Compte rendu | LEMONDE.FR | 26.10.11 | 16h26 • Mis à jour le 26.10.11 | 17h30
Dans un chat, mercredi 26 octobre, Bertrand Badie, professeur à Sciences Po revient sur la poussée des sociétés ("printemps arabe", "indignés") dans le monde.
Al Tahir : Pourquoi et comment expliquez-vous cette poussée des sociétés dans le jeu international ?
Bertrand Badie : En fait, cette poussée est déjà ancienne. Elle a épousé le rythme des avancées de la démocratie, mais aussi de celles de la mondialisation, qui a contribué à déposséder les Etats d'une partie de leurs prérogatives régaliennes et à les mettre en concurrence avec tout un ensemble d'acteurs sociaux. Durant la bipolarité, le phénomène restait contenu, notamment par la force du clivage Est-Ouest et par la prédominance du jeu diplomatico-militaire. Depuis 1990, on a assisté à une ascension remarquable de ces nouveaux acteurs au sein même de la scène internationale. Mais peut-être qu'en fin de compte le facteur le plus décisif tient à la crise du politique que nous vivons depuis ces deux ou trois dernières décennies.
Crise de désynchronisation d'abord : la plupart des "marchés politiques" et des systèmes partisans ont été constitués, dans l'univers démocratique, au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que s'amorçaient en Europe les "trente glorieuses". Les offres partisanes n'ont guère évolué depuis, et un sentiment de décalage, de défiance à l'égard des partis politiques s'est développé un peu partout. Crise institutionnelle ensuite : notre formule démocratique occidentale reposait sur les vertus du gouvernement représentatif, de la médiation, des corps intermédiaires. A l'heure de l'immédiateté, de la libre circulation du son et des images, ces intermédiaires sont de moins en moins acceptés, et on assiste à un retour en force de l'idée de démocratie directe.
Crise des idéologies également : celles-ci, au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est, organisaient la vie politique. Leur échec, c'est-à-dire la disparition de certaines d'entre elles et la banalisation des autres, a réduit le débat public, laminé la légitimité des acteurs politiques, conduit à l'imagination d'autres modèles qui ne se retrouvaient en rien dans les structures politiques en place.
Crise d'efficacité : l'Etat, au Nord comme au Sud, perd de sa capacité distributive et régulatrice, éloigne les citoyens plutôt que de les mobiliser. De plus en plus ceux-ci sont à la recherche de modèles de substitution, qu'ils trouvent dans la société, soit en retournant vers la tradition ou vers les communautés, soit en cherchant dans la technologie moderne des moyens de contourner l'Etat.
Crise de la mondialisation enfin : celle-ci a en quelque sorte brisé les lieux et les formules de régulation politique traditionnelle, s'attaquant à la souveraineté, donc à la nation, remettant en cause les équations classiques qui fondaient la puissance de l'Etat, faisant naître enfin des demandes sociales et des enjeux sociaux qui surclassaient l'agenda politique traditionnel. Comme on le voit, cette poussée du social n'est pas propre à un segment de notre espace mondial, mais se retrouve un peu partout : nulle surprise que ces formes nouvelles de mobilisation apparaissent aux quatre coins de la planète.
Lionel : Peut-on vraiment parler d'une nouvelle forme de contestation, d'un nouveau jeu citoyen ? Il suffit de se référer à la révolution iranienne, au mouvements hippie pour voir que le peuple influe, comme c'est le cas actuellement dans les révolutions arabes ou dans le cas d'Occupy Wall Street, pour voir que les sociétés sont promptes à "s'emparer du pouvoir", non ?
Bertrand Badie : Certes, on peut trouver dans le mouvement hippie et dans l'ambiance de 1968 les prémices de cette forme nouvelle de contestation. La différence essentielle tient à ce qu'elles étaient à l'époque marginales ou conjoncturelles, alors qu'elles se construisent aujourd'hui comme l'expression généralisée d'un échec plus vaste, tant du pouvoir que des modèles traditionnels d'opposition.
Ici, la rupture est très forte, car ces formes nouvelles de contestation se veulent "antisystème", récusent une opposition institutionnelle qui ne mobilise plus, voire perd de sa légitimité. Peut-être peut-on aller encore plus loin et noter qu'il y a une volonté délibérée de dépasser le cadre politique traditionnel : c'est l'essence même du politique tel qu'il était jusqu'ici conçu qui se trouve mise en cause. Du coup, les mobilisations qui en dérivent ne trouvent pas de localisation naturelle sur l'échiquier politique. Elles réunissent des secteurs très différents de la société, renâclent à se figer dans une idéologie nouvelle, rejettent même toute forme d'organisation qui viendrait les ossifier.
On sort donc de la dialectique entre le pouvoir et l'opposition dans un effort de la société pour reconquérir sa globalité et remettre en cause les expressions politiques qui étaient censées en dériver.
Lili : D'après vous, quelle est la cause de tout cela ? Pourquoi se révolter maintenant et pas avant ? Si c'est dû en partie aux avancées dans la diffusion de l'information, pouvons-nous croire que cela se produira sans cesse à l'avenir?
Bertrand Badie : Comme je l'ai déjà indiqué, le mouvement a eu une longue préhistoire. Mais on ne s'étonnera pas qu'il vienne se développer dans un contexte paroxystique. Le monde arabe vivait l'essoufflement de systèmes dictatoriaux usés par le temps et par l'accumulation des échecs.
A son tour, le monde occidental eut à faire face à ce genre de mobilisation au moment où la crise qui le frappe depuis 2008 prend une tournure dramatique et angoissante. Il ne faut pas oublier que parmi les "indignés" espagnols, grecs, portugais ou même américains, on trouve une proportion importante de chômeurs, de jeunes, souvent diplômés et dont les perspectives d'emploi sont de plus en plus fermées. On trouve aussi quantité de mouvements marginaux qui s'étaient essayés au genre de la représentation et avaient échoué. En fait, dans des situations semblables, on a souvent vu naître des populismes dont les visées étaient promptes à s'inscrire dans un cadre autoritaire, voire totalitaire.
Dans la crise présente, ce type de démarche reste bien heureusement limité : les "indignés" expriment tout autre chose, c'est-à-dire la conviction que l'ordre politique tel qu'il est constitué ne peut plus faire face aux problèmes sociaux les plus graves, et qu'il convient donc de rétablir des formes d'expression de démocratie directe qui viennent davantage défier les partis d'opposition sur leur gauche que produire les imaginaires prétotalitaires qui commencèrent à fleurir lors de la crise de 1929.
Jacqueline : Pensez-vous que les mouvements actuels aboutiront à de réels changements ?
Bertrand Badie : D'un certain point de vue, ces changements sont à terme inévitables : les sociétés s'attaquent à la légitimité du politique avec une force jamais égalée jusqu'ici. Elles expriment clairement leur défiance à l'égard des systèmes partisans. Prenez l'exemple de l'Espagne, où un sondage récent indiquait que plus de 80 % de la population ne faisaient plus confiance à leurs partis politiques. Face à un tel vide, qui se traduit entre autres par une montée régulière de l'abstention observable partout en Europe depuis quelques années, la classe politique ne peut pas rester longtemps indifférente, au risque d'être submergée et de perdre toute autorité dès lors qu'elle accède au pouvoir.
Précisément, cette érosion des légitimités se retrouve partout : effondrement des courbes de popularité de ceux qui gouvernent, dérision à leur égard, dénonciation de leur médiocrité, banalisation de la passivité politique, voire regain d'importance des appels à la désobéissance.
Un entrepreneur politique habile pourrait, par une refonte audacieuse des mœurs politiques, tirer un grand bénéfice d'une telle défiance. Ceux qui n'ont pas ce courage ne peuvent qu'observer la perte de sens de l'action politique traditionnelle, le divorce croissant entre Etat et société, ce qui, à terme, devrait conduire à un "New Deal" politique. Après tout, c'était un peu déjà le sens de la candidature de Barack Obama, dont il faut bien admettre que l'essai n'a pas été transformé…
Au-delà, qui, en Europe, pour demain ?
France : Peut-on associer deux phénomènes aussi différents que celui du "printemps arabe", qui voit la fin de dictatures anciennes, et celui des "indignés", qui montre l'inadéquation entre l'aspiration d'une jeunesse et ce que proposent les partis politiques de gauche ?
Bertrand Badie : Vous avez raison, on a un peu trop forcé les traits de ressemblance entre deux mouvements qui s'inscrivent dans des contextes fort différents. Pourtant, la correspondance est forte. Dans le temps d'abord. Le "printemps arabe" s'amorce en décembre 2010, et les premiers frémissements d'un mouvement des "indignés" s'observent au Portugal et en Grèce dès mars 2011 pour gagner toute leur visibilité à partir du 15 mai en Espagne.
Dans les formes, ensuite. On retrouve dans les deux cas le même rejet explicite de toute organisation partisane des mobilisations, la même méfiance à l'égard des professionnels de la politique quels qu'ils soient, le même scepticisme à l'égard des idéologies, et surtout, ce sur quoi j'insisterai tout particulièrement, le même rapport à l'humiliation.
Du côté du monde arabe, celle-ci s'exprime face à des régimes dictatoriaux et arrogants, face à un ordre régional qui a toujours relégué les populations arabes dans le rôle d'instruments de construction du bonheur des autres, et face à un ordre international qui le méprisait. Du côté européen, les "indignés" se recrutent d'abord parmi les chômeurs diplômés, parmi ceux qui ont perdu leur emploi, parmi ceux, marginaux, auxquels le pouvoir politique n'a jamais cherché à ménager une place digne. L'humiliation, plus que jamais, vient structurer les comportements sociaux et prendre en quelque sorte un peu partout la place qu'occupait jadis l'idée d'exploitation : exploitation coloniale par les puissances dominantes, ou exploitation des classes laborieuses par les plus dotés.
Au-delà de ces similitudes, que l'on ne peut pas négliger, bien sûr, on pressent que ces mouvements, en s'inscrivant dans des contextes très différents, ne peuvent avoir qu'un destin dissemblable : dans le monde démocratique occidental, il s'agit de réagir face à un jeu démocratique grippé. Il n'est d'ailleurs pas surprenant que le mouvement des "indignés" ait été lancé en Espagne à la veille des élections municipales et pour exprimer le malaise qu'inspirait la concurrence bipartisane entre un parti de droite et un parti de gauche, tous deux compromis dans l'échec. L'enjeu est donc bien celui de la réinvention de la démocratie occidentale comme de la redéfinition de la place des vieilles puissances au sein de la nouvelle mondialisation.
Dans le monde arabe, il s'agit, pour ce mouvement, de se construire face à la sortie de la dictature, c'est-à-dire d'occuper ce terrain vide laissé par l'effondrement d'un système, et donc d'inventer un système politique qui n'existait pas au-delà des ersatz dictatoriaux. Tout le problème alors est de savoir si ces mouvements sociaux qui ont abattu les anciens régimes sauront se doter du "transformateur politique" qui leur permettra d'accéder au gouvernement.
Ploppy : Il semble y avoir une montée de la grogne mondiale envers le système établi. Y a-t-il un risque (une chance ?) de révolution mondiale a plus ou moins long terme ?
Bertrand Badie : La notion de "révolution mondiale" est difficile même à concevoir au sein d'un monde qui est fragmenté, éclaté, et dont les jeux politiques nationaux sont si peu raccordés les uns aux autres.
Pourtant, on peut dire, pour aller dans votre sens, que le processus que nous vivons marque bien la première forme de contestation active et explicite de la mondialisation : en cela, elle crée inévitablement de la convergence entre mouvements qui se retrouvent volontiers, comme ce fut le cas lors de la journée du 15 octobre dernier, pour dénoncer l'austérité, perçue comme ce voile pudique que tout le monde se partage pour survivre dans un contexte de crise frappant les mécanismes mêmes de la mondialisation.
Tout le monde se retrouve aussi dans l'articulation d'un même discours qui rejette toutes les formes classiques de politique auxquelles nous étions habitués : Etat, partis, gestuelle électorale, représentation, programmation plus ou moins inspirée de modèle idéologique désuet. Le paradoxe tient à ce que ces convergences s'expriment souvent en symbiose avec des surenchères nationalistes qui bloquent l'unification de ces mouvements, celle-ci étant d'autant plus difficile à réaliser qu'aucune idéologie commune ne vient les rassembler.
Pedro : La poussée islamiste en Tunisie (victoire électorale) et en Libye (introduction de la charia dans la Constitution) traduit-elle un tournant dans le "printemps arabe" ou un juste retour des choses aux réalités locales, à savoir que le soulèvement des peuples arabes n'avait qu'une apparence démocratique, la situation étant toujours plus complexe que les formules hâtives et encore une fois occidentalo-centrées ?
Bertrand Badie : Je me garderai bien de parler d'islamisme au singulier et de mêler dans un même ensemble des formes d'expression très variées que l'on voit apparaître en Syrie, en Libye ou en Tunisie. Je ne vois pas non plus en quoi on pourrait tenir les aspirations démocratiques pour de simples apparences : il est en tous les cas trop tôt pour arriver à une conclusion aussi forte.
Maintenant, le succès électoral d'Ennahda en Tunisie traduit bien, en effet, l'ambiguïté majeure de ces mouvements. Comme je le suggérais plus haut, ceux-ci se sont construits hors de toute grammaire politique, sans leader, sans parti, sans idéologie. Très vite devaient donc se poser, notamment à la faveur des élections, les conditions de leur traduction politique. A défaut d'une offre partisane renouvelée, ceux qui se retrouvaient dans le "printemps arabe" ont porté leurs voix vers les partis qui, dans leur propre conscience, incarnaient le mieux la contestation portée au régime déchu.
En choisissant selon cette méthode l'expression islamiste, les électeurs empruntaient une voie qui exprimait inévitablement un décalage par rapport à cette qualité d'autonomie, d'inédit et d'indépendance qui marquait les premiers mouvements de mobilisation. Tout le problème est de savoir maintenant comment ce décalage va être géré : est-ce que les partis vainqueurs, et notamment Ennahda, sauront le prendre en compte et le combler, ou chercheront-ils à ramener ce mouvement vers un modèle idéologique figé ? Dans cette dernière option, les populations concernées ne pourront que se sentir dépossédées de leur révolution, ce qui peut conduire à des formes nouvelles de tensions, voire plus.
Pierre Thomé : La société civile d'un pays peut-elle s'emparer directement du pouvoir, c'est-à-dire sans les intermédiaires institutionnels que sont les partis politiques ?
Bertrand Badie : Bien évidemment non. Le succès de la Révolution française a été de parvenir à politiser les premiers mouvements sociaux grâce à des filtres nouveaux qui n'étaient pas à proprement parler des partis politiques, mais des clubs, des ligues, des associations, bref, tout un ensemble d'instances de sociabilité qui ont peu à peu produit une culture politique nouvelle, elle-même préparée par le siècle des Lumières et la philosophie politique qu'il avait suscitée.
Evidemment, nous n'en sommes pas là : les mouvements sociaux en question ne peuvent pas s'appuyer sur des Lumières récentes, et ce renouvellement profond de la vie politique que l'on doit aux clubs révolutionnaires et à ces organisations relais ne trouve pas aujourd'hui son équivalent.
Peut-être est-ce là l'effet pervers des "révolutions Internet", ces instruments modernes de communication pouvant mobiliser, faire circuler les mots d'ordre, et même les slogans, mais se révélant incapables de combler ce déficit d'innovation, voire d'imagination politique.
N'est-il pas étrange que dans ce concert de contestation des dérives de la mondialisation, personne n'ose définir le cadre d'une mondialisation alternative de gauche ?
Harry : Je me demande si on n'assiste pas plutôt à un mouvement très promondialisation. Il me semble que ce qu'ils dénoncent est aussi le concept d'Etat-nation qui semble archaïque aujourd'hui. Qu'en pensez-vous ?
Bertrand Badie : Oui, je suis prêt à vous rejoindre : ce n'est pas la mondialisation qui est rejetée, mais bien un usage particulier de celle-ci. Même si cette distinction n'est pas travaillée ni explicitée.
C'est bien l'ordre politique traditionnel dont on fait le procès : des Etats qui, dans leur forme originelle, sortis du Moyen Age européen, ne correspondent plus au contexte de la globalité ; une classe politique partout archaïque dénoncée comme inefficace, incompétente, corrompue, impliquée dans tant de scandales ; des institutions internationales discréditées, qu'il s'agisse des institutions de Bretton Woods, de l'OMC, du G8, toujours accueillies par des mouvements de contestation de plus en plus forts quel que soit le lieu où elles se réunissent.
Au-delà de la dénonciation des archaïsmes, ce n'est pas la mondialisation comme processus qui se trouve mise en cause, mais bien la mondialisation à travers les usages qu'on en fait. Comment, d'ailleurs, ces mouvements pourraient tourner le dos à la mondialisation, alors qu'ils en utilisent les techniques, les modes de communication, la mobilité et la fluidité qui en dérivent ? Les "indignés" n'appartiennent pas aux catégories traditionnelles de la société, mais pour l'essentiel à sa fraction la plus jeune, et souvent la plus diplômée. Peut-être est-ce même là les nouveaux entrepreneurs de la mondialisation qui essaient de se faire entendre.
Max : De Damas à Wall Street, la jeunesse semble s'élever "contre le système", et c'est là le seul mot d'ordre – d'une manière générale, elle exprime un ras-le-bol –, mais peine à lui proposer une alternative. En Tunisie, en Egypte, en Libye, ce sont les jeunes qui ont fait tomber le régime, mais on s'aperçoit aujourd'hui que ce sont les partis politiques traditionnels qui émergent victorieux, comme si les révolutions finissaient toujours par dévorer leurs enfants ? Est-il possible de s'affranchir du jeu politique traditionnel ?
Bertrand Badie : Oui, il est indispensable de faire cet effort de reconstruction du politique. Après tout, ça n'aura pas été le premier : rappelons-nous ce qu'il en fut dans nos nations au XIXe siècle, lorsque le politique a dû s'arracher coup sur coup à la pesanteur aristocratique, puis à celle du régime censitaire, pour aller jusqu'à produire la protection sociale. C'était bien le sens même du politique qui était repensé.
Le décalage aujourd'hui entre le social et le politique est tel qu'il risque de devenir très vite insupportable pour tous, et rendant même toute réforme impossible. Chacun gagnera donc à le repenser.
Harry : Ne pourrait-on pas dire que ces mouvements ne pourront jamais réellement trouver un écho politique puisqu'ils s'opposent fondamentalement à l'essence de la démocratie représentative. Il me semblerait logique qu'une certaine violence se développe à l'avenir. Qu'en pensez-vous?
Bertrand Badie : Vous avez raison de poser le problème en ces termes, en mettant le doigt sur un point particulièrement délicat de notre corps politique présent : on s'est éloigné, en Europe, de l'idéal démocratique, on l'a "routinisé", on l'a trop souvent contourné, notamment à propos du Traité constitutionnel européen, pour que la confiance en nos institutions ne soit pas profondément atteinte. Ces échecs et ces crises touchent l'idée de représentation, car dans notre modernité, faite de communication et d'instantanéité, le représentant a de plus en plus de mal à justifier sa place.
Mais un substitut tiré de la démocratie directe n'est pas encore né, tant s'en faut. Au moment où gouvernements, partis et syndicats souffrent de cette commune pathologie, il n'est pas gagné de penser que la solution aux maux est trouvée. D'où, peut-être, en effet, des violences à venir.
San José : Internet est-il de gauche et subversif ? La contestation est numérique, mondiale et instantanée ("printemps arabe", WikiLeaks, "indignés"). Qu'en pensez-vous ?
Bertrand Badie : Non, Internet est un instrument de communication qui tend à se substituer aux intermédiaires d'antan, mais qui conteste ce qui constitue le pouvoir. Comme celui-ci est dans nos sociétés majoritairement de droite, il a une apparence de gauche. Mais que la cible change, et l'orientation politique de ces nouvelles formes de communication changera également.
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