LEMONDE.FR | 24.08.11 | 14h55 • Mis à jour le 24.08.11 | 15h29
De François Fillon à Ségolène Royal, pas un jour ne passe sans une tribune, une réaction, un commentaire autour de la "règle d'or" budgétaire et ses conséquences. Au point de risquer de dérouter le vacancier tout juste revenu de son lieu de villégiature estival. Quelle est donc cette fameuse règle qui vise à contraindre la France à réduire ses déficits, et comment est-elle devenue devenue un enjeu politique majeur ? Retour sur une mesure destinée à rassurer les marchés, devenue tactique électorale stratégique, à quelques mois de la présidentielle.
Acte 1 : En 2010, une "règle" pour rassurer les marchés
Lutter contre les déficits endémiques de la France, mais aussi rassurer les marchés et garantir à la France la sauvegarde de sa note souveraine. Tel est l'objectif du projet de "règle d'or" budgétaire issue des travaux d'une commission présidée par l'ancien directeur général du FMI, Michel Camdessus, et présenté fin juin 2010.
La proposition phare de ce rapport fait suite à une exigence de Nicolas Sarkozy formulée en janvier 2010 : inscrire, dans la Constitution, "le monopole des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale pour l'ensemble des mesures fiscales et sociales", ainsi qu'une "règle constitutionnelle d'équilibre, en inscrivant dans la Constitution le principe d'une 'loi-cadre de programmation des finances publiques' pluriannuelle, s'imposant aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, sous le contrôle du Conseil constitutionnel". Un dispositif proche de ce qu'a mis en place l'Allemagne en 2009.
En clair, il s'agit de fixer, pour une période pluriannuelle, une règle globale, limitant les dépenses de l'Etat et de la Sécurité sociale, qui s'impose à toutes les lois votées dans les années suivantes. Aucun programme, aucune action du gouvernement ne pourrait sortir de ce cadre budgétaire avant l'échéance fixée. De quoi rassurer les marchés en leur donnant des gages de la volonté du gouvernement de réduire le déficit de la France, menacée elle aussi de perdre son "triple A". François Fillon annonce fin 2010 qu'il compte bien mettre en œuvre cette proposition.
Acte 2 : Une idée qui divise à gauche comme à droite
L'idée ne fait pourtant pas consensus, ni à gauche, où l'on estime alors "ridicule" d'imposer ainsi une règle d'airain de la dépense... ni à droite. Les députés jugent eux aussi difficile de s'appliquer à eux-mêmes un principe aussi contraignant, qui s'imposerait pour plusieurs années, quelle que soit la conjoncture.
Philosophiquement comme en pratique, la "règle d'or" pose question : le vote du budget est le premier pouvoir du Parlement, composé des élus du peuple. Limiter ce pouvoir et confier au Conseil constitutionnel le soin de surveiller toutes les lois pour qu'elles restent dans les limites d'un cadre déjà fixé revient à les déposséder d'une partie de ce pouvoir. Et à admettre que l'irresponsabilité des décideurs publics est telle qu'il est nécessaire de leur imposer des "bonnes pratiques" par la loi.
De plus, une telle règle empêcherait de mettre en place des mesures d'urgence pour faire face à une situation exceptionnelle, comme le plan de relance adopté par le gouvernement en 2008 face à la crise.
Ces critiques nourrissent les débats qui ont lieu à l'Assemblée, puis au Sénat, autour de la "règle d'or" que Nicolas Sarkozy et François Fillon comptent bien voir adoptée. Ce qui ne va pas de soi : il s'agit d'une modification de la Constitution, qui requiert soit le recours à un référendum, soit la réunion du parlement en Congrès (députés et sénateurs)
Acte 3 : Un dispositif revu à la baisse
La proposition que présente Bercy en février 2011 est ainsi relativement différente du modèle allemand. Celui-ci planifie une trajectoire globale de retour à l'équilibre des finances, qui doit être effective en 2016, mais prévoit des "soupapes" en cas de conjoncture exceptionnelle.
La France, elle, ne fixe pas de date butoir. La Constitution a déjà, depuis 2008, inscrit dans son article 34 un "objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques". Depuis la même date, le pays vote des lois de programmation des finances publiques triennales qui définissent les dépenses de l'Etat.
La réforme finale vise à transformer ces lois de programmation en "loi-cadre d'équilibre des finances publiques", qui dureraient cette fois cinq ans au lieu de trois, soit une mandature complète. En vertu de la réforme, le Conseil constitutionnel serait en droit de censurer toute loi qui outrepasserait la loi-cadre et mettrait en place des dépenses nouvelles, ou ne réduirait pas assez les dépenses.
Mais députés et sénateurs retoquent un certain nombre de dispositions. Notamment le monopole des lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour définir la fiscalité. Cette proposition phare du rapport Camdessus visait à "centraliser" les modifications de la fiscalité pour éviter la création de niches fiscales ou sociales "catégorielles". Les parlementaires ont souhaité garder ce pouvoir.
Les députés et les sénateurs ont également mis en place une autre disposition selon laquelle une loi organique fixera périodiquement les conditions de modification de la loi cadre, donc son exécution pratique et les moyens de s'affranchir de ce qu'elle définit.
Acte 4 : Un "piège politique" tendu par l'UMP
La "règle d'or" qu'adopte l'Assemblée nationale le 13 juillet, et qui s'appliquerait à partir de 2013, est donc loin d'être une règle d'airain. Mais la question s'est déplacée du terrain économique vers le politique. Alors que la tension se fait plus forte sur l'économie de la zone euro, où la morosité économique s'installe, la majorité cherche des moyens de répondre aux critiques de l'opposition sur sa gestion financière.
La "règle d'or" constitue un "piège" de poids : son adoption est conditionnée au vote en sa faveur des parlementaires socialistes. Or, à quelque mois de la présidentielle, il est hors de question pour ceux-ci de la voter. D'une part parce qu'ils refusent d'abonder dans le sens de la majorité ; d'autre part parce que voter ce texte reviendrait à se lier les mains si la gauche parvient au pouvoir en 2012.
L'UMP compte faire de ce refus un argument pour fustiger "l'irresponsabilité" du PS sur les questions économiques. Un contre-feu bienvenu, alors que les chiffres du chômage repartent à la hausse, et que Nicolas Sarkozy, à la peine dans les enquêtes d'opinion, compte sur la crise de l'euro pour se relancer.
Durant l'été, alors que la crise de l'euro s'accentue, l'UMP martèle sans trève le message : la "règle d'or" est une "règle de bon sens", et le PS qui refuse de la voter est irresponsable. Selon Jean-François Copé, le Parti socialiste est "incapable de dépasser les enjeux de politique politicienne". Pour le chef de file des parlementaires UMP à l'Assemblée, Christian Jacob, le PS ferait mieux de penser davantage "à la France et à l'intérêt général". Quant à François Fillon, il lance le 19 août un appel "à l'unité nationale" et fustige lui aussi un PS "attaché à la multiplication des emplois publics et des contrats aidés".
Acte 5 : Le PS uni, mais en ordre dispersé
"Le PS était déjà minoritaire sur certains sujets tels que la réforme des retraites et la suppression de l'ISF. En s'opposant à la 'règle d'or', il s'isole encore plus", estime ainsi Franck Louvrier le 17 août dans Le Figaro. Parallèlement, l'Elysée cherche à convaincre autour de cette mesure phare, à laquelle il finit par rallier le président du MoDem, François Bayrou. La présidence tente aussi de discuter avec Jean-Pierre Chevènement.
Malgré sa primaire, le PS reste sur une position unie, mais en ordre dispersé. Manuel Valls précise ainsi que, s'il est opposé à cette loi, il n'est pas hostile au "principe" d'une règle d'or. François Hollande juge qu'elle est inutile et trop tardive, et veut la remplacer par un amendement voté dès 2012. Martine Aubry demande elle aussi des actions immédiates contre les déficits. Ségolène Royal propose des règles "de diamant" ou "d'argent" sur la justice sociale ou l'encadrement de la finance. Tous fustigent les "cadeaux fiscaux" dispensés par l'actuelle majorité.
Alors que le gouvernement s'apprête à annoncer de nouvelles mesures de rigueur, Nicolas Sarkozy n'a toujours pas décidé s'il irait au bout de la réforme en réunissant le Congrès, quitte à voir la loi repoussée par l'opposition. Une question, là encore, éminemment politique.
Samuel Laurent