Le Point.fr - Publié le 08/12/2011 à 12:19 - Modifié le 08/12/2011 à 12:20
Alors que nombre d'entre eux ont abandonné le campement de la Défense, les Indignés abordent une "trêve hivernale".
Bilal sert le café brûlant du matin, un élément indispensable à la vie sur le site. © Olivier Laffargue / LePoint.fr
Le vent qui s'engouffre dans la Grande Arche fait claquer les bâches tendues sur le bric-à-brac des Indignés, massé contre des grilles. Une rangée de duvets, couvertures, tables et cageots, quelques panneaux au sol et des carrés de moquette éparpillés : le camp n'a pas son allure des grands jours. Et pour cause, en assemblée générale, une partie des militants les plus engagés ont décidé de le lever. Le mouvement se trouve dans un virage délicat de son histoire.
La décision a été prise mercredi dernier, en AG, de privilégier d'autres moyens d'action et de laisser hiberner le mouvement quelque temps. "Tout le monde était très fatigué, on a pris conscience que ça n'allait pas se jouer dehors, pas maintenant. Et d'ailleurs, le mouvement observe aussi une pause dans les autres pays", explique Julien. Une décision de raison ? Stéphanie (elle ne souhaite pas témoigner sous son vrai prénom) passe ses premières nuits au chaud depuis un mois avant de rejoindre le campement qui s'organise à Marseille. Selon elle, il y a un moment où "il faut être réaliste : le nombre de gens au camp n'a jamais explosé, on a besoin de s'arrêter un moment et de réfléchir sur nos difficultés à mobiliser". Pour la jeune étudiante, c'est la rançon de la spontanéité.
Aucune possibilité de confort
Stéphanie explique que les militants semblaient avoir besoin de se ressourcer : "Il commençait à y avoir des tensions entre certains, et on n'arrivait plus à trouver de consensus. Les gens se sont un peu dispersés." C'est que les conditions de vie sur l'esplanade deviennent de plus en plus rudes. Il y a la météo, évidemment, le vent, la pluie et le froid. Mais il y a aussi les forces de l'ordre, la violence épisodique des charges, le harcèlement quotidien dont se plaignent les campeurs, et le filtrage très strict des passants à chaque point d'entrée de l'esplanade.
Contrairement à ce qui se passe en Espagne ou aux États-Unis, les CRS ne leur ont laissé aucune possibilité de confort. Les tentes sont par exemple proscrites. "C'est juste absurde, déplore Rémy. On nous laisse passer avec deux palettes en bois, qui nous servent à ne pas dormir à même le sol, mais pas la troisième. Une fille a été bloquée parce qu'elle emmenait un oreiller." Les Indignés ont été choqués par la destruction de leur "dôme" lors d'une charge de CRS il y a dix jours, l'oeuvre d'art dont ils étaient très fiers.
"Dès qu'on commence à s'organiser, à donner une apparence correcte à notre campement, il y a une charge policière qui détruit tout", explique Rémy. Cet indigné a visité le camp d'Amsterdam : "Ça n'a rien à voir, tout est hyperorganisé, il y a des concerts tous les jours, beaucoup de tentes, ils ont installé des toilettes sèches... Qu'on nous laisse nous organiser et on fait un camp de oufs, avec un jardin, si on veut !" Ce "harcèlement" policier, qui a tout d'une stratégie délibérée, a eu en outre pour conséquence de nuire à l'image du campement, qui ressemble davantage à un squat qu'à une société utopique autogérée, ou même simplement à un mouvement revendicatif digne.
"Je resterai, même sous la neige"
Du coup ne restent que les irréductibles : quelques Espagnols de la première heure, des étudiants, des travailleurs qui quittent le camp au matin pour revenir le soir et d'autres qui sont là parce qu'ils n'ont rien de mieux à faire. Un concentré de l'étrange mélange qui a occupé les lieux tant bien que mal. Les endurcis supportent le froid et rappellent que le mouvement n'est dirigé par personne, comme Bilal : "La décision de lever le camp n'engage que les gens qui ont décidé de partir, et on les voit peu ici de toute façon. Nous on n'a pas la pression, si je dois rester ici un an, eh bien je resterai un an, même sous la neige. Je n'ai pas l'impression de perdre mon temps." Ou Rémy, qui dit qu'il ne peut pas revenir en arrière : "Je ne peux pas changer d'avis. Quand on sait comment le monde fonctionne, on est indigné. Je ne peux pas tout arrêter et faire comme avant." D'ailleurs, le camp attire encore quelques nouvelles têtes, comme Benoît, qui a lâché sa vie et son appartement à Annecy pour venir en vélo occuper l'esplanade.
Mais le mouvement ne se résume pas à l'occupation. Le travail des différentes commissions se poursuit, de la commission communication à la commission juridique en passant par le groupe de travail "Constituante". Les assemblées générales se poursuivent ainsi que les manifestations, comme cette deuxième journée mondiale des Indignés, samedi. Julien, qui participe au fonctionnement d'une webradio interne au mouvement, travaille au ralliement d'autres collectifs et associations pour agrandir le réseau. Les Indignés veulent se développer en sous-main, et parient sur une reprise explosive au printemps.