Yishaï Sarid est peu connu en France. Son deuxième roman, « Le Poète de Gaza » (le premier traduit en France), vient pourtant de se voir décerner le Grand Prix de littérature policière 2011.
La vie de ce romancier israélien croise de près la politique. Lui-même est le fils de Yossi Sarid, fondateur du Meretz, (parti politique israélien laïc et socialiste), ministre de l'Environnement puis de l'Education dans les gouvernements de Yitzhak Rabin et Ehud Barak, et grande figure de la gauche pacifiste.
Son épouse, elle, est la petite-fille de Moshé Dayan, militaire et homme politique israélieb, et la fille de la maire-adjoint de Tel-Aviv, Yael Dayan. L'auteur est lui un sioniste de gauche, moins engagé que son père mais à la conscience civique revendiquée.
Devant notre caméra, lui qui a manifesté avec les « indignés » de Tel-Aviv, réagissait aux récents événements politiques israéliens. Pour lui, ce qui s'est passé cet été « mènera à la paix avec les Palestiniens ».
C'est avec cet inconscient familial chargé d'Histoire que Sarid, par ailleurs avocat après avoir été procureur, devint romancier. C'est avec toutes ces voix dans la tête qu'il a crée celle qui guide « Le Poète de Gaza », qui se déroule entre la bande éponyme, Tel-Aviv et Limassol.
Le narrateur est un agent du Shin Bet (le contre-espionnage israélien), dont on ne connaîtra jamais le nom. Sa mission : attirer le responsable d'un réseau terroriste palestinien. Un jeune homme dont le père, Hani est poète, mais est atteint d'un cancer du pancréas en phase terminale. En exfiltrant le père pour le faire soigner, il espère attirer le fils. Et pour approcher les deux hommes, il doit au préalable manipuler une poétesse amie d'Hani, Dafna. Un jeu de dupes à plusieurs bandes, où il n'y a aucune vérité. C'est dire le rôle tenu ici par le langage. Entretien avec Yishaï Sarid.
« En Israël, tout ce que nous vivons est politique »
Rue89 : Pourquoi le choix du genre policier ?
Yishaï Sarid : Parce que je décris une réalité noire [rires] ! Plus sérieusement, nous lisons tous de la littérature, et les codes du polar nous sont devenus évidents, aussi grâce aux films noirs. Nous en sommes imprégnés. De plus, j'ai été plusieurs années durant dans l'armée, puis ai été procureur avant de devenir avocat. A chaque fois, j'ai vu ou me suis occupé de choses très sombres…
Votre narrateur, justement. Pour ses interrogatoires, il a parfois recours à des méthodes psychologiques, parfois à des méthodes brutales. Votre roman pose clairement la question de la légitimité de la violence. Question qui trouve un écho plus grand encore en Israël…
La violence arrive lorsque le narrateur sort de ses gonds. Il est en état de crise, de frustration. Il n'arrive alors plus à rien faire avec les mots. Or, c'est le propos du livre : retourner à la parole, retourner à la négociation, réfréner la violence. La violence en Israël, c'est un terrible cercle vicieux. De part et d'autre on ne sait comment en sortir. Nous, les habitants, essayons de créer quand même une atmosphère de normalité, mais la violence s'y infiltre malgré tout, jusque dans nos vies privées. C'est d'ailleurs ce que montre mon livre.
« Le Poète de Gaza » de Yishaï Sarid
Comment vivez-vous cette situation ?
La violence est une situation qui a fini par devenir une habitude, en Israël. Mais dans le contexte juif, elle vient de choses profondes : lorsque quelqu'un se retrouve en situation de faiblesse totale, sans pouvoir du tout se défendre comme ce fut le cas pendant la Shoah, alors survient le complexe de devenir absolument fort, afin de ne plus jamais se retrouver dans la même situation.
Dans un contexte aussi politique que cette violence, comment vous vient l'idée d'un roman : un personnage ? Un thème ? Une enquête ?
Le sujet de ce livre est politique, on ne peut pas y échapper : en Israël, tout ce que nous vivons l'est en permanence. Mais je n'écris pas pour exprimer une idée politique. Pour ça, on peut écrire un article dans un journal.
Pour vous dire à quel point nous vivons dans un endroit qui ne ressemble à aucun autre : lorsque Gilad Shalit a été libéré il y a quelques jours, il n'est pas un Israélien qui n'a regardé cet évènement, toute la journée à la télévision, sans être ému jusqu'aux tréfonds de lui-même. Ce fut une expérience politique d'une grande force.
Il se passe toujours quelque chose, en Israël. Comment écrit-on, dans ces conditions ?
J'aurais bien aimé que, durant l'écriture de ce livre, la paix advienne… [Rires] Je n'aurais pas eu besoin d'écrire la suite ! J'essaie d'écrire autrement, de construire mes livres autour de dilemmes humains. La situation politique ne change rien à ces dilemmes. C'est pourquoi l'intrigue est secondaire, il ne s'agit pas ici de transmettre une information politique. Même le terroriste, qui est l'objectif de la mission dans mon livre, je n'en ai pas fait un « grand » terroriste, parce que je ne voulais pas qu'il devienne le sujet principal du livre.
De quoi parle votre premier roman, non publié en France ?
Il s'agit d'un roman-enquête sur un viol au sein de l'armée. Le violeur est un officier, la victime une soldate. Il se déroule dans une base au nord du Negev, que je connais bien, et à Tel-Aviv.
Comment vous situez-vous politiquement, par rapport à votre père ?
Je suis aussi un homme de gauche, j'ai toujours voté pour son parti. Mais je ne suis pas un homme politique, je peux me permettre de n'être ni tout noir, ni tout blanc.
Quelles seraient les caractéristiques typiques d'un auteur de polars israélien, par rapport à des auteurs de polars d'autres pays ?
Je ne prétends pas le savoir. Je peux juste dire que la réalité israélienne procure beaucoup de matériau. L'intelligence consiste justement à ne pas trop puiser dans ce matériau à disposition. Car on ne peut entrer en concurrence avec ce que racontent chaque jour les journaux.
Interview réalisée à Paris le 20 octobre. La traduction des propos de l'auteur était assurée par Rosie Pinhas-Delpuech, directrice de la collection « Lettres hébraïques » aux éditions Actes Sud. Nous la remercions.