Repéré par Eric Leser
mis à jour le 02.08.2015 à 17 h 47
Leonardo DiCaprio dans «Le Loup de Wall Street» (Metropolitan FilmExport).
Les grandes banques d’affaires américaines pourraient travailler une semaine par an et fermer leurs portes le reste du temps sans que cela ait un impact sur l’économie réelle.
John Bogle, le fondateur du groupe financier Vanguard, est une légende de la finance. Il a créé en 1976 le premier fonds d’investissement construit sur les indices boursiers. Et à 85 ans, il dénonce le parasitisme grandissant de l’industrie financière qu'il a contribué à créer.
Pas moins de 32 000 milliards de dollars de titres sont échangés tous les ans à Wall Street avec à peu près aucun impact positif pour les investisseurs explique-t-il. Et le financement des entreprises et de l’économie, la raison de l’existence de Wall Street, représente une fraction infime de l’activité de l’industrie financière. Les grandes banques d’affaires américaines pourraient travailler une semaine par an et fermer leurs portes le reste du temps sans que cela ait un impact sur l’économie réelle...
«Le métier de la finance est d’apporter du capital aux sociétés. Nous faisons cela avec 250 milliards de dollars par an sous forme d’introductions en Bourse de société et d’augmentations de capital» déclare John Bogle au magazine Time. «Qu’est-ce que nous faisons d’autre? Nous poussons les investisseurs à échanger environ 32 000 milliards de dollars de titres par an. Donc si je calcule bien, 99% de ce que nous faisons dans cette industrie consiste en des échanges d’une personne avec une autre dans le seul intérêt de l’intermédiaire. C’est un gâchis considérable de ressources.»
Car 32 000 mille milliards de dollars, c’est presque le double du Pib des Etats-Unis constitué pour l’essentiel d’une rente qui consiste à prendre quoi qu’il arrive un pourcentage d’une transaction, comme à un péage, qui n’apporte la plupart du temps rien à l’économie et à son initiateur. Et les traders, contrairement aux conseillers financiers, ne donnent pas d’avis à leurs clients sur les meilleurs placements au risque de se tromper.
«Les études ne cessent de le montrer, les traders ne font rien qui a une valeur. Ils ne savent pas quelles actions vont monter et pourquoi. Ils ne savent pas quels types d’actifs vont être plus performants cette année ou les suivantes. Personne ne sait. C’est cela la vérité… C’est pourquoi les traders ont besoin que vous fassiez des transactions et beaucoup. Parce que c’est comme cela qu’ils gagnent de l’argent…».
Elle est dirigée par une PDG à deux visages. Un visage pour les médias : une chef d’entreprise, bonne fée de droite qui court les plateaux dénoncer les freins à la croissance en France sous la gauche, le carcan de la fabrique du chômage (le code du travail « obèse », les prud’hommes…) et qui affiche son credo social : parier sur les chômeurs de longue durée, les seniors, les personnes en difficulté (drogués, anciens détenus, jeunes tentant une réinsertion ou fraîchement diplômés…). Et un autre visage, en interne : une patronne « façon tyran nord-coréen » faisant régner un management qui broie, détruisant la personnalité de ses salariés de l’intérieur. Par la peur, la délation, l’humiliation…
"MSS", c’était le rêve, retrouver un emploi, pas trop mal payé, un peu plus que le SMIC. Ils l’avaient, redevenaient « quelqu'un ». Enfin. Cédric était « heureux ». Le chômage l’avait conduit à la rue. SDF, il errait de chambres d’hôtels sociaux payés par la préfecture en squats. Il avait tout perdu : son logement mais aussi sa femme, la garde de leur fille. C’est en racontant sa spirale infernale sur le plateau du Grand Journal de Canal + qu’il avait décroché ce job. De l’ombre à la lumière. Toute la magie de la télé.
Le lendemain de ses quelques minutes de gloire télévisée, "MSS" le débauche du chômage très longue durée. Cédric court chez Tati se payer un costume bon marché. Tout en conservant les étiquettes pour se faire rembourser au cas où, craignant un canular. Il tiendra le coup six mois dans cette PME où il perd son identité pour hériter d’un trigramme, "CPO", et où on vous distribue les chèques-restaurants au compte-gouttes, « limite à genoux ».
Nicolas, lui, résistera un an. Il a postulé après avoir regardé la télé et ladite PDG de "MSS" qui, dans le petit écran, disait réhabiliter l’humain dans sa PME contre la loi de la finance qui sévit dans les multinationales…
Une fois dehors, de retour à la case Pôle emploi, écrire, aligner les maux en mots, s’est imposé à eux. Catharsis indispensable de 250 pages, plus efficace que les antidépresseurs. Thérapie pour se reconstruire. Se relever d’une expérience dévastatrice où les logiques contemporaines de l'entreprise, le chômage record, le marché du travail ultra-tendu autorisent les procédés managériaux les plus inhumains et violents pour soumettre et exploiter les individus. « Un de perdu, dix de retrouvés », leur a-t-on asséné comme autant de gifles. Et parce que la peur de la précarité, du chômage, de l’inactivité, de la misère qui touche le voisin, le « je n’ai pas le choix » développent une capacité d’acceptation et de soumission hors norme.
« Chez "MSS", nous sommes tombés dans un trou encore plus profond que celui du chômage », dit Cédric. Il a écrit sa part de témoignage sur son téléphone portable dans le dénuement de son squat près de la gare du Nord, visité par des ministres du gouvernement. « J’étais comme une bête dans une caverne. Ce livre m’a resocialisé. Lors de sa promotion, j'échappais pendant 48 heures au squat, on me payait l’hôtel, le train, le restaurant. » Il a 38 ans, « un âge déjà vieux pour le marché de l’emploi », n’a toujours pas retrouvé de travail, met un point d’honneur à être rasé tous les jours de près et bien vêtu, fait en sorte que les trous de ses semelles et de ses chemises ne soient pas visibles, comme son adresse sur le CV – il est domicilié dans permanence sociale d'action. Sinon « c'est la double peine ».
Il survit avec le RSA. 470 euros qu’il a, durant une période, entièrement consacrés à sa fillette dont il avait exceptionnellement la garde, en raison des problèmes de santé de son ex-femme. N'ayant « pas le choix », elle vivait avec lui dans son coin de squat qu'il avait aménagé « comme une chambre d'enfants avec des posters et des jouets ». Il lui racontait que « papa » et elle étaient « en voyage, comme en vacances », que « bientôt », ils auraient « une maison ». Chaque matin aussi, il la déposait à l'école, une belle école au milieu d’enfants qui vivent dans le coton. La cantine aurait dû être gratuite, compte tenu de sa condition sociale. Il a payé le plein tarif chaque jour. « Personne ne devait soupçonner que ma fille avait un père chômeur et SDF. » Le RSA ne suffisait pas. Alors il lavait les vitres des véhicules aux feux rouges, multipliait les petits jobs au noir.
Le matin de son entretien vidéo à Mediapart, Cédric avait comme tous les jours consulté les annonces de Pôle emploi Ile-de-France. Il y en avait 157 pour toute la région. Quelques semaines plus tard, il nous envoyait ce SMS : « J'ai retrouvé du boulot pas longtemps. Je remplace une secrétaire pendant deux semaines dans une société de voiture avec chauffeur pour laquelle j'avais fait du car-wash. Hélas pas de contrat ». Il recherche toujours ce qu'il appelle « le graal », « n'importe quel travail qui serait déclaré » et qui lui permettrait de retrouver sa vie d'avant, de « redevenir Monsieur tout le monde, qui fait boulot-métro-dodo ». Nicolas, lui, a migré en province, commercial dans une entreprise qui vend des voitures électriques, un emploi très loin de son cœur de métier gangréné par une profonde crise économique et morale : le journalisme mais dans « une boîte où on est humain ».
D'où vous est venue cette envie d'enquêter à nouveau sur les OGM ?
Les questions clés de l'agriculture et de la nourriture m'intéressent et j'avais déjà fait un film sur le sujet en 1999. Je trouvais fascinant que Monsanto brevète des plantes au même titre que Microsoft brevète des logiciels. Pour autant, tout en me disant que le futur nous réservait des choses effrayantes, j'étais sans doute passé à côté du sujet à l'époque. Depuis ce film, j'étais cependant resté en éveil. C'est une dépêche d'Associated Press signalant un nombre croissant d'enfants vivant dans les zones agricoles en Argentine et victimes de déformations, qui m'a alerté.
Votre enquête prend ancrage en Argentine où vous découvrez, caméra à la main, des enfants lourdement handicapés et des familles anéanties...
Alors que le discours officiel consiste à dire que la culture extensive des OGM ne présente aucun risque sur les humains, ce qu'on voit sur le terrain est assez choquant. On y découvre par exemple des camions d'épandage qui pulvérisent des produits interdits comme l'atravine. Plus généralement, on constate que les herbicides du type Round up ne fonctionnent plus et que les agriculteurs doublent, voire triplent, les produits désherbants pour continuer à produire du maïs ou du soja. C'est un fait largement dissimulé or, il faut savoir que certains de ces produits ont un impact et une rémanence durable sur les nappes phréatiques.
Sur place, mon premier choc a été de découvrir un village de vingt-cinq maisons avec cinq cas d'enfants déformés et malades. Cela m'a heurté en tant qu'homme et que parent… Et encore dans le film, nous n'avons montré que les images “les plus belles” d'une petite fille, qui essayait d'embrasser sa maman. Dans certaines familles, les parents cachent leurs enfants handicapés comme s'ils en avaient honte. Les autorités ont essayé de nier cette réalité dans un premier temps, en évoquant des cas de mariages consanguins, elles ont ensuite fini par la reconnaître devant notre caméra.
On comprend aussi à quel point les lobbys pro-OGM américains et le Département d'Etat travaillent main dans la main, depuis l'ère Bush, pour imposer leurs semences en Europe notamment.
C'est l'un des découvertes de cette enquête : la puissance des lobbys OGM et les gouvernements américains successifs qui mobilisent tout l'appareil d'Etat en faveur des industries transgéniques. Ils se sont mis au service de Monsanto et des autres. C'est devenu un enjeu économique stratégique, au même titre que le pétrole ou les armes. On en a eu la preuve avec la révélation par Wikileaks de câbles de la diplomatie américaine. Depuis, Obama s'est engagé à mieux étiqueter les produits alimentaires et indiquer la part d'OGM. C'est une mesure normale qui ne devrait pas poser problème. Pourtant, il a en partie échoué. Seul l'Etat du Vermont a réussi à l'imposer, mais il est en but à un méga-procès des industriels qui invoquent le droit au silence et se positionnent sur le terrain des libertés publiques ! C'est du Kafka, ou de la poésie !
Source : http://television.telerama.fr
La Poste persiste dans son obsession du chiffre. Le groupe a présenté jeudi des bénéfices en hausse de 31,7 % au premier semestre 2015, à 424 millions d’euros, un chiffre d’affaires en augmentation de 4,5 % et un résultat d’exploitation qui s’élève à 616 millions d’euros, soit + 44,3 %. Dans un communiqué, la direction de l’entreprise s’est félicitée que les « résultats du groupe enregistrent une progression, illustrant les premières réalisations du plan stratégique “La Poste 2020 : conquérir l’avenir” ».
Sauf que derrière les discours triomphants, l’austérité s’amplifie pour les agents. Les bénéfices des six derniers mois reposent en partie sur 5 098 suppressions d’emplois, laissant présager au moins 10 000 disparitions de postes d’ici la fin de l’année. Avec 90 000 emplois passés à la trappe en dix ans, un malaise social toujours aussi fort, les limites sont atteintes. Pour Bernard Dupin, administrateur CGT, « cette politique de suppressions de postes ne pourra pas durer encore longtemps. Nous ne supportons plus cette logique gestionnaire. La seule chose qui intéresse Philippe Wahl, PDG du groupe, c’est d’obtenir des résultats rapidement ! La Poste est l’entreprise qui touche le plus de crédit impôt compétitivité emploi (CICE), avec 341 millions d’euros prévus en 2015 » ! L’entreprise se débarrasse des emplois, mais amplifie l’externalisation. Comme le note la CGT, « les services extérieurs et la sous-traitance générale ont augmenté de 51 millions, soit 7,41 % », celle des transports a, elle, « progressé de 237 millions, soit 14,55 % ».
L’autre levier expliquant les résultats du groupe est la hausse du prix du timbre. L’augmentation historique de 7 % en janvier 2015 sera bientôt suivie par un nouveau renchérissement de 3,6 % en janvier 2016. La lettre à timbre vert grimpera de 0,68 à 0,70 euro tandis que celle à timbre rouge passera de 0,76 à 0,80 euro. Une aberration pour Régis Blanchot, administrateur SUD PTT : « On n’a même pas encore mesuré tout l’impact de cette première augmentation sur le courrier qu’on en prévoit déjà une autre ! On assiste à une accélération de la baisse du trafic, à cause des accumulations des hausses de tarifs qui font fuir les utilisateurs ! La Poste a déjà utilisé la moitié des augmentations autorisées par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes – NDLR), quelle stratégie va-t-elle trouver après ? »
La Poste justifie cette énième revalorisation des prix par la nécessité de maintenir le volume de courrier, alors que ce sont précisément ces tarifs élevés qui organisent leur chute, argument propice aux restructurations incessantes dans les centres de tri et de distribution. Pendant ce temps-là, le service public continue de faiblir. Régis Blanchot rappelle que « l’Arcep a informé La Poste qu’elle ne remplissait plus son obligation de qualité de service à J + 2 (courrier qui arrive bien deux jours après l’envoi – NDLR) alors que la norme avant était à J +1 ! La Poste ne rend plus le service correctement et veut demander aux gens de payer plus cher » ! Mais La Poste persiste dans cette logique. Elle espère ainsi atteindre ses objectifs de hausse de 3 % du chiffre d’affaires pour l’année 2015. En tondant la laine sur le dos des usagers et des salariés.
Source : http://www.humanite.fr
Non aux multinationales !
4 août par La Vía Campesina
La Via Campesina
(Harare, 9 juillet 2015) LVC dénonce le fait que les processus législatifs et de politiques internationales, qui devraient être vus comme des décisions démocratiques et citoyennes, sont de plus en plus dominés par les intérêts des grandes multinationales et cela avec la complicité des classes gouvernantes |1|. De plus, on constate une forte tendance à criminaliser les populations qui luttent pour leurs droits ainsi qu’une impunité structurelle pour les crimes commis par ces mêmes multinationales.
Au niveau international, régional, national et local, nous observons que de plus en plus, les cadres législatifs se conçoivent, s’interprètent et se mettent en œuvre en fonction des intérêts des grandes entreprises et des multinationales, malgré la résistance des mouvements et des organisations qui défendent d’autres voies et l’intérêt général. A cela s’ajoute un manque de transparence vis-à-vis de la société civile.
Il est évident que les accords commerciaux internationaux avec des mécanismes de protection des investissements, la dérégulation du commerce et de la production et l’abandon de critères sociaux et sanitaires comme on peut le voir de façon flagrante dans les accords comme le TTIP, TPP, CETA, TISA et les APEs répondent aux demandes pressantes des multinationales et non pas aux intérêts des populations.
On crée aussi une confusion permanente du rôle des organisations qui représentent la société civile et l’intérêt public et des entités qui défendent les intérêts du secteur privé. Les multinationales sont traitées de la même façon que les organisations de la société civile alors qu’en fait, elles ne représentent personne et ne cherchent qu’à défendre les intérêts de leurs actionnaires. Ceci réduit l’espace public de manière considérable.
On crée et on appuie davantage des entités mixtes, des tables rondes ou des plateformes regroupant différents acteurs comme les instances gouvernementales, les organismes de recherche, les bailleurs, les ONGs et les organisations de la société civile alors que l’autonomie des mouvements sociaux n’est pas garantie et encore moins soutenue. Ces espaces poussent à des positions diluées et occultent les réalités du terrain. Un exemple clair est celui de l’ILC (International Land Coalition – Coalition internationale pour la terre) qui est une organisation qui compte sur des fonds de plus en plus importants ces dernières années et qui se présente, de façon opportuniste, à la fois comme un organisme de recherche, un bailleur et un représentant de la société civile. Or, le travail de ILC sert principalement à mitiger les effets négatifs de l’accaparement des terres plutôt que d’arrêter les accaparements eux-mêmes.
Comme mouvement social de paysans, de travailleurs agricoles, de paysans sans terre et de peuples indigènes nous sommes confrontés à une vision du monde réductrice et complètement capitaliste, basée sur un paradigme de croissance à tout prix, sur un marché qui dirige et résout tout et sur un modèle occidental imposé. Ce modèle comprend la privatisation et la marchandisation des biens communs et des droits de base comme l’eau et l’alimentation. Il inclut aussi le mépris pour les mouvements sociaux et un culte à l’entreprise comme l’unique acteur « utile » de la société. La chasse au bénéfice privé est l’élément dominant dans la prise de décision et dans la vision du monde. C’est une vision patriarcale, capitaliste, individualiste et occidentale du bien-être qui est promue et qui mène à une uniformité sur un marché mondialisé. Dans cette vision, le rôle et la responsabilité des Etats sont de plus en plus limités et superflus. Ceci réduit de manière considérable la capacité d’influence et d’incidence démocratique des acteurs de base.
De nouveaux marchés sont créés pour soi-disant résoudre les problèmes que ce marché a créés. C’est ce que l’on voit dans l’exemple des marchés carbones (REDD) qui ont généré de la spéculation foncière, des évictions de communautés et une plus grande contamination en lieu et place de la réduction des émissions carbones recherchée. On propose des solutions technologiques comme les transgéniques et des fertilisants sans prendre en compte une analyse du pouvoir et des intérêts actifs et sans vision à long terme. Le marché d’un cadastre social pour les populations affectées par les barrages montre que les problèmes sociaux sont aussi gérés comme un marché. Nous mentionnons également les partenariats public-privé (PPP) où les entreprises remplacent les Etats dans des constructions obscures qui ne profitent qu’aux entreprises. La terre, l’eau, les semences et nos terroirs, biens communs gérés par les communautés, deviennent des marchandises sous le diktat du titre foncier, du brevetage du vivant via des lois foncières et semencières diligentées, dépossédant les peuples de leurs droits, qui sont les garants de l’avenir de la planète et de l’humanité.
Des initiatives sous prétexte de « lutter contre la faim dans le monde » se mettent en place avec la complicité des Etats occidentaux et des pressions sur de nombreux Etats comme laNouvelle Alliancepour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition (NASAN) soutenue par le G8 ou l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) qui s’inscrivent insidieusement dans les programmes de développement agricole nationaux et sous-régionaux pour imposer un modèle agricole occidentale et introduire des OGMs et des produits prohibés dans les pays et s’accaparer de leurs ressources naturelles comme la terre et l’eau.
Il existe un manque permanent de solutions structurelles et durables, à cause de la pression pour maintenir un statu quo et par crainte de limiter les bénéfices de quelques uns.
Nous vivons une augmentation de la criminalisation des syndicalistes, des activistes de l’environnement et des paysan(ne)s qui luttent pour leurs droits ou pour le droit de la nature. Rien qu’au Honduras, il y a des centaines de paysans et de paysannes en procès pour défendre leurs droits. Les violences contre les défenseurs de l’environnement ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années |2|.
Nous soulignons l’importance d’ouvrir aux organisations de base les espaces où les normes internationales sont discutées et adoptées et de développer des mécanismes de consultation transparente, d’information et de divulgation conduits par les mouvements eux-mêmes. Nous mentionnons ici la Déclaration des Droits des paysans et des travailleurs ruraux qui se développe au sein du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies comme un exemple positif |3|.
Nous avons besoin de nouveaux processus de démocratie participative, transparente qui partent de la base (national, régional et mondial) pour appliquer la souveraineté des peuples dans le monde d’aujourd’hui et non pas leur oppression.
Nous avons besoin de mécanismes régionaux et internationaux contraignants pour arrêter les crimes contre l’humanité commis par les multinationales. Dans ce sens, nous accueillons positivement l’initiative du Conseil de Droits de l’Homme qui s’est fixé comme objectif un Traité contraignant pour punir les crimes des multinationales et nous soutenons la campagne pour le Démantèlement du pouvoir du secteur privé |4|.
Nous reconnaissons que le rôle de l’État est de représenter les intérêts des peuples. Donc, l’État a le devoir de s’opposer à tout politique ou traité international qui mine les droits humain ou sa propre souveraineté. Il est essentiel de soutenir la souveraineté et la responsabilité des Etats au lieu de les saper au niveau international.
La Via Campesina défend la souveraineté alimentaire comme une utopie rebelle à ce système exploiteur. Nous construisons nos alternatives dans la solidarité, chaque jour, depuis la base.
Source : La Via Campesina
Contacts :
Marina Dos Santos (PT, ES) : +55 21 981850558
Unai Aranguren (ES, PT, EN) :+34 636 369361
Ndiakhate Fall (FR) : +221 77 5508907
|1| https://www.tni.org/en/briefing/state-power-2014#infographics
|2| http://www.democracynow.org/2015/4/22/how_many_m
La Via Campesina : Journée internationale contre la violence faite aux femmes
26 novembre 2014, par La Vía Campesina
Source : http://cadtm.org
4 août par Alexis Tsipras , Kostas Arvanitis
CC - wikimedia
Bien qu’en désaccord avec une partie importante des déclarations et des orientations d’Alexis Tsipras, dans un souci d’information, nous publions une longue interview que le premier ministre grec a donnée le 31 juillet 2015 à la radio Sto Kokkino de Syriza.
Le 29 juillet, le Premier ministre grec s’exprimait longuement à l’antenne de Sto Kokkino. L’entretien, conduit par Kostas Arvanitis, le directeur de cette radio proche de Syriza, offre un éclairage inédit sur cinq mois d’une négociation aux allures de guerre d’usure avec les créanciers d’Athènes et les « partenaires » européens. Avec l’autorisation de nos confrères, nous en publions ici la retranscription intégrale.
Parlons de ces six mois de négociations. Quel bilan en tirez-vous ?
Alexis Tsipras. Il faudra en tirer les conclusions de façon objective, sans s’avilir ni s’auto-flageller car ce fut un semestre de grandes tensions et de fortes émotions. Nous avons vu remonter en surface des sentiments de joie, de fierté, de dynamisme, de détermination et de tristesse, tous les sentiments. Je crois qu’au bout du compte si nous essayons de regarder objectivement ce parcours, nous ne pouvons qu’être fiers, parce que nous avons mené ce combat. Et parce que les combats perdus d’avance ne sont que ceux que l’on ne livre pas. Nous avons tenté, dans des conditions défavorables, avec un rapport de force difficile en Europe et dans le monde, de faire valoir la raison d’un peuple et la possibilité d’une voie alternative. Au bout du compte, même si ces rapports de forces étaient déséquilibrés, même si les puissants ont imposé leur volonté, ce qui reste c’est l’absolue confirmation, au niveau international, de l’impasse qu’est l’austérité. Cette évolution façonne un tout nouveau paysage en Europe. L’Europe n’est pas la même après le 12 juillet. Quand Jürgen Habermas lui-même affirme que l’Allemagne a détruit une stratégie de cinquante ans, une stratégie de l’imposition par la persuasion et non par la force, je pense que ce sont des mots qu’il nous faut écouter.
Vous-même, le gouvernement, Syriza étaient-ils prêts à affronter l’adversaire ? N’y êtes-vous pas allés avec de bonnes intentions, face à des institutions qui ne se sont pas comportées de façon très institutionnelle ?
Alexis Tsipras. Il n’y a pas eu de « bonnes intentions », de notre côté ou du leur. Il y a eu une négociation très dure. Pour la première fois. Et la différence avec le passé c’est que sur la table il y avait des stratégies très différentes, contradictoires. Il y avait d’un côté un gouvernement qui avait et continue à avoir la majorité du peuple grec à ses côtés, qui revendique une autre voie, une autre perspective et de l’autre côté les institutions, qui ne sont ni indépendantes ni neutres mais aux ordres d’un plan stratégique précis.
Est-ce que Syriza s’est rangé à l’unisson derrière cette ligne de la négociation ou y avait-il d’autres opinions ? Avez-vous pris la négociation sur vous ? Les organes du parti connaissaient-ils les procédures ? Le parti était-il au courant de ce qui se passait ?
Alexis Tsipras. Le gouvernement fonctionne collectivement, avec le Conseil des Ministres, le conseil gouvernemental, qui tenait des réunions régulières afin que les ministres soient tenus au courant et qu’ils puissent définir le cours des négociations. Et en même temps nous avions créé, et ils existent toujours, des organes institutionnels comme le Groupe de négociation politique à laquelle de façon exceptionnelle assistaient tant le secrétaire du groupe parlementaire de Syriza que le secrétaire du comité central de Syriza, afin qu’ils soient absolument tenus au courant et qu’ils participent aux prises décisions. Le parti était lié aux organes gouvernementaux. Étroitement lié. Et bien sûr il y avait des réunions régulières du secrétariat politique de Syriza. C’est une autre question qu’il faut se poser. À quel point le parti participait de façon active à pour créer les conditions d’un soutien à l’effort gouvernemental dans la négociation ? C’est une question que l’on doit se poser.
Mais c’est vous le président de Syriza.
Alexis Tsipras. Effectivement mais je pense que le peuple grec a surpassé le parti et le gouvernement.
Cela s’est vu aussi lors du référendum.
Alexis Tsipras. Pas seulement. Certains regardaient se dérouler les négociations en grognant au moment même où la majorité du peuple grec voulait renforcer cet effort de la négociation. La négociation est une chose, la lutte quotidienne en est une autre. Les combats sociaux sont indispensables pour créer de nouveaux cadres, dépasser les cadres institutionnels en place, créer les structures et les infrastructures facilitant la confrontation avec l’ordre établi, tout en soutenant les populations qui souffrent des politiques actuelles.
Une grande partie de la population voit toujours d’un œil positif la trajectoire du gouvernement mais il y a aussi ceux qui se sont battus, dans la rue, dans les quartiers, qui se sentent contraints par les évolutions récentes. Qu’en est-il aujourd’hui du mandat populaire donné à Syriza ? Les memoranda n’ont pas été déchirés. L’accord est particulièrement dur. Vous-même, le gouvernement, le parti, avez posé la dette comme étant notre problème principal. Le sujet est enfin en discussion. Mais sur le reste, l’addition finale ?
Alexis Tsipras. Tout d’abord le mandat que nous avons reçu du peuple grec était de faire tout ce qui était possible afin de créer les conditions, même si cela nous coûte politiquement, pour que le peuple grec cesse d’être saigné.
Pour que s’arrête la catastrophe…
Alexis Tsipras. C’est le mandat que nous avons reçu, il nous a guidés dans la négociation…
Vous aviez dit que les memoranda seraient supprimés avec une seule loi.
Alexis Tsipras. Ne vous référez pas à l’un de mes discours de 2012. Avant les élections je n’ai pas dit que les memoranda pouvaient être supprimés avec une seule loi. Et personne ne disait cela. Nous n’avons jamais promis au peuple grec une ballade de santé. C’est pour cela que le peuple grec a conscience et connaissance des difficultés que nous avons rencontrées, auxquelles lui-même fait face, avec beaucoup de sang-froid. Laissons de côté ce cadre d’approche populiste « Vous avez-dit que vous déchireriez les memoranda ». Nous n’avons pas dit que nous déchirerions les memoranda avec une loi. Nous avons dit que nous mènerions le combat pour sortir de ce cadre étouffant dans lequel le pays a été conduit à cause de décisions politiques prises avant 2008 générant les déficits et les dettes, et après 2008, nous liant les mains.
Vous aviez bien dit que vous arrêteriez la catastrophe.
Alexis Tsipras. Je reviendrai sur la catastrophe. Mais nous n’avons pas promis au peuple grec que tout serait facile et que tout serait réglé en un jour. Nous avions un programme et nous avons demandé au peuple de nous soutenir afin de négocier dans des conditions difficiles pour pouvoir le réaliser. Nous avons négocié durement, dans des conditions d’asphyxie financières jamais vues auparavant. Pendant six mois nous avons négocié et en même temps réalisé une grande partie de notre programme électoral. Pendant six mois, avec l’angoisse constante de savoir si à la fin du mois nous pourrions payer les salaires et les retraites, faire face à nos obligations à l’intérieur du pays, envers ceux qui travaillent. C’était cela notre angoisse constante. Et dans ce cadre nous avons réussi à voter une loi sur la crise humanitaire. 200 millions, c’est ce qu’on a pu dégager. Des milliers de nos concitoyens, en ce moment, bénéficient de cette loi. Nous avons réussi à réparer de grandes injustices, comme celles faite aux femmes de ménage du ministère des finances, aux gardiens d’écoles, aux employés de la radiotélévision publique ERT, qui a rouvert. Nous avons voté de manière unilatérale, contre les institutions et la troïka, une loi instaurant la facilité de paiement en 100 fois, qui a permis à des centaines de contribuables, d’entrepreneurs, de s’acquitter de leurs dettes envers l’Etat, et de se débarrasser ainsi d’un poids. Nous avons voté une loi sur la citoyenneté, nous portons un projet de loi sur les prisons… Sans essayer d’enjoliver pour autant, n’assombrissons pas tout. Si quelqu’un a le sentiment que la lutte des classes est une évolution linéaire et se remporte en une élection et que ce n’est pas un combat constant, qu’on soit au gouvernement ou dans l’opposition, qu’il vienne nous l’expliquer et qu’il nous donne des exemples. Nous sommes devant l’expérience inédite d’un gouvernement de gauche radicale dans les conditions de cette Europe, de l’Europe néo-libérale, un peu comme un cheveu sur la soupe. Mais nous avons aussi, à gauche, d’autres expériences de gouvernement et nous savons que gagner les élections ne signifie pas, du jour au lendemain, disposer des leviers du pouvoir. C’est un combat constant. Mener le combat au niveau gouvernemental ne suffit pas. Il faut le mener, aussi, sur le terrain social.
Pourquoi avez-vous avez pris cette décision de convoquer un référendum ? En quoi cela vous a-t-il aidé ? En quoi cela a-t-il aidé le gouvernement et le pays ?
Alexis Tsipras. Je n’avais pas d’autre choix.
Pourquoi vous n’aviez pas d’autre choix ?
Alexis Tsipras. Il faut garder en tête ce que j’avais avec le gouvernement grec entre les mains le 25 juin, quel accord on me proposait. Je dois admettre que c’était un choix à haut risque. La volonté du gouvernement grec n’était pas seulement contraire aux créditeurs, elle se heurtait au système financier international, au système politique et médiatique grec. Ils étaient tous contre nous. La probabilité que nous perdions le référendum était d’autant plus élevée que nos partenaires européens ont poussé cette logique jusqu’au bout en décidant de fermer les banques. Lorsque nous avons pris la décision du référendum ceci n’était pas en jeu, loin de là. C’était donc un choix à haut risque mais c’était pour nous la seule voie, puisqu’ils nous proposaient un accord avec des mesures très difficiles, un peu comme celles que nous avons dans l’accord actuel, voire légèrement pires, mais dans tous les cas des mesures difficiles et, à mon avis, inefficaces. En même temps ils n’offraient aucune possibilité de survie. Car pour ces mesures ils offraient 10,6 milliards sur cinq mois. La principale position de nos partenaires lors des Sommets et des réunions de l’Eurogroupe était que la Grèce devait compléter ses obligations et ses engagements, avec une cinquième évaluation du programme précédent, ce que [le précédent Premier ministre] Samaras avait laissé à moitié fait. Ces engagements sont en fait les mêmes engagements que nous avons maintenant, c’est la cinquième évaluation que nous complétons dans un programme plus étendu, ce sont exactement les mêmes mesures. Ils voulaient que la Grèce, donc, prenne, une fois ses engagements tenus, ce qui restait du programme précédent en termes de financements. C’est à dire à peu près 10 milliards d’euros – 7 existants et 3,6 du FMI – et 2 milliards d’augmentation des bons du Trésor grec que la BCE, juste après notre élection, a mis comme limite – extrêmement basse – pour ne laisser aucune marge de respiration pour l’économie grecque. Essentiellement ils nous donnaient à peu près 12,6 milliards pour cinq mois d’extension, durant lesquels nous devions être soumis à quatre « revues » successives. Nous aurions dû appliquer le programme en cinq mois, au lieu de trois ans désormais, et l’argent que nous aurions obtenu aurait été issu des restes du programme précédent, sans un euro en plus, parce que telle était l’exigence des Néerlandais, des Finlandais, des Allemands. Le problème politique principal des gouvernements du Nord était qu’ils ne voulaient absolument pas devoir aller devant leurs Parlements pour donner ne serait-ce qu’un euro d’argent « frais » à la Grèce, car ils s’étaient eux-mêmes enfermés dans un climat populiste selon lequel leurs peuples payaient pour ces paresseux de Grecs. Un climat qu’ils ont eux-mêmes fabriqué. Tout ceci est bien sûr faux, puisqu’ils paient les banques et les prêts des banques, pas les Grecs.
La droite grecque reprend ce discours…
Alexis Tsipras. Qu’a apporté la position forte tenue contre vents et marées par le peuple grec au référendum ? Elle a réussi à internationaliser le problème, à le faire sortir des frontières, à dévoiler le dur visage des partenaires et créditeurs. Elle a réussi à donner à l’opinion internationale l’image, non pas d’un peuple de fainéants, mais d’un peuple qui résiste et qui demande justice et perspective. Nous avons testé les limites de résistance de la zone euro. Nous avons fait bouger les rapports de forces. La France, l’Italie, les pays du Nord avaient tous des positions très différentes. Le résultat, bien sûr, est très difficile mais d’un autre côté la zone euro est arrivée aux limites de sa résistance et de sa cohésion. Le chemin de la zone euro et de l’Europe au lendemain de cet accord sera différent. Les six mois prochains seront critiques et les rapports de forces qui vont se construire durant cette période seront tout aussi cruciaux. En ce moment le destin et la stratégie de la zone euro sont remis en question. Il y a plusieurs versions. Ceux qui disaient « pas un euro d’argent frais » ont finalement décidé non pas seulement un euro mais 83 milliards. Donc de 13 milliards sur cinq mois on est passé à 83 milliards sur trois ans, en plus du point crucial qu’est l’engagement sur la dépréciation de la dette, à discuter en novembre. C’est un point-clé pour que la Grèce puisse, ou non, entrer dans une trajectoire de sortie de la crise. Il faut cesser avec les contes de Messieurs Samaras et Venizelos, qui prétendaient sortir des mémoranda. La réalité est que ce conte avait un loup, ce loup c’est la dette. Avec une dette à 180-200% du PIB, on ne peut pas retourner sur les marchés. On ne peut pas avoir une économie stable. Le seul chemin que nous pouvons suivre est celui de la dépréciation, de l’annulation, de l’allégement de la dette. La condition pour que le pays puisse retrouver une marge financière, c’est qu’il ne soit plus obligé de dégager des excédents budgétaires monstrueux, destinés au remboursement d’une dette impossible à rembourser.
Le non au référendum était un non à la proposition de la troïka, donc un non à l’austérité…
Alexis Tsipras. Il y avait deux parties dans la question posée au référendum. Il y avait la partie A, qui concernait les mesures pré-requises, et la partie B, qui concernait le calendrier de financement. Si nous voulons être tout à fait honnêtes et ne pas enjoliver les choses, par rapport à la partie A, l’accord qui a suivi le référendum est similaire à ce que le peuple grec a rejeté. Avec des mesures en partie améliorées, en partie plus difficiles, par exemple ce qui a été rajouté au dernier moment sur le Fonds de remboursement de la dette pour les 30 prochaines années. Sur d’autres mesures c’est un accord amélioré, il n’y a plus de suppression de l’EKAS [prime de solidarité pour les petites retraites, NDLR], la proposition Junker parlait de supprimer l’EKAS, d’augmenter à 23% de la TVA sur l’électricité. En ce qui concerne la partie B par contre, et là nous devons être tout à fait honnêtes, c’est le jour et la nuit. Nous avions cinq mois, 10 milliards, cinq « revues ». Nous avons 83 milliards – c’est à dire une couverture totale des besoins financiers sur le moyen terme (2015-2018), dont 47 milliards pour les paiements externes, 4,5 milliards pour les arriérés du secteur publique et 20 milliards pour la recapitalisation des banques et, enfin, l’engagement crucial sur la question de la dette. Il y a donc un recul sur la partie A, de la part du gouvernement grec, mais sur la partie B il y a une amélioration : le référendum a joué son rôle. Le mercredi soir précédent le référendum, certains avaient créé les conditions d’un coup d’État dans le pays, en proclamant qu’il fallait envahir Maximou [le Matignon grec, NDLR], que le gouvernement emmenait le pays vers une terrible catastrophe économique, en parlant de files d’attente devant les banques. Je dois dire que le peuple grec a su garder son sang-froid, au point que les télévisions avaient du mal à trouver du monde pour se plaindre de la situation, ce sang-froid était incroyable. Ce soir-là je me suis adressé au peuple grec et j’ai dit la vérité. Je n’ai pas dit : « Je fais un référendum pour vous sortir de l’euro ». J’ai dit : « Je fais un référendum pour gagner une dynamique de négociation ». Le « non » au mauvais accord n’était pas un « non » à l’euro, un « oui » à la drachme. Appelons un chat un chat. On peut m’accuser d’avoir eu de mauvaises estimations, de mauvais calculs, des illusions, mais à chaque moment, à chaque avancée, et je pense personne d’autre ne l’avait fait auparavant, j’ai dit les choses clairement, j’ai informé deux fois le Parlement, c’était un processus ouvert, Il n’y avait pas dans cette négociation de cartes cachées, tout était ouvert. À chaque avancée j’informais le peuple grec, je disais les difficultés, mes intentions, ce que je préparais, même au moment crucial du référendum, j’ai dit précisément ce que je comptais faire, j’ai dit la vérité au peuple grec.
Avec dans vos mains, aux heures de la négociation, les 61,2% que vous a donné le peuple grec, quel aurait été l’accord qui vous aurait satisfait lors de votre retour de Bruxelles ?
Alexis Tsipras. Le référendum a été décidé le jour de l’ultimatum, le 25 juin, vendredi matin, lors d’une réunion que nous avons tenue à Bruxelles, avec, devant nous, la perspective d’une humiliation sans sortie possible. C’était, pour eux, à prendre ou à laisser. « The game is over », répétait le président du Conseil européen, Donald Tusk. Ils ne s’en cachaient pas, ils voulaient des changements politiques en Grèce. Nous n’avions pas d’autre choix, nous avons choisi la voie démocratique, nous avons donné la parole au peuple. Le soir même en rentrant d’Athènes, j’ai réuni le Conseil gouvernemental où nous avons pris la décision. J’ai interrompu la séance pour communiquer avec Angela Merkel et François Hollande. Je leur ai fait part de ma décision, le matin même je leur avais expliqué que ce qu’ils proposaient n’était pas une solution honnête. Ils m’ont demandé ce que j’allais conseiller au peuple grec et je leur ai répondu que je conseillerai le « non », pas dans le sens d’une confrontation, mais comme un choix de renforcement de la position de négociation grecque. Et je leur ai demandé de m’aider à mener à bien ce processus, calmement, de m’aider afin que soit accordé par l’Eurogroupe, qui devait se réunir 48 heures plus tard, une extension d’une semaine du programme afin que le référendum ait lieu dans des conditions de sécurité et non pas dans des conditions d’asphyxie, avec les banques fermées. Ils m’ont tous les deux assuré à ce moment-là, qu’ils feraient tout leur possible dans cette direction. Seule la chancelière m’a prévenu qu’elle s’exprimerait publiquement sur le référendum, en présentant son enjeu comme celui du maintien ou non dans l’euro. Je lui ai répondu que j’étais en absolu désaccord, que la question n’était pas euro ou drachme, mais qu’elle était libre de dire ce voulait. Là, la conversation s’est arrêtée. Cette promesse n’a pas été tenue. Quarante-huit heures plus tard l’Eurogroupe a pris une décision très différente. Cette décision a été prise au moment où le Parlement grec votait le référendum. La décision de l’Eurogroupe a mené en vingt-quatre heures à la décision de la BCE de ne pas augmenter le plafond ELA [mécanisme de liquidités d’urgence dont dépendent les banques grecques, NDLR] ce qui nous a obligés à instaurer un contrôle de capitaux pour éviter l’effondrement du système bancaire. La décision de fermer les banques, était, je le pense, une décision revancharde, contre le choix d’un gouvernement de s’en remettre au peuple.
Est-ce que le « non » au référendum reste, pour vous, une carte à jouer ?
Alexis Tsipras. Cela ne fait aucun doute. C’est une carte très importante. Le référendum a fait de la Grèce, de son peuple et de son choix démocratique le centre du monde. C’était un référendum contre vents et marées. Tous nos partenaires, nos créanciers et la classe dirigeante internationale affirmaient que la question était euro ou drachme. Mais la question formulée par le gouvernement grec souverain, c’était la question inscrite sur le bulletin de vote.
Vous attendiez-vous à ce résultat ?
Alexis Tsipras. J’avoue que jusqu’au mercredi [précédent le scrutin, NDLR] j’avais l’impression que ce serait un combat indécis. À partir du jeudi, j’ai commencé à réaliser que le « non » allait l’emporter et le vendredi j’en étais convaincu. Dans cette victoire, la promesse que j’ai faite au peuple grec de ne pas jouer à pile ou face la catastrophe humanitaire a pesé. Je ne jouais pas à pile ou face la survie du pays et des couches populaires. À Bruxelles, par la suite, sont tombés sur la table plusieurs scénarios terrifiants. Je savais durant les dix-sept heures où j’ai mené ce combat, seul, dans des conditions difficiles, que si je faisais ce que me dictait mon cœur – me lever, taper du poing et partir – le jour même, les succursales des banques grecques à l’étranger allaient s’effondrer, nous parlons là d’actifs valant 7 milliards d’euros, plus de 405 établissements, environ 40 000 emplois. En quarante-huit heures, les liquidités qui permettaient le retrait de 60 euros par jour se seraient asséchées et pire, la BCE aurait décidé d’une décote des collatéraux des banques grecques, voire auraient exigé des remboursements qui auraient conduit à l’effondrement de l’ensemble des banques. Il n’était pas donc pas question de décote, seulement. C’était bien la menace d’effondrement. Or un effondrement se serait traduit non pas par une décote des épargnes mais par leur disparition. Malgré tout j’ai mené ce combat en essayant de concilier logique et volonté – et je dois dire que moi-même et nos partenaires européens avons pris quelques coups durant ces dix-sept heures. Je savais que si je partais j’aurais probablement dû revenir, dans des conditions plus défavorables encore. J’étais devant un dilemme. L’opinion publique mondiale clamait « #ThisIsACoup », au point que c’est devenu cette nuit-là sur Twitter le premier hashtag au niveau mondial. D’un côté il y a avait la logique, de l’autre la sensibilité politique. Après réflexion, je reste convaincu que le choix le plus juste était de faire prévaloir la protection des couches populaires. Dans le cas contraire, de dures représailles auraient pu détruire le pays. J’ai fait un choix de responsabilité.
Vous ne croyez pas à cet accord et pourtant vous avez appelé les députés à le voter. Qu’avez-vous en tête ?
Alexis Tsipras. Je considère, et je l’ai dit au Parlement, que c’est une victoire à la Pyrrhus de nos partenaires européens et de nos créanciers, en même temps qu’une grande victoire morale pour la Grèce et son gouvernement de gauche. C’est un compromis douloureux, sur le terrain économique comme sur le plan politique. Vous savez, le compromis est un élément de la réalité politique et un élément de la tactique révolutionnaire. Lénine est le premier à parler de compromis dans son livre La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») et il y consacre plusieurs pages pour expliquer que les compromis font partie des tactiques révolutionnaires. Il prend dans un passage l’exemple d’un bandit pointant sur vous son arme en vous demandant soit votre argent, soit votre vie. Qu’est censé faire un révolutionnaire ? Lui donné sa vie ? Non, il doit lui donner l’argent, afin de revendiquer le droit de vivre et de continuer la lutte. Nous nous sommes retrouvés devant un dilemme coercitif. Ce chantage est cynisme : soit le compromis – dur et douloureux – soit la catastrophe économique – gérable pour l’Europe, pas au niveau politique, mais économiquement parlant – qui pour la Grèce et la gauche grecque aurait été insurmontable. Aujourd’hui les partis de l’opposition et les médias du système font un boucan impressionnant, allant jusqu’à demander des procédures pénales contre Yanis Varoufakis, pour savoir si oui ou non il avait un plan de crise. Imaginez ce qui se passerait dans ce pays s’il y avait eu une telle catastrophe économique. Nous sommes tout à fait conscients que nous menons un combat, en mettant en jeu notre tête, à un niveau politique. Mais nous menons ce combat en ayant à nos côtés la grande majorité du peuple grec. C’est ce qui nous donne de la force.
Toute cette procédure de négociation pour en arriver là... Cela en valait-il le coût, politiquement parlant ? Au point où nous en sommes, avec les banques fermées, les dommages causés à une économie grecque déjà affaiblie, cela en valait-il la peine ?
Alexis Tsipras. Je ne regrette pas un seul de ces moments, je ne regrette rien de tout ce qui s’est passé ces cinq mois. Cela en valait la peine, et concernant l’économie, les choses sont réversibles. La Grèce est à la Une des journaux, en des termes positifs. Le drapeau grec flotte sur des manifestations à travers les capitales d’Europe. Des milliers de personnes en Irlande, en France, en Allemagne, ont manifesté leur solidarité avec le peuple grec. Cela en valait la peine, bien sûr.
Mais la conclusion de ces négociations est considérée comme une défaite...
Alexis Tsipras. C’est considéré comme une défaite par certains esprits étroits qui pensent que la révolution aura lieu via l’invasion des Palais d’Hiver et qu’elle durera un instant.
Et si l’on regarde les sondages en Espagne pour Podemos ?
Alexis Tsipras. Ceux de Podemos ont devant eux la possibilité de revendiquer une alternative. Ils ne l’auraient pas si le 12 juillet nous avions assisté à une énorme catastrophe économique. Podemos a toutes les possibilités de gagner, ils ont trois mois devant eux pour mener le combat et la bataille électorale en Espagne en novembre fait partie du changement qui arrive en Europe. Tout comme les changements et transformations qui auront lieu dans le reste de l’Europe. Mais revenons aux dommages causés à l’économie grecque. Ils sont réversibles, à condition que l’accord soit complété. Nous ne sommes pas tous seuls : le projet de Grexit des cercles conservateurs extrémistes pour un Grexit est toujours sur la table. Il y restera jusqu’à la décision de dépréciation de la dette grecque, une décision qui doit déterminer si le FMI participera ou non au programme. Je dis que la situation est réversible. S’il n’y avait pas eu de changement politique, le pays, de toute façon, serait contraint de dégager des excédents budgétaires primaires équivalents à 3,5% en 2015 et 4,5% à partir de 2016 et par la suite. Aujourd’hui, nous avons l’obligation, d’arriver en 2018 à un excédent de 3,5%. Aujourd’hui nous pouvons n’en dégager aucun, voire être en négatif, arriver à 1% demain, à 2,5% en 2017, en fonction de la situation économique. Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Cela veut dire que le changement politique et la négociation ont sauvé l’économie grecque de mesures qui lui auraient coûté plus de 15 milliards d’euros.
Mais l’économie réelle devra fait face à la hausse de la TVA… Nous n’avons plus notre mot à dire sur le niveau de taxation de tel ou tel produit. Ils font irruption tels des gangsters dans la gestion de nos affaires internes...
Alexis Tsipras. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Les Grecs ont porté la gauche au pouvoir pour arrêter cela...
Alexis Tsipras. La gauche a fait tout ce qu’elle a pu et elle va continuer à se battre que cela s’arrête. Mais il faut que la gauche – et nous tous avec – se rende compte que nous devons nous battre dans un cadre très précis, en mesurant les alternatives qui s’offrent à nous. À ce stade en particulier les alternatives que nous avions devant nous étaient soit la faillite désordonnée soit le compromis difficile qui nous laisse la possibilité de survivre et de nous battre dans les années à venir pour « casser » cette étroite mise sous surveillance. Nous avons la possibilité de nous libérer de cette surveillance asphyxiante. Le peuple grec est comme le fugitif qui, parce qu’il a tenté de s’échapper de la prison de l’austérité, a été placé à l’isolement. Il mène un combat pour s’enfuir mais à la fin il est arrêté et jeté dans une cellule encore plus étouffante et plus étroite. Comment sortir de cette prison désormais ? Certains préconisent de se jeter dans les douves avec les crocodiles ou sur les grillages électriques. Non, ce n’est pas une façon de s’échapper : c’est une façon de se suicider. Aujourd’hui pour quitter cet isolement il faut susciter une immense vague de solidarité internationale pour aider le peuple grec à se libérer du joug de l’austérité. C’est seulement ainsi que nous nous libérerons.
Peut-on encore entrevoir une solution au sein de cette Union Européenne, dans le cadre de cette zone euro ? C’est un peu une alliance de loups...
Alexis Tsipras. Nous vivons dans le cadre d’une économie mondialisée. Regardez les pays voisins, en dehors de l’UE, de la zone euro : la Serbie, l’Albanie. Vous avez l’impression que là-bas il n’y a pas d’austérité ? Que les conditions de survie n’y sont pas difficiles ? Que ces pays ne sont pas contraints d’importer les produits de base ? Tout d’un coup, le pays deviendrait autonome et pourrait couvrir les besoins pour la survie de la population ? Nous ne pouvons pas faire ça du jour au lendemain. Nous sommes donc obligés de voir la réalité en face. Et de voir, dans le cadre de cette réalité, si la lutte des classes existe seulement au niveau des négociations ou aussi au sein du pays. Existe-il, pour un gouvernement de gauche, des possibilités d’ouvrir un espace, de créer des respirations de solidarité et de redistribution ? La différence entre une politique progressiste et une politique conservatrice, au sein de l’étroit cadre européen est-elle possible ? Nous devrons répondre collectivement à ces questions. Cet accord a été un choc pour le peuple et pour la gauche. Certains en concluent que dans ce contexte un gouvernement de gauche n’a pas de raison d’être. Je suis prêt à débattre de ce point de vue. Cela équivaut à dire au peuple grec : « Nous nous sommes trompés en disant que nous pouvions mettre fin à ce mémorandum, demandons au système politique déchu qui nous a mené jusqu’ici de gérer cela. Choisissez plutôt ce système qui toutes ces dernières années ne négociait pas mais complotait avec la troïka afin de vous imposer ces mesures. » Le peuple grec nous répondrait qu’il n’en veut pas, qu’il attend de nous que nous assumions nos responsabilités. Si nous devions renoncer parce que les conditions trop difficiles, comment cela se traduirait-il en pratique ? Nous ne nous présenterions pas aux prochaines élections pour ne pas courir le risque d’être élus, comme l’a fait le KKE en 1946. Voyons maintenant les choses différemment. Supposons que nous en arrivions à la conclusion théorique que nous autres les « sages » de la gauche, façonnions mieux les conditions objectives en étant dans l’opposition. Si nous avouons au peuple, les yeux dans les yeux, que nous ne pouvons pas gérer les choses, en étant au gouvernement, comment pourrait-il nous faire confiance pour le faire dans l’opposition ? Dans l’opposition, nous aurions dix fois moins de pouvoir. Si elle suit cette logique, la gauche en arrivera à clore volontairement une opportunité historique de mener le combat pour changer les choses – tant qu’elle le peut – depuis une position de responsabilités. Au fond, ce serait céder à la peur des responsabilités.
Ne sommes-nous pas dans une position surréaliste, avec des travailleurs appelés à se battre contre une politique que la gauche est supposée mettre en œuvre ? C’est une folie !
Alexis Tsipras. La grande différence, l’énorme différence, et c’est là où se concentre leurs attaques, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, c’est que nous, nous ne revendiquons pas la propriété de ce programme. Quand l’opinion publique européenne et mondiale a vu de quelle façon le gouvernement grec et moi-même avons été contraints à ce compromis, personne ne peut prétendre que la propriété de ce programme nous revient. Ici permettez-moi de répéter la citation de Jürgen Habermas qui a dit, je le cite mot à mot : « J’ai peur que le gouvernement allemand, y compris sa frange social-démocrate, ait dilapidé en l’espace d’une nuit tout le capital politique qu’une Allemagne meilleure avait accumulé depuis un demi-siècle ». Voici quelle défaite politique ont subi nos partenaires européens. Ici s’ouvre devant nous un espace, très important, de transformations en Europe. Doit-on l’abandonner, nous qui en sommes les protagonistes, nous qui avons suscité ces fissures ? Enfin, un gouvernement de gauche obligé de mettre en œuvre ce programme va rechercher en même temps les moyens d’en équilibrer les conséquences négatives, tout en restant dans les combats sociaux, parmi les travailleurs qui se battront.
Mais ils vous couperont l’herbe sous le pied ! Pourquoi vous laisseraient-ils compenser les effets de ces mesures ?
Alexis Tsipras. Vous pensez que la négociation s’est arrêtée le 12 juillet ? C’est un combat constant. Tant que nous façonnerons les conditions pour des rapports de force plus propices au niveau européen, ce combat penchera en notre faveur. Il ne faut pas abandonner le combat.
Il y a déjà des rumeurs sur de nouvelles mesures, sur de nouveaux paquets de mesures.
Alexis Tsipras. J’ai bien peur que ces rumeurs ne naissent ici, avant de se propager à l’étranger pour ensuite revenir ici.
Cela fait partie du jeu. Mais vous les avez bien entendues vous aussi. Des rumeurs de prêt-pont.
Alexis Tsipras. Je connais le cadre de l’accord que nous avons signé le 12 juillet au Sommet de la zone euro. Ces obligations fondamentales, indépendamment du fait que nous soyons ou non d’accord avec elles, nous les mettrons en œuvre. Pas une de plus, pas une de moins.
Un auditeur nous dit : « J’ai trois enfants, ils sont au chômage, je travaille à temps partiel, je dois m’acquitter d’une taxe immobilière de 751€, je veux les soutenir mais je n’ai rien ! »
Alexis Tsipras. C’est la réalité de la société grecque aujourd’hui. Un rapport de l’Institut du travail de la Confédération syndicale des salariés du privé évalue à 4 sur 10 le nombre de personnes en situation de pauvreté. Nous devons affronter cette réalité. Si nous abandonnons le combat, ces 4 pauvres sur 10 vont-il cesser d’être pauvres ? Le seul choix, c’est de rester, d’organiser un mouvement de solidarité et en même temps de nous battre pour des mesures qui contrebalancent les conséquences néfastes des obligations imposées par les recettes néolibérales de l’austérité. Dans le cadre d’un projet que nous allons devoir établir au plus vite, nous allons nous reconstituer pour contre attaquer. Ce projet sera un projet de gauche, il ne peut venir ni de la droite ni de la social-démocratie. Le projet de la droite et de la social-démocratie c’est de dire que s’il n’y avait pas de mémorandum, il faudrait l’inventer ! Nous, nous affirmons que le mémorandum est une mauvaise recette. Les alliances en face étaient trop fortes et nous avons été obligés de l’accepter. Mais nous livrons un combat pour en retourner les termes, pour nous en désengager petit à petit. J’entends dire que c’est le pire mémorandum de tous ceux que nous avons eus. C’est le plus douloureux parce qu’il arrive dans le cadre d’un compromis douloureux. Je suis d’accord là-dessus. Mais les deux précédents memoranda se sont traduits par 16% d’ajustement budgétaire sur quatre ans. Ils comportaient des licenciements collectifs - des licenciements de fonctionnaires, ici nous n’avons pas de licenciements de fonctionnaires, mais nous avons eu des réembauches de gens injustement traités. En même temps, nous avons la poursuite de l’austérité de manière directe avec l’augmentation de la TVA, dans la restauration par exemple, c’est une mesure qui ne va rien donner à notre avis et c’est un des grands problèmes, mais nous n’avons pas de baisse nominale des retraites et des salaires !
Mais nous avons des baisses indirectes !
Alexis Tsipras. Dites-moi donc où sont ces baisses ?
L’augmentation de la TVA se traduira par une perte de pouvoir d’achat.
Alexis Tsipras. Je l’ai dit ça, sur la TVA, je ne vais pas me répéter. Mais est-ce la même chose que d’avoir des baisses de salaires ou de retraite de 40% comme avec les deux précédents memoranda ? 40% de baisse nominale sur les retraites, est-ce la même chose que la TVA à 23% sur la restauration ? Cela justifie-t-il que l’on juge ce memorandum pire que les deux précédents ?
C’est une autre logique...
Alexis Tsipras. Non nous ne sommes pas dans des logiques différentes ! Nous sommes tous déçus, nous sommes tous amers, mais de là à se charger d’un poids supplémentaire, s’auto-fustiger, parce que la gauche s’est habituée à un discours de la faute ces quarante dernières années, et ne pas reconnaître que nous avons réussi quelque chose et que nous allons continuer...
Vous n’avez pas décrit l’accord qui vous aurait fait dire : « c’est un bon accord », après le référendum.
Alexis Tsipras. Oui. Après le référendum un bon accord aurait été celui qui nous aurait donné la possibilité d’assurer nos obligations budgétaires à moyen terme, celles que nous avons assurées désormais, en plus de l’engagement sur la dette. Mais avec un cadre de compromis honnête. D’accord, acceptons les règles de la zone euro, acceptons d’entrer dans une logique de budgets équilibrés et d’excédents budgétaires - mais modérés, pour qu’ils soient viables, ces excédents. Des excédents de 1 ou 2% pour éviter des mesures qui sont, de l’avis des meilleurs économistes de la planète, contre-productives. Par exemple je considère que l’augmentation de la TVA est une erreur. Parce que le pays a besoin d’une amélioration de l’encaissement des impôts et de la TVA. Cela implique de renforcer les mécanismes de contrôle, dans les îles où il y a actuellement énormément de fraude et d’évitement fiscal ; de convaincre les citoyens de prendre part en demandant des factures, pour améliorer l’encaissement. Si on augmente l’encaissement de 3%, on encaissera d’avantage que ce qui est prévu avec l’augmentation de 10% de la TVA dans la restauration. Je dis des choses logiques, il n’y a là rien d’incroyable. De même je considérerais comme logique de ne pas imposer une pression fiscale supplémentaire sur des secteurs touchés par la crise, comme l’agriculture. Là nous devons trouver des mesures qui compensent cette pression fiscale supplémentaire.
Mais qui sont vraiment les agriculteurs ? Ils ne sont pas tous les mêmes. La Grèce compte-elle 800.000 agriculteurs ? On ne peut pas caresser certaines catégories dans le sens du poil…
Alexis Tsipras. Certaines catégories sociales sont habituées à ne pas faire face à leurs obligations et à revendiquer sans critères de justice. Nous devons nous attaquer à tout cela. D’autre part, nous devons comprendre que ces changements ne peuvent pas intervenir dans un contexte de conflit social, mais seulement dans un contexte de cohésion sociale. Mais là vous m’offrez l’occasion de prendre position sur les nombreux choix qui peuvent se faire, dans une perspective progressiste, même dans le cadre d’un ajustement budgétaire difficile imposé de l’étranger. Prenons les exemples de la fraude fiscale, de la corruption. La gauche sera jugée sur sa capacité à les affronter Peut-on suivre un programme politique de gauche, une politique socialement juste sans contrôle de ceux qui fraudent depuis des années, envoient de l’argent à l’étranger, au vu et au su de tous, tout en restant hors d’atteinte ? Nous serons jugés là-dessus.
Qui peut arrêter ceux-là ? Est-ce si difficile, pour l’administration, de repérer les comptes depuis lesquels l’argent est transféré à l’étranger ?
Alexis Tsipras. Cela demande du temps et de la méthode. Je dois avouer que ces derniers six mois, notre attention a été accaparée par les confrontations liées à la négociation. Mais il n’y a pas que la négociation ! Si l’on considère que les étrangers sont responsables de tout ce qui ne marche pas dans le pays, on déroule le tapis rouge à la bourgeoisie et à l’oligarchie locale qui ont mené le pays à la catastrophe. Nous devons nous occuper de l’oligarchie intérieure, cela implique de réorienter notre projet, notre plan de bataille, de confrontation et de conflit, contre l’oligarchie qui a conduit le pays à la destruction et qui continue à contrôler des centres de pouvoir. Certains diront : mais là aussi vous allez vous retrouver avec la Troïka comme adversaire ! Oui. Mais alors chacun devra prendre ses responsabilités publiquement. C’est une chose que la Troïka dise : « Je ne veux pas que vous ayez des déficits » - même si on n’est pas d’accord avec sa politique - et c’en est une autre qu’elle dise : « Je ne veux pas que les riches de votre pays soient mis à contribution et je veux que les pauvres paient toute l’addition ». La Troïka prendra publiquement ses responsabilités, elle devra rendre des comptes devant l’opinion internationale parce qu’en ce moment tous nous regardent, l’Europe et le monde entier. Je suis allé au Parlement européen, il y avait une immense dichotomie : la moitié de notre côté et l’autre moitié avec ceux d’en face. Tout le monde regarde vers la Grèce ! Il faut donc que nous prenions des initiatives, dans le sens de grands changements, des réformes au contenu progressiste, qui vont changer le système politique, combattre la corruption, la fraude fiscale, les pratiques de l’oligarchie. Voilà les buts que doit se donner une politique progressiste et radicale pour notre pays.
Des combats n’ont pas été menés par le gouvernement de gauche. Par exemple, sur les mines d’or de Skouriès où les citoyens se sont dressés contre la compagnie Ellinikos Chrysos. Le gouvernement de droite a poursuivi et réprimé ces citoyens. La Compagnie Ellinikos Chrysos fonctionne encore.
Alexis Tsipras. À Skouriès ce que je sais c’est que l’entreprise se plaint, elle réclame une décision car elle n’a pas encore reçu d’autorisation pour continuer l’extraction et la séparation de l’or sur place. Ce combat continue. Pas seulement contre les grands intérêts. C’est aussi un combat qui se livre sur place contre des intérêts locaux. Il faut trouver un modus vivendi parce que de l’autre côté, ils avancent l’argument de l’emploi.
Mais nous sommes d’un côté, pas de l’autre !
Alexis Tsipras. Nous sommes un gouvernement, nous avons des responsabilités, nous ne pouvons pas mettre 5000 salariés au chômage. Il faut trouver une solution. Ce dossier était géré par Panayotis Lafazanis en tant que ministre [de l’Énergie et de la Reconstruction productive, qui a quitté le gouvernement le 18 juillet, NDLR]. Il est aujourd’hui repris par Panos Skourletis. Ce n’est pas encore réglé mais je suis certain que la solution prendra en compte à la fois la cohésion, la justice sociale et le bon droit du combat citoyen.
Quels citoyens ? Ceux qui se battent contre cet « investissement » ou ceux qui réclament du travail ?
Alexis Tsipras. La justice sociale implique que les gens qui travaillaient ne perdent pas leur emploi. Le droit du combat citoyen, c’est celui des gens qui se battent pour l’environnement et pour leurs vies. Je suis clair là-dessus.
Concernant les médias de masse, il y a depuis des années un environnement anarchique. Le gouvernement a pris des engagements, un projet de loi a été déposé. Cela se fait-il dans un esprit de revanche ? Les nouveaux acteurs qui vont surgir dans le paysage audiovisuel seront-ils plus honnêtes ? Le gouvernement favorisera-t-il ses amis, l’entourage des ministres ?
Alexis Tsipras. Je ne pense pas qu’il y ait de place pour un sentiment de revanche dans le projet de loi. Il exprime pour la première fois la volonté de mettre de l’ordre et d’imposer des règles dans ce secteur. Lorsque quelqu’un veut utiliser un bien public, il a le devoir de payer au secteur public le loyer équivalent à l’usage de ce bien public - et il a le devoir aussi de respecter certaines règles sur la manière de gérer ce bien public. Il ne s’agit pas seulement d’imprimer un journal et de le vendre à celui qui veut bien l’acheter. Il y a usage du domaine public, donc il faut respecter quelques règles ! Pour la première fois depuis l’entrée des investisseurs privés dans le secteur audiovisuel, il va y avoir une règlementation, le cadre va être réglementé. Tous ceux qui, jusqu’ici, ne respectent pas leurs engagements envers la loi seront obligés de les respecter... Les consultations qui vont suivre le projet de loi nous permettrons d’entendre les positions des uns et des autres.
Ces consultations seront-elles ouvertes à tous et sincères ?
Alexis Tsipras. Nous entendrons toutes les parties, journalistes, propriétaires de médias et nous sommes prêts à entendre tous les points de vue. Ce qui compte c’est que nous puissions dire au peuple grec - et s’il doit y avoir des améliorations, des modifications, nous sommes prêts à l’entendre, - que ce secteur va enfin être régulé et qu’il le sera dans la légalité. Aucun groupe de presse ne pourra plus dissimuler des pertes financières et en même temps bénéficier de facilités de la part du système bancaire privé en contrepartie d’un soutien à certains acteurs du système politique. Dans ce triangle de l’intrication, de la corruption, ce triangle du pêché, des entreprises de presse en déficit se voyaient accorder des prêts bancaires de manière scandaleuse tandis que des entreprises saines, dans les autres secteurs d’activité, ne pouvaient obtenir de prêts. Ce triangle scandaleux est terminé. L’information des citoyens est un bien public, elle doit être objective, se plier à des règles et le fonctionnement des entreprises de presse et des mass media doit se faire dans la transparence selon les règles applicables à toutes les entreprises du pays.
Des auditeurs nous interpellent sur les violences policières, puisque nous avons abordé le sujet des mines d’or de Skouriès. C’est un gouvernement de gauche qui réprime les manifestations. Il y a eu des membres cassés, parfois.
Alexis Tsipras. Je n’en doute pas, mais la différence, c’est qu’il n’y a aucune volonté politique de couvrir, de cacher ces faits. Au contraire. Il faut faire toute la lumière sur ces violences et mettre à la disposition de la justice ceux qui provoquent ces incidents, laisser la loi faire son travail. Le rôle du policier n’est pas de tabasser ou de dissoudre la légitimité d’une manifestation publique, comme nous l’avons vécu ces dernières années. Tout de même sur ce point il y a eu des changements importants.
Nous, nous étions heureux du retrait des grilles autour du Parlement. Elles sont de retour aujourd’hui.
Alexis Tsipras. Quand ça ?
Je les ai revues.
Alexis Tsipras. Vous parlez des incidents qui ont eu lieu. Des cocktails Molotov ont explosé devant les gens, il a failli y avoir des blessés graves. Quinze personnes de nationalités étrangères ont été arrêtées pour cette raison. Est-ce que quelqu’un a relevé ce fait ? Entendons-nous bien : où étaient les grandes foules, les grandes passions ? Juste ces quinze étrangers ! Que voulaient-ils ? Attention ! Il ne s’agissait pas de migrants. Je ne sais pas s’il s’agissait de provocateurs liés à des services secrets étrangers. Je l’ignore, ce point reste à éclaircir. Peut-être s’agissait-il de militants solidaires. Cela ne m’intéresse pas. Mais je suis désolé : pourquoi ne relevez-vous pas aussi ces faits-là ? Certaines actions, certains mouvements, je parle objectivement, fonctionnent de façon provocatrice. Que doit faire la police, dans une démocratie, lorsqu’une pluie de cocktails Molotov s’abat aux abords d’une manifestation, menaçant de bruler vifs des manifestants ? Doit-elle laisser faire, jusqu’à ce qu’il y ait mort d’homme ?
Pourquoi vous mettez vous en colère ?
Alexis Tsipras. Parce que je suis dans un environnement familier et que j’aime me mettre en colère en terrain connu [rires].
Venons-en aux questions relatives au parti. Comment avez-vous fait pour faire des problèmes internes à Syriza des problèmes de la Grèce ? Il n’y a que Syriza pour réussir un tour pareil.
Alexis Tsipras. [Rires] Non, il n’est pas question d’en faire un problème du pays. Le pays avance dans le cadre de la Constitution, selon laquelle les décisions sont prises par les représentants du peuple au Parlement grec. Le gouvernement, le Conseil des ministres assume une responsabilité collective et le cadre dans lequel les décisions sont prises est clairement défini. À partir de là, Syriza est le parti gouvernemental, il joue un rôle important sur la scène politique et se doit, en respectant sa propre « Constitution », c’est-à-dire ses statuts, dans un cadre démocratique, de prendre des décisions. Il y a un décalage lié à la « violente maturation » de Syriza, qui est passé très vite d’un parti à 4% à un parti dans lequel une grande majorité du peuple grec place ses espoirs et ses attentes. C’est un parti de 30 000, soutenu par 3 millions de citoyens. Malgré tout, les partis doivent fonctionner dans les cadres fixés par leurs statuts. Nous devons mener la discussion, pour savoir si Syriza doit s’ouvrir, être en phase avec les angoisses, les espoirs de sa base sociale. Nous ne l’avons pas fait plus tôt, c’est une faute de notre part. Ce débat est désormais ouvert et les 30 000 membres de Syriza devront prendre des décisions.
Si Syriza s’ouvre il devra changer. Aujourd’hui, Syriza est perçu comme un parti de la gauche radicale. Doit-il le rester, devenir un grand parti progressiste ou un parti social-démocrate ?
Alexis Tsipras. Cette pensée ne traverse l’esprit de personne à Syriza. Pourquoi la posez-vous donc ici ?
Parce que c’est une crainte qui s’exprime.
Alexis Tsipras. Une crainte ou un désir ?
J’imagine que beaucoup souhaitent voir Syriza devenir un parti social-démocrate.
Alexis Tsipras. La social-démocratie à deux expressions en Grèce [Le Pasok et le Mouvement des démocrates socialistes de Georges Papandréou, NDLR], trois en comptant Dimar [Parti pro-mémorandum issu d’une scission de Syriza, NDLR], peut-être plus si d’autres partis se créent. La social-démocratie se trouve dans une impasse stratégique, pourquoi Syriza voudrait-il s’engager dans cette impasse stratégique ? Personne au sein de Syriza ne souhaite cela. Nous ne devons pas nous cacher les problèmes mais y faire face avec honnêteté. Il y a deux ans, en juillet 2013, Syriza tenait son premier congrès. Notre principal but était de créer un parti uni, un parti du futur. Il faut reconnaître que Syriza n’est pas devenu un parti uni. L’effort pour transformer une coalition en parti unitaire était honnête mais nous ne sommes pas parvenus au résultat recherché.
La responsabilité est partagée par tous...
Alexis Tsipras. Bien sûr ! Je suis le premier à l’assumer.
Syriza compte de nombreuses tendances, malgré la décision de former un parti uni.
Alexis Tsipras. C’est une réalité. Où se situent les responsabilités ? C’est une discussion. Mais regardons la réalité, demandons-nous comment résoudre ce problème. Un cadre ou un membre du parti qui n’appartient à aucune des tendances constituées n’a pas les mêmes droits que les autres. Tel que je le comprends, cette personne est exclue du processus de décision. Elle n’est même pas tenue informée. C’est dans ce sens que nous devons voir et juger les choses, calmement, à froid, en camarades. Le Secrétariat politique n’est pas le seul centre de décision, il en existe beaucoup d’autres, ces centres s’entrecroisent. Voilà la réalité que nous devons affronter. Pour certains, cette réalité peut être le modèle de fonctionnement moderne d’un parti déterminé. Je peux accepter cela aussi. Mais alors, mettons-y des conditions et des règles. Mon opinion est que cela peut fonctionner, être positif dans le cadre d’un parti pluraliste dans l’opposition. Mais quand un parti exerce le pouvoir, ce modèle n’est pas limité aux affaires internes, il est transposé au Parlement, cela ne peut pas fonctionner. Un parti ne peut pas, quand il est au gouvernement et qu’il s’appuie sur une majorité de 161 sièges, dans le cadre d’un gouvernement de coalition, fonctionner avec des centres de pouvoir parallèles. Qu’il y est une réunion du groupe parlementaire et des réunions dans des hôtels pour que certains députés décident de leur position, cela ne peut pas fonctionner. Je ne dis pas que c’est bien ou mal. Je dis simplement que ça ne peut pas être efficace. On ne peut pas avoir une majorité gouvernementale à la carte. Un coup avec ceux-là, un coup avec les autres. Je ne suis pas partisan du centralisme démocratique, et vous le savez. Je ne peux accepter que le pluralisme pour un parti…
Là-dessus nous sommes en désaccord.
Alexis Tsipras. Oui, vous vous êtes de l’ancienne école, je le sais. Je ne suis pas pour le centralisme démocratique ni même pour la fermeture de nos réunions. Je suis pour la transparence, pour que tous les points de vue puissent s’exprimer, être pris en compte et que nos décisions soient prises de façon démocratique. Mais lorsqu’on prend la décision de gouverner un pays, il faut le gouverner. Ce n’est pas une question d’ordre moral, ni de conscience, c’est une question d’efficacité élémentaire. Si la décision collective d’un parti est de gouverner, il faut que les décisions collectives soient respectées et soutenues par tous les députés sinon, comme le disent les statuts du groupe parlementaire, les députés qui s’y opposent doivent rendre leur siège pour le laisser au suivant. Ce n’est pas possible autrement.
Avez-vous demandé à des députés de rendre leurs sièges ?
Alexis Tsipras. Non, je ne l’ai pas fait. Ce sont des questions qui relèvent du groupe parlementaire. Mais je ne veux pas sous-estimer le problème capital posé par un désaccord stratégique que je respecte. Lorsqu’un parti n’est pas uni mais pluriel, des limites se posent quand ce parti se trouve en situation de gouverner. On ne peut pas transposer son multi-centrisme au sein du gouvernement et de la majorité parlementaire. Il y a des différences de stratégie, cela ne fait pas de doute. Je les respecte, je respecte l’opinion opposée, je ne fonctionne pas avec une culture du chef, une culture qui proclame que l’autre point de vue doit être noyé, c’est pour cela que je n’ai pas demandé de sanctions, ce que prévoient les statuts du groupe parlementaire, concernant les votes négatifs. Ce que je demande c’est que nous allions vers un processus collectif où le parti prendra des décisions. Une fois qu’elles seront prises, que l’on s’entende, que l’on fonctionne et que l’on avance. On ne va pas dire « Je vote contre les propositions du gouvernement mais je soutiens le gouvernement ». Pour moi c’est trop surréaliste. Comme je vous l’ai dit je respecte la différence d’opinion, je suis le premier à demander des procédures collectives. Mais je ne peux pas nier le fait que j’ai été surpris, même à titre personnel, de la position de certains camarades. Certains disent qu’il ne faut pas montrer ses sentiments en politique, je ne fais pas partie de ces gens-là, je considère que les sentiments font partie de la politique et que personne ne peut les cacher. Avec beaucoup de ces camarades nous menions des combats et nous étions à la même table avec la même angoisse il y a quelques jours. Avec l’angoisse commune que l’effondrement du système bancaire signerait notre destruction politique et morale face au mouvement populaire, aux travailleurs et à l’histoire de la gauche. Nous ressentions la même angoisse dans le combat, dans la recherche de solutions. Nous nous sommes battus pour le référendum et nous connaissions l’alternative posée devant nous. Ces mêmes personnes, après le rude combat que j’ai mené pendant dix-sept heures, avec cette alternative à ma disposition, ont considéré opportun de dire le lendemain : « Bien, maintenant que tu t’es assuré que les banques ne fermeront pas et que notre destruction ne viendra pas, nous te laissons la responsabilité de cet accord et nous gardons les lauriers de la pureté idéologique ». Je ne fais pas allusion à la position politique, je le répète, je respecte les différences de stratégie, l’avis selon lequel la gauche ne peut pas gouverner le pays sous de telles conditions. Cela, je le respecte. Je ne parle ni d’opinion ni de stratégie mais des limites de nos valeurs collectives, du cadre moral dans lequel se définit la solidarité au sein d’un parti, au sein d’un gouvernement et au sein d’un groupe parlementaire. Ceux qui, la veille, partageaient mon angoisse m’ont dit, le lendemain : « Je te soutiens, mais prends seul la responsabilité du compromis, moi je garde le droit de voter contre ». Je m’attendais à ce qu’ils me disent : « Nous avons une estimation différente de notre capacité à continuer mais les valeurs élémentaires de solidarité nous imposent de soutenir le gouvernement et le Premier ministre jusqu’à ce que soit possible l’accord – parce qu’il n’existe pas encore, de voter pour tout en soulignant notre désaccord, y compris durant le vote et ensuite de demander la redéfinition de la stratégie du parti et donc du gouvernement à travers une procédure de débat collectif comme le prévoient nos statuts ». Voilà ce qu’aurait dû être une position de solidarité. Je ne comprends pas cette posture, ou plutôt je comprends qu’elle est liée à des décisions prises il y a déjà longtemps. Des décisions de rupture. Des décisions qui peuvent conduire à l’implosion. Je suis le garant de l’unité de Syriza, en tant que président du parti et j’irai jusqu’au bout de mon effort pour garantir cette unité. Mais l’unité forcée, ça n’existe nulle part.
Rien n’indique que ces décisions étaient planifiées, les choses sont arrivées rapidement. Ceux qui, au Parlement, brandissaient le oui et ceux qui brandissaient le non partageaient la même douleur...
Alexis Tsipras. La vie nous dira si mes peurs sont fondées ou injustifiées. Mais voilà quelles étaient mes attentes à l’endroit de camarades avec qui nous avons fait tant de chemin, avec nos désaccords mais toujours ensemble dans les moments difficiles. J’ai dû gérer une réalité terrible, impitoyable. Si quelqu’un pense que Tsipras, en tant que Premier ministre, le 12 juillet, avait d’autres choix et qu’il a décidé de ne pas les suivre pour trahir ses principes et maintenir le pays dans l’asphyxie, qu’il l’explique publiquement, sans manipulations. Et qu’il nous dise quel était ce plan alternatif. Quel était donc ce plan que j’aurais choisi de ne pas suivre ? Posons ce débat en toute honnêteté. Pas en proférant des accusations d’apostasie. Discutons de la monnaie, de l’orientation européenne du pays ! Mais en des termes structurés, qui tiennent la route, pas seulement en théorie mais en pratique aussi. Dans le programme de Syriza, notre priorité absolue est d’empêcher la catastrophe humanitaire. Si notre plan théorique ne prend pas en compte cette priorité alors c’est un plan sans fondement. Je n’ai pas demandé au peuple grec de voter « non » pour aller à la drachme. Et pour autant que je sache, la majorité du peuple grec n’a pas compris la question du référendum en ces termes. Dire que ce grand « non » était un grand « oui » à la drachme, c’est manipuler la vérité. Manipulation que nous n’avons pas le droit de faire face à notre histoire, à nos combats, à notre dialogue démocratique entre égaux. Nous n’avons pas le droit d’essayer de régler nos différences dans un tel cadre.
Vous posez la question de vos rapports – non pas au niveau personnel, mais institutionnel, avec le Parlement et avec sa présidente, Zoé Konstantopoulou.
Alexis Tsipras. J’ai exprimé ma préoccupation, tant à elle en personne que publiquement. Nos relations sont des relations d’estime, il n’y a aucun doute là-dessus. À partir de là, les choix de chacune et de chacun, notamment lorsqu’on occupe des responsabilités institutionnelles, produisent des résultats. De facto. Se trouver face à quelqu’un qui vous dit : « Je te dénonce pour te protéger », c’est surréaliste. Je ne suis pas un enfant, j’ai d’autres façons de me protéger [Rires]. Maintenant, si cela induit un mauvais fonctionnement institutionnel nous en jugerons dans la prochaine période. Si la volonté est de jouer la guérilla pour finir par voter, épuisés, à six heures du matin, en dormant sur les bancs de la Vouli, afin de montrer que de cette façon, on résiste à la Troïka, que dire ? Ce sont des enfantillages.
Quelles est la position du président de la République face à la crise ?
Alexis Tsipras. Le président de la République, avec beaucoup d’angoisse, s’est positionné sur ces décisions difficiles et il respecte scrupuleusement le cadre institutionnel de ses prérogatives. Je me souviens que tout le monde lui était tombé dessus, lui demandant de ne pas accepter le référendum. Il a fait son devoir, comme le définissait la Constitution, mais au-delà du cadre constitutionnel, au-delà des clichés institutionnels et du protocole, je pense qu’il ressent une sincère angoisse pour le pays. Une angoisse qu’il me communique quotidiennement. Nous avons des opinions différentes mais c’est une collaboration exceptionnelle.
Faut-il aller à des élections législatives anticipées ?
Alexis Tsipras. J’aurais été le dernier à vouloir des élections, si nous avions une majorité parlementaire garantie, pour aller jusqu’à la fin du programme et à la sortie des memoranda, tout en menant le combat afin d’être jugés non pas sur des intentions, mais sur une politique de confrontation avec l’oligarchie, de respiration, de redistribution, de soutien aux plus faibles. Mais si nous n’avons pas la majorité parlementaire je serai obligé, nous serons obligés d’aller vers des élections. Cela tiendra en grande partie aux décisions prises au niveau du parti, étant données les dissensions exprimées au sein du comité central et du groupe parlementaire.
Quelle est votre proposition au niveau du Comité Central ?
Alexis Tsipras. Je pense que ma proposition est une proposition logique. Nous avons un parti, avec des membres, il faut leur faire confiance, entendre leurs réponses, de façon ordonnée, démocratique. Qu’il y ait une procédure structurée, pour un congrès extraordinaire, étant donné que ce sont des conditions d’urgences qui se profilent. Les procédures devraient être lancées juste après les vacances d’été, dès septembre il faut qu’il y ait un congrès, que soient élus des délégués appelés à trancher des désaccords stratégiques critiques, à définir la voie de la gauche à partir de maintenant, le nouveau plan stratégique, le nouveau programme. À partir de là, si des membres du Comité Central exigent que le parti se positionne immédiatement, avant la conclusion de l’accord… j’aurai une bombe entre les mains [rires]. Mais enfin si telle est l’exigence, la moindre des choses serait que ce débat crucial pour le futur de la gauche et pour le futur du pays ne soit pas simplement posé au niveau de la direction du parti. Que les adhérents s’expriment. Et comme en si peu de temps il n’existe pas d’autre moyen de leur demander leur avis que par un bulletin. Si telle est l’exigence, la démocratie étant toujours la solution, comme le peuple, le parti devrait voter et décider rapidement. Ce qui n’invalide pas pour autant la proposition d’un congrès extraordinaire par la suite, pour résoudre les problèmes de stratégie.
Une dernière question. Durant tout ce parcours, depuis cinq mois, quelle a été votre erreur ?
Alexis Tsipras. S’il n’y en avait qu’une je serais un homme heureux ! [Rires]
La plus grande ?
Alexis Tsipras. Ce n’est que plus tard que quelqu’un pourra en juger. Disons que cette confrontation frontale avec les principaux pouvoirs en Europe, aurait dû avoir lieu plus tôt. Nous avons été emportés après le 20 février dans une négociation qui était une guerre d’usure. Je dois avouer cependant qu’il n’est pas facile de prendre la décision de dire : « Je ne paye pas, advienne que pourra. » C’est une décision très difficile. Cependant, rétrospectivement, il était certain que nous en arriverions là mais vous savez, l’espoir meurt en dernier. Il y avait toujours l’espoir que l’attachement aux principes démocratiques, que les manifestations des peuples nous offriraient une issue, un cadre pour une solution. Ça n’a pas été le cas. Cependant, je le répète, je me sens fier de ce semestre, du combat mené. Il y a eu bien sûr des erreurs. Je crois que malgré les difficultés nous n’en sommes pas arrivés au point où ces erreurs ont mené à une catastrophe irréversible. Tout est réversible. Je pense que nous avons devant nous une voie très accidentée faite de combats constants et de revendications, afin de réussir le mieux possible pour les intérêts du peuple. Tel est notre but.
Entretien réalisé par Kostas Arvanitis (Sto Kokkino)
Retranscription et traduction Theodoros Koutsaftis
Source : l’Humanite
Source vidéo
Alexis Tsipras
homme d’État grec membre de la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA), qu’il préside depuis 2012. Il est nommé Premier ministre le 26 janvier 2015, au lendemain des élections législatives anticipées remportées par son parti.
9 juillet, par Alexis Tsipras
2 juin, par Alexis Tsipras
Kostas Arvanitis
Source : http://cadtm.org
Alors que le chômage ne cesse de grimper, le gouvernement s'essaie à inverser la courbe ascendante du chômage en créant 200 emplois de contrôleurs ! Leur mission : contrôler que les « sans emploi » recherchent bien un emploi... souvent précaire. Certes les demandeurs d'emploi ont des obligations mais aussi des droits et des recours que nous rappelons dans cette rubrique juridique de L’Humanité.fr
Les obligations et les droits
Tout demandeur d’emploi inscrit à Pôle emploi doit (article L5411-6 à L5411-6-3 et R5411-9 à R5411-12 du code du travail) :
- de sa propre initiative et sur proposition de Pôle emploi, faire des démarches effectives et régulières de recherche d’emploi. Celles-ci peuvent être justifiées, en cas de contrôle, par des copies de candidatures, des réponses des employeurs, des justificatifs de démarches en vue d’une création d’entreprise pour être auto-entrepreneur par exemple et tous autres justificatifs.
Pour info, depuis le mois de juillet une plateforme numérique est mise à la disposition des demandeurs d’emploi pour rechercher un emploi. Cliquez sur www.emploi-store.fr Celles et ceux qui n’ont pas accès à Internet peuvent se connecter à ce site dans les agences de Pôle emploi.
- être immédiatement disponible et tenu de participer au PPAE (projet personnalisé d’accès à l’emploi)… même en congés maladie, paternité ou payés. A ce propos, il est possible de s’absenter de son domicile jusqu’à 35 jours par année civile (1er juin – 30 mai) à condition d’avertir Pôle emploi.
- accepter des offres raisonnables d’emploi. De quoi s’agit-il ? Une offre est considérée comme raisonnable, après 6 mois d’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi, lorsqu'elle n'entraîne pas un temps de trajet aller/retour, en transport en commun, supérieur à une heure ou à 30 km ET est compatible avec la qualification et les compétences de l’intéressé. Le demandeur d’emploi n’est pas non plus obligé d’accepter un emploi à temps partiel s’il est prévu dans le PPAE la recherche d’un emploi à temps complet, ni d’accepter un niveau de salaire inférieur au salaire normalement pratiqué dans la région et la profession concernées, ni d’accepter de travailler le dimanche (en attendant l’application de la loi Macron sur le travail du dimanche).
- répondre aux convocations écrites (la loi ne prévoit pas de convocation téléphonique) de Pôle emploi.
- actualiser mensuellement sa situation par téléphone au 3949, sur place ou sur le site Internet www.pole-emploi.fr rubrique « je m’actualise » en haut à gauche.
Cas de radiation et leurs durées
- ne pas justifier la recherche effective et répétée d’emploi, sauf pour les demandeurs d’emploi de catégories D et E (en stage, en formation, en arrêt maladie ou dispensés de recherche d’emploi) – durée de la radiation = 15 jours (1 à 6 mois si récidive),
- refuser, sans motif légitime, deux offres raisonnables d’emploi (lire ci-dessus les conditions et exceptions) - durée de la radiation = 2 mois (2 à 6 mois si récidive),
- refuser, sans motif légitime, d’élaborer ou d’actualiser le PPAE - durée de la radiation = 2 mois (2 à 6 mois si récidive),
- refuser, sans motif légitime, toute formation ou d’aide à la recherche d’emploi proposée par les services de Pôle emploi - durée de la radiation = 15 jours (1 à 6 mois si récidive),
- refuser, sans motif légitime, de répondre à toute convocation – durée de la radiation = 2 mois (2 à 6 mois si récidive),
- refuser, sans motif légitime, de se soumettre à une visite médicale des services médicaux de main-d’œuvre pour vérifier l’aptitude au travail ou à certains types d’emplois - durée de la radiation = 2 mois (2 à 6 mois si récidive),
- refuser, sans motif légitime, une proposition de contrat d’apprentissage ou de contrat de professionnalisation ou de contrat aidé ou toute action d’insertion – durée de la radiation = 15 jours (1 à 6 mois si récidive),
- faire de fausses déclarations – durée de la radiation = 6 à 12 mois.
Notez-bien que la radiation n’est jamais définitive, que les allocations de chômage (ARE etc.) ne sont plus versées pour la seule durée de la radiation mais que celle-ci ne réduit pas la durée des droits acquis à l’indemnisation.
Références : articles L5412-1 et L5412-2 du code du travail.
Les recours
Comme vous l’avez lu, tout demandeur d’emploi peut motiver son refus (motif légitime) et dispose de 15 jours (samedis, dimanches, jours fériés et chômés inclus) pour le faire à compter de l’envoi de la lettre d’avertissement par Pole emploi.
Possibilité également de demander un rendez-vous au directeur de l’agence et de se faire accompagner d’une personne de son choix.
Si la radiation est maintenue ET surtout motivée par Pole emploi, elle est alors notifiée par écrit au demandeur d’emploi et au préfet.
Les recours possibles dans cet ordre :
- recours amiable auprès du directeur de l’agence,
- recours auprès du médiateur en cliquant sur http://www.pole-emploi.fr/candidat/le-mediateur-de-pole-emploi-@/article.jspz?id=60586
- si rien n’aboutit recours contentieux auprès du tribunal administratif.
C’est un peu la même procédure face aux contrôleurs. Les demandeurs d’emploi convoqués ou visités doivent motiver les raisons du non respect de leurs obligations et disposent des mêmes recours ci-dessus.
Notre article sur les droits et le montant de l’ARE (allocation de retour à l’emploi) :
http://www.humanite.fr/lallocation-daide-au-retour-lemploi-are-574790
En pièce jointe : les différentes catégories de demandeurs d'emploi.
«Ex-em-plaire. » Maîtres d’oeuvre et gouvernement, tous n’avaient que ce mot-là à la bouche pour qualifier le chantier du futur terminal méthanier (1) de Dunkerque, lancé fin 2012. Vendu comme le nouveau poumon économique d’une région sinistrée, ce projet à 1 milliard d’euros se devait d’être une vitrine sur le plan social. Mais le verre a commencé à se fissurer à la fin du mois de juin, lors d’une opération de contrôle surprise menée sous l’égide du parquet de Dunkerque (« la Voix du Nord » du 18 juillet). Ce jour-là, des enquêteurs de plusieurs services (police aux frontières, inspection du travail, Urssaf…) déboulent à l’improviste sur le chantier.
Entre les auditions menées par les policiers et les documents dénichés par l’inspection du travail, il semblerait qu’une entreprise italienne exploite des dizaines de travailleurs roumains en toute illégalité. Ces derniers effectueraient jusqu’à 60 heures par semaine, pour un salaire effectif de 300 euros par mois, une fois déduits les « prélèvements » opérés par les patrons. Rappelons que des travailleurs détachés en France doivent toucher au moins le SMIC et ne pas dépasser la limite légale de 48 heures par semaine… Selon plusieurs sources, de nombreux salariés roumains dorment par ailleurs entassés dans des campings de la région.
DES OUVRIERS PAS PAYÉS
A priori, cette affaire ne serait que la partie émergée de l’iceberg. Elle n’étonne pas les syndicalistes, qui remuent ciel et terre depuis un an et demi pour alerter les pouvoirs publics sur les conséquences d’un dumping social acharné. Dès le début, les délégués CGT et CFECGC ont soupçonné le pire, en voyant affluer les salariés étrangers par centaines. Sur 1 200 ouvriers employés sur le chantier, plus de la moitié sont des travailleurs détachés – Roumains, Italiens, Portugais –, trimant pour une cascade de sous-traitants. Au total, une bonne centaine de sociétés étrangères ont opéré sur le terminal depuis son lancement. « On s’est vite mobilisé, raconte François Croquefer, de l’union locale CGT. Il nous a fallu huit mois de blocage devant le terminal pour que la direction accepte de nous laisser un local sur le chantier, où nous pouvions parler aux salariés. Les histoires racontées sont édifiantes. Les sous-traitants effectuent toutes sortes de prélèvements sur les fiches de paie : transport, hébergement, nourriture… À l’arrivée, certains ouvriers ne touchent même pas un euro de salaire ! »
POUR 300 EUROS PAR MOIS, DES DIZAINES DE TRAVAILLEURS ROUMAINS SONT EXPLOITÉS 60 HEURES PAR SEMAINE.
Au sommet de la myriade de soustraitants, trône le maître d’ouvrage, Dunkerque LNG (2). Il s’agit d’une filiale à 65 % du groupe EDF, à 25 % du belge Fluxys (transport de gaz) et à 10 % du géant Total. Fort de sa participation majoritaire, c’est bien EDF qui pilote le chantier, comme le rappelle d’ailleurs le site Internet du projet. Il est difficile d’imaginer que le mastodonte tricolore ait été totalement ignorant des conditions de travail désastreuses imposées par certains soustraitants, au vu des tarifs pratiqués.
Fin 2013, par exemple, la direction du chantier lance un appel d’offres pour y installer l’électricité. Chose plutôt rare, les deux géants du BTP, SPIE Batignolles et Vinci, s’allient pour décrocher le marché. À la surprise générale, c’est une société italienne qui remporte le gros lot, en affichant un tarif 25 % inférieur à ceux de ses concurrentes. « On a rapidement compris qu’il y avait anguille sous roche, se souvient Fabienne Deroy, déléguée CFE- CGC chez SPIE. On ne peut pas pratiquer des prix aussi bas, tout en respectant la durée légale du travail. »
ENCORE DEUX MORTS EN JUIN
CGT et CFE-CGC commencent alors à faire la tournée des pouvoirs publics (dont la DIRECCTE et la préfecture), pour réclamer un minimum de transparence. À chaque fois, ils se heurtent à un mur. L’inspection du travail non plus n’a pas chômé. Selon les informations de l ’« HD », au moins quatre procèsverbaux ont atterri sur le bureau du procureur de Dunkerque depuis 2012, pour des motifs allant du non-respect du repos dominical à des infractions plus graves, en lien avec l’hygiène et la sécurité. Ces dernières étaient très souvent liées à des accidents du travail survenus sur le chantier. Deux ouvriers auraient encore trouvé la mort en juin, à la suite de malaises cardiaques. « Cela n’a malheureusement rien d’étonnant, souligne un syndicaliste. Les gars n’arrêtent pas de bosser, au-delà de ce que permet la législation. Le midi, ils doivent se contenter d’un simple sandwich parce que les patrons ne veulent pas leur payer de vrai repas. Il y a plusieurs mois, un salarié étranger est mort dans un tunnel. Son corps a été rapidement rapatrié dans son pays: les patrons ne veulent surtout pas de vagues. »
Pas de vagues, donc, pour ne pas éclabousser le chantier « vitrine », ardemment désiré à la fois par les élus locaux et les grands groupes de l’énergie (voir encadré). Les syndicalistes espèrent cependant que le couvercle s’entrouvre enfin, maintenant que la justice s’en est mêlée.
Les prochains jours permettront peut-être de briser l’omerta.
(1) Port accueillant des méthaniers, c’est-à-dire des navires transportant du gaz naturel liquéfié dans leurs citernes.
(2) Jointe par l ’« HD », la direction de Dunkerque LNG a refusé de commenter les soupçons de travail dissimulé avant de connaître les résultats de l’enquête.
UN TERMINAL ÉNORME, À L’UTILITÉ DISCUTÉE
C’est le deuxième plus gros chantier de France après l’EPR de Flamanville. Prévu pour ouvrir en novembre prochain, le terminal méthanier de Dunkerque sera capable d’accueillir en France les plus grands navires méthaniers du monde. En pratique, le chantier nécessite la création de trois réservoirs de GNL (gaz naturel liquéfié) de 190 000 m 3 et un tunnel de 5 km de long qui acheminera les eaux tièdes de la centrale nucléaire de Gravelines vers le terminal. EDF, actionnaire ultramajoritaire, en a fait son cheval de bataille. Mais les syndicalistes sont sceptiques depuis le début, à l’instar de Laurent Langlard, de la fédération mines et énergie de la CGT (« Basta », 1 er septembre 2011): « Le gaz ne sera pas destiné à la France puisqu’il ne sera pas odorisé, contrairement à ce qu’exige la loi française sur le transport du gaz (l’odorisation du gaz permet de détecter d’éventuelles fuites grâce à l’odeur). Il sera donc vendu dans tout le reste de l’Europe, dans le but unique de faire fonctionner le marché. » Conclusion: ce sera surtout l’occasion pour EDF de faire du business sur le continent européen.
Pour Total, actionnaire à 10 %, il s’agissait de redorer son blason après la fermeture de la raffinerie de Dunkerque. Mais le compte n’y sera pas. À l’arrivée, le terminal emploiera 57 salariés, alors que la raffinerie en comptait 600!
Source : http://www.humanite.fr
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