champs pour en interdire l'accès à toute personne et à tout animal.

Les Anglais inauguraient le droit de propriété privée individuelle et exclusive. Les suites se racontent comme un film de Ken Loach. Pour fermer ses champs, la loi exigeait bien une pétition collective des habitants ainsi qu'une enquête par un commissaire. Mais la rapacité des propriétaires et la corruption des fonctionnaires balayèrent ces obstacles, provoquant une concentration de la propriété foncière sans égale en Europe, la paupérisation des paysans locataires et un exode rural massif. Quelques dizaines de milliers de landlords dominèrent alors les campagnes, punissant durement ceux qui attentaient à leurs biens. Comme le dit une chanson populaire de l'époque : « Ils ont pendu l'homme et fouetté la femme qui avaient volé l'oie dans le champ. / Mais ils ont laissé courir le méchant qui avait volé le champ où mangeait l'oie. »

Une dure bataille qui dure depuis le Moyen Age entre propriété individuelle et propriété collective était gagnée. Jusque-là deux types de propriétés cohabitaient, une commune et une individuelle. Les communaux venaient de la nuit du néolithique, vestiges des anciennes communautés paysannes. Les bois, les friches, les haies, les marais, étaient souvent exploités en commun par tous les paysans d'une localité. Quant au droit de propriété des champs, il était limité, le glanage et la vaine pâture permettaient de se nourrir des restes et de faire paître son bétail sur toutes les terres après les récoltes, sur les siennes comme celles des voisins. Coexistence difficile. Dès le XIIe siècle, le droit de propriété individuelle grignote les autres droits. Les contestations du « droit d'exclure » (2) sont légion. En 1516, le juriste et humaniste anglais Thomas More tance les propriétaires qui clôturent les prés pour y mettre leurs troupeaux. « Vos moutons que vous dites d'un naturel doux et d'un tempérament docile dévorent pourtant les hommes... » écrit-il dans Utopia. Pendant la révolution anglaise, les « niveleurs » partagent les terres, contre les maîtres et les propriétaires. Ainsi en avril 1649 des journaliers occupent-ils des terres de la paroisse de Walton (Surrey) affirmant : « C'est indéniablement affaire de justice que le peuple travailleur puisse bêcher, labourer et habiter sur les communs, sans avoir à louer ni à payer une redevance à quiconque. » Le phénomène est européen, outre-Rhin les « rustauds » se révoltent contre ce grignotage. Ici aussi, l'aristocratie et la bourgeoisie exproprient des communes établies depuis des siècles. En 1525, une armée de paysans communisants est massacrée (près de 100 000 morts) par les armées de l'aristocratie appuyée par Luther. Mais, au bout du processus séculaire, les prolétaires agricoles, qu'ils soient anglais ou allemands, n'ont plus qu'à aller mendier dans les villes et à se préparer à servir de main-d'oeuvre bon marché pendant l'ère industrielle.

 

TOUR DE PASSE-PASSE

Des philosophes vont donner au mouvement une assise théorique. John Locke, présenté comme « le fondateur de la propriété privée au sens moderne du terme » par Fabrice Flipo, dans son Deuxième Traité du gouvernement civil, en fait un « droit naturel », une évidence indiscutable. A la fin du XVIIe, le philosophe anglais fait un constat : « Tout homme possède une propriété sur sa propre personne. » Il l'étend ensuite à son travail, pour en conclure qu'il est normal que sa récolte, « si elle n'est pas gaspillée, soit aussi marquée du sceau de la propriété ». En revanche, que se passe-t-il si la production dépasse les besoins des propriétaires, si à force d'acquérir des terres elle devient excédentaire ? Dans ce cas, la récolte risque de pourrir. Inadmissible, affirme le philosophe libéral, les famines sévissent encore. Mais il trouve immédiatement la parade. Si la récolte est vendue, alors tout s'arrange, car l'argent de la vente, dit Locke, « ne pourrit pas ». Par un joli tour de passe-passe, voilà le droit de propriété individuelle étendu quasi sans limites. Avec la bénédiction du philosophe, les grands propriétaires fonciers vont pouvoir exproprier tous les communaux. Les renards libres peuvent s'en donner à coeur joie.

La critique de Locke ne tarde pas. Jean-Jacques Rousseau attaque les enclosures. « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : "Ceci est à moi", et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eut point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus." » Adam Smith, injustement passé à la postérité comme infâme libéral sans morale, voit dans la propriété privée de la terre l'origine de la rente. Le laboureur, écrit l'auteur de la Richesse des nations, doit désormais « payer pour avoir le droit de récolter les fruits naturels de la terre, en retournant au propriétaire une partie de ce que son travail avait toujours produit. Cette portion, ou le prix de celle-ci, c'est la rente de la terre ».

En France, malgré la mise en garde de Rousseau, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sanctifie la propriété privée. L'article 2 entend faire respecter « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». Exit la propriété commune, toute propriété est privée, l'association entre ces deux termes devient un quasi-pléonasme. Pour les rebelles et les durs d'oreille, l'article 17 précise que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». La philosophie a fait son oeuvre, reste au droit de porter l'estocade.

Quinze ans plus tard, le Code civil de Napoléon consacre cette évolution majeure par un de ses articles et en fait également une liberté publique. Voilà notre concept cristallisé dans sa définition actuelle. Elle agrège trois concepts ; la possibilité d'utiliser le bien, d'en user (usus), de bénéficier de ses fruits (fructus) et d'en disposer (abusus) - donc éventuellement de s'en séparer en le vendant.

 

DIFFICILE ACCEPTATION

Le nouveau droit est entré dans la loi et est surprotégé par son statut de liberté publique. La droite orléaniste et la gauche libérale se réjouissent. Mais cette victoire va faire réagir les socialistes et les anarchistes. La résistance va durer tout au long du XIXe et une grande partie du XXe siècle. Le combat enflamme toute l'Europe, Engels dans la Guerre des paysans en Allemagne réhabilite Thomas Müntzer et sa « propriété commune des choses ». En France, la diatribe de Pierre-Joseph Proudhon, « la propriété, c'est le vol », est encore dans toutes les mémoires. Il n'est pas le seul, les socialistes Jaurès et Mauss militent de concert pour des sociétés coopératives, avatars des anciens biens communs autogérés.

Les campagnes aussi résistent. Les historiens soulignent la difficile acclimatation des paysans. Alain Corbin, dans un très beau livre (3), raconte les difficultés des paysans à respecter la propriété privée. Les actes des tribunaux de police en témoignent. Un exemple parmi d'autres : « La veuve Maillard, des Hautes-Roches, est prise en flagrant délit par le garde Dupuis. Elle pousse une chèvre dans un bois. »

Mais la nouvelle classe dominante est la plus forte. « Avec l'avènement de la bourgeoisie louis-philipparde, le vol et les atteintes à la propriété sont le plus sévèrement poursuivis », écrit Jacques Julliard dans Marianne. Tout le monde s'y met. Il faut faire la pédagogie de cette nouvelle norme. A son corps défendant, Victor Hugo s'en fera l'instituteur. Quinze ans de bagne pour avoir volé du pain, c'est le sort de Jean Valjean ; de quoi dissuader les plus téméraires. Le très conservateur Charles Maurras remet le couvert : « La première des libertés est la sécurité des biens et des personnes. » Même Proudhon modère son propos. En 1849, dans les Confessions d'un révolutionnaire, il affirme : « La propriété, c'est la liberté. »

 

RÉSISTANCE DES INSTITUTIONS

Mais, dès 1917, la révolution russe et le développement d'une société communiste, ainsi que la crise de 1929 avec ses conséquences désastreuses, redistribuent les cartes. En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme fait un pas de travers, une légère concession à la propriété commune. Son article 17 affirme que « toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété ». Cette nouvelle notion permet à la France, à la Grande-Bretagne et à l'Italie de nationaliser sans se retrouver au ban des nations libres. La mode est au collectif et parfois même au communisme. S'il est facile de qualifier les nationalisations de propriété collective, il est plus difficile de faire rentrer la protection sociale dans cette catégorie-là. N'est-ce pas le retour d'une propriété commune ? Il est évidemment hors de question de revenir à cette notion. Preuve s'il en est, à l'échelon européen, l'Europe adopte le 4 novembre 1950 la Convention européenne des droits de l'homme qui énonce en son article 1er du protocole additionnel no 1 : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

L'arrivée au pouvoir des néolibéraux va mettre fin pour un temps aux escarmouches. En France, le 16 janvier 1982, le Conseil constitutionnel réussit un coup de maître. Jugeant de la loi de nationalisation du gouvernement « socialo-communiste » de Pierre Mauroy, il inscrit dans le marbre que l'un des buts de la société politique est de défendre le droit de propriété et rappelle qu'il est un « droit naturel ». Cette décision s'impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles », elle a plus de force qu'une loi, plus de force même que la souveraineté nationale. Ce jour-là, la victoire semble totale.

Pourtant, certaines institutions résistent encore. Ainsi le droit de glanage est toujours reconnu en France. Dans certains départements du Nord, il est courant de voir des familles ramasser en toute légitimité des pommes de terre ou des haricots verts après la récolte. Il existe d'autres scories institutionnelles qui remettent en cause l'abusus. En France, les tableaux des collections nationales sont inaliénables, personne ne peut les vendre. Cette décision remonte à bien avant la Révolution française... La culture n'est pas la seule à profiter de cette protection. Les forêts domaniales sont, elles aussi, incessibles. Les communs n'ont pas dit leur dernier mot.

 

Lorsque la propriété redevient absurde
Dans le monde intellectuel aussi les choses ne sont pas jouées. En 2009, Elinor Ostrom est la première femme prix Nobel d'économie, pour son travail sur les biens communs. Les écologistes utilisent la notion de « biens publics mondiaux » pour lutter contre les pollutions. Récemment, quelques francs-tireurs de l'université française s'attaquent à ce bastion. Autour de Benjamin Coriat, une équipe d'économistes vient de publier un Retour des communs. La crise de l'idéologie propriétaire (Les Liens qui libèrent). Les vulgarisateurs ne sont pas en reste. « La formidable montée en puissance des nouvelles technologies de l'information au tournant du XXIe siècle a propulsé la société dans une nouvelle ère de coût marginal quasi nul... Cela signifie que, avec un coût de production d'une unité supplémentaire se rapprochant de zéro, l'abondance devient telle qu'un nombre croissant de secteurs s'émancipent des lois du marché », explique Jeremy Rifkin dans Libération du 19 octobre 2014. Et, « lorsque la rareté disparaît, que la quantité d'offre et de demande n'a plus d'effet sur les prix, le profit, qui se fait à la marge, se tarit, la propriété devient absurde ».

(1) Inclosure : du vieil anglais, devenu par la suite enclosure.
(2) Le Retour des communs, la crise de l'idéologie propriétaire, Les Liens qui libèrent, 2015, p. 88.
(3) Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu, 1798-1876, d'Alain Corbin, Champs Histoire no 504, 2002.

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 20:47

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

Simplifier la feuille de paie ? Mieux vaut l'augmenter

 

Directeur adjoint de la rédaction de Marianne

 

Le gouvernement a nommé une commission pour travailler sur la simplification de la feuille de paie. ce n'est pas forcément inutile, mais l'augmenter serait assurément plus efficace, pour les intéressés comme pour l'économie nationale !
 
SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA
 

Il paraît qu'il faut absolument simplifier la feuille de paie. Pourquoi pas ? Dans d'autres pays, nous dit-on, elle est plus facile à lire, et comme l'on sait depuis les moutons de Panurge qu'il est obligatoire de faire ce que font les autres, le gouvernement a nommé une commission sur le sujet — une de plus.

Fort logiquement, cette vénérable instance était présidée par un digne représentant de l'élite économique, en l'occurrence le directeur des ressources humaines du groupe Solvay, Jean-Christophe Sciberras. Dès qu'il s'agit d'animer un groupe de réflexion sur un sujet économique ou social, il faut soit être sorti de la promotion Voltaire de l'ENA, comme François Hollande, soit avoir fréquenté les couloirs du Medef. Jean-Christophe Sciberras suggère donc différentes pistes qui permettraient aux 24 millions de salariés de mieux comprendre le document où est détaillé leur salaire. Rassurons-le : ces derniers la comprennent très bien. Ils saisissent parfaitement l'enjeu, lequel se situe sur une ligne où l'on peut lire le salaire net versé à chacun, une fois déduites des « charges » qui n'en sont pas, car elles constituent une partie du salaire dévolu aux contributions sociales (Sécu, retraites...) qui font l'originalité d'un système de solidarité que certains rêvent de mettre à bas pour y substituer la logique privée du système anglo-saxon.

Simplifier la feuille de paie n'est pas forcément inutile, mais l'augmenter serait assurément plus efficace, pour les intéressés comme pour l'économie nationale, dont l'atonie est en rapport direct avec les aléas d'une consommation elle-même dépendante des salaires. Or, depuis qu'il est arrivé aux commandes, François Hollande a fait du prétendu « coût du travail » l'ennemi public numéro un, a contrario de toute réalité économique.

Il a fallu la vigilance de certains syndicats pour que le rapport Sciberras ne reprenne pas la mention « coût du travail », ce qui aurait été une petite provocation. Mais l'esprit de cette conception néolibérale dévastatrice demeure, comme s'il fallait faire entrer dans les esprits la leçon quotidiennement administrée par les sicaires du Medef.

Au nom du « coût du travail » excessif, le gouvernement a versé des sommes records aux entreprises, sans engagements précis ni vérifications. Un jour, victime d'une incontinence verbale, Pierre Gattaz a promis de créer un million d'emplois, allant jusqu'à porter le pin's prometteur à la boutonnière. Les chiffres du chômage sont là pour témoigner du fiasco. D'où la nécessité d'une réorientation totale des choix publics, afin d'en finir avec la diabolisation des salaires, cette maladie des temps modernes.

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>>> Retrouvez cette éditorial dans le numéro de Marianne en kiosques.

 

 

Source : http://www.marianne.net

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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 20:21

 

Source : http://www.gaullistelibre.com

 

 

En Grèce, la troïka rançonne encore les retraités pour épargner les millionnaires

 

 
 
 

 

Protection des millionnaires, nouvelle ponction des retraités
 
Mais que se passe-t-il dans la tête de la troïka pour pousser des idées aussi révoltantes ? D’une part, après avoir déjà obtenu une réduction de l’effort demandé aux entreprises bénéficiaires (par la réduction d’un tiers de la contribution supplémentaire demandée au titre de l’Impôt sur les Sociétés), la troïka exige maintenant que « l’impôt de solidarité soit ramené de 8% à 6% maximum pour les revenus supérieurs à 500 000 euros. Car, selon eux, le taux actuel encouragerait l’évasion fiscale ». D’abord, il faut noter que ce sont les règles imposées par cette même troïka qui permettent cette désertion fiscale… Ensuite, il est plus que révoltant que ceux qui ont demandé une baisse du salaire minimum de 22% (et 32% pour les jeunes) et de 45% de certaines retraites demandent un allègement de l’effort des millionnaires.
 
Pire, la troïka veut aussi « accélérer la suppression des retraites anticipées ou celle d’une prime spéciale aux faibles retraites (et) raccourcir le délai de la mise en place du départ à la retraite à 67 ans ». En clair, baisser plus encore des retraites dont certaines ont déjà chuté de 45%... Même le Monde souligne que « le gouvernement grec estime qu’il lui appartient de choisir comment répartir l’effort de l’impôt » et qu’une source de Syriza dénonce une mesure où « on voudrait de nouveau épargner les plus riches ». Tout ceci souligne à nouveau le caractère humiliant et totalitaire de la façon de faire de cette troïka avec la Grèce, dont on se demande bien pour quelle raison elle demande à réduire la contribution des millionnaires ou des entreprises bénéficiaires tout en demandant plus aux simples citoyens.
 
Alexis Tsipras, apprenti négociateur ?
 
 

Paul Krugman, qui avait pourtant apporté son soutien à Alexis Tsipras lors du référendum, a précisé depuis qu’il avait « peut-être surestimé la compétence du gouvernement Grec ». En effet, avec du recul, comment ne pas penser que Syriza est allé à la négociation la fleur au fusil, demandant des choses sans avoir le moindre plan B véritablement prêt, et donc, aucun moyen de pression sur ses créanciers ? Mais toutes ces erreurs ont malheureusement des conséquences bien concrètes pour les Grecs. Déjà, Alexis Tsipras a accepté de revoir à la baisse la contribution supplémentaire des entreprises bénéficiaires (une hausse de 2 points de l’IS au lieu de 3 points prévus initialement, et suppression d’une contribution exceptionnelle) tout en reculant sur bon nombre de ses promesses de campagne.

 
Et aujourd’hui, il n’est pas étonnant que les créanciers continuent à exiger toujours plus d’un gouvernement finalement aussi flexible. De manière assez stupéfiante, Athènes a déjà beaucoup cédé, passant déjà deux lois traduisant l’accord du 13 juillet, alors même que le nouveau plan de 80 milliards n’est pas encore bouclé. Pire, la question de la restructuration de la dette semble davantage poussée par le FMI que par Tsipras (et cette restructuration s’oriente dans un sens bien peu favorable à la Grèce, sans réduction du principal). Bref, la Grèce n’obtient pratiquement rien et les créanciers continuent à demander toujours plus sachant qu’ils n’ont pas encore cédé grand chose, au contraire d’Athènes et Tsipras. Mais après tout, pourquoi se gêner avec un partenaire de négociation aussi friable et peu organisé ?
 

 

Le plus effarant est que la tournure des négociations depuis plus de six mois indique que le gouvernement Tsipras pourrait bien encore céder sur la réduction de la contribution des millionnaires, tout en demandant plus encore aux retraités, y compris les plus pauvres. Que reste-t-il du mandat de Syriza ?
 

à  

 

 

Source : http://www.gaullistelibre.com

 

 

 

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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 19:54

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Stathis Kouvélakis : « Le non n’est pas vaincu, nous continuons »

1er août par Stathis Kouvelakis

 

 

 

 

Résumons à très grands traits. Le 25 janvier 2015, Syriza remporte les élections législatives grecques sur un programme de rupture ; le 5 juillet, c’est un tonitruant « OXI », à 61 %, qui envoie les petits barons de l’ordre européen dans les cordes ; le lendemain, Yánis Varoufákis, ministre des Finances grec, est poussé vers la sortie ; le lundi 13 juillet, le tout-venant apprend que les dix-huit heures de bataille psychologique, à la fameuse « table des négociations », ont eu raison des espoirs mis dans le gouvernement grec : capitulation en rase campagne, entend-on. La couleuvre de l’austérité avalée contre un hypothétique rééchelonnement de la dette. « J’assume la responsabilité d’un texte auquel je ne crois pas », affirme Tsipras à la télévision publique grecque. Mercredi, le comité central de Syriza rejette l’accord et dénonce « un coup d’État contre toute notion de démocratie et de souveraineté populaire ». Les ministères démissionnaires partent en claquant la porte, le texte passe avec les voix de la droite et de la social-démocratie grecques, les grèves générales repartent et la place Syntagma s’enflamme. « Trahison » ; la messe est dite. Pour Stathis Kouvélakis, philosophe francophone, membre du Comité central de Syriza et figure de la Plateforme de gauche, l’équation s’avère toutefois plus complexe, si l’on tient à prendre toute la mesure de ces récents événements. Entretien pour y voir plus clair et, surtout, organiser la riposte.

 

Vous émettez des réserves quant à la critique de Tsipras en termes de « trahison », qui revient pourtant fréquemment dans les gauches radicales européennes depuis l’accord du 12 juillet. Pourquoi la considérez-vous comme inefficace ?

Je ne nie pas que le terme de « trahison » soit adéquat pour traduire une perception spontanée de l’expérience Syriza. Il est évident que les 62 % qui ont voté « non » au référendum et les millions de gens qui ont cru en Syriza se sentent trahis. Néanmoins, je nie la pertinence analytique de la catégorie de trahison car elle repose sur l’idée d’une intention consciente : consciemment, le gouvernement Tsipras aurait fait le contraire de ce qu’il s’était engagé à faire. Je pense que cette catégorie obscurcit la réalité de la séquence en cours, qui consiste dans la faillite d’une stratégie politique bien précise. Et quand une stratégie fait faillite, les acteurs qui en étaient les porteurs se retrouvent uniquement face à de mauvais choix ou, autrement dit, à une absence de choix. Et c’est très exactement ce qui s’est passé avec Tsipras et le cercle dirigeant du gouvernement. Ils ont cru possible de parvenir à un compromis acceptable en jouant cette carte de la négociation – qui combinait une adaptation réaliste et une fermeté quant à des lignes rouges, dans le but d’obtenir un « compromis honorable ».

La notion de « trahison » empêche d’analyser et de remettre en cause la stratégie ; elle rabat tout sur les « intentions des acteurs » et se fonde sur l’illusion naïve selon laquelle ceux-ci sont maîtres de leurs actes.

Or la Troïka des créanciers n’était nullement disposée à céder quoi que ce soit, et a immédiatement réagi, en mettant dès le 4 février le système bancaire grec au régime sec. Tsipras et le gouvernement, refusant toute mesure unilatérale, comme la suspension du remboursement de la dette ou la menace d’un « plan B » impliquant la sortie de l’euro, se sont rapidement enfermés dans une spirale qui les amenait d’une concession à une autre et à une détérioration constante du rapport de force. Pendant que ces négociations épuisantes se déroulaient, les caisses de l’État grec se vidaient et le peuple se démobilisait – réduit à un état de spectateur passif d’un théâtre lointain sur lequel il n’avait prise. Ainsi, quand Tsipras affirme le 13 juillet qu’il n’avait pas d’autre choix que de signer cet accord, il a en un sens raison. À condition de préciser qu’il a fait en sorte de ne pas se retrouver avec d’autres choix possibles. Dans le cas précis de la Grèce, on assiste à une faillite flagrante de cette stratégie pour la simple raison qu’elle n’avait prévu aucune solution de repli. Il y a un véritable aveuglement de Tsipras et la majorité de Syriza dans l’illusion européiste : l’idée qu’entre « bons européens », nous finirons par nous entendre même si, par ailleurs, demeurent des désaccords importants ; une croyance dure comme fer que les autres gouvernements européens allaient respecter le mandat légitime de Syriza. Et, pire encore, l’idée de brandir l’absence de « plan B » comme un certificat de bonne conduite européiste, qui fut le comble de cet aveuglement idéologique...

La notion de « trahison » empêche d’analyser et de remettre en cause la stratégie ; elle empêche de parler en termes d’analyse stratégique et point aveugle idéologique ; elle rabat tout sur les « intentions des acteurs » – qui resteront toujours une boîte noire – et se fonde sur l’illusion naïve selon laquelle ceux-ci sont maîtres de leurs actes. Par ailleurs, elle empêche de saisir le cœur du problème, à savoir l’impuissance de cette politique : la violence de la réaction d’un adversaire a été sous-estimée alors même que le gouvernement Syriza, par son existence même, était allé suffisamment loin pour la déclencher.

 

De plus en plus de voix s’élèvent dans l’Europe du Sud pour dénoncer le carcan de la monnaie unique. Ce débat a-t-il sérieusement eu lieu au sein du gouvernement Tsipras et de Syriza ? Yánis Varoufákis, après avoir démissionné, a affirmé avoir proposé un plan de sortie de l’euro ou, du moins, la mise en circulation d’une monnaie nationale au plus dur des négociations.

Ce débat n’a jamais véritablement eu lieu — ou, plutôt, il n’a eu lieu que de façon limitée, au sein de Syriza, pendant les cinq dernières années. Et ce fut toujours contre la volonté de la majorité de la direction du parti, par une sorte d’état de fait créé par le positionnement d’une minorité substantielle en faveur d’une sortie de l’euro, comme condition nécessaire pour la rupture avec les politiques d’austérité et le néolibéralisme. La majorité de la direction du parti n’a jamais vraiment accepté la légitimité de ce débat. La sortie de l’euro n’était pas présentée comme une option politique critiquable avec des inconvénients qui justifiaient un désaccord. Elle était purement et simplement identifiée à une catastrophe absolue. Systématiquement, il nous était reproché que si nous défendions la sortie de l’euro, nous étions des crypto-nationalistes ou que la sortie de l’euro entraînerait un effondrement du pouvoir d’achat des classes populaires et de l’économie du pays. En réalité, c’étaient les arguments du discours dominant qui était repris par nos camarades. Ils ne cherchaient donc pas un véritable débat argumenté mais à nous disqualifier symboliquement, à disqualifier la légitimité de nos arguments à l’intérieur de Syriza et de la gauche radicale. Ainsi, quand Syriza est arrivé au pouvoir, la question s’est posée par la logique même de la situation, puisqu’il est rapidement devenu évident que ces négociations n’aboutissaient à rien. Déjà, l’accord du 20 février indiquait bien que Syriza était contraint de reculer au cours de ce bras de fer. Mais cette discussion s’est déroulée à huis clos : jamais de façon publique et jamais avec le sérieux nécessaire — si l’on excepte bien sûr les prises de position de la Plateforme de gauche de Syriza.

Yánis Varoufákis, de son côté, avait posé à divers moments la question d’un plan B. Panayótis Lafazánis et la Plateforme de gauche mettaient régulièrement sur la table ces propositions. Il faut préciser que le plan B ne se limite pas simplement à la reprise d’une souveraineté monétaire. Il met en avant l’interruption du remboursement des créanciers, le placement des banques sous contrôle public et un contrôle de capitaux au moment du déclenchement de l’affrontement. C’était, d’une façon générale, prendre l’initiative plutôt que d’être à la traîne de négociations qui amenaient un recul après l’autre. Le gouvernement n’a même pas fait les gestes minimaux afin d’être en mesure de tenir bon quand les Européens appuyèrent sur le bouton nucléaire, c’est-à-dire en arrêtant totalement l’approvisionnement en liquidité avec l’annonce du référendum. Le référendum lui-même aurait pu être conçu comme le « volet politique » du plan B : il a donné une idée d’un scénario réaliste conduisant à la rupture avec les créanciers et la zone euro. Le raisonnement aurait pu être le suivant : Le mandat initial de Syriza, celui issu des urnes du 25 janvier, était de rompre avec l’austérité dans le cadre de l’euro ; nous avons bien vu que c’était impossible dans ce cadre ; donc nous nous présentons de nouveau devant le peuple ; le peuple confirme son mandat en disant « Non à l’austérité et faites le nécessaire ». C’est effectivement ce qui s’est passé avec la victoire écrasante du « non », lors du référendum du 5 juillet, mais il était déjà trop tard ! Les caisses étaient déjà vides et rien n’avait été fait pour préparer une solution alternative.

 

Vous soulignez les rapports de force qui ont traversé Syriza depuis 2010. Comment expliquer que la frange acquise à l’Union européenne et l’euro l’ait emportée ?

Il faut replacer ces débats dans un cadre plus large : celui de la société grecque, et d’une façon plus générale, celui des sociétés de la périphérie européenne. Avant la crise de 2008-2010, les pays les plus europhiles au sein de l’Union européenne étaient précisément ceux du sud et de la périphérie. Il faut bien comprendre que, pour ces pays, l’adhésion à l’UE signifie une certaine modernité, à la fois économique et politique, une image de prospérité et de puissance que l’euro vient valider à un niveau symbolique. C’est l’aspect fétichiste de la monnaie que Karl Marx a souligné : en ayant la monnaie commune dans sa poche, le Grec accède symboliquement au même rang que l’Allemand ou le Français. Il y a ici quelque chose de l’ordre du « complexe du subalterne ». C’est notamment ce qui nous permet de comprendre pourquoi les élites dominantes grecques ont constamment joué avec la peur de la sortie de l’euro — leur carte maîtresse depuis la début de la crise. Tous les « sacrifices » sont justifiés au nom du maintien dans l’euro. La peur du Grexit est étrangère à la rationalité économique. Elle ne repose pas sur les conséquences éventuelles d’un retour à la monnaie nationale ; par exemple : les difficultés pour les importations ou, à l’inverse, les nouvelles facilitées à l’exportation. Au niveau du « sens commun », la sortie de l’euro charrie une sorte de tiers-mondisation symbolique. Pour le Grec moyen qui résiste à l’idée d’une sortie de la zone euro, la justification de son refus renvoie à la peur d’une régression du pays au rang de nation pauvre et retardataire – qui était effectivement le sien il y a quelques décennies. N’oublions pas que la société grecque a évolué très rapidement et que le souvenir de la misère et de la pauvreté est encore présent dans les couches populaires et dans les générations âgées.

Une foule enthousiaste s’est formée derrière lui et l’a conduit en triomphateur jusqu’à la marée humaine de la place du Parlement. Quelle a été la réaction de Tsipras ? Il a pris peur et a abrégé les trois quarts du discours qu’il avait préparé.

Ce que je viens de dire explique aussi l’apparent paradoxe du vote massif du « non » chez les jeunes. Le journal Le Monde fait son reportage en disant : « Toutes ces générations des 18-30 ans qui ont grandi avec l’euro et l’Union européenne, qui ont bénéficié des programmes Erasmus et des études supérieures [le niveau d’accès à l’enseignement supérieur en Grèce est parmi les plus élevés d’Europe], comment se fait-il qu’elles se retournent contre l’Europe ? » La raison est en fait que les jeunes générations ont moins de raisons que les autres de partager ce complexe de la subalternité ! Cet « européisme » ambiant de la société grecque est resté toutefois hégémonique, y compris dans les forces d’opposition aux politiques néolibérales — à l’exception du Parti communiste, très isolé et sectaire. Et cela explique pourquoi Syriza a choisi, dès le début, de s’adapter à l’européisme et d’avoir une stratégie électoraliste à court terme plutôt que d’entrer dans un travail de pédagogie qui consisterait à dire : « Nous ne sommes pas contre l’Europe ou l’euro par principe, mais si eux sont contre nous, et qu’ils nous empêchent d’atteindre nos objectifs, il nous faudra riposter. » C’est un discours qui demandait un certain courage politique, chose dont Tsipras et la majorité de la direction de Syriza s’est révélée être totalement dépourvue.

 

Le référendum n’était donc en rien la possibilité d’une rupture mais un simple mouvement tactique afin de renforcer Tsipras dans les négociations ?

Tsipras est un grand tacticien. Penser que tout ce qui s’est passé est conforme à un plan préétabli serait se tromper lourdement. C’est une gestion au jour le jour de la situation qui a prévalu, sans vision stratégique autre que celle de la recherche de l’illusoire « compromis honorable » dont j’ai parlé auparavant. Le référendum a été conçu, d’emblée, comme un geste tactique, comme une issue à une impasse dans laquelle le gouvernement s’est trouvé à la fin du mois de juin, lorsque le plan Juncker a été présenté sous la forme d’un ultimatum. Mais, en annonçant le référendum, Tsipras a libéré des forces qui sont allées bien au-delà de ses intentions. Il faut ici souligner le fait que l’aile droite du gouvernement et de Syriza ont très bien perçu, elles, le potentiel conflictuel et de radicalisation que comportait objectivement la dynamique référendaire, et c’est pour cela qu’elles s’y sont fortement opposées. Je vais vous livrer une anecdote. Le jour du grand rassemblement du vendredi [3 juillet], une foule immense s’était rassemblée dans le centre-ville d’Athènes. Tsipras est allé à pied de la résidence du Premier ministre à la place Syntagma, séparées par quelques centaines de mètres. C’est une scène de type latino-américaine qui s’est produite : une foule enthousiaste s’est formée derrière lui et l’a conduit en triomphateur jusqu’à la marée humaine de la place du Parlement. Quelle a été la réaction de Tsipras ? Il a pris peur et a abrégé les trois quarts du discours qu’il avait préparé.

 

Vous racontez qu’Euclide Tsakalotos, ministre des Finances grecques après la démission de Yánis Varoufákis, préparait son intervention devant l’Eurogroupe comme un professeur d’université prépare sa contribution à un colloque. Ne pointez-vous pas ici un des problèmes de la gauche radicale : une parfaite analyse des phénomènes mais une incapacité à mener des rapports de force, à établir des stratégies gagnantes, à jouer sur les contradictions de l’adversaire ? Est-ce dû à la promotion des savoirs académiques au sein de la gauche radicale au détriment d’autres profils ?

Je suis très réticent par rapport aux explications sociologistes : je ne pense pas qu’elles permettent de comprendre la situation. Dans un entretien à Mediapart¹, Tsakalotos expliquait en effet que, lorsqu’il est allé à Bruxelles, il avait préparé ses argumentaires de façon très sérieuse. Il s’attendait à entendre des contre-arguments et, au lieu de cela, il s’est retrouvé face à un mur de technocrates répétant des règles et des procédures. Il avait été choqué du faible niveau de la discussion – comme s’il s’agissait d’un colloque universitaire où le meilleur argument l’emporte. Or tout en étant moi-même universitaire, et même un ancien camarade de parti de Tsakalotos (nous avons milité dans le Parti eurocommuniste grec dans les années 1980), je n’en suis pas moins en désaccord profond avec lui. Par ailleurs, s’il y avait un reproche à lui faire, c’est justement un défaut d’analyse ! La gauche, dans son ensemble, a considérablement sous-estimé la nécessité d’analyser sérieusement l’Union européenne. Au lieu de cela, nous avons eu droit, pendant des décennies, au recours à une longue litanie de vœux pieux : « l’Europe sociale », « l’Europe des citoyens », « faire bouger les lignes en Europe », etc. Ce genre de discours sont répétés inlassablement depuis des décennies alors qu’ils ont fait la preuve flagrante de leur impuissance et de leur incapacité à avoir la moindre prise sur le réel.

Une dernière remarque à propos du statut sociologique du discours européiste : je fais partie d’un département d’Études européennes dans une université britannique. Je peux vous assurer que mes collègues, qui sont du côté mainstream, qui sont donc universitaires mais qui connaissent de façon intime la machine européenne, ont toujours refusé de prendre au sérieux la vision de Syriza. Ils n’arrêtaient pas d’ironiser sur les naïfs qui pensaient qu’à coups de négociations et d’échanges de bons arguments on arriverait à rompre avec le cadre des politiques européennes, c’est-à-dire avec l’austérité et le néolibéralisme. Personne n’a pris ce discours au sérieux chez les gens informés, alors, qu’à l’inverse, il déclenchait une sorte d’extase parmi les cadres et bon nombre de militants des formations de la gauche radicale européenne. Nous avons ici affaire à une question de politique avec un grand « P », à la puissance de l’idéologie dominante et à une déficience d’analyse et de pensée stratégique, loin de toute explication réductrice en termes de position sociologique des acteurs.

 

Slavoj Žižek a écrit le 20 juillet que « Syriza devrait exploiter, en montrant un pragmatisme impitoyable, en pratiquant le calcul le plus glacial, les fêlures les plus minces de l’armure de l’adversaire. Syriza devrait instrumentaliser tous ceux qui résistent à la politique hégémonique de l’Union européenne, des conservateurs britanniques à l’UKIP, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. Syriza devrait flirter effrontément avec la Russie et la Chine, elle devrait caresser l’idée de donner une île à la Russie afin que celle-ci en fasse sa base militaire en Méditerranée, juste pour effrayer les stratèges de l’OTAN. Paraphrasons un peu Dostoïevski : maintenant que le Dieu-Union européenne a failli, tout est permis². » Y souscrivez-vous ?

Il y a ici deux questions en une. Tout d’abord, il s’agit de s’interroger sur les contradictions internes à l’Union européenne et, ensuite, de se demander que faire en dehors de ce cadre. Quant à la première, la stratégie du gouvernement Tsipras consistait justement à exploiter ses contradictions internes, réelles ou, surtout, supposées. Ils pensaient pouvoir jouer sur l’axe Hollande-Renzi – vus comme des gouvernements plus « ouverts » à une approche anti-austérité –, Mario Draghi – vu également sur une ligne divergente de l’orthodoxie rigoriste de Wolfgang Schäuble [Ministre allemand des Finances] – et, enfin, sur le facteur américain – perçu comme pouvant faire pression sur le gouvernement allemand. Tout cela s’est révélé une illusion complète. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier l’existence de contradictions dans le bloc adverse : le FMI, par exemple, a une logique de fonctionnement et des priorités en partie distinctes de celles de la Commission européenne. Ceci dit, toutes ces forces convergent sur un point fondamental : dès qu’une menace réelle émerge, et Syriza en était une car il remettait en cause l’austérité et le néolibéralisme, toutes ces forces ont fait bloc pour la détruire politiquement. Voyons le numéro de François Hollande. Il essaie d’endosser auprès de l’opinion française un rôle soi-disant amical vis-à-vis des Grecs. En réalité, il n’a été qu’un facilitateur de l’écrasement du gouvernement grec par le gouvernement allemand : ces acteurs-là sont d’accord sur l’essentiel, à savoir sur une stratégie de classe — les divergences ne portent que sur des nuances.

Hollande n’a été qu’un facilitateur de l’écrasement du gouvernement grec par le gouvernement allemand : ces acteurs-là sont d’accord sur l’essentiel, à savoir sur une stratégie de classe.

Que faire maintenant, en dehors du cadre de l’Union européenne ? Penser pouvoir s’appuyer sur l’administration Obama est une fausse bonne idée, on l’a vu. Quant à la Russie, c’était sans doute une carte à explorer. Syriza l’a tentée sans vraiment y croire ; en réalité, la diplomatie russe est très conservatrice. Elle ne vise pas du tout à favoriser des ruptures dans le bloc européen. La Russie, dans ses pourparlers avec Syriza, souhaitait un gouvernement dissonant quant à l’attitude antirusse des Occidentaux suite à l’affaire ukrainienne et aux sanctions économiques. Mais à condition de rester dans le cadre de l’Union européenne et de l’euro ! En dépit de quelques bonnes paroles, la Russie n’a été, à aucun moment, un allié du gouvernement Syriza : il me semble douteux de croire qu’elle serait disposée à faire davantage si les choses étaient allées jusqu’à la rupture.

 

D’aucuns avancent que Tsipras temporise et attend les élections générales espagnoles de novembre pour avoir le soutien de Pablo Iglesias – en pariant sur une victoire de Podemos. Cela vous semble-t-il crédible ?

Ce genre de propos relève d’une tromperie manifeste. En signant cet accord, la Grèce est soumise à un carcan qui va bien au-delà de celui imposé par les mémorandums précédents. C’est un véritable mécanisme institutionnalisé de mise sous tutelle du pays et de démembrement de sa souveraineté. Il ne s’agit pas simplement d’une liste – comme les naïfs peuvent le croire – de mesures d’austérité très dures, mais de réformes structurelles qui remodèlent le cœur de l’appareil d’État : le gouvernement grec perd en effet le contrôle des principaux leviers de l’État. L’appareil fiscal devient une institution dite « indépendante » ; elle se retrouve en fait dans les mains de la Troïka. Un conseil de politique budgétaire est mis en place, qui est habilité à opérer des coupes automatiques sur le budget si le moindre écart est signalé par rapport aux objectifs en matière d’excédents, fixés par les mémorandums. L’agence des statistiques devient elle aussi « indépendante » ; en réalité, elle devient un appareil de surveillance en temps réel des politiques publiques directement contrôlé par la Troïka. La totalité des biens publics considérés comme privatisables sont placés sous le contrôle d’un organisme piloté par la Troïka.

Privé de tout contrôle de sa politique budgétaire et monétaire, le gouvernement grec, quelle que soit sa couleur, est désormais dépossédé de tout moyen d’agir. La seule chose qui reste sous contrôle de l’État grec est l’appareil répressif. Et on voit bien qu’il commence à être utilisé comme avant, c’est-à-dire pour réprimer des mobilisations sociales. Les gaz lacrymogènes déversés sur la place Syntagma du 15 juillet, suivis d’arrestations de militants, de passages à tabac et maintenant de procès devant les tribunaux de syndicalistes, ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend lorsque la situation sociale se durcira, lorsque les saisies des résidences principales se multiplieront, lorsque les retraités subiront de nouvelles coupes dans leur retraite, lorsque les salariés seront dépossédés du peu de droits qu’ils leur restent. Le maintien du très autoritaire Yannis Panoussis comme ministre responsable de l’ordre public, et qui se voit également confier le portefeuille de l’immigration, est un signal clair du tournant répressif qui s’annonce. Ceux qui évoquent donc une stratégie de « gain de temps » ne provoquent chez moi qu’un mélange de dégoût et de révolte.

 

Vous analysez les résultats du référendum du 5 juillet comme un vote de classe. Pensez-vous, comme Frédéric Lordon en France, que l’Union européenne et l’euro sont l’opportunité historique donnée à la gauche radicale de reconstruire une frontière de classe dans nos sociétés européennes ? Faut-il, d’après vous, profiter des élans d’une sorte de « patriotisme émancipateur » (« Défendre les Grecs contre la Troïka », dit-on) – pour constituer des identités politiques « nationales-populaires » (Gramsci), comme en Amérique latine ?

Je me situe, de par ma formation intellectuelle au sein du marxisme, à la convergence de ces deux dimensions : associer la dimension de classe et la dimension nationale-populaire. Cela me paraît d’autant plus pertinent dans le cadre des pays dominés comme la Grèce. Disons-le sans ambages : l’Union européenne est une construction impérialiste – par rapport, certes, au reste du monde, mais aussi en interne, au sens où elle reproduit des rapports de domination impériale en son sein. On peut distinguer au moins deux périphéries : la périphérie Est (les anciens pays socialistes), qui sert de réservoir de main-d’œuvre bon marché, et la périphérie Sud (c’est un sud géopolitique, et non géographique, qui inclut l’Irlande). Ces pays sont soumis à des régimes de souveraineté limitée de plus en plus institutionnalisés via la mécanique des mémorandums. Quant à la force du vote « non » au référendum, elle vient de l’articulation de trois paramètres : la dimension de classe, la dimension générationnelle et la dimension nationale-populaire. Cette dernière explique pourquoi le « non » l’a emporté même dans les départements de tradition conservatrice. Je pense que pour devenir hégémonique, la gauche a besoin de tenir les deux bouts. D’abord, une identité de classe adaptée à l’ère du néolibéralisme, du capitalisme financier et des nouvelles contradictions qui en résultent — la question de la dette et des banques est un mode essentiel (mais non unique) sur lequel repose aujourd’hui l’antagonisme entre Travail et Capital. Par ailleurs, ces forces de classe doivent prendre la direction d’un bloc social plus large, capable d’orienter la formation sociale dans une nouvelle voie. Il devient ainsi bloc historique qui « se fait Nation » , autrement dit, qui assume une hégémonie nationale-populaire. Antonio Gramsci a beaucoup travaillé là-dessus, oui : articuler la dimension de classe et nationale-populaire.

Il s’agit d’une question complexe, qui se pose différemment selon chaque histoire nationale. En France, ou dans les nations anciennement coloniales et impérialistes, la notion nationale-populaire ne se pose pas de la même façon qu’en Grèce ; comme elle ne se pose de la même façon en Grèce qu’en Tunisie, ou dans un pays asiatique ou latino-américain. L’enjeu est d’analyser les contradictions propres des formations sociales. Ceci étant dit, la force de Syriza, et plus largement de la gauche radicale grecque (qui a un enracinement profond dans l’histoire contemporaine du pays et dans les luttes pour la libération nationale), est qu’elle combine la dimension de classe et la dimension nationale-populaire.



Le scénario grec a permis de dessiller les yeux des défenseurs de l’« autre Europe ». N’est-ce pas là le grand succès de Syriza : avoir révélé en quelques semaines la nature anti-démocratique des institutions européennes ? Par exemple, le dernier vote au Parlement grec a donné à voir un spectacle ahurissant : des députés qui doivent se prononcer sur un texte de 977 pages, reçu 24 heures plus tôt…

Il faut bien que les défaites servent à quelque chose ! Malheureusement, ce que je vois dominer, même maintenant, dans la gauche radicale, ce sont des réflexes d’auto-justification : malgré tout, il faut trouver des excuses à ce que fait Tsipras, tourner autour du pot, laisser croire qu’il ne s’agit que d’un mauvais moment à passer, etc. J’espère que ce n’est qu’un mécanisme psychologique transitoire face à l’étendue du désastre et que nous aurons rapidement le courage de regarder la réalité en face, le courage de réfléchir sur les raisons de ce désastre. Je ne sais pas, pour ma part, ce qu’il faut de plus comme démonstration éclatante de l’inanité de la position selon laquelle on peut rompre avec le néolibéralisme dans le cadre des institutions européennes ! L’un des aspects les plus choquants des développements qui font suite à la signature de l’accord est qu’on est revenu exactement à la situation de 2010-2012, en matière de démocratie, ou plutôt de sa négation ! À savoir que même les procédures formelles de la démocratie parlementaire – on voit d’ailleurs qu’elles ne sont pas que formelles au regard des efforts déployés pour les supprimer – ne sont pas respectées. Les députés n’ont eu que quelques heures pour prendre connaissance de pavés monstrueux qui changent de fond en comble le code de procédure civile : 800 pages, qui faciliteront la saisie des maisons ou renforcent la position juridique des banques en cas de litige avec des emprunteurs. En outre, on trouve dans ce même projet de loi la transposition d’une directive européenne sur l’intégration au système bancaire européen, qui permet, en cas de faillite des banques, de pratiquer ce qu’on appelle un « bail-in », c’est-à-dire un prélèvement sur les dépôts bancaires pour renflouer les banques. Le cas chypriote se généralise à l’échelle de l’Europe. Tout cela a été voté le 22 juillet par les mêmes procédures d’urgence que Syriza n’avait cessé de dénoncer durant toutes ces années, et qu’il est désormais obligé d’accepter puisqu’il a capitulé devant les créanciers. Le mot « capituler » est sans doute faible. J’ai vraiment des réactions de honte quand je vois un parti dont je suis toujours membre être au gouvernement et se livrer à ce type de pratiques, qui tournent en dérision les notions les plus élémentaires du fonctionnement démocratique des institutions.

 

Après le vote par le Parlement grec de l’accord d’austérité et desdites « réformes structurelles », comment se redéfinit l’échiquier politique grec ? Va-t-on vers une scission de Syriza ou, du moins, une recomposition des forces de gauche radicale ? D’autant que les grèves repartent et la place Syntagma se remplit de nouveau...

La recomposition est certaine et elle sera de grande ampleur. Il est peut-être trop tôt pour en avoir les contours exacts mais j’aimerais insister sur deux éléments. Le premier est la situation interne de Syriza. Il faut bien comprendre que les choix du gouvernement Tsipras n’ont pas de légitimité au sein du parti. La majorité des membres du Comité central a signé un texte commun, dans lequel l’accord est rejeté et considéré comme le produit d’un coup d’État contre le gouvernement grec. Une convocation immédiate du comité central est exigée — et elle s’est heurtée à une fin de non-recevoir de Tsipras, président du parti élu, lui-aussi, directement par le Congrès. La quasi-totalité des fédérations du parti et des sections locales votent des motions dans le même sens. On est devant une situation de blocage. Du côté des proches de Tsipras, le ton devient extrêmement agressif envers ceux qui sont en désaccord avec les choix qui ont été faits. Il est très choquant de voir que certains membres du parti reprennent mot pour mot les arguments propagés par les médias, jusqu’aux calomnies qui présentent les défenseurs de plans alternatifs, comme Varoufákis ou Lafazanis, comme des putschistes, des comploteurs de la drachme, des alignés sur le Grexit, façon Schäuble. Nous avons donc peu de raisons d’être optimistes quant à l’évolution de la situation interne de de Syriza.

Mais l’essentiel est ailleurs. La gauche de Syriza, dans ses diverses expressions (même si la Plateforme de gauche en constitue l’épine dorsale), se fixe à présent comme objectif la traduction et la représentation politique du peuple du « non » aux mémorandums et à l’austérité. La situation nouvelle créée est que le bloc social, avec ses trois dimensions – de classe, de génération et national-populaire –, se retrouve désormais orphelin de représentation politique. C’est à cette construction politique qu’il faut maintenant s’atteler. Il s’agit de rassembler, de façon très large, des forces politiques à l’intérieur et l’extérieur de Syriza. Les premiers signes qui nous parviennent sont positifs. Mais il est vital d’impliquer également dans ce nouveau projet des acteurs non strictement politiques, qui ont mené la bataille du « non » par en-bas, dans le mouvement social. C’est absolument extraordinaire : les initiatives, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les quartiers, ont littéralement fusé en l’espace de quelques jours ; d’autres se sont créées dans la foulée du référendum ou se constituent actuellement.

L’image que véhiculent les médias, selon laquelle « en Grèce, tout le monde est soulagé, Tsipras est très populaire », est très loin de la réalité. Il y a un très grand désarroi, de la confusion, une difficulté à admettre ce qui s’est passé. Un ami a utilisé le terme de « choc post-traumatique ». Cela signifie qu’une partie de l’électorat du « non » est dans un tel désarroi qu’elle ne sait plus sur quel pied danser et se dit qu’il n’y avait peut-être pas d’autre choix possible. Mais nombreux sont ceux, surtout parmi les secteurs sociaux les plus massivement engagés dans le « non » – à savoir les jeunes et les milieux populaires –, qui sont révoltés et disponibles pour participer ou soutenir un projet alternatif. La Plateforme de gauche tient son premier meeting public au grand air à Athènes, lundi prochain [27 juillet — aujourd’hui]. Le titre de cette manifestation sera : « Le non n’est pas vaincu. Nous continuons. » Il faut construire de façon nouvelle la voix du « non » de classe, démocratique et anti-Union européenne.

C’est la stratégie qu’aurait dû entreprendre la gauche radicale française suite à la victoire du « non » au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005, non ?

Exactement. Et au lieu de ça, elle a régressé et s’est empêtrée dans des luttes de boutique internes. Au lieu de pousser la critique de l’UE plus loin, à partir de l’acquis de la campagne du « non », elle est revenue en arrière et n’a cessé de rabâcher la litanie de « l’Europe sociale » et de la réforme des institutions européennes...

 

Le projet d’une plateforme commune des gauches radicales sud-européennes, afin d’établir un programme concerté de sortie de l’euro, est-il envisageable ?

Ce qui m’intéresse est une stratégie anticapitaliste pour ici et maintenant, dans un pays européen et dans la conjoncture où nous vivons.

Depuis 35 ans, j’essaie d’être un militant communiste. Ce qui m’intéresse est une stratégie anticapitaliste pour ici et maintenant, dans un pays européen et dans la conjoncture où nous vivons. Et je considère effectivement que cela serait la médiation nécessaire afin d’établir une stratégie anticapitaliste effective, non pas basée sur un propagandisme abstrait ou sur des velléités de répétition des schémas anciens dont on sait pertinemment qu’ils ne sont plus valides, mais sur les contradictions actuelles ; une stratégie qui tire les leçons des expériences politiques récentes, des luttes, des mouvements sociaux et qui essaie d’avancer dans ce sens, en posant la question du pouvoir et de la stratégie politique. Ce n’est donc pas simplement un projet prétendument « anti-européen », ce n’est d’ailleurs pas un projet limité à l’Europe du Sud, mais un projet authentiquement internationaliste — qui suppose en effet des formes de coordination plus avancées des forces d’opposition au système. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle gauche anticapitaliste. Et l’une des conditions, non pas suffisante mais nécessaire pour y parvenir, est d’ouvrir un front résolu contre notre adversaire actuel, c’est-à-dire l’Union européenne et tout ce qu’elle représente.

 

Dans vos interviews, écrits et articles, vous avez pris l’habitude d’écrire systématiquement entre guillemets « la gauche de la gauche » ou « la gauche radicale ». Cette incapacité à se définir clairement – sans ambages ni guillemets – marque-t-elle le signe que les identités politiques héritées du XXe siècle sont, pour partie, devenues obsolètes ?

Le terme de « gauche radicale » est sans doute utile car il correspond à cette situation mouvante. On est dans un entre-deux et les formulations souples sont nécessaires, ou du moins inévitables, pour permettre aux processus de se déployer de façon nouvelle, en rupture avec des schémas préétablis. Ce qui caractérise Syriza sont ses racines très profondes dans le mouvement communiste et la gauche révolutionnaire grecque. En d’autres termes, Syriza est issu de la recomposition de mouvements dont le but commun était la remise en cause, non pas seulement des politiques d’austérité ou néolibérales, mais du capitalisme lui-même. Il y a donc d’un côté un aspect de radicalité réelle, mais de l’autre, on a vu que la stratégie choisie était profondément inadéquate et renvoyait à des faiblesses de fond et, par là même, à des contradictions dans la constitution de Syriza, qui n’a pas résisté à cette épreuve terrible du pouvoir gouvernemental. La contradiction a ainsi fini par éclater. Il s’agit à présent d’assumer ce fait et de passer à une étape suivante pour que cette expérience chèrement acquise par le peuple grec et les forces de la gauche de combat servent au moins à ouvrir une perspective d’avenir.

 

 

Entretien inédit pour le site de Ballast.

 

 
Auteur
 

Stathis Kouvelakis

enseigne la philosophie politique au King’s College de l’université de Londres, est membre du comité central de Syriza et du Courant de gauche de ce parti.
Membre de la rédaction de la revue Contretemps, il a dirigé l’ouvrage Y a t il une vie après le capitalisme ? (Le Temps des Cerises, 2008) et il est l’auteur de La France en révolte : Luttes sociales et cycles politiques (Textuel, 2007) et de Philosophie et révolution, De Kant à Marx (PUF, 2003). Il est membre du comité central de la Coalition de gauche grecque SYRIZA -EKM.

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

 

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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 19:41

 

 

Grèce: premiers chiffres de la dévastation économique

|  Par martine orange

 

 

Cinq semaines après l’instauration du contrôle des capitaux, de la fermeture des banques et des marchés, les dommages portés à l’économie grecque paraissent immenses. La reconstruction du système bancaire grec, totalement effondré, se retrouve au cœur des différends européens.

 

C’est une économie grecque dévastée qui semble émerger cinq semaines après l’instauration du contrôle des capitaux, de la fermeture des banques et des marchés. Fermée depuis le 29 juin, la Bourse d’Athènes a rouvert lundi 3 août, donnant une première mesure des dommages causés par ces restrictions. Dans les premières échanges, le marché, bien que strictement encadré – les ventes à découvert avaient notamment été interdites – affichait une chute de 22,8 %, avant de se reprendre pour terminer la séance sur une baisse de 16,23 %.

Les chiffres ont les allures d’un krach boursier. « La situation sur le marché boursier grec est appelée à empirer avant de s’améliorer. Il y a encore beaucoup de questions critiques qui doivent être résolues », prédit Luca Paolini, chef stratégiste de Pictet à Londres, cité par l’agence Bloomberg. Parmi les questions critiques, figure celle des banques, très fortement touchées par la fermeture des guichets et le contrôle des capitaux décidés le 29 juin. Dès les premiers échanges, les cinq principales banques grecques – National Bank of Greece, Attica Bank, Piraeus Bank, Eurobank, Alpha Bank – s’effondraient et touchaient la limite à la baisse de 30 % fixée par les autorités boursières.

 

indice à la Bourse d'Athènes le 3 août à l'ouvertureindice à la Bourse d'Athènes le 3 août à l'ouverture © Reuters
 

L’inquiétude sur la solidité du secteur bancaire s’est renforcée avec la publication au même moment de l’indice Markit sur les prévisions des directeurs d’achat. Un indice très suivi par les milieux financiers, qui donne une représentation du climat des affaires. Pour la Grèce, cet indice fait état d’une chute sans précédent. En un mois, il est tombé de 46,9 à 30,2  – le point d’équilibre de cet indice s’établit à 50 – dans l’industrie manufacturière grecque.

indice sur le climat des affaires en Grèceindice sur le climat des affaires en Grèce © markit

« Des contractions record ont été enregistrées dans tous les domaines, que ce soit dans la production, les carnets de commandes, l’emploi et les stocks », commente Phil Smith, économiste de Markit, impressionné par les chiffres. « La production manufacturière s’est effondrée en juillet alors que la crise de la dette s’est amplifiée. Les entreprises ont fait face à une chute spectaculaire des commandes et étaient souvent dans l’incapacité de se procurer des produits dont ils avaient besoin, en particulier à l’étranger, la fermeture des banques et les restrictions sur les capitaux nuisant gravement à leur activité. La demande a été gravement frappée en raison des incertitudes sur l’avenir de la Grèce, amenant à la fois une chute des commandes et des exportations. Il faudra beaucoup de temps pour tout ceci se redresse », poursuit-il. Avant de conclure : « Bien que l’industrie manufacturière représente une très faible part de la production grecque, l’ampleur de la chute envoie un signal inquiétant sur la santé de l’économie dans son ensemble. »

Ce n’est que la première traduction chiffrée du contrôle des capitaux et de la fermeture des banques imposés le 29 juin après la décision de la BCE de ne plus assurer la liquidité des banques (lire : La BCE enclenche le plan B). Même si les banques ont rouvert depuis quinze jours, les retraits sont limités à 60 euros par jour et à 420 euros par semaine et le contrôle des capitaux est maintenu. Pour longtemps, selon de nombreux observateurs. Compte tenu de ces mesures restrictives, la récession est inévitable, d’après de nombreux économistes. Ils tablent sur une chute d’au moins 2 %  du PIB cette année, après une baisse de 25 % depuis 2008. Mais leurs prévisions ne prennent pas en compte les effets récessifs du troisième plan de sauvetage européen, estimés au moins à une chute de 4 à 5 points de PIB supplémentaires, s’il est adopté.

Ce nouvel effondrement de l’économie fragilise un peu plus le système bancaire grec. Les banques, qui ont dû faire face à 40 milliards d’euros de retrait depuis décembre 2014, dépendent entièrement de la Banque centrale européenne pour assurer la liquidité du système. Les fonds d’urgence de liquidité (ELA) accordés par la BCE s’élèvent désormais à 92 milliards d’euros. Mais leur solvabilité est désormais aussi en question. À combien se montent désormais leurs créances douteuses, alors que l’économie s’effondre, que les entreprises ne peuvent plus travailler et honorer leurs échéances, que les ménages n’ont plus de quoi rembourser leur crédit ?

De la Troïka au Quadrige

 

© Reuters
 

Une recapitalisation des banques grecques, accompagnée peut-être d’une réorganisation du système et de fusion de certains établissements, s’impose. Fin juin, les premières estimations évoquaient le chiffre de 10 milliards d’euros. Mais plus le temps passe, plus les risques augmentent et plus l’addition s’alourdit : aujourd’hui, le chiffre de 25 milliards d’euros circule à Francfort comme à Athènes. Des tests de résistance (stress tests) devraient être menés dans le courant du mois pour évaluer le montant des besoins réels des banques.

Selon le Financial Times, le sujet serait inscrit dès cette semaine à l’agenda des négociations entre le gouvernement grec et le dénommé “Quadrige”, puisque désormais le Mécanisme européen de stabilité a rejoint les membres de l’ancienne Troïka (Union européenne, FMI et BCE). Les banques sont au cœur du plan de sauvetage européen.

Les responsables européens sont restés très silencieux sur le dossier. Mais en coulisses, les désaccords sont nombreux, comme d’habitude. Toujours convaincu que la sortie de la Grèce de la zone euro est la meilleure solution possible et finira par s’imposer, le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, défend une ligne dure, la moins engageante pour le reste de l’Europe : le renflouement des banques grecques doit, selon lui, passer par l’éviction des actionnaires et des créanciers bancaires et par la mise à contribution des déposants par le biais d’une taxation des dépôts, comme cela s’est fait à Chypre, comme cela est prévu dans les textes européens.

Cette solution ne convient pas du tout à Mario Draghi, le président de la  BCE, à la France et à l’Italie notamment. Sortant pour une fois de sa légendaire réserve, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, s’est fait le porte-parole de ces oppositions : « Je suis contre l’idée de solliciter les gros déposants grecs car ce sont aujourd’hui en majorité des PME. Cela reviendrait à détruire l’outil productif du pays », a-t-il déclaré le 24 juillet dans un entretien au Monde. Face à l’urgence de la situation, de la menace d’un effondrement du système bancaire, il préconise une première recapitalisation « dès cet été, afin de stabiliser le système ». Dans l’urgence, cet apport, soutient la BCE, pourrait être réalisé par le Mécanisme européen de stabilité, le fonds de sauvetage européen, qui dispose encore d’une petite dizaine de milliards d’euros. Cet argent serait garanti par les privatisations à venir.

Quelle ligne va l’emporter ? Une course de vitesse en tout cas s’est engagée. Plus le temps avance, plus un accord formalisé avant le 20 août, date d’une nouvelle échéance de paiement à la BCE, sur le troisième plan de sauvetage grec paraît s’éloigner. Le FMI a déjà annoncé qu’il excluait d’y participer, si les créanciers européens n’acceptaient une restructuration de la dette. De son côté, Berlin a fait savoir, par le biais du magazine Focus, qu’obtenir le vote du Bundestag, indispensable dans le processus du troisième plan de sauvetage grec, avant le 20 août lui paraissait hors de portée. Il suggère donc un nouveau prêt-relais à la Grèce, comme cela a été fait en juillet, mais consenti cette fois par le Mécanisme européen de stabilité.

Cette solution n’aurait que des avantages aux yeux de Berlin. D’une part, cela permettrait d’assurer le remboursement de l’échéance de 3,2 milliards dus à la BCE par Athènes. Comme en juillet, l’argent prêté d’une main par les créanciers reviendrait dans l’autre, sans qu’il n’en coûte rien aux Européens, même si cela alourdit un peu plus la dette de la Grèce. D’autre part, cela diminuerait les capacités du fonds européen : il faudrait bien trouver une autre solution alors pour renflouer les banques grecques, en commençant par en appeler aux déposants. Même si rien n’est ouvertement dit, cette dernière mesure pourrait être celle qui amène les Grecs, déjà passablement désorientés et déstabilisés par tout ce qu’ils ont vécu ces derniers mois, à finalement opter pour une sortie de l’euro. Sans en avoir l’air, Wolfgang Schäuble continue d’avancer ses pions.

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 19:31

 

Source : http://russeurope.hypotheses.org/4164

 

 

Les perspectives d’un Front contre l’Euro
 

Interview pour le De Groene Amsterdammer (Journal d’Amsterdam)

 

Texte intégral d’un entretien accordé à un magazine d’Amsterdam, qui sera publié (traduit en néerlandais) au début du mois de septembre. Je publie ici la version « longue » de cet entretient.

 

  • Dans une pièce publiée sur le site du Monde Diplomatique, l’économiste français Frédéric Lordon appelle à une stratégie de “liquidation et reconstruction” pour la gauche européenne par rapport à  la question de l`euro.

 

Sur le processus que la gauche européenne devra subir je suis entièrement d’accord avec Fréderic Lordon. La gauche européenne ne sortira pas intacte de la crise grecque. Il est clair que nous en passerons par un triple processus. Ce processus comprendra une par de liquidation, car une fraction de la « gauche » va abandonner ses principes et ses objectifs et se transformer, si ce n’est déjà fait (comme en France), en une droite modérée. Il y aura, aussi, un processus de reconstruction avec l’émergence de nouvelles forces de gauche, qui ne seront pas nécessairement issues de l’aire politique dite « de gauche » et qui pourraient provenir de l’espace aujourd’hui occupé par le populisme. Enfin, nous connaîtront un processus d’évolution qui concernera la « Gauche Radicale », et qui est déjà en train de se produire en France avec la Parti de Gauche, qui a radicalisé sa position sur l’Euro[1], mais aussi en Allemagne avec des prises de position au sein de Die Linke[2], voir en Italie et en Espagne. Cette recomposition de la gauche sera aussi importante que celle que nous avons connue, en France, entre 1939 et 1945, quand des courants «chrétiens» ont commencé à basculer vers la gauche, ou que celle qui eut lieu sous le gaullisme historique (1958-1969) avec la fin de la SFIO et la naissance du Parti Socialiste actuel. Cette recomposition, néanmoins, sera un processus relativement long. Il ne faut pas s’attendre à ce que se développent de nouveaux partis ou des associations de partis en quelques mois.

 

  • Êtes-vous d’accord avec ce processus de “contention” proposé par Lordon, ou croyez-vous qu’un Lexit radicale ne soit pas préférable?

L’analyse de Fréderic Lordon, qui oppose une « contention » de l’Euro à une sortie « de gauche » (ou « Lexit »), ne correspond pas à la réalité. Ou, plus précisément, elle ne pose pas la question qui sera réellement celle de la période. En fait, le choix sera entre soit un processus désordonné, chaotique, de sortie de l’Euro soit un processus plus ordonné, qui aboutirait à une dissolution de la zone Euro. C’est cela la question qui sera réellement importante.

Après, il est évident que, quelque soit la solution qui prévaudra, il faudra une large unité, alliant tant des courants de la gauche reconstruite que des courants de droite et des courants populistes pour que cette sortie de l’Euro puisse être menée à bien, mais aussi pour que des mesures importantes, permettant en particulier à la France de tirer les plus de bénéfices en matière d’emploi et de croissance, soient possibles. Il faut savoir que les européistes de « gauche » et de droite opposeront une résistance farouche, et joueront – très probablement – la politique du pire. On ne peut exclure, de la part de personne comme François Hollande ou comme Alain Juppé, une politique « de la terre brûlée » afin de laisser croire que la sortie de l’Euro ne pouvait engendrer qu’un désastre. Il importera de réaliser l’unité la plus large possible afin de les désarmer.

C’est pour cela que je pense que toute sortie de l’Euro, qu’elle soit chaotique ou qu’elle soit ordonnée, impliquera des mesures qui en feront une mesure de gauche. Nous nous trouvons devant une situation qui, comme lors de la Résistance et de la Libération, impliquera que les français s’unissent, mais autour d’un programme clair. L’unité nationale pour l’unité nationale n’a pas de sens. Il faudra donc lui donner un contenu. Et ce programme ne pourra être, quelque soit le gouvernement qui le mettra en œuvre, qu’un programme de gauche. Car, il faut savoir que si une sortie de l’Euro est incontestablement une condition nécessaire à la mise en œuvre d’un programme ramenant le plein emploi et la croissance, elle ne sera pas une condition suffisante. Si nous nous donnons pour objectif une sortie ou un démantèlement de l’Euro qui permette aux pays d’Europe du Sud de retrouver une forte croissance et le plein-emploi, cela impliquera, quelle que soit les forces qui le porteront, un programme économique que l’on pourrait considérer comme « de gauche ».

 

  • Quels raisons conduisent, dans vos yeux, la gauche européenne à tenir une position si fortement europhile par rapport à la question du monétarisme européen?

L’attachement d’une très large partie de la « gauche » européenne à l’Euro, un attachement qui l’a conduit à accepter ce que vous appeler un « monétarisme européen », et que je qualifierai de politique monétaire favorisant et accentuant en réalité une financiarisation de nos économies et agissant pour le bien d’une petite minorité au détriment du plus grand nombre, cet attachement à des causes multiples et une longue histoire. Cet attachement renvoie tout d’abord à l’histoire d’amour qui existe entre une partie de la « gauche » européenne et l’Europe. Cette histoire d’amour entre l’Europe et une partie de la gauche européenne est une vieille histoire. Elle s’enracine dans la Guerre Froide. Il fallait alors, à la gauche social-démocrate un « projet » qui puisse être opposé au projet soviétique. C’est pourquoi la social-démocratie a été, avec la démocratie chrétienne, l’un des parents de la communauté économique européenne, puis de l’UE. De plus, ce rattachement à l’idée européenne permettait de se couvrir stratégiquement du parapluie américain, par le bais de l’OTAN. L’idée européenne permettait ainsi à la social-démocratie de faire l’économie d’une véritable réflexion sur la nature de la Nation, sur les impératifs de défense, et sur une réelle stratégie d’insertion internationale qui soit compatible avec le progrès social. L’idée européenne a été en fait un substitut à ces différentes réflexions. Elle a servi de cache-misère à une absence de réflexion programmatique. Mais, d’autres facteurs ont joué un rôle important.

La social-démocratie voyait aussi, dans un projet de type « fédéral », la possibilité d’imposer aux « forces de la réaction », et dans les années 1980 celles-ci étaient identifiées en Grande-Bretagne avec le Thatchérisme, des mesures sociales. La social-démocratie s’était convaincue, surtout en France et en Italie, de l’impossibilité de faire « un autre politique économique » dans le cadre national. C’est pourquoi, elle reportait ses espoirs sur une politique à l’échelle de l’Europe. Elle a été rejointe par ce qui survivait des partis communistes, en tout les cas de leurs courants « eurocommunistes », après la dissolution de l’Union soviétique. Pour ces courants aussi, l’idée européenne a fonctionné comme un substitut à une utopie dont la forme particulière de concrétisation, et sur laquelle j’ai beaucoup travaillé dans le passé, s’était effondrée[3].

Dans ce cadre, le projet de la « monnaie unique » apparaissait comme un levier qui accélèrerait la réalisation de ce fédéralisme européen que cette « gauche » appelait de ses vœux. Mais, il est intéressant de constater que, jamais, la « gauche » ne s’est posée la question des implications économiques, et en particulier financières, de ce fédéralisme européen. Aussi tient-elle depuis maintenant près de vingt ans un discours sur la nécessité de faire « plus d’Europe », de faire « mieux d’Europe », sans jamais produire une réflexion réelle sur comment avancer dans ces directions face aux contradictions réelles entre les différents pays de l’Union européenne. Le fait que la monnaie unique ait produit non une convergence mais une divergence entre les Etats de la zone Euro n’a jamais été accepté ni même reconnu. Parce que le projet de la monnaie unique était essentiellement politique, il a engendré une croyance quasi-religieuse dans les « bienfaits » de la zone Euro. Et, comme toute croyance religieuse, celle-ci produit ses intégristes et ses fanatiques. Une large part de la social-démocratie européenne, et de ses alliés électoraux, a basculé dans cet intégrisme et ce fanatisme, qui lui fait accepter désormais l’inacceptable. C’est pourquoi, dès que l’on remet en cause ce dogme religieux, on est soumis à des procès en sorcellerie, accusé d’être d’extrême-droite et que sais-je encore.

 

  • Un sondage allemand a estimé qu’environs 53% des électeurs du parti allemand Die Linke sont en faveur de la stratégie déployée par Merkel pendant les négociations. Quelle analyse offrez-vous pour ce nombre quand même bouleversant?

Ce n’est pas véritablement étonnant. D’une part, il faut dire que la zone Euro profite très largement à l’Allemagne. Sans l’Euro, si l’Allemagne avait conservé le DM, ce dernier se serait certainement fortement apprécié par rapport à l’Euro, de 20% à 25%. Les allemands le sentent bien. Ils comprennent, intuitivement, qu’une partie de leur richesse provient de l’Euro. Ils comprennent aussi que toute stratégie autre que celle qu’a suivie Mme Merkel impliquerait un prélèvement sur cette richesse. C’est en particulier le cas avec le fédéralisme européen que voudrait imposer le gouvernement français. Ce fédéralisme, qui est nécessaire au bon fonctionnement de la zone Euro, implique des transferts entre les pays riches et les pays pauvres de la zone. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans tous les Etats, que ce soit en Allemagne, en France ou aux Etats-Unis. C’est une des conditions nécessaires à l’existence d’une monnaie unique. Mais, ce fédéralisme impliquerait que l’on prélève sur la richesse de l’Allemagne de 8% à 12% du PIB tous les ans, et ce sur une période d’au moins dix ans. La stratégie de Mme Merkel est ainsi parfaitement logique si l’Allemagne vaut profiter de l’Euro et ne pas en payer le prix.

D’autre part, Die Linke n’a jamais voulu – jusqu’à maintenant – aborder de manière frontale la question de l’Euro, contrairement à ce que fit son fondateur Oskar Lafontaine. Il n’y a eu aucune pédagogie menée par ce parti sur la question de l’Euro, et sur l’asymétrie fondamentale qu’il produit dans ses effets entre les pays de la zone Euro. Aussi, ce résultat ne me surprend nullement.

 

  • Dans un texte publié sur le blog de l’ex-ministre grec Yanis Varoufakis, le député italien Stefano Fassina exprime sa préférence pour `une alliance de fronts de libération` européenne, en appelant à une coalition de souverainistes de droite et mouvements sociales de gauche. Croyez-vous que cette stratégie est préférable, et, plus important, faisable sur le plan pan-européen contemporain?

L’article a été écrit par Stefano Fassina, un membre du Parlement italien, appartenant au parti de centre-gauche du Premier Ministre italien, et lui-même ancien vice-Ministre des finances du gouvernement Letta, qui précéda celui de Matteo Renzi après avoir été le responsable national de son parti à l’économie et au travail[4]. Il fut aussi éditorialiste à l’Unita, l’ancien journal du PCI. On ne peut donc le qualifier de personnalité de droite, ou même de personnalité marginale dans la vie politique italienne. C’est pourquoi il nous faut prendre son appel très au sérieux. Que dit-il en substance ? « Nous devons reconnaître que l’Euro fut une erreur de perspective politique. Il nous faut admettre que dans la cage néo-libérale de l’Euro, la Gauche perd sa fonction historique et qu’elle est morte comme force servant la dignité et l’importance politique du travail ainsi que de la citoyenneté sociale en tant qu’instrument d’une démocratie réelle »[5]. Il conclut enfin en écrivant : « Pour une désintégration qui soit gérée de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance de fronts de libération nationale »[6]

A partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. Vouloir se masquer cela aboutirait à une impasse. La véritable question qu’il convient de poser est donc de savoir s’il faut faire de ce démantèlement de l’Euro une priorité.

Les raisons données par Fassina dans la première citation sont à mon avis très claires et très convaincantes. L’Euro est devenu un obstacle tant à la démocratie (et on l’a vu en Grèce) mais aussi à une politique en faveur du travail et opposée à la finance. Mais, elles n’épuisent nullement le sujet. L’Euro a accentué et généralisé le processus de financiarisation des économies[7]. C’est du fait de l’Euro que les grandes banques européennes sont allées chercher des subprimes aux Etats-Unis avec les conséquences que l’on connaît en 2008. Ainsi, non seulement la zone Euro a entraîné une partie de l’Europe dans une très faible croissance[8], mais elle ne l’a pas protégée de la crise financière de 2007-2009. Le résultat est donc clair. Si des politiques néfastes pour les économies peuvent être mises en œuvre hors de l’Euro, ce dernier implique des politiques néfastes. En fait, aucune autre politique économique n’est possible tant que l’on est dans l’Euro. C’est l’une des leçons de la crise grecque. Aussi, un démantèlement de la zone Euro apparaît bien comme une tache prioritaire.

Cependant, il faut avoir conscience que la constitution des « Fronts de Libération Nationale » pose de redoutables problèmes. Par exemple, devraient-ils se constituer uniquement autour de l’objectif d’un démantèlement de l’Euro ou devraient-ils, aussi, inclure un véritable programme de « salut public » que les gouvernements issus de ces « Fronts » devraient mettre en œuvre non seulement pour démanteler l’Euro mais aussi pour organiser l’économie dans ce que l’on appelle, avec une claire référence à la guerre nucléaire, le « jour d’après » ? En fait, on ne peut envisager l’objectif d’un démantèlement de l’Euro, ou d’une sortie de l’Euro, qu’en mettant immédiatement à l’ordre du jour un programme pour le « jour d’après ». Ce programme implique un effort particulier dans le domaine des investissements, mais aussi une nouvelle règle de gestion de la monnaie, mais aussi de nouvelles règles pour l’action de l’Etat dans l’économie, une nouvelle conception de ce que sera l’Union européenne et, dans le cas de la France en particulier, une réforme générale du système fiscal. On glisse alors, insensiblement, d’une logique de sortie ou de démantèlement de l’Euro vers une logique de réorganisation de l’économie. Un tel glissement est inévitable, et nous avons un grand précédent historique, le programme du CNR durant la seconde guerre mondiale. La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l’armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu’il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l’identique de ce que l’on avait en 1939. Nous en sommes là aujourd’hui.

L’idée de Fronts de Libération Nationale est certainement une idée très puissante, que ce soit en France ou en Italie, où cette idée à des précédents historiques d’une force symbolique considérable, mais aussi pour l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Mais, il faut comprendre cette idée comme un objectif. Les formes, à la fois politiques et organisationnelles, de ces Fronts pourraient être très différentes suivant les pays, en raison de contextes politiques eux-mêmes différents.

Notes

[1] http://www.marianne.net/alexis-corbiere-au-pg-notre-plan-b-envisage-sortie-euro-100235722.html

[2] Voir l’article publié par Nicole Gohlke et Janine Wissler, deux membres du Bundestag appartenant à Die Linke et publié dans la magazine Jacobin, https://www.jacobinmag.com/2015/07/germany-greece-austerity-grexit/

[3] Sapir J., L’économie mobilisée. Essai sur les économies de type soviétique, La Découverte, Paris, janvier 1990 ; Idem, Les fluctuations économiques en URSS – 1941-1985, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, novembre 1989.

[4] Voir, Stefano Fassina, Il lavoro prima di tutto. L’economia, la sinistra, i diritti, Donzelli, Rome, 2014

[5] Fassina S., « For an alliance of national liberationfronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/

« We need to admit that in the neo-liberal cage of the euro, the left loses its historical function and is dead as a force committed to the dignity and political relevance of labour and to social citizenship as a vehicle of effective democracy ».

[6] Idem, « For a managed dis-integration of the single currency, we must build a broad alliance of national liberation fronts ».

[7] Sapir J., Faut-il Sortir de l’Euro ?, Paris, Le Seuil, 2012.

[8] Bibow, J., “Global Imbalances, Bretton Woods II, and Euroland’s Role in All This.” in J. Bibow et A. Terzi (edits.), Euroland and the World Economy—Global Player or Global Drag? Londres, Palgrave, 2007.


Jacques Sapir

Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

 
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31 juillet 2015 5 31 /07 /juillet /2015 20:32

 

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31 juillet 2015 5 31 /07 /juillet /2015 20:03

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

Alexis Tsipras : « L’austérité est une impasse »
Entretien réalisé par 
Kostas Arvanitis (STO kokkino) traduction Théo Koutsaftis
Vendredi, 31 Juillet, 2015
L'Humanité

 

DR
 
Mercredi, Sto Kokkino, radio proche de Syriza, diffusait un long entretien avec le premier ministre grec. 
Avec l’autorisation de nos confrères, nous en publions ici de larges extraits. Un éclairage inédit sur les rudes négociations entre Athènes et créanciers et sur le coup d’État financier dirigé contre le gouvernement de gauche.

Parlons de ces six mois de négociations. Quel bilan en tirez-vous ?

Alexis Tsipras Il faudra en tirer les conclusions de façon objective, sans s’avilir ni s’autoflageller, car ce semestre a été un semestre de grandes tensions et de fortes émotions. Nous avons vu remonter à la surface des sentiments de joie, de fierté, de dynamisme, de détermination et de tristesse, tous les sentiments. Mais je crois qu’au bout du compte si nous essayons de regarder objectivement ce parcours, nous ne pouvons qu’être fiers, parce que nous avons mené ce combat. Nous avons tenté, dans des conditions défavorables, avec un rapport de forces difficile en Europe et dans le monde, de faire valoir la raison d’un peuple et la possibilité d’une voie alternative. Au bout du compte, même si les puissants ont imposé leur volonté, ce qui reste c’est l’absolue confirmation, au niveau international, de l’impasse qu’est l’austérité. Cette évolution façonne un tout nouveau paysage en Europe.

Qu’en est-il aujourd’hui du mandat populaire donné à Syriza ? Les memoranda n’ont pas été déchirés. L’accord est particulièrement dur…

Alexis Tsipras Le mandat que nous avons reçu du peuple grec était de faire tout notre possible afin de créer les conditions, quel qu’en soit le coût politique, pour que le peuple grec cesse d’être saigné.

Vous aviez dit que les memoranda seraient supprimés avec une seule loi.

Alexis Tsipras Ne vous référez pas à l’un de mes discours de 2012. Avant les élections, je n’ai pas dit que les memoranda pouvaient être supprimés avec une seule loi. Personne ne disait cela. Nous n’avons jamais promis au peuple grec une balade de santé. C’est pour cela que le peuple grec a conscience et connaissance des difficultés que nous avons rencontrées, auxquelles lui-même fait face, avec beaucoup de sang-froid. Nous avons dit que nous mènerions le combat pour sortir de ce cadre d’asphyxie imposé au pays à cause de décisions politiques prises avant 2008 générant déficits et dettes, et après 2008, nous liant les mains. Nous avions un programme et nous avons demandé au peuple de nous soutenir afin de négocier dans des conditions difficiles pour pouvoir le réaliser. Nous avons négocié durement, dans des conditions d’asphyxie financière jamais vues auparavant. Pendant six mois, nous avons négocié et en même temps réalisé une grande partie de notre programme électoral. Pendant six mois, avec l’angoisse constante de savoir si à la fin du mois nous pourrions payer les salaires et les retraites, faire face à nos obligations à l’intérieur du pays, envers ceux qui travaillent. C’était cela notre angoisse constante. Et, dans ce cadre, nous avons réussi à voter une loi sur la crise humanitaire. Des milliers de nos concitoyens, en ce moment, bénéficient de cette loi. Nous avons réussi à réparer de grandes injustices, comme celles faites aux femmes de ménage du ministère des Finances, aux gardiens d’école, aux employés de la radiotélévision publique ERT, qui a rouvert. Sans essayer d’enjoliver les choses, n’assombrissons pas tout. Si quelqu’un a le sentiment que la lutte des classes est une évolution linéaire, qu’elle se remporte en une élection et que ce n’est pas un combat constant, qu’on soit au gouvernement ou dans l’opposition, qu’il vienne nous l’expliquer et qu’il nous donne des exemples. Nous sommes devant l’expérience inédite d’un gouvernement de gauche radicale dans les conditions de l’Europe néolibérale. Mais nous avons aussi, à gauche, d’autres expériences de gouvernement et nous savons que gagner les élections ne signifie pas, du jour au lendemain, disposer des leviers du pouvoir. Mener le combat au niveau gouvernemental ne suffit pas. Il faut le mener, aussi, sur le terrain des luttes sociales.

Pourquoi avez-vous pris cette décision de convoquer un référendum ?

Alexis Tsipras Je n’avais pas d’autre choix. Il faut garder en tête ce que j’avais avec le gouvernement grec entre les mains le 25 juin, quel accord on nous proposait. Je dois admettre que c’était un choix à haut risque. La volonté du gouvernement grec n’était pas seulement contraire aux exigences des créanciers, elle se heurtait au système financier international, au système politique et médiatique grec. Ils étaient tous contre nous. La probabilité que nous perdions le référendum était d’autant plus élevée que nos partenaires européens ont poussé cette logique jusqu’au bout en décidant de fermer les banques. Mais c’était pour nous la seule voie, puisqu’ils nous proposaient un accord avec des mesures très difficiles, un peu comme celles que nous avons dans l’accord actuel, voire légèrement pires, mais dans tous les cas des mesures difficiles et à mon avis inefficaces. En même temps, ils n’offraient aucune possibilité de survie. Car, pour ces mesures, ils offraient 10,6 milliards sur cinq mois. Ils voulaient que la Grèce prenne, une fois ses engagements tenus, ce qui restait du programme précédent en termes de financements, sans un euro en plus, parce que telle était l’exigence des Néerlandais, des Finlandais, des Allemands. Le problème politique principal des gouvernements du Nord était qu’ils ne voulaient absolument pas aller devant leurs Parlements pour donner ne serait-ce qu’un euro d’argent « frais » à la Grèce, car ils s’étaient eux-mêmes enfermés dans un climat populiste selon lequel leurs peuples payaient pour ces paresseux de Grecs. Tout ceci est bien sûr faux, puisqu’ils paient pour les banques, pas pour les Grecs. Qu’a apporté la position forte tenue contre vents et marées par le peuple grec au référendum ? Elle a réussi à internationaliser le problème, à le faire sortir des frontières, à dévoiler le dur visage des partenaires européens et des créanciers. Elle a réussi à donner à l’opinion internationale l’image, non pas d’un peuple de fainéants, mais d’un peuple qui résiste et qui demande justice et perspective. Nous avons testé les limites de résistance de la zone euro. Nous avons fait bouger les rapports de forces. La France, l’Italie, les pays du Nord avaient tous des positions très différentes. Le résultat, bien sûr, est très difficile mais, d’un autre côté, la zone euro est arrivée aux limites de sa résistance et de sa cohésion. Les six prochains mois seront critiques et les rapports de forces qui vont se construire durant cette période seront tout aussi cruciaux. En ce moment, le destin et la stratégie de la zone euro sont remis en question. Il y a plusieurs versions. Ceux qui disaient « pas un euro d’argent frais » ont finalement décidé non pas seulement un euro mais 83 milliards. Donc de 10,6 milliards sur cinq mois on est passé à 83 milliards sur trois ans, en plus du point crucial qu’est l’engagement sur la dépréciation de la dette, à discuter en novembre. C’est un point clé pour que la Grèce puisse, ou non, entrer dans une trajectoire de sortie de la crise. Il faut cesser avec les contes de messieurs Samaras et Venizelos, qui prétendaient sortir des memoranda. La réalité est que ce conte avait un loup, ce loup c’est la dette. Avec une dette à 180-200 % du PIB, on ne peut pas avoir une économie stable. Le seul chemin que nous pouvons suivre est celui de la dépréciation, de l’annulation, de l’allégement de la dette. La condition pour que le pays puisse retrouver une marge financière, c’est qu’il ne soit plus obligé de dégager des excédents budgétaires monstrueux, destinés au remboursement d’une dette impossible à rembourser.

Le non au référendum était un non à l’austérité…

Alexis Tsipras Il y avait deux parties dans la question posée au référendum. Il y avait la partie A qui concernait les mesures prérequises et la partie B qui concernait le calendrier de financement. Si nous voulons être tout à fait honnêtes et ne pas enjoliver les choses, par rapport à la partie A, l’accord qui a suivi le référendum est similaire à celui que le peuple grec a rejeté. En ce qui concerne la partie B par contre, et là nous devons être honnêtes, c’est le jour et la nuit. Nous avions cinq mois, 10,6 milliards, cinq « revues ». Nous avons 83 milliards – c’est-à-dire une couverture totale des besoins financiers sur le moyen terme (2015-2018), dont 47 milliards pour les paiements externes, 4,5 milliards pour les arriérés du secteur public et 20 milliards pour la recapitalisation des banques et, enfin, l’engagement crucial sur la question de la dette. Il y a donc un recul sur la partie A de la part du gouvernement grec, mais sur la partie B il y a une amélioration : le référendum a joué son rôle. Le mercredi soir précédent le scrutin, certains avaient créé les conditions d’un coup d’État dans le pays, en proclamant qu’il fallait envahir Maximou (le Matignon grec – NDLR), que le gouvernement emmenait le pays vers une terrible catastrophe économique, en parlant de files d’attente devant les banques. Je dois dire que le peuple grec a su garder son sang-froid, au point que les télévisions avaient du mal à trouver du monde pour se plaindre de la situation, ce sang-froid était incroyable. Ce soir-là, je me suis adressé au peuple grec et j’ai dit la vérité. Je n’ai pas dit : « Je fais un référendum pour vous sortir de l’euro. » J’ai dit : « Je fais un référendum pour gagner une dynamique de négociation. » Le non au mauvais accord n’était pas un non à l’euro, un oui à la drachme. On peut m’accuser d’avoir fait de mauvais calculs, d’avoir eu des illusions, mais à chaque moment, j’ai dit les choses clairement, j’ai informé deux fois le Parlement, j’ai dit la vérité au peuple grec.

Avec dans vos mains, les 61,2 % que vous a donnés le peuple grec, quel aurait été l’accord qui vous aurait satisfait lors de votre retour de Bruxelles ?

Alexis Tsipras Le référendum a été décidé le jour de l’ultimatum, le 25 juin, vendredi matin, lors d’une réunion que nous avons tenue à Bruxelles, avec, devant nous, la perspective d’une humiliation sans sortie possible. C’était, pour eux, à prendre ou à laisser. « The game is over », répétait le président du Conseil européen, Donald Tusk. Ils ne s’en cachaient pas, ils voulaient des changements politiques en Grèce. Nous n’avions pas d’autre choix, nous avons choisi la voie démocratique, nous avons donné la parole au peuple. Le soir même en rentrant d’Athènes, j’ai réuni le Conseil gouvernemental où nous avons pris la décision. J’ai interrompu la séance pour communiquer avec Angela Merkel et François Hollande. Je leur ai fait part de ma décision ; le matin même, je leur avais expliqué que ce qu’ils proposaient n’était pas une solution honnête. Ils m’ont demandé ce que j’allais conseiller au peuple grec et je leur ai répondu que je conseillerai le non, pas dans le sens d’une confrontation mais comme un choix de renforcement de la position de négociation grecque. Et je leur ai demandé de m’aider à mener à bien ce processus, calmement, de m’aider afin que soit accordé par l’Eurogroupe, qui devait se réunir quarante-huit heures plus tard, une extension d’une semaine du programme afin que le référendum ait lieu dans des conditions de sécurité et non pas dans des conditions d’asphyxie, avec les banques fermées. Ils m’ont tous les deux assuré à ce moment-là, qu’ils feraient tout leur possible dans cette direction. Seule la chancelière m’a prévenu qu’elle s’exprimerait publiquement sur le référendum, en présentant son enjeu comme celui du maintien ou non dans l’euro. Je lui ai répondu que j’étais en absolu désaccord, que la question n’était pas euro ou drachme, mais qu’elle était libre de dire ce qu’elle voulait. Là, la conversation s’est arrêtée. Cette promesse n’a pas été tenue. Quarante-huit heures plus tard, l’Eurogroupe a pris une décision très différente. Cette décision a été prise au moment où le Parlement grec votait le référendum. La décision de l’Eurogroupe a mené en vingt-quatre heures à la décision de la BCE de ne pas augmenter le plafond ELA (mécanisme de liquidités d’urgence dont dépendent les banques grecques – NDLR) ce qui nous a obligés à instaurer un contrôle de capitaux pour éviter l’effondrement du système bancaire. La décision de fermer les banques, était, je le pense, une décision revancharde, contre le choix d’un gouvernement de s’en remettre au peuple.

Vous attendiez-vous à ce résultat ?

Alexis Tsipras J’avoue que jusqu’au mercredi (précédent le scrutin – NDLR) j’avais l’impression que ce serait un combat indécis. À partir du jeudi, j’ai commencé à réaliser que le non allait l’emporter, et le vendredi j’en étais convaincu. Dans cette victoire, la promesse que j’ai faite au peuple grec de ne pas jouer à pile ou face la catastrophe humanitaire a pesé. Je ne jouais pas à pile ou face la survie du pays et des couches populaires. À Bruxelles, par la suite, sont tombés sur la table plusieurs scénarios terrifiants. Je savais durant les dix-sept heures où j’ai mené ce combat, seul, dans des conditions difficiles, que si je faisais ce que me dictait mon cœur – me lever, taper du poing sur la table et partir – le jour même, les succursales des banques grecques à l’étranger allaient s’effondrer. En quarante-huit heures, les liquidités qui permettaient le retrait de 60 euros par jour se seraient taries et pis, la BCE aurait décidé d’une décote des collatéraux des banques grecques, voire aurait exigé des remboursements qui auraient conduit à l’effondrement de l’ensemble du système bancaire. Or un effondrement se serait traduit non pas par une décote des épargnes mais par leur disparition. Malgré tout j’ai mené ce combat en essayant de concilier logique et volonté. Je savais que si je partais j’aurais probablement dû revenir, dans des conditions plus défavorables encore. J’étais devant un dilemme. L’opinion publique mondiale clamait « #ThisIsACoup », au point que c’est devenu cette nuit-là sur Twitter le premier hashtag au niveau mondial. D’un côté, il y a avait la logique, de l’autre la sensibilité politique. Après réflexion, je reste convaincu que le choix le plus juste était de faire prévaloir la protection des couches populaires. Dans le cas contraire, de dures représailles auraient pu détruire le pays. J’ai fait un choix de responsabilité.

Vous ne croyez pas à cet accord et pourtant vous avez appelé les députés à le voter. Qu’avez-vous en tête ?

Alexis Tsipras Je considère, et je l’ai dit au Parlement, que c’est une victoire à la Pyrrhus de nos partenaires européens et de nos créanciers, en même temps qu’une grande victoire morale pour la Grèce et son gouvernement de gauche. C’est un compromis douloureux, sur le terrain économique comme sur le plan politique. Vous savez, le compromis est un élément de la réalité politique et un élément de la tactique révolutionnaire. Lénine est le premier à parler de compromis dans son livre la Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») et il y consacre plusieurs pages pour expliquer que les compromis font partie des tactiques révolutionnaires. Il prend dans un passage l’exemple d’un bandit pointant sur vous son arme en vous demandant l’argent ou la vie. Qu’est censé faire un révolutionnaire ? Lui donner sa vie ? Non, il doit lui donner l’argent, afin de revendiquer le droit de vivre et de continuer la lutte. Nous nous sommes retrouvés devant un dilemme coercitif. Aujourd’hui, les partis de l’opposition et les médias du système font un boucan impressionnant, allant jusqu’à demander des procédures pénales contre Yanis Varoufakis. Nous sommes tout à fait conscients que nous menons un combat, en mettant en jeu notre tête, à un niveau politique. Mais nous menons ce combat en ayant à nos côtés la grande majorité du peuple grec. C’est ce qui nous donne de la force.

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31 juillet 2015 5 31 /07 /juillet /2015 18:25

 

Source : http://reseauinternational.net

 

Quand Michel Rocard dévoile le pot aux roses…
Quand Michel Rocard dévoile le pot aux roses…


La dette est une construction artificielle créée par les banques avec le consentement des états pour dépouiller les peuples et en faire des esclaves à leur solde.
Les gouvernants sont au courant… et ils laissent faire!!! honte à eux!!!
Honte à nous aussi ! nous les laissons faire…..

 

 

 

Source : http://reseauinternational.net

 

 

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30 juillet 2015 4 30 /07 /juillet /2015 21:33

 

Source : http://www.humanite.fr

 

Des paysans cambodgiens attaquent le groupe Bolloré en justice
Gérard Le Puill
Jeudi, 30 Juillet, 2015
Humanite.fr
Des paysans cambodgiens privés de leurs terres viennent d’intenter une action en justice contre le groupe que préside Vincent Bolloré devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

 

Outre ses activités chez Vivendi et le groupe Canal + dans lequel il tente de peser sur la ligne éditoriale, Vincent Bolloré a constitué sa fortune dans les activités portuaires en Afrique avec le groupe « Bolloré Africa Logistics » et, depuis quelques années, dans l’exploitation à grande échelle des terres agricoles en Afrique et en Asie  via le groupe  Socfin.

Une cinquantaine de paysans cambodgiens  estime que leurs droits  ont été piétinés par Bolloré qui développe la culture de l’hévéa sur la commune de Bousra  à l’est du pays. Cette plante sert à produire du caoutchouc. Pour développer cette production agro-industrielle,  une co-entreprise franco-cambodgienne a été créée et porte le nom de « Socfin-KCD ». Elle est née  avec l’accord du gouvernement cambodgien. Outre l’hévéa, cette entreprise produits aussi de l’huile de palme, une  des activités en plein développement dans le groupe Bolloré au Cambodge, en Indonésie  et dans plusieurs pays africains dont le Cameroun.   D’où les «expropriations » et les « déplacements de populations » dont sont victimes les paysans  cambodgiens  qui demandent des « restitutions de terres » et des « indemnisations », selon leur  avocat maître Fiodor Rilov.

Le 5 juin 2015, une manifestation de protestation s’était déjà déroulée devant le siège du groupe Bolloré à la Défense. Il s’agissait cette fois  de dénoncer les saccages de la « Socapalm » dont le groupe Bolloré est un des actionnaires  et qui exploite au Cameroun 26.000 hectares de palmiers à huile. « Socapalm » est aussi une filiale de « Socfin», firme luxembourgeoise dont Bolloré déteint 39% des parts . En avril dernier le travail avait été bloqué dans les plantations de Dibombari au Cameroun par des ONG et des paysans privés de terres qui demandaient qu’on leur rétrocède une partie des superficies que l’Etat camerounais a attribué à la « Socapalm ».

Neuvième fortune de France avec plus de 11 milliards d’euros, Vincent  Bolloré développe à travers le monde  une activité prédatrice qui consiste à accaparer des terres agricoles et à défricher des forêts primaires pour y développer des cultures de rente comme l’hévéa et le palmier à huile. Outre la spoliation des populations privées de leurs terres nourricière et souvent contraintes à l’immigration vers des bidonvilles, les activités du groupe Bolloré sont aussi fortement émettrices de gaz à effet de serre. On peut donc dire que la fortune de Vincent Bolloré  se constitue en  accélérant le réchauffement climatique dont les populations pauvres sont aussi les premières victimes. Voilà de quoi développer un excellent plaidoyer devant le tribunal de grande instance de Nanterre.   

 

 

Source : http://www.humanite.fr

 

 

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