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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 15:05

 

Source: http://cadtm.org

 

 

Espagne

Le changement constitutionnel du PSOE qui nous soumet à l’esclavage de la dette est illégal

26 octobre par Fátima Martín , Jérôme Duval

 

 

 

 

« Ce qui se passe actuellement, est une révolution silencieuse, à petits pas, vers une gouvernance économique plus forte. Les États membres ont accepté — et j’espère qu’ils l’ont bien compris — d’octroyer aux institutions européennes d’importants pouvoirs en matière de surveillance. » M. José Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne. Discours à l’Institut européen de Florence, le 18 juin 2010. |1|

En septembre 2011, à l’encontre tant du droit international que du droit national, le projet de révision de la Constitution espagnole du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, est adopté avec le soutien du Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy, faisant du remboursement de la dette une « priorité absolue » (article 135.3) devant tout autre nécessité. Le 27 septembre 2011, la révision constitutionnelle est promulguée par le Roi et entre en vigueur le jour même de sa publication au Bulletin officiel de l’État (BOE). Elle mentionne dans une disposition additionnelle que la loi organique prévue à l’article 135 « prévoira les mécanismes qui permettront le respect de la limite d’endettement visée à l’article 135.3 de la Constitution espagnole. » |2| Il est clair que la priorité donnée au service de la dette, autrement dit, à l’esclavage imposé par la dette, est l’élément clé de cette réforme.

Ce projet de révision de la Constitution, adopté à toute vitesse en un mois, permet de réduire les dépenses d’éducation et de santé, précarisant davantage la situation de la population, dans le seul but de renforcer les garanties aux créanciers de la dette espagnole. Il s’agit d’une concession inédite accordée aux créanciers, un pas de plus qui garantit leur suprématie et satisfait leurs prérogatives en les inscrivant dans l’édifice constitutionnel. L’accord entre le PSOE et le PP va plus loin que les seuils redoutables de déficit et d’endettement public établis par le pacte de stabilité et de croissance (PSC) de l’Union européenne en 1997. Constitutionnaliser la « priorité absolue » du paiement des intérêts et du capital de la dette, devant tout autres types d’investissement, est très grave, car d’autres objectifs constitutionnels comme l’exercice des droits sociaux sont alors sacrifiés. Inscrire cette suprématie de la dette dans la Constitution démontre le caractère fermé et exclusif de l’idéologie néolibérale qui balaye les modèles alternatifs et nous éloigne de la démocratie que nous souhaitons voir inscrite dans ce texte de lois fondamentales. La Constitution de la démocratie libérale au sein de laquelle nous vivons, protège la monarchie et s’éloigne chaque fois plus d’une démocratie des peuples. L’article 8 de la Constitution de 1978, dont l’élaboration a été fortement contrôlée par des secteurs liés au franquisme, érige l’armée en gardienne de l’ordre constitutionnel.


Article 8 de la Constitution espagnole :

Les forces armées, constituées par l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air, ont pour mission de garantir la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne et de défendre son intégrité territoriale et son ordre constitutionnel.

En réformant le texte de lois fondamentales de manière unilatérale, sans consultation populaire ni débat public, le gouvernement a violé la propre Constitution espagnole de 1978 qui, dans son article premier, garantit la souveraineté nationale au peuple (nous soulignons dans les articles suivants de la Constitution).


Article premier de la Constitution espagnole :

1. L’Espagne constitue un État de droit social et démocratique qui défend comme valeurs suprêmes de son ordre juridique, la liberté, la justice, l’égalité et le pluralisme politique.

2. La souveraineté nationale appartient au peuple espagnol duquel émanent les pouvoirs de l’État.

La réforme constitutionnelle contredit aussi l’article 158 de la Constitution espagnole qui spécifie l’importance de garantir les services publics, une direction totalement opposée aux coupes effectuées dans le budget général de l’État espagnol pour donner la priorité au paiement de la dette.


Article 158 de la Constitution espagnole :

1. Le budget général de l’État pourra affecter des crédits aux Communautés autonomes en fonction de l’importance des services et des activités étatiques qu’elles ont assumés et des prestations minimales qu’elles s’engagent à apporter en ce qui concerne les services publics fondamentaux sur tout le territoire espagnol.

Rappelons aussi que l’article 128 qui ouvre le Titre VII de la Constitution espagnole intitulé « Économie et finances », subordonne à l’intérêt général toute la richesse du pays, de sorte qu’aucun individu ne peut être privé de ses biens et de ses droits sinon pour des raisons d’utilité publique ou d’intérêt général. La richesse produite par le pays qui s’en va remplir les poches des créanciers devrait être subordonnée à l’intérêt général et l’État ne devrait pas diminuer les dépenses sociales pour le service de la dette.


Article 128 de la Constitution espagnole :

1. Toute la richesse du pays, dans ses différentes formes et quels qu’en soient les détenteurs, est subordonnée à l’intérêt général.

2. L’initiative publique est reconnue dans l’activité économique. Une loi pourra réserver au secteur public des ressources ou des services essentiels, tout particulièrement en cas de monopole, et décider également le contrôle d’entreprises lorsque l’intérêt général l’exigera.

De la même façon, l’article 131 plaide pour une distribution juste de la richesse pour veiller aux besoins collectifs :


Article 131 de la Constitution espagnole :

1. L’État pourra, par une loi, planifier l’activité économique générale pour veiller aux besoins collectifs, équilibrer et harmoniser le développement régional et sectoriel et stimuler la croissance des revenus et de la richesse et leur plus juste distribution.

Voyons à présent les modifications apportées à l’article 135 de la Constitution espagnole.

Article 135 avant modification |3| :


RÉDACTION ORIGINALE
En vigueur du 29 décembre 1978 au 26 septembre 2011.
Article 135 de la Constitution espagnole :

1. Le gouvernement devra être autorisé par une loi pour émettre un emprunt public ou contracter un crédit.

2. Les crédits destinés au paiement des intérêts ou du capital de la dette publique de l’État seront toujours considérés comme étant inclus dans l’état des dépenses du budget et ils ne pourront faire l’objet d’un amendement ou d’une modification, tant qu’ils sont conformes aux conditions de la loi d’émission.

Article 135 après modification :


1. Toutes les administrations publiques conformeront leurs actions au principe de stabilité budgétaire.

2. L’État et les Communautés autonomes ne pourront encourir un déficit structurel qui dépasse les limites fixées, le cas échéant, par l’Union européenne pour ses États membres.

 

Une loi organique fixera le déficit structurel maximal autorisé pour l’État et les Communautés autonomes, par rapport à leur produit intérieur brut. Les collectivités locales devront respecter l’équilibre budgétaire.

 

3. L’État et les Communautés autonomes devront être autorisés par loi pour émettre un emprunt public ou contracter un crédit.

 

Les crédits correspondant aux intérêts et au capital de la dette publique des administrations devront toujours être inclus dans le montant des dépenses de leurs budgets et leur paiement jouira de la priorité absolue. Ces crédits ne pourront faire l’objet d’amendement ou de modification, lorsqu’ils seront conformes aux conditions de la loi d’émission.

 

Le volume de la dette publique de l’ensemble des administrations publiques par rapport au produit intérieur brut de l’État ne pourra être supérieur à la valeur de référence inscrite dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

 

4. Les limites du déficit structurel et du volume de la dette publique ne pourront être dépassées qu’en cas de catastrophes naturelles, de récession économique ou de situations d’urgence extraordinaires qui échappent au contrôle de l’État et portent considérablement atteinte à la situation financière ou à la viabilité économique ou sociale de l’État, selon une décision prise à la majorité absolue des membres du Congrès des députés.

 

5. Une loi organique développera les principes visés au présent article, ainsi que la participation, dans les procédures pertinentes, des organes de coordination institutionnelle entre les administrations publiques en matière de politique fiscale et financière. En tout état de cause, elle régulera : a) La répartition des limites de déficit et de dette entre les différentes administrations publiques, les cas exceptionnels de dépassement de celles-ci, ainsi que la forme et le délai pour corriger les écarts qui pourraient se produire sur l’un ou l’autre ; b) La méthode et la procédure pour le calcul du déficit structurel ; c) La responsabilité de chaque administration publique en cas de non-respect des objectifs de stabilité budgétaire.

 

6. Les communautés autonomes, conformément à leurs statuts respectifs et dans les limites visées à cet article, adopteront les dispositions nécessaires à l’application effective du principe de stabilité dans leurs règles et décisions budgétaires.

Remarquez le point 3 où nous soulignons l’important changement qui a été ajouté d’un coup de bistouri : « Les crédits correspondant aux intérêts et au capital de la dette publique des administrations devront toujours être inclus dans le montant des dépenses de leurs budgets et leur paiement jouira de la priorité absolue. »

Malheureusement, les révisions constitutionnelles adoptées dans le but d’imposer des reculs sociaux ne sont pas nouvelles. Au Mexique, dixième pays producteur de pétrole, la réforme énergétique de 2013 s’est appuyée sur la révision constitutionnelle des articles 25, 26 et 27 pour permettre la livraison de pétrole aux entreprises transnationales et la privatisation de la plus grande entreprise du Mexique, Pemex (Petróleos Mexicanos). |4| Mais ce n’est pas tout, les Constitutions de différents pays sont modifiées afin d’imposer le plafonnement des dépenses et des déficits publics pour respecter un équilibre budgétaire salvateur. D’autres pays, au contraire, font des choix inverses. C’est le cas de l’Équateur qui a mis en avant l’interdiction de socialiser les dettes privées |5| – ce qui se passe aujourd’hui en Espagne – et prévoit que seul l’État peut recourir « à l’endettement public si les rentrées fiscales et les ressources provenant de la coopération internationale sont insuffisantes » (article 290, paragraphe 1). Notons aussi que la Constitution bolivienne interdit la privatisation de l’eau, que celle du Costa Rica décrète que les dépenses d’éducation ne peuvent pas être inférieures à 8% du PIB4. Ces victoires ont été possibles grâce à des mobilisations sociales ou, comme dans le cas de l’Équateur et de la Bolivie, grâce à une assemblée constituante. À l’inverse, la réforme constitutionnelle de l’État espagnol impose l’obligation de paiement de dettes illégitimes. Pire, l’État pourrait se voir infliger une amende s’il ne respecte pas les engagements de déficit ou d’endettement.

Cette modification constitutionnelle représente un coup dur pour la démocratie, une atteinte aussi bien envers la Magna Carta qu’envers les lois internationales. En effet, l’article 103 de la Charte des Nations Unies (qui constitue l’ordre public international) confirme clairement la suprématie de la Charte sur tout autre accord.


Article 103 de la Charte des Nations Unies :

En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.

À ce propos, citons ici le juriste Renaud Vivien : « Rappelons que les États sont tenus de respecter les textes internationaux protégeant les droits humains et que cette obligation de respecter, protéger et promouvoir les droits humains prime sur tout autre accord. […]Autrement dit, un accord dont l’application entraîne une violation des droits humains et de la souveraineté d’un État est nul. La dette contractée dans le cadre de cet accord est donc illégitime. Elle n’a pas à être remboursée et les conditionnalités attachées au prêt doivent être rejetées par les pouvoirs publics. » |6|

La Constitution espagnole doit respecter la Charte des Nations Unies qui spécifie dans son article premier « [qu’en] aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. » Or, la révision constitutionnelle fait clairement passer les intérêts des créanciers avant ceux des citoyens et porte atteinte aux règles les plus élémentaires de tout État démocratique. La Constitution de n’importe quel État membre des Nations Unies ne peut défendre une violation généralisée des droits humains à cause de politiques imposées par les créanciers étrangers qui priorisent le remboursement de la dette visé à l’article 135.3 de la Constitution espagnole. Les dettes contractées dans le cadre d’accords dont l’objet est de limiter la souveraineté des États et dont l’application entraîne la violation de droits humains sont illégitimes. Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), « il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. »

Selon les articles 1 et 2 de la Charte des Nations Unies et l’article premier, commun aux deux Pactes des Nations Unies de 1966 relatifs aux droits humains : « Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. »

Par ailleurs, l’article 2.3 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit du développement de 1986 est incompatible avec les plans d’austérité : « Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. »

Ces obligations légitiment l’intervention de l’État afin qu’il mette fin aux conditions imposées par le FMI ou la Commission européenne. La violation du droit est récurrente chez les créanciers, mais nous avons des arguments juridiques solides pour la condamner.

 

Traduction : Maïté Guillard

 

 
Notes

|1| Voir : https://www.monde-diplomatique.fr/2012/02/DUFRESNE/47427

|2| Voir le Bulletin officiel de l’État (BOE), 27 septembre 2011. http://www.boe.es/boe/dias/2011/09/27/pdfs/BOE-A-2011-15210.pdf

|3| Voir : http://portaljuridico.lexnova.es/legislacion/JURIDICO/30531/constitucion-espanola-aprobada-por-las-cortes-el-31-de-octubre-de-1978-ratificada-el-6-de-diciembre#A0135_00

|4| Rappelons que cette entreprise est publique depuis que le président Lázaro Cárdenaz décréta en 1938 l’expropriation de 17 compagnies pétrolières étrangères en faveur de la nation.

|5| La Constitution équatorienne interdit « l’étatisation de dettes privées » (article 290, paragraphe 7) et prévoit que seul l’État peut recourir « à l’endettement public si les rentrées fiscales et les ressources provenant de la coopération internationale sont insuffisantes » (article 290, paragraphe 1).

|6| Lire Renaud Vivien, « Quelques pistes juridiques pour qualifier une dette publique d’illégitime », 25 avril 2013.http://cadtm.org/Quelques-pistes-juridiques-pour. Ce qui suit et qui se réfère au droit international est largement inspiré de ce texte.

 

Auteur

Jérôme Duval

est membre du CADTM et de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne.


http://auditoriaciudadana.net/

 

 

 

Source: http://cadtm.org

 

 

 

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 14:50

 

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Djerba

Spéculation sur les déchets : la face cachée du tourisme de masse

par , Simon Gouin, Sophie Chapelle

 

 

 

Côté face, des plages de sable fin et de grands complexes hôteliers. Côté pile, un tourisme générant des milliers de tonnes de déchets mal gérés par les autorités publiques. L’Île de Djerba qui accuse déjà les effets des actes terroristes en Tunisie, souffre d’un mal de plus en plus visible : l’eau, l’air et les sols sont contaminés par les métaux lourds s’échappant de la profusion de décharges illégales. Deux entreprises, dont une filiale de Suez Environnement, se partagent le marché des déchets. Elles en tirent une manne juteuse en privilégiant l’enfouissement plutôt que la valorisation. Basta ! est allé à la rencontre de citoyens tunisiens qui se mobilisent pour redonner du pouvoir aux municipalités et favoriser le tri à la source.

Une odeur irrespirable, qui vous prend à la gorge. Des montagnes de déchets à perte de vue, d’où s’échappent des fumées de gaz toxique liés à la décomposition. Le vol de centaines de mouettes à la recherche de nourriture entrecoupe celui des sacs plastiques, à quelques mètres seulement de la mer... Dans ce no man’s land surgissent des chiffonniers fouillant dans les détritus. Cette décharge de l’île de Djerba, dans le Sud de la Tunisie, s’étend sur une superficie équivalente à plusieurs terrains de football, au bord de la mer Méditerranée. Ces déchets viennent en partie des grands hôtels internationaux qui se dressent le long de la côte, à cinq minutes seulement en voiture de la décharge. Le Riu, l’Aladin, le Club Med, le Vincci... Ces établissements aux allures de palais, qui comptent chacun entre 500 et 900 lits, proposent des tarifs relativement abordables pour les touristes des pays du Nord.

 

 

Ces hôtels ont longtemps fait rêver les voyageurs européens qui se sont massés pendant près d’un demi-siècle sur l’île aux Sables d’or, comme la surnommait Gustave Flaubert. C’était la belle époque du tourisme tunisien, des années 1970 aux années 2000, avant la révolution tunisienne, la baisse de la fréquentation, la peur du terrorisme. La concurrence acharnée – les hôtels et agences de voyage ont sans cesse tenter de diminuer les prix – a entraîné une chute de la rentabilité de ces complexes hôteliers. Ces derniers sont de moins en mois occupés et entretenus, mais la pression sur l’environnement provoquée par l’afflux de touristes est de plus en plus perceptible. Avec des décharges à perte de vue gagnant toujours un peu plus du terrain.

Pollution de l’eau et maladies respiratoires
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Chedly Ben Messaoud

La qualité de l’eau est susceptible d’être touchée par ces décharges sauvages ou officielles. « Les nappes se situent à 10 mètres du sol, explique Chedly Ben Messaoud, le président de Djerba Ulysse, une association sociale, environnementale et culturelle. Si les déchets sont enfouis, il y a un risque pour la qualité de l’eau. La pluie draine les métaux lourds dans les réserves d’eau. » Les déchets provoqueraient aussi des problèmes sanitaires. Les maladies respiratoires seraient nombreuses. À défaut d’étude épidémiologique, les 12 000 habitants de Guellala – une ville située sur la côte sud de l’île où étaient acheminés jusqu’en 2012 une bonne partie des déchets de l’île – ont été marqués par la prolifération d’une espèce de mouche. « Tout ce que cette mouche touchait pourrissait, la viande en particulier », se rappelle Ahmed Rhouma, président de l’association Djerba Action.

C’est le visage même de l’île qui est victime de cet amoncellement de déchets. Du côté d’Houmt Souk, le chef-lieu administratif de Djerba, des déchets médicaux et organiques, ainsi que des emballages en plastique et en carton, s’amoncellent entre une rangée d’arbres et la mer. Des dépôts anarchiques à l’air libre. À quelques mètres, une décharge gérée par la collectivité est en cours de remplissage. Une géomembrane noire a été déposée sur le sol de cette immense fosse. De la terre viendra recouvrir les tonnes de détritus entreposés à cet endroit. En attendant, les sacs en plastique s’envolent dans les champs voisins.

 

 

De quoi déclencher la colère des Djerbiens qui se sont mobilisés à plusieurs reprises, entre 2011 et 2014. Grève générale, affrontements avec les forces de l’ordre, grande marche de contestation, et un slogan, en 2012, quelques mois après la révolution tunisienne : « La poubelle, dégage ! ». Suite aux contestations, la principale décharge de l’île, celle de Guellala, a été fermée. Mais sans solution des collectivités, les déchets des Djerbiens se sont retrouvés dans des dépôts sauvages, dissimulés un peu partout sur l’île.

Le tourisme de masse... et ses déchets

Comment en est-on arrivés là ? Première explication : le tourisme et la pression démographique qu’il a entraînée. « Djerba, ce sont 134 000 habitants en hiver, le double en été, note Chedly Ben Messaoud. Avant, on disait de Djerba que son air était si pur qu’il empêchait de mourir. Aujourd’hui, la dénaturation de l’île est irréversible. L’agriculture a été abandonnée au profit du tourisme de masse. » D’une dizaine d’hôtels de grande envergure au début des années 1970, Djerba en compte désormais 120 ! « En une vingtaine d’années, ils ont été multipliés par quatre, sans tenir compte de la fragilité de l’île. » L’été, de nombreux Tunisiens affluent du continent pour travailler dans ces hôtels. En haute-saison, l’île génère plus de 200 tonnes de déchets par jour, contre 120 tonnes le reste de l’année. « La transformation démographique ajoutée aux infrastructures [des quartiers se sont construits autour des hôtels] n’ont pas été suivis d’une gestion adaptée des déchets », estime Ahmed Rhouma.

 

 

Mais la pression démographique n’explique pas tout. C’est aussi la gestion calamiteuse des déchets par les autorités publiques qui est en cause. Sur l’île de 500 km2 – cinq fois la superficie de Paris –, les poubelles sont généralement ramassées par les municipalités, rassemblées dans un centre de transfert géré par l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged), avant d’être transférées vers des sites de compactage ou d’enfouissement. Pas de tri en aval ou en amont. Les déchets organiques (70% des détritus) ne sont pas récupérés ou compostés. Les lixiviats, ces liquides qui résultent des déchets, ne sont pas traités et s’échappent dans l’environnement. « Dès qu’il pleut, les matières organiques se mélangent avec les métaux lourds et cela contamine les nappes », explique Chedly Ben Messaoud.

 

Des acteurs privés pour des solutions très lucratives

Qui s’occupe de la gestion des déchets ? Des acteurs privés dont Segor, possédé à 40% par Cita, une filiale de la multinationale française Suez Environnement. Cette entreprise aurait obtenu un contrat de deux ans pour traiter 50 000 tonnes de déchets par an, à 50 dinars la tonne (environ 22 euros). La solution mise en avant par Segor ? Le compactage des déchets sous la forme de ballots, 100 000 au total, grâce à une enrubanneuse. « Les liquides peuvent s’échapper au moment du compactage, avance Ahmed Rhouma. Personne ne parle de drainage. » L’entreprise Segor, qui n’a pas donné suite aux appels de Basta !, s’en chargera-t-elle ? Une fois enrubannés, ces détritus sont enfouis dans des fosses officiellement protégées par des géomembranes.

 

 

Une technique d’enfouissement dénoncée par des associations et des experts. Non écologique, coûteuse... et favorisant la production de déchets au lieu d’encourager leur diminution. « Tout ce que ces entreprises font, c’est peser les camions qui entrent dans la décharge, raconte Morched Garbouj, ingénieur en environnement et président de l’association environnementale SOS Biaa. Au lieu de faire le tri, on met tout, c’est une stratégie calamiteuse. » Dans la décharge du grand Tunis, 3 000 tonnes de déchets arrivent tous les jours. « Faites le calcul, à 12 euros la tonne à enfouir, ça fait 36 000 euros par jour sans rien débourser. Certains amènent du sable pour augmenter le poids des déchets. » Les lixiviats ne sont généralement pas traités. Certains sont stockés dans des bassins à l’air libre, ou déversés dans la nature ou dans les cours d’eau.

Un gâteau à partager

Deux grosses entreprises se partagent le gâteau de la gestion des déchets en Tunisie. Il y a d’une part Segor qui s’occupe du sud du pays et dont les actionnaires principaux sont Cita (40 %) et SCET Tunisie (50 %), un cabinet d’études et de conseil sur les politiques de déchets. « C’est un conflit d’intérêt flagrant », dénonce Morched Garbouj. On trouve aussi Ecoti, une société italienne, qui intervient dans le centre du pays et dans le grand Tunis, suite au départ de Pizzorno environnement [1]. Cette entreprise française a quitté la Tunisie suite à un scandale de corruption en 2007, sous le régime de Ben Ali. Tous ces acteurs n’ont pas intérêt à ce que les déchets soient réduits... et prônent donc la poursuite de l’enfouissement, alors même que cette technique est abandonnée dans les pays européens.

 

 

Pour bien comprendre ce qui se joue en Tunisie, il faut remonter en 2005. Jusqu’à cette date, ce sont les communes qui gèrent les déchets. Mais Ben Ali assure alors vouloir imiter les pays européens en dotant le pays d’une stratégie nationale de gestion des déchets. « Au lieu de doter les communes de moyens financiers, on crée l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged) », relate Morched Garbouj. Objectif affiché : apporter une assistance technique et financière, grâce à des experts compétents et étrangers... « Différents États, comme la Corée du Sud, et institutions [2] ont envoyé de l’argent à l’Anged pour améliorer cette gestion des déchets », raconte Morched Garbouj. Des dizaines de millions d’euros affluent, des crédits à taux bonifiés... Rapidement, l’Anged rend des études concluant à l’intérêt de l’enfouissement. Des décharges sont construites, des contrats sont passés avec des entreprises chinoises, allemandes... « On nous a dit qu’il fallait apprendre le travail des étrangers, souligne Morched Garbouj. Ben Ali assurait que la Tunisie allait devenir le leader arabe en matière de gestion des déchets. »

« Une véritable mafia de l’environnement »

La réalité est toute autre. Petit à petit, les communes qui géraient l’ensemble des déchets ne deviennent qu’un intermédiaire et se retrouvent uniquement en charge de la collecte des déchets. Les entreprises privées gèrent les décharges et assurent la dernière étape, la plus lucrative : l’enfouissement. « L’État tunisien leur met à disposition les infrastructures, les camions, les employés, l’essence, explique Morched Garbouj. On a découvert que l’exploitant n’investit rien. Les autorités nous disent que l’on ment. On leur demande les contrats passés avec ces entreprises privées. Elles ne souhaitent pas nous les communiquer. C’est une véritable mafia de l’environnement. »

 

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Morched Garbouj

Face à cette situation, des citoyens réunis en associations se mobilisent pour mieux gérer les déchets. Premier défi : redonner du pouvoir aux municipalités et éviter ainsi que les responsabilités ne soient diluées. « Il faudrait que ces fonds donnés aux agences soient transférés vers les communes », estime Morched Garbouj. Deuxième défi : traiter en amont la question des déchets. « La seule solution, c’est de valoriser les déchets [majoritairement organiques] par nous-mêmes, de développer le compostage et le tri à la source », indique Ahmed Rhouma. Du compost qui pourrait servir ensuite pour les espaces verts des complexes hôteliers.

Un projet de valorisation des déchets abandonné

Le compostage, c’est l’objectif du projet de coopération internationale développé en partenariat avec le département de l’Hérault. 500 000 euros devaient être investis pour construire une usine de valorisation des déchets [3]. « L’idée est de valoriser les bio-déchets des hôtels, de produire du compost qui sert ensuite à améliorer les sols, et de réaliser un transfert de compétences entre le syndicat de gestion des déchets Centre-Hérault et les autorités tunisiennes », explique Marie Doutremepuich, du service de la coopération décentralisée de l’Hérault. Mais le projet, dont le premier emplacement choisi a été contesté, a pris du retard. La structure métallique devra donc être déplacée dans les prochains mois. Un projet pilote a déjà été réalisé à Houmt Souk, la plus grande ville de l’île.

 

 

Mais c’est aussi à un changement des mentalités et des pratiques individuelles qu’appellent les associations de défense de l’environnement. « Nos parents ne jetaient pas les matières organiques dans les poubelles », se souvient Chedly Ben Messaoud. « Nous souhaitons lancer une campagne pour que les sacs plastiques soient supprimés des commerces », lance Ahmed Rhouma, dont l’association travaille auprès des écoles pour sensibiliser autour de cette question. Enfin, quelques hôtels semblent avoir mis en place un système de tri des déchets [4]. Mais c’est certainement la baisse de la fréquentation touristique de l’île, suite aux attentats de mars et juin 2015, qui aura le plus fort impact sur la quantité des déchets de Djerba.

Texte : Sophie Chapelle et Simon Gouin

Photos : Nathalie Crubézy / Collectif à-vif(s)

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 14:36

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

Scandale Volkswagen : la Commission européenne savait depuis 2013

|  Par La rédaction de Mediapart

 

 

 

Selon des documents révélés par le quotidien Financial Times, la Commission européenne était au courant depuis 2013 que des constructeurs automobiles manipulaient les tests d'émissions de gaz polluants sur leurs véhicules.

Le Financial Times a mis la main sur des documents hautement compromettants pour la Commission européenne. Selon le quotidien économique, les manipulations des tests d'émissions de polluants par les constructeurs automobiles étaient connues de Bruxelles depuis 2013. Le FT révèle ainsi que le commissaire en charge de l'environnement de l'époque, Janez Potocnik, avait alerté ses collègues en 2013 mais aucune action n'a été prise par Bruxelles pour sévir contre la pratique.

Lire sur le Financial Times

 

 

Source : http://www.mediapart.fr

 

 

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24 octobre 2015 6 24 /10 /octobre /2015 14:37

 

Source: http://www.lemonde.fr

 

 

 
D’une ZAD à l’autre, tour d’horizon des conflits environnementaux

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par

 
 

 

Des opposants à l'aéroport Notre-Dame-des-landes, le 22 septembre.

L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la « ferme des mille vaches », le centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure… La lutte contre des projets d’infrastructure jugés inutiles ou destructeurs pour l’environnement reste très vive. Des groupes de contestation, souvent composés d’écologistes, de militants hostiles au système capitaliste, de riverains ou d’élus locaux, se structurent sur le terrain et s’entraident pour défendre parfois vigoureusement des espaces qu’ils considèrent en danger.

Un an après la mort de Rémi Fraisse, tué par un gendarme dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 lors d’une manifestation d’opposants à la construction d’un barrage à Sivens (Tarn), où en est-on des « zones à défendre » (ZAD) et des procédures juridiques dans les conflits environnementaux ? Tour d’horizon de huit projets emblématiques.

  1. L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes
  2. Le barrage de Sivens
  3. Le Center Parcs de Roybon
  4. Le centre d’enfouissement de Bure
  5. La « ferme des mille vaches »
  6. La ligne ferroviaire Lyon-Turin
  7. La décharge de Nonant-le-Pin
  8. La ferme des Bouillons

Lire aussi : Mort de Rémi Fraisse : l’enquête bâclée de la gendarmerie

  • L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes

 

Dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en 2014.

C’est le plus ancien des « grands projets inutiles imposés » contestés en France, puisque le dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) est ouvert dès 1963. La « zone à défendre »  — dérivée de la « zone d’aménagement différé », décrétée en 1974 — est, depuis ses débuts, en 2009, la mère de toutes les ZAD apparues depuis en France. La zone de 1 650 hectares doit abriter la nouvelle aérogare, les deux pistes et les parkings de l’aéroport du Grand-Ouest, filiale de Vinci-Airports. Un projet qui entraînerait la disparition de terres agricoles et de zones humides. Regroupés notamment dans l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport, les opposants proposent une alternative : le réaménagement de l’actuel aéroport Nantes-Atlantique, une solution moins onéreuse, selon eux, pour l’Etat, pour les collectivités locales et pour les contribuables.

A la suite de l’échec de l’opération « César », en octobre et novembre 2012, qui devait permettre aux gendarmes mobiles d’évacuer la ZAD, le gouvernement a nommé une commission du dialogue et des experts, notamment sur les dossiers sensibles que sont les compensations pour la destruction de zones humides et le déménagement d’espèces protégées. En 2012, le gouvernement s’était aussi engagé à ne pas commencer le chantier tant que tous les recours ne seraient pas épuisés.

Lire aussi : Notre-Dame-des-Landes : la justice rejette tous les recours contre l’aéroport

Alors que le premier ministre a, à de nombreuses reprises, rappelé « l’engagement de l’Etat pour ce projet », annonçant que les travaux allaient débuter incessamment, plusieurs procédures restent en cours. Depuis avril 2014, la France est sous le coup d’une mise en demeure de l’Europe sur « l’absence de certaines évaluations d’impact environnemental ». La préfecture doit encore publier un arrêté dérogatoire pour une espèce protégée, le campagnol amphibie, que les opposants prévoient de contester. Les expropriations et les expulsions, nécessaires pour commencer les travaux, seront aussi difficiles en raison de la trêve hivernale (du 1er novembre au 31 mars). Et quand le gouvernement décidera d’évacuer la ZAD, il restera alors à « convaincre » des centaines de zadistes et des milliers de soutiens de quitter les lieux.

Lire aussi : A Notre-Dame-des-Landes, les « zadistes » bien campés dans le bocage

  • Le barrage de Sivens

 

Sculpture érigée en mémoire de Rémi Fraisse, à Lisle-sur-Tarn.

Ce projet de barrage de 8,5 millions d’euros dans la vallée du Tescou, non loin de Gaillac, dans le Tarn, n’aurait sûrement pas autant retenu l’attention nationale si un militant écologiste, Rémi Fraisse, n’avait trouvé la mort sur le site, tué par une grenade lancée par un gendarme mobile dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014.

Dénonçant le projet initial — une retenue d’eau de 1,5 million de m3 essentiellement destinée à irriguer des cultures de maïs —, les opposants se sont manifestés en occupant la forêt de Sivens durant seize mois. Les tensions sont apparues dès que les travaux de défrichement ont débuté, le 1er septembre 2014. Plusieurs dizaines de zadistes ont alors pris possession des lieux, installant chapiteau et caravanes. De leur côté, des agriculteurs emmenés en particulier par les Fédérations des syndicats d’exploitants agricoles du Tarn et de Tarn-et-Garonne, ont aussi fait monter la pression, encerclant la ZAD durant plusieurs jours, menaçant ses occupants et leurs sympathisants et faisant craindre de sévères affrontements.

En janvier 2015, des experts mandatés par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, ont préconisé notamment de réduire l’emprise du barrage à 750 000 m³, une solution retenue par le conseil départemental du Tarn, maître d’ouvrage. Mais avant d’envisager le retour des engins de chantier dans la vallée du Tescou, le conseil départemental doit définir un « projet de territoire » et réunir les protagonistes du dossier autour d’une table. Il attend aussi d’être remboursé des sommes dépensées « en pure perte » pour les travaux déjà réalisés ou encore pour le nettoyage du site, un engagement de Ségolène Royal pour inciter le conseil départemental à abandonner le projet initial.

Lire aussi : La construction du barrage de Sivens est toujours en suspens

  • Le Center Parcs de Roybon

 

La ZAD contre le Center Parcs de Roybon, en décembre 2014.

En décembre 2007, le conseil municipal de Roybon — un village de 1 300 habitants dans l’Isère — approuve le choix du promoteur immobilier Pierre et Vacances d’implanter un grand Center Parcs dans la forêt voisine. Le spécialiste de limmobilier de tourisme veut pouvoir recevoir jusqu’à 5 620 personnes dans près de 1 000 cottages répartis autour d’une infrastructure aquatique et de commerces, ainsi que 2 000 places de parking, le tout sur 202 hectares, dont une centaine d’hectares de zones humides. Mais l’opposition de pêcheurs, de riverains et d’écologistes va progressivement monter et s’exprimer. Certains prennent la défense des espèces protégées de la forêt, d’autres dénoncent l’artificialisation d’une aire d’infiltration d’eau de bonne qualité qui alimente des villes de la Drôme.

Les premiers arbres commencent néanmoins à tomber en octobre 2014, dans le chantier placé sous bonne garde. Le 30 novembre, des zadistes occupent la maison forestière proche du site.

Lire aussi : A Roybon, la guerre d'usure entre les partisans et les opposants au projet de Center Parcs

C’est la justice qui va stopper les travaux de défrichement. Le 26 novembre, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature et l’association Pour les Chambaran sans Center Parcs déposent des recours au tribunal administratif de Grenoble. En vain. La Fédération de la Drôme pour la pêche et la protection du milieu aquatique obtient, elle, gain de cause en arguant qu’un projet de cette ampleur aurait dû être soumis à la commission nationale du débat public. Le 16 juillet 2015, après plusieurs appels jusque devant le Conseil d’Etat, le même tribunal a annulé un arrêté préfectoral autorisant la destruction de zones humides, considérant que les mesures compensatoires prévues étaient insuffisantes. Mais la bataille juridique n’est pas terminée.

Lire aussi : L’avenir du Center Parcs de Roybon à nouveau suspendu à une décision de justice

  • Le centre de stockage de Bure

 

Le laboratoire souterrain de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) à Bure, en 2013.

Le projet du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) vise à enfouir dans le sous-sol de la commune de Bure (Meuse), les 80 000 m3 de déchets hautement radioactifs et à vie longue (des centaines, voire des millions d’années) produits par le parc électronucléaire français. Un réseau de 15 km2 de galeries doit être creusé dans l’argile, à 500 mètres de profondeur, pour abriter 240 000 « colis » radioactifs. Le coût final de l’installation, chiffré en 2005 à 16,5 milliards d’euros et réévalué en 2009 à 36 milliards d’euros, n’est toujours pas connu.

Les riverains, de nombreuses associations locales, ainsi que les mouvements antinucléaires, sont mobilisés depuis que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a été chargée, par une loi de 1991, d’étudier « la faisabilité » d’un stockage profond et de rechercher un site d’enfouissement. Ils refusent de voir s’installer, en pleine campagne, une « poubelle nucléaire », ou encore un « cimetière radioactif ». Durant l’été 2015, les opposants ont installé à Bure un « camp anti-autoritaire et anticapitaliste ».

Lire aussi : A Bure, un campement contre « la poubelle nucléaire »

Après avoir construit un laboratoire souterrain, l’Andra veut désormais passer à la phase industrielle. Elle prévoit de déposer une demande d’autorisation de création du Cigéo en 2017, suivie d’une enquête publique, pour une mise en service en 2025. Une « phase pilote » est prévue avant le début de l’exploitation du site, qui s’étalerait sur cent ans.

Lire aussi : Les déchets radioactifs tentent de refaire surface dans la loi Macron, en vain

  • La « ferme des mille vaches »

 

La ferme des 1 000 vaches située à Drucat, à côté d'Abbeville (Somme).

Le projet de la ferme dite « des mille vaches » remonte à 2009. A cette date, un entrepreneur du Nord qui a fait fortune dans le BTP, Michel Ramery, décide de créer une exploitation laitière en rupture totale avec le modèle français d’élevage familial. Il s’associe à cinq producteurs de lait au sein de la société civile Lait Pis Carde pour constituer son cheptel. Il obtient en mars 2013 le permis de construire pour sa ferme, sise à Drucat, dans la Somme. Elle doit comprendre une étable de 1 000 vaches associée à un bâtiment pouvant abriter 750 génisses et un méthaniseur de 1,3 mégawatt. Mais la société d’exploitation de la ferme, la SCEA Côte de la justice, n’obtient une autorisation que pour un cheptel de 500 vaches.

Les riverains du projet se sont interrogés sur son impact. Ils se sont regroupés progressivement, à partir de 2011, au sein d’une association baptisée « Novissen » (Nos villages se soucient de leur environnement), créée par Michel Kfoury. Depuis plus de quatre ans, elle multiplie les démarches et les manifestations pour ouvrir le débat et faire appliquer la loi. Elle a été rejointe par la Confédération paysanne, un syndicat agricole qui a fait de la « ferme des mille vaches » le symbole d’une industrialisation de l’agriculture qu’elle dénonce.

Lire aussi : Ferme des 1 000 vaches  : la polémique continue

Le débat a été relancé par la Confédération paysanne vendredi 23 octobre. Le syndicat a publié une lettre ouverte au ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll. Il s’étonne de la décision prise par la préfecture de la Somme d’ouvrir le 2 novembre une enquête publique en vue d’autoriser l’extension du cheptel à un troupeau de 880 vaches. Car les autorités publiques ont constaté, le 9 juin, que l’exploitation de M. Ramery comptait 796 vaches, soit 296 de plus que le seuil fixé, de 500. Depuis, le cheptel n’a pas été réduit malgré la mise en demeure prononcée le 1er juillet et la décision de condamner M. Ramery à verser une amende. Neuf militants de la Confédération paysanne, jugés en appel pour avoir démonté des installations sur le site, ont vu leur condamnation confirmée mais leur peine allégée le 16 septembre.

Lire aussi : « Ferme des mille vaches » : peines allégées pour les militants de la Confédération paysanne

  • La ligne ferroviaire Lyon-Turin

 

Des policiers gardent l'entrée du tunnel à Chiomonte, en mars 2013.

Né dans les années 1990, ce projet vise à relier Lyon (Rhône) à Turin, en Italie, par une nouvelle liaison ferroviaire, destinée en particulier à réduire de 40 % le fret routier en le reportant vers le rail. La partie dite transfrontalière entre Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et le val de Suse, dans le Piémont italien, fait 65 km, dont 57 km de tunnel.

Autant dire que c’est un projet très cher. Le tronçon international est estimé par l’accord intergouvernemental franco-italien du 30 janvier 2012 à 8,5 milliards d’euros. Il doit être financé par l’Europe à hauteur de 40 %, par l’Italie (35 %) et par la France (25 %, soit 2,1 milliards d’euros). Au total, la Cour des comptes estimait le coût global du chantier, y compris les accès, à 26,1 milliards d’euros en août 2012.

Lire aussi : Pour financer le Lyon-Turin, deux parlementaires proposent une taxe régionale pour les poids lourds

L’opposition à ce mégaprojet s’est manifestée avec force du côté italien, en particulier par le mouvement No TAV (No al treno ad alta velocita, « non au train à grande vitesse »), et notamment avec la mobilisation de plusieurs dizaines de milliers de personnes en 2005. Versant français, l’opposition, plus calme et plus modeste, est emmenée par des associations écologistes et par certains élus locaux. Elle dénonce les coûts jugés exorbitants, une phase d’enquête publique altérée par les conflits d’intérêts, la présence de la mafia du côté des constructeurs italiens, la baisse du trafic de marchandises sur l’axe Est-Ouest et elle propose d’aménager la voie déjà existante. Le président de la République, François Hollande, a annoncé le début effectif des travaux « à partir de 2016 ».

Lire aussi : Lyon-Turin : un tunnel alpin « inutile »

  • A Nonant-le-Pin, la décharge qui dérange

 

Graffiti à l'entrée de la décharge contestée de Nonant-le-Pin, le 26 août.

Au pays des haras, pur-sang et déchets automobiles ne font pas bon ménage. A Nonant-le-Pin, dans l’Orne, la vie des 500 habitants a vu sa quiétude troublée par la construction d’un centre de stockage de résidus de broyage automobiles et de déchets industriels non dangereux de l’entreprise Guy Dauphin Environnement (GDE), spécialisée dans le recyclage.

Le site, qui devait être le plus grand centre de déchets automobiles en Europe, avec une capacité de 2,3 millions de tonnes, n’a ouvert que deux jours, du 22 au 24 octobre 2013. Il s’est vu bloqué par des opposants au projet : des riverains, des élus locaux et des représentants de prestigieux haras, inquiets d’une possible pollution des eaux souterraines et des terres, qui font la réputation de l’élevage. L’ouverture de ce site a fait l’objet de multiples recours juridiques.

Dernier épisode en date : après la visite de la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, à la fin d’août, le préfet de l’Orne a pris le 25 septembre 2015 en urgence un arrêté interdisant à la société d’apporter des déchets sur le site, qui présente des « malfaçons ». GDE a alors déposé un recours devant le tribunal administratif de Caen. Le 22 octobre, la justice a suspendu l’arrêté préfectoral, autorisant de fait GDE à exploiter sa décharge. Les défaillances du site, estime le juge, « ne concernent pas [le] centre de tri ». Etant donné les promesses du directeur général de GDE, Hugues Moutouh, de n’ouvrir dans l’immédiat « que le seul centre de tri », il n’y a « pas de danger grave et imminent » pour la santé publique. La société promet de ne stocker les déchets qu’à partir de janvier, après des travaux qui doivent commencer « la semaine prochaine ». La cour administrative d’appel de Nantes doit se prononcer, peut-être avant la fin de l’année, sur l’autorisation d’ouverture du site.

  • La ferme des Bouillons

 

La zone à défendre (ZAD) de la ferme des Bouillons, le 6 août, à Mont-Saint-Aignan, au nord de Rouen, le 6 août.

A Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), la vieille ferme des Bouillons a failli disparaître pour laisser la place à une grande surface de plus sur les hauteurs de Rouen. En 2012, Immochan, la filière immobilière du groupe Auchan, l’avait achetée aux héritiers d’un exploitant mort. Ses projets ont été contrecarrés par Philippe Vue, un ancien permanent des Verts, rapidement rejoint par des irréductibles décidés à ne pas une nouvelle fois laisser disparaître des terres agricoles au profit de zones commerciales, qui ne manquent pas dans l’agglomération.

L’Association de protection de la ferme des Bouillons s’est rapidement installée dans les lieux. Elle y a organisé de nombreux festivals, des débats et des ateliers d’éducation à l’environnement, s’attirant de la sympathie chez les Rouennais et un soutien de la Confédération paysanne et de la Fondation terre de liens.

En 2015, l’association cherchait à installer sur ces quatre hectares de terres un agriculteur bio professionnel. C’est alors qu’Immochan a vendu la ferme à un concurrent. Les occupants de la ferme ont été évacués manu militari le 19 août. Dans les jours qui ont suivi, les forces de l’ordre ont aussi expulsé le campement que les protestataires avaient installé à deux pas de la ferme. Depuis son assemblée générale du 17 octobre, l’association s’est mise en quête d’une autre terre agricole près de la capitale de la Haute-Normandie.

 

Lire aussi : Ferme des Bouillons : après l’expulsion des militants écologistes, un nouveau propriétaire

 

 Audrey Garric

 

 Pierre Le Hir
Journaliste au Monde
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 Laurence Girard
Journaliste au Monde
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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 22:32

 

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EDF n’est pas prêt de sortir du nucléaire en France

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par

 

 

 

Le site de construction de l'EPR de Flamanville, en juillet 2013.

EDF n’est pas prêt à sortir du nucléaire, ni même à en réduire la voilure. Si le plan stratégique CAP 2030 prévoit un doublement des capacités du groupe dans les énergies renouvelables en Europe (à plus de 50 gigawatts) à l’horizon 2030, ses dirigeants comptent bien maintenir la puissance installée de son parc nucléaire à son niveau actuel de 63,4 GW.

 

La hausse de la consommation de courant (véhicules électriques, nouveaux appareils…) permettra en même temps de respecter l’objectif inscrit dans la loi de transition énergétique de ramener de 75 % à 50 % la part de l’électricité nucléaire en France en 2025.

Deux jours après la signature avec l’électricien China General Nuclear Power Corporation (CGN) d’un accord pour la construction de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni pour 24,5 milliards d’euros (hors coûts de financement), le PDG d’EDF est revenu, vendredi 23 octobre, devant des journalistes, sur l’avenir du nucléaire en France. Jean-Bernard Lévy ne doute guère que l’Autorité de sûreté nucléaire donnera son feu vert à la prolongation à cinquante ans, voire soixante ans, de la durée d’exploitation de « la plupart » des 58 réacteurs français.

Lire aussi : Le grand pari chinois d’EDF

 

Une nouvelle génération de réacteurs

Mais le patron d’EDF réfléchit déjà à l’après, convaincu qu’il faudra les remplacer progressivement entre 2030 et 2050. Ce qui suppose une mise en chantier d’un nouvel EPR, en plus de celui de Flamanville (Manche), dès le début de la prochaine décennie. Il ne s’agira pas de cette « tête de série » normande, mais d’un « EPR nouveau modèle » (EPR NM), dont le « design » est réalisé par une équipe composée d’ingénieurs d’EDF et d’Areva. Il est censé être moins coûteux et plus facile à construire – sans sacrifier pour autant la sûreté – que l’EPR actuel : son coût dépasse désormais 8 milliards d’euros à Olkiluoto (Finlande) et atteint 10,5 milliards (en l’état actuel du chantier) à Flamanville, pour des devis initiaux inférieurs à 3,5 milliards.

« A partir de 2028-2030, ce n’est pas une science exacte, nous allons commencer à installer en France des EPR nouveau modèle », a indiqué le PDG, précisant que la construction se ferait « par paquets de deux ». « En 2050-2055, on n’en aura plus de la génération actuelle [conçus dans les années 1970-1980], a-t-il ajouté. On aura 30, 35 ou 40 EPR NM. »

Jamais ses prédécesseurs, Pierre Gadonneix (2004-2009) et Henri Proglio (2009-2014), n’avaient été aussi explicites sur le renouvellement complet du parc nucléaire. Mais si les prix de gros de l’électricité, actuellement très bas, ne se redressent pas, EDF ne sera plus capable de financer seul un programme qui se chiffrera sans doute à plus de 200 milliards d’euros. « Est-ce qu’EDF a les moyens, aujourd’hui, de reconstruire pour 60 gigawatts de nucléaire sur son bilan actuel ? Je pense que non », a reconnu M. Lévy. Avant de renouveler son parc actuel, l’électricien doit en effet investir 55 milliards pour prolonger jusqu’à 60 ans la durée de vie de la plupart de ses réacteurs actuels et dégager 16 milliards pour ses deux EPR britanniques.

Lire aussi : Nucléaire : un deal « Flamanville contre Fessenheim »

 

« Faire entrer des partenaires »

Le groupe, qui a toujours piloté ses centrales, en détient 100 % du capital à de rares exceptions près, comme Fessenheim (Haut-Rhin), détenue à un tiers par des électriciens suisses et allemands, ou Chooz (Ardennes), sur laquelle Engie (ex-GDF Suez) a des droits de tirage au pro rata de son investissement initial. Pour le parc français, « la question se posera, le moment venu, de faire entrer des partenaires », a reconnu le PDG.

Si rien n’exclut, comme au Royaume-Uni, que des industriels et des investisseurs chinois interviennent, M. Lévy reconnaît qu’une telle décision « relève de l’Etat actionnaire ». Pour « partenaire », le dirigeant d’EDF n’a cité que son concurrent Engie. En 2009, le groupe présidé par Gérard Mestrallet avait été associé au projet d’EPR de Penly (Seine-Maritime) ; EDF y avait renoncé face à la stagnation de la demande d’électricité. Depuis, le lobbying d’EDF a toujours empêché Engie de développer le nucléaire en France. M. Mestrallet confiait récemment n’avoir plus aucun projet dans l’Hexagone.

Mais la donne a changé. Depuis la fin de son monopole en 2007 et l’extinction des tarifs réglementés de vente aux gros consommateurs (tarifs verts et jaunes) prévue au 1er janvier, l’opérateur historique subit une rude concurrence. EDF n’est plus la superpuissance d’antan, M. Lévy en a pris acte.

 

 Jean-Michel Bezat


 

 

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 22:01

 

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En Espagne, deux ans de prison pour d’anciens banquiers

LE MONDE ECONOMIE | • Mis à jour le | Par

 

 

 

Devant le siège de la Banque d'Espagne, à Madrid.

Devant le siège de la Banque d'Espagne, à Madrid. DOMINIQUE FAGET / AFP

 

Deux ans de prison. Le verdict a été prononcé, jeudi 22 octobre, contre quatre anciens directeurs de la banque régionale espagnole NovaCaixaGalicia, accusés de s’être attribués des parachutes dorés alors même que l’établissement financier se trouvait au bord de faillite.

 

Les quatre banquiers n’iront probablement pas en prison car ils n’ont pas d’antécédents pénaux. A condition toutefois qu’ils restituent les 19 millions d’euros qu’ils avaient perçus de manière « indue » et s’acquittent d’une amende de 75 000 euros chacun.

La sentence vient confirmer le pillage dont ont été victimes les cajas, ces caisses d’épargne semi-publiques au cœur de la crise bancaire qui a secoué lEspagne entre 2008 et 2013. Pour partir avec une confortable préretraite, les dirigeants de NovaCaixaGalicia, établissement né de la fusion de deux cajas, avaient modifié leurs contrats alors même que l’Etat avait déjà dû injecter des fonds pour sauver l’établissement de la faillite.

Une « farce »

Le scandale est d’autant plus grand que la banque avait auparavant vendu des milliers d’actions préférentielles – produits financiers complexes et risqués – à près de 40 000 petits épargnants qui pensaient faire un placement sûr, parmi lesquels des enfants ou des personnes âgées, parfois analphabètes, qui signaient d’une simple croix ou de leur empreinte digitale.

Au total, le gouvernement espagnol a injecté via le Fonds de restructuration bancaire (FROB) 9 milliards d’euros dans la banque de Galice, minée par une gestion désastreuse et une forte exposition à la bulle immobilière. Nationalisée et assainie, elle a été revendue fin 2013 pour à peine 1 milliard d’euros au groupe vénézuélien Banesco.

Pour toutes ces raisons, l’association de clients de banques et d’assurances Adicae a annoncé son intention de déposer un recours contre un verdict qu’elle considère comme une « farce ». Elle estime que les dirigeants méritent d’être condamnés pour « escroquerie » et doivent « aller en prison ».

Falsification, détournement, corruption…

De nombreux procès contre des banquiers sont attendus dans les prochains mois. L’an dernier, plusieurs responsables de Caixa Penedès ont déjà été condamnés à deux ans de prison, pour « administration déloyale », pour avoir empoché 30 millions d’euros d’épargne retraite. Actuellement, une vaste enquête judiciaire porte sur les conditions d’entrée en Bourse de Bankia, la banque issue de la fusion, en 2010, de sept caisses d’épargne. Elle a depuis reçu 23 milliards d’euros d’aide publique pour ne pas sombrer et contraint l’Espagne à demander à Bruxelles en 2012 une aide de 40 milliards d’euros. Plus d’une trentaine de responsables de Bankia sont mis en examen, dont son ancien président, par ailleurs ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Rodrigo Rato, accusé d’escroquerie, falsification, détournement de fonds, corruption et fraude fiscale dans « l’affaire Bankia » et ses ramifications.

Des accusations de « falsification comptable » touchent aussi des dirigeants de Banco de Valencia, la CAM ou de Caja Castilla-La Mancha. « Le FROB a présenté une quarantaine de plaintes devant le parquet », résume le ministre de l’économie, Luis de Guindos. Pour sauver une douzaine d’établissements financiers, l’Espagne a injecté plus de 56 milliards d’euros dans le secteur durant la crise et ne détient plus que des participations dans Bankia. Le sous-gouverneur de la Banque d’Espagne et président du FROB, Fernando Restoy, a estimé en avril que 40 milliards d’euros de ces aides ne pourront jamais être récupérés.

 

Lire aussi (édition abonnés) : Bruxelles invite l’Espagne à actualiser son budget « dès que possible »

 

 Sandrine Morel (Madrid, correspondance)


 

 

 

Source : http://www.lemonde.fr

 

 

 

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 20:54

 

Source : http://www.lexpress.fr

 

 

Des soldats israéliens s'élèvent contre les injustices faites aux Palestiniens
Par LEXPRESS.fr avec AFP , publié le

 

 

 
 
 

Des soldats israéliens lors des funérailles à Holon, près de Tel Aviv en juillet dernier.

Des soldats israéliens lors des funérailles à Holon, près de Tel Aviv en juillet dernier.

REUTERS

 

Une quarantaine de soldats de réserve de la plus prestigieuse unité de renseignement militaire israélien ont décidé de ne plus en endosser l'uniforme pour ne plus avoir à participer aux injustices commises selon eux contre les Palestiniens

C'est l'une des plus importantes expressions d'objection de conscience depuis des années en Israël. "Nous, anciens de l'unité 8200, réservistes mobilisés ou mobilisables, déclarons que nous refusons de prendre part à des actions contre les Palestiniens et de continuer à être instrumentalisés pour renforcer le contrôle militaire sur les Palestiniens dans les territoires occupés", écrivent 43 officiers et soldats signataires d'une lettre adressée au Premier ministre et au chef d'état-major israéliens. 

"Nous ne pouvons plus continuer à servir ce système et à dénier leurs droits à des millions de personnes tout en gardant bonne conscience", disent les signataires. Publiée moins de trois semaines après la guerre dans la bande de Gaza, la lettre est sans lien avec elle. Mais elle est un pamphlet contre la politique globale du "régime" et les pratiques du Renseignement mises au service de cette politique.

 

La charge de la NSA israélienne

Dans ce courrier, il est question de mise sous surveillance de millions de Palestiniens sans distinction, jusque dans leur vie privée. Ces refuzniks (terme désignant des Israéliens refusant de servir) dénoncent "la persécution politique" à laquelle participe leur activité d'espionnage; des tribunaux militaires rendant leurs jugements sans que les Palestiniens aient accès aux preuves rassemblées contre eux et des agissements montant les Palestiniens les uns contre les autres. 

Ils s'en prennent plus largement à la règle militaire sous laquelle des millions de Palestiniens vivent depuis plus de 47 ans ainsi qu'à la colonisation et à l'hypocrisie d'une politique invoquant les nécessités de sécurité pour se justifier. L'armée a nié la réalité de ces accusations et a affirmé dans un communiqué ne "pas avoir d'informations selon lesquelles des violations spécifiques mentionnées dans cette lettre ont eu lieu". 

 

Ce "manifeste des 43" émane d'une unité qui, par la force des choses, sort rarement de l'ombre. L'unité 8200 est un service d'élite du renseignement militaire. Spécialisée dans la cyberdéfense, chargée des écoutes, elle est souvent comparée à la NSA (National Security Agency) américaine

Dans un pays où l'armée joue un rôle prééminent et où l'opinion a très majoritairement soutenu la récente guerre à Gaza, la dernière manifestation marquante d'objection de conscience remonte à 2003, lors de la seconde Intifada. Vingt-sept pilotes de l'armée de l'air avaient refusé de mener des opérations de liquidation dans les Territoires palestiniens. 

 

 

 

Source : http://www.lexpress.fr

 

 

 

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 20:45

 

Source : http://cadtm.org

 

 

De bruyants silences

22 octobre par Boaventura de Sousa Santos

 

 

 

Portugal - CC by Bosc d’Anjou

 

Plus les sociétés sont autoritaires et injustes, plus elles recourent au silence pour gérer les conflits sociaux. Il existe des silences conjoncturels, liés aux stratégies des élites politiques nationales et de leurs alliés transnationaux, et des silences structurels, qui étouffent la colère ou le désespoir des individus victimes d’injustice et de discrimination. Voici un exemple illustrant les premiers. Les portugais (et les espagnols) font l’objet d’une gigantesque opération de passage sous silence de la souffrance sociale visant à assurer la continuité des politiques d’austérité au prochain cycle électoral.

L’État bureaucratique et impersonnel ne se laisse pas impressionner par les drames personnels et individuels.

Les portugais continuent d’être convaincus que leur situation non seulement est très différente de celle des grecs, mais qu’elle évolue dans le sens inverse de celle des grecs. Tout cela est dû aux résultats du gouvernement et à l’esprit de sacrifice des portugais. Les informations disponibles racontent une autre histoire mais, pour l’instant, il est facile de les mettre de côté. S’il est certain que la récession causée par l’austérité depuis 2010 a été incomparablement plus importante en Grèce qu’au Portugal, il n’en reste pas moins sûr que les deux pays sont retournés dix ans en arrière et se sont appauvris alors que, dans le même temps, leurs dettes (publique et privée) ont augmenté de façon colossale. À la fin de l’année 2014, la dette externe (liquide) de la Grèce s’élevait à 132 % du PIB, tandis que celle du Portugal à 103 %. Entre 2010 et 2015, la dette externe (liquide) de la Grèce a augmenté de 29 points du PIB, celle du Portugal de 21,6 points. En outre, les deux pays ont été affectés par le même cercle vicieux de vulnérabilité : des conditions pré-existantes ont conduit à des interventions externes austères, qui ont ensuite aggravé la vulnérabilité. Par ailleurs, les deux pays présentent des caractéristiques similaires en ce qui concerne l’émigration des jeunes cadres très qualifiés. Privés d’un nombre important de ses jeunes les plus prometteurs, et leurs comptes subissant le poids d’une dette impayable, les deux pays sont condamnés au sous-développement pour plusieurs dizaines d’années. Alors pourquoi tant de bruit à propos du cas grec, et ce grand silence des principales forces politiques nationales et des institutions européennes sur la réalité préoccupante de la dette portugaise ?

Après les élections reviendront les mauvaises nouvelles. Toutefois même celles-ci ne seront que des statistiques, c’est-à-dire des informations abstraites, incapables de briser le silence structurel autour de la souffrance individuelle ou familiale, qui touche pourtant des milliers de personnes ou de familles. Observons ce cas récent d’une jeune femme de la classe moyenne tombée brusquement dans la pauvreté : mère de deux enfants dont elle a la charge, elle est sans emploi et ne reçoit aucune allocation chômage ni d’autre revenu secondaire. Elle demande à la sécurité sociale de percevoir le revenu social d’insertion. Demande rejetée. Motifs : d’une part à cause d’une de ses filles, car les grands-parents lui ont ouvert un compte à la banque Caixa Geral de Depositos sur lequel ils déposent de l’argent dont elle pourra bénéficier à sa majorité, ce qui est considéré comme un revenu disponible...alors même qu’il ne sera disponible que dans quelques années. D’autre part à cause de son autre fille, car la pension alimentaire qu’elle reçoit est considérée comme un revenu pour la mère... même si, pour cette dernière, la pension est destinée à couvrir les dépenses spécifiques de sa fille.


Cette mère, comme tout autre citoyen lambda dans une situation comparable, ne comprend pas l’attitude de la sécurité sociale et pense que non seulement c’est injuste, mais aussi illogique. Et pourtant, quelle que soit la détresse dans laquelle elle se trouve, sa voix sera étouffée par le mur bureaucratique, hostile et persécuteur qu’est en train de devenir la sécurité sociale. Son cas restera un cas individuel, et donc sans importance, même si des milliers d’autres citoyens affrontent des milliers de situations similaires. L’État bureaucratique et impersonnel ne se laisse pas impressionner par les drames personnels et individuels. En ces temps d’austérité forcée envers les citoyens les plus vulnérables, tous les prétextes sont bons pour réduire les charges de l’État, aussi illogique et injuste que ce soit. Le silence structurel du citoyen dont les droits sont violés, découle de la capacité de l’État à continuer à se proclamer État social alors, que subrepticement, il se transforme en État antisocial.


Traduction : Eva Champion, pour Ritimo.
Source : Ritimo

 

 

 

Lettre ouverte de Boaventura Soussa Santos à l’attention de Rafael Correa, Président équatorien

26 décembre 2014, par Boaventura de Sousa Santos

 

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 20:30

 

Source: http://cadtm.org

 

 

Quand Tsipras fait disparaître toute trace de ses contradicteurs !...

22 octobre par Yorgos Mitralias

 

 

 

Voici donc que le gouvernement Tsipras bis vient de résoudre deux de ses grands problèmes : celui de la dette publique et celui représenté par l’ex-présidente du Parlement grec, Zoe Konstantopoulou. Comment a-t-il fait pour réussir cet exploit ? Mais tout simplement, en effaçant pour toujours du site officiel du Parlement grec tout ce qui pourrait rappeler Zoe Konstantopoulou et ses initiatives durant sa brève présidence, dont la Commission pour la Vérité de la Dette Publique.

Face à cet impressionnant bond en arrière du gouvernement grec, qui nous ramène aux heures de gloire du stalinisme triomphant des années 30 |1|, mais aussi du maccarthisme le plus envahissant du début des années 50, on est en droit de se demander : est-ce que la dette publique grecque a pour autant disparu ? Et est-ce que Zoe Konstantopoulou a accepté sa défaite, et s’est décidée à ne plus dire la vérité et taire ses critiques au vitriol ?

La réponse est : non. L’astronomique dette publique grecque continue, imperturbable, sa marche en avant comme d’ailleurs Zoe Konstantopoulou, qui refuse de s’avouer vaincue. Alors, une question s’impose : vu que le nettoyage du site du Parlement des présences indésirables manque manifestement d’efficacité, pourquoi le successeur de Zoe Konstantopoulou, et ses amis, ont procédé de cette manière ? Que cherchaient-ils en réalité ?

La seule réponse possible est qu’en agissant ainsi, tout ce beau monde cherchait à envoyer un message, ou plutôt un signal, à quelqu’un. À qui ? Mais, évidemment, aux célèbres « partenaires européens » avec qui les nouvelles autorités grecques venaient de conclure un accord, qui est en même temps… l’unique programme du gouvernement Tsipras bis. Mais aussi à ceux d’en bas, grecs, pour qu’ils n’aient plus le moindre doute sur l’inéluctabilité de l’écrasement de toute résistance aux Memoranda et à leurs inspirateurs…

En somme, il s’agissait d’un acte hautement symbolique qui, ni plus ni moins, ambitionnait à effacer pour toujours de la mémoire collective des Grecs, non seulement toute trace d’une alternative à la politique des Memoranda, mais aussi, le nom même de celle qui a pu incarner cette alternative !

En réalité, l’acharnement de ces néophytes du néolibéralisme, contre ce qui pourrait s’identifier à leur mauvaise conscience, ne s’est pas limité à faire disparaître tout ce qui rappelait la brève présidence de Zoe Konstantopoulou. En effaçant aussi l’Appel de la campagne internationale de « soutien à la Commission pour la Vérité sur la Dette Publique et au droit des peuples à auditer les dettes publiques » |2|, ces apprentis sorciers de l’école stalinienne de la falsification ont voulu faire disparaître toute trace de ces 24 423 hommes et femmes venants de quatre coins du globe, qui ont – jusqu’à ce moment, car la collecte des signatures continue - manifesté leur appui actif à cette campagne ! En faisant de la sorte, ils n’ont pourtant démontré qu’une chose : leur total mépris pour ces milliers de gens de progrès, dont au moins 2000 professeurs d’université et économistes, qui ne voulaient que soutenir la Grèce contre ses bourreaux !

La prédilection des dirigeants de ce Syriza génétiquement modifié, pour les pires des méthodes administratives, ne peut pas étonner. En effet, bien avant leur spectaculaire capitulation, ils faisaient déjà attaquer violemment et vulgairement la Commission pour la Vérité de la Dette Publique par leurs médias spécialisés en basses besognes, sans pour autant oser la critiquer eux-mêmes, publiquement et sur le fond. D’ailleurs, jusqu’à maintenant, c’est en vain qu’on chercherait le moindre argument sorti de leur bouche contre l’audit citoyen de la dette publique…

En revanche, ces lâches ont toujours préféré les coups bas à la confrontation publique. Cyniques, et armés de l’arrogance du pouvoir, ils se permettent de se foutre royalement de ces dizaines de milliers de gens qui ont signé l’Appel de soutien à la Commission d’audit et qui ne leur sont d’aucune utilité, vu que ces illustres médiocrités se sentent à l’aise seulement en compagnie des « grands » de ce monde. C’est à eux que s’applique parfaitement ce que Jorge Semprun disait de Santiago Carrillo : « Toute sa vie il ne voulait qu’une seule chose, entrer dans les grands salons »…

Vivant dans l’insécurité permanente, et découvrant des ennemis même là où il n’y a que de simples militants qui s’interrogent, il n’est alors pas étonnant que ces adeptes d’un Machiavel au rabais fassent appel aux pires traditions staliniennes, afin de faire disparaître tout ce qui les dérange. Privés – heureusement – des moyens que l’oncle Joseph possédait en son temps, ils se contentent alors d’effacer tout ce qui témoigne de leurs trahisons et autres péchés, à l’instar des inquisiteurs staliniens qui faisaient disparaître par millions les vies, les noms, et même les visages de leurs compatriotes soviétiques. Détail éloquent : comme alors à Moscou, aujourd’hui aussi à Athènes, ces inquisiteurs font disparaître en toute priorité ceux qui osent refuser la modification génétique de leur parti et persistent à se proclamer… communistes, anticapitalistes et critiques radicaux de l’ordre établi !

Notre conclusion se veut optimiste : il faudra beaucoup plus que le « nettoyage » du site du Parlement grec, et même beaucoup plus que l’incessante campagne de dénigrement et de coups – très - bas pour faire disparaître les résistances à ceux qui ont vendu leur âme au diable néolibéral, en acceptant d’appliquer ses politiques inhumaines. Même dans des conditions très difficiles, le combat continue car il s’agit maintenant de la défense de tout ce qu’on a de plus précieux : de notre dignité et de notre (sur)vie…

 

 

 
Notes

|1| Voir sur ce sujet l’extraordinaire classique de David King Le Commissaire disparaît, éd. Calman-Levy.

|2| Voir le site de l’Appel (en 16 langues) ainsi que de la campagne internationale de soutien : http://greekdebttruthcommission.org/index.php. Étant donné que, contre vents et marées, cette campagne continue, les signatures de soutien sont plus que jamais bienvenues…

Auteur

Yorgos Mitralias

Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.


http://www.contra-xreos.gr

 

 

 

Source: http://cadtm.org

 

 

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23 octobre 2015 5 23 /10 /octobre /2015 20:16

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

En Espagne, le talk-show de Podemos envoie du bois

 

A deux mois des élections générales, les chaînes espagnoles rivalisent de débats politiques. Ceux de « La Tuerka », l’émission du parti de Pablo Iglesias, détonnent. Et ça marche : l’ex-télé de quartier s’est muée en machine médiatique.

 

 

 

 

(De Madrid) Devant les portes aux vitres teintées, Noelia récite son texte à voix basse, en finissant sa cigarette :

« Bonsoir à toutes et à tous, et bienvenue sur “La Tuerka”... » 

En haut d’une tour donnant sur les grands boulevards, quelques minutes avant le début de l’enregistrement, les invités défilent, maquillés, jusqu’au plateau.

 

Noelia Vera, seule journaliste de

Noelia Vera, seule journaliste de « La Tuerka » - Adrien Ortavent/Rue89
 

Autour de la table au design futuriste, des tasses aux caméras, tout est floqué « La Tuerka ». Les néons éclairent un studio rouge et blanc flambant neuf. Noelia Vera, la présentatrice de l’émission, fait cliquer son stylo machinalement, avant que le générique ne commence.

Tous les soirs de la semaine, l’extrême gauche a son propre talk-show, diffusé via le site du quotidien de gauche radicale blico. Après quatre saisons, « La Tuerka » est devenue une référence en Espagne. Et plus seulement pour les militants.

 

Sur le plateau de
Sur le plateau de « La Tuerka » : seul le Parti populaire n’a pas répondu présent - Adrien Ortavent/Rue89
 

Aujourd’hui, autour de la table, l’émission accueille des représentants des principaux partis en lice pour les élections législatives de décembre : d’un côté, Noelia Martínez, conseillère socialiste à la mairie de Madrid, de l’autre, Dolores Pastor du parti de centre-droit Ciudadanos, ou encore Ramón Espinar, sénateur Podemos. Depuis ses débuts en 2010, la petite télé associative a fait du chemin.

« Deviens toi-même le média »

Quand Pablo Iglesias, le leader de Podemos, a eu l’idée de lancer sa propre émission de débat politique, « La Tuerka » n’était encore qu’un débat amateur et militant sur les bancs de la fac. Considérant la télévision comme « une chose étrangère à la gauche », plutôt que de la bouder, il décide d’en faire un instrument politique :

« Si les médias ne viennent pas à toi, deviens toi-même le média. »

Avec d’autres professeurs de l’université Complutense de Madrid, dont Juan Carlos Monedero et Iñigo Errejón, deux des fondateurs du parti, il forme le réseau La Promotora, et s’unit à l’association d’étudiants en sciences politiques Contrapoder. Noelia Vera se souvient :

« Les deux associations ont alors commencé à organiser ensemble des débats politiques filmés à la fac, sur des sujets qui n’étaient pas abordés par les médias traditionnels. »

 

Un mug
Un mug « La Tuerka » - Adrien Ortavent/Rue89
 

Iglesias et Monedero financent l’émission en payant de leur poche, et font avec les moyens du bord. Avec des capacités techniques réduites, et sans aucun journaliste, les débats attirent pourtant chaque semaine plus de participants et de public. Jusqu’à se faire remarquer par Paco Pérez, directeur de la télévision du quartier madrilène de Vallecas Tele K, qui propose à Iglesias d’héberger ses débats sur la chaîne.

Le rendez-vous politique des militants de gauche, jusqu’ici informel et sans moyen, devient télévisé et régulier. « La Tuerka » est née.

Aux côtés des Indignés

Malgré un décor un peu bancal et des rideaux noirs en guise de fond, la « télévision de gauche » est lancée. Mais elle reste très confidentielle, et son public, très engagé. Noelia Vera raconte :

« C’est grâce au mouvement des Indignés que l’émission a décollé. Au début des manifestations du 15-M, nous étions face à un grand silence médiatique. Peu de chaînes couvraient ce qu’il se passait. Alors Pablo et les autres sont descendus dans la rue, pour enregistrer “La Tuerka” pratiquement en direct de la Puerta del Sol. »

 

Avec un discours anti-austérité et en donnant la parole aux Indignés qui vivaient jour et nuit sur la place, l’émission devient populaire et tourne sur les réseaux sociaux. « La Tuerka » commence à faire parler, et son créateur avec elle.

 

Pablo Iglesias, bête médiatique

Noelia le reconnaît :

« “La Tuerka” a énormément aidé à faire connaître Pablo. Il était de plus en plus invité sur les plateaux de télé : lorsque les médias avaient besoin d’un interlocuteur pour parler du 15-M, ils pensaient tout de suite à lui. »

Peu à peu, le profil des invités de l’émission se diversifie. « La Tuerka » passe d’une à quatre émissions hebdomadaires, dont un débat politique, une chronique féministe, un JT satirique, une analyse de sujets d’actualité par Monedero, et un face-à-face.

Au fur et à mesure des tournages, Pablo Iglesias s’habitue à la caméra et muscle son discours, avant même la création de Podemos en janvier 2014. Pour Noelia, c’est évident :

« C’est, entre autres, grâce à son expérience à “La Tuerka” que Pablo a pu prendre la tête du parti. »

L’emballement médiatique fait le reste. Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero, qui assuraient la présentation et l’organisation des émissions, n’ont plus assez de temps à accorder aux tournages. Ils passent le relais à Noelia Vera, qui donnait un coup de main à la communication du parti. Passée par CNN et l’agence espagnole EFE, elle est la toute première journaliste à intégrer l’équipe.

Pablo Iglesias conserve son émission du vendredi, « Otra Vuelta de Tuerka », un entretien en face-à-face avec un politique ou intellectuel. Il reçoit entre autres l’économiste Thomas Piketty, la philosophe Chantal Mouffe, ou encore la future maire de Madrid, Manuela Carmena, et atteint des centaines de milliers de vues sur YouTube.

« C’est d’abord un projet politique »

S’il y a une chose qui n’a pas changé à « La Tuerka », c’est le contenu des débats. Il s’agit de donner la parole à des intellectuels, des politologues, avec des idées de droite ou de gauche, peu importe, mais pour parler enfin « des sujets qui n’avaient pas leur place dans le paysage médiatique classique : la crise sociale, les coupes budgétaires, la corruption, l’emploi, tout ce qui touche vraiment les Espagnols ».

Les médias de Podemos

« La Tuerka » n’est pas le seul outil médiatique du jeune parti de gauche. L’émission « Fort Apache », bien qu’elle ne soit pas produite par Podemos, est également présentée par Pablo Iglesias, et diffusée sur la chaîne iranienne Hispan TV. Le leader de Podemos a d’ailleurs dû essuyer de nombreuses critiques l’accusant d’avoir financé son émission grâce au gouvernement iranien.

Plus récemment, le parti de gauche radicale a également créé l’Institut 25-M, à l’origine du magazine trimestriel La Circular, qui accorde une large place à la culture, ainsi qu’aux débats politiques et philosophiques. A la fin du mois d’octobre, le parti va même ouvrir son propre centre culturel, baptisé La Morada, où se mêleront débats, théâtre, espaces de coworking, et même... une boutique Podemos.

Iglesias refuse pourtant d’accoler les termes d’« alternatif » ou de « contre-information » à sa télé. Il préfèrerait qu’on parle de « La Tuerka » comme d’une vraie télé de gauche.

Noelia, dont le JT est réalisé en une seule prise, souligne :

« Les politiques peuvent argumenter pendant plusieurs minutes, sans coupe ni montage, et développer librement leurs idées. Impossible sur les chaînes traditionnelles. »

Mais à quelques semaines des élections générales, qui auront lieu le 20 décembre, les sujets d’actualités brûlants ont vite fait de se transformer en thèmes de campagne, quitte à s’assoir un peu sur les débats de fond.

Au lendemain du face-à-face opposant Pablo Iglesias au leader de Ciudadanos Albert Rivera, qui a réuni plus de 5 millions de téléspectateurs, Noelia Vera a du mal à canaliser ses invités. Elle tente de calmer le jeu entre la conseillère socialiste et le politologue Jorge Verstrynge, sympathisant de Podemos, qui la tacle :

« Parti populaire et PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol, ndlr], c’est la même merde. »

Tous ricanent.

 

Sur les écrans de

Sur les écrans de « La Tuerka » - Adrien Ortavent/Rue89
 

Pendant cette période, « La Tuerka » ne va-t-elle se réduire à un moyen pour Podemos de diffuser ses idées ? Noelia se défend :

« C’est d’abord un projet politique, on ne s’en est jamais cachés. Mais je suis journaliste d’abord, militante ensuite. Et en aucun cas porte-parole du parti. »

Elle assure qu’elle confrontera tous les candidats dans son JT avant l’élection. Y compris Iglesias, à qui, c’est promis, elle ne fera pas de faveur.

 

Dans le studio de

Dans le studio de « La Tuerka », hébergé par la rédaction de Público - Adrien Ortavent/Rue89
 
 
 
 
 
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